Eléments biographiques à propos d'Ayres Barbosa

Pour tous les éléments qui suivent nous renvoyons à Manso 2014, 117-130 et Pinho 2013, 5-33.

Pour reconstituer la vie et l'oeuvre de Barbosa nous disposons, outre plusieurs documents d'archives (voir ci-dessous) de textes de Barbosa lui-même sur ses origines, sa famille et sa carrière, en particulier un poème autobigraphique qui accompagne en 1517 la parution de son ouvrage de Prosodia et Orthographia, le carm. 57 [Pinho].

Origine et naissance

Ayres Barbosa est né à Esgueira (Portugal), ville qui touche Aveiro, plutôt qu'à Aveiro même comme certains chercheurs l'ont parfois dit. Du côté de sa mère, Catarina Eanes de Figueiredo, il descend des Figueiredos, l’une des plus anciennes familles de la péninsule, et la famille s’est fixée à Esgueira à l’époque du grand-père de Barbosa. Il est le neveu de l’humaniste Martim Eanes de Figuereido qui a séjourné en Italie et à qui Barbosa a dédié un poème élogieux (carm. 44 [Pinho]). Devenu professeur à l’Université de Lisbonne et  médiateur du roi de Portugal, Martim de Figuereido conserve des attaches à Esgueira et a pu jouer un rôle important dans la formation de Barbosa.

La date de naissance de Barbosa n'est pas connue avec certitude, mais on peut la déduire d’éléments extérieurs : la date de sa mort, le 20 janvier 1540, assurée par son testament, son entrée comme professeur à l’université de Salamanque à son retour de l’université de Florence le 28 juin 1495, et d'autres mentions extérieures. En 1498, il est qualifié de iuenilis par l'un de ses correspondants, en 1514 ou 1516, il dit dans sa préface au Commentaire d'Arator que son âge ingrauescit ("lui devient pesant") et, en 1517, il se dit in prima senectute ("à l'aube de la vieillesse") ; il parle également de son séjour en Italie (donc avant 1495) comme de celui d’un adulescentulus ("un petit jeune homme") dans la Prosodia, et, en 1511, dit qu’il était un puer ("enfant") quand il a rencontré Hermolao Barbaro à Florence. En 1523, carm. 63 [Pinho], il se présente comme un vieil homme, ce qu’il fera encore en 1536. L'élément le plus probant de ce dossier est ce qu’il dit de sa rencontre avec Hermolao Barbaro à Florence quand il était puer ("enfant"). Barbaro, qui est né en 1454, n’a séjourné à Florence qu’entre avril et mai 1490 ; si l'on tient compte des habitudes latines pour désigner les périodes de la vie, il a au maximum 16 ans en 1490. Il ne peut donc être né avant 1474. Mais on peut peut-être préciser et dater sa naissance de 1475, si l’on tient compte du fait qu’il appelle Giovanni de Médicis son condisciple, et que celui-ci est né en 1475. Cela concorde avec les autres mentions de son âge et conduit à considérer qu'il est né en 1474 ou 1475. Cette date devient pratiquement certaine si l'on prend en compte qu’il ne peut pas avoir moins de 20 ans en 1495, quand il devient maître car c’est l’âge minimum requis pour ce grade.

Les années de formation

Même si la plupart des critiques considèrent comme admis qu’il est venu à Salamanque vers 1482, et a suivi l’enseignement de maîtres comme Antonio de Nebrija (1441-1522) ou Lucio Marineo, il n’y a aucune trace réelle de sa présence à Salamanque avant 1495. Il faut donc sans nul doute revoir les débuts de la formation de Barbosa, sans tenir compte de ce premier très hypothétique séjour à Salamanque.

Selon toute probabilité, il a commencé son apprentissage en habitant chez lui à Esgueira, dans une école d'Aveiro, et donc peut-être à l’école conventuelle des Dominicains du couvent da Senhora da Misericórdia. On sait en effet qu’il est encore à Esgueira en 1489 et déjà à Florence en avril mai 1490. Or on sait aussi qu’à Florence on ne peut s’inscrire dans les cours d'Artes avant l’âge de 14 ans, ce qui va également dans ce sens. Son départ en Italie est également probablement lié à une étrange affaire survenue en 1489 ou un peu avant : Barbosa fait état d'une accusation d'homicide involontaire sur une esclave noire quand il avait 14 ans, et tout porte à croire (car il ne dit jamais que cela a eu lieu en Italie et l'âge indique qu'il est encore au Portugal quand cela se produit) que ces faits ont eu lieu à Esgueira et ont pu précipiter son départ.

Il part alors, peut-être avec son oncle Martim Eanes de Figuereido, qui s’inscrit cette même année en Droit à Florence. C’est là que les deux rencontrent Ange Politien et deviennent ses élèves. Martim, quant à lui, ne rentrera au Portugal qu’en 1510 avec le titre de docteur en droit civil et canonique, ce qui lui vaut le titre de juge et de professeur à l’université de Lisbonne. D'ailleurs, Barbosa se flatte toute sa vie d'avoir été l' élève de Politien, qu'il nomme doctor olim meus ("mon professeur autrefois") dans la préface du Commentaire à Arator et dans l’épigramme satirique qui conclut le commentaire (f151v), il place de nouveau son travail sous l'autorité de Politien ; de même dans le carm 64 [Pinho] in quendam malivolum, Barbosa fait de nouveau état de ce lien avec l'illustre humaniste. Parmi les autres maîtres qu'il cite ou évoque, outre Hermolao Barbaro qu'il n'a fait que croiser, on trouve Pic de la Mirandole (mort en 1494) et Luís Teixeira, un compatriote, recteur de l'Université de Sienne en 1476 (voir carm 42 [Pinho]).

Salamanque : Barbosa professeur

En 1495, de retour d'Italie il entre dans le corps enseignant de l’université de Salamanque et il ouvre la chaire de Grec, une première dans la péninsule ibérique. Cet événement joue dans la carrière de Barbosa un rôle déterminant, comme en attestent les sources contemporaines. Sur les circonstances précises de son entrée en charge à Salamanque le 28 juin 1495, nous sommes renseignés par les deux épigrammes jointes en septembre 1495 aux Introductiones latinae de son ami et collègue Antonio de Nebrija qui souligne d'ailleurs que Barbosa est le meilleur helléniste qu'il connaisse ; en 1497, Lucio Marineo confirme que ce qui fait le renom de Barbosa, c'est sa connaissance parfaite du grec. La chaire de grec avait de fait été ouverte à Salamanque vers 1480, mais n'avait pas trouvé preneur faute de compétences suffisantes. C'est ainsi que, plus tard, le théologien et humaniste Antonio de Honcala (1484-1565), en présentant le de Verbis obliquis de Barbosa dira de lui, comme une sorte de signe distinctif : primus Iberos quod Graece docuit ("le premier qui en Grec enseigna les Ibères"), et de même, en 1531, André de Resende (vers 1500-1573), poète et théologien, écrit que Barbosa docuit primos iberos Graias componere uoces ("enseigna aux premiers Ibères à mettre en ordre des mots grecs").

Lorsque Barbosa arrive dans le personnel de l'Université de Salamanque, il trouve une situation dégradée des langues classiques, et, avec Nebrija, il s’efforce de restaurer l’enseignement du latin et promouvoir celui du grec, à la suite du travail mené par Politien en Italie et qui l'influence directement. Le 11 septembre 1503, il intègre le collège des docteurs et maître en Arts, ce qui suppose que Barbosa ait déjà obtenu la chaire de rhétorique, condition indispensable pour entrer dans le collège, mais sur laquelle nous n'avons pas de documentation en raison de la perte de documents. Qu’il ait obtenu aussi la chaire de grammaire est assuré par la retraite qu’il obtient en 1523 et qui suppose cette charge, mais nous savons qu'il y échoue en 1503. En août 1504, il obtient d’être orateur officiel de l'Université devant le supérieur général des Dominicains, aux côtés de l’italien Lucio Flaminio, son ami comme Lucio Marineo. En 1505, après la mort de son concurrent de 1503, il candidate de nouveau à la chaire de grammaire, mais se désiste finalement en faveur de Nebrija. Entre 1511 et 1517, où il est en charge du Latin (Rhétorique et Grammaire), il publie quatre opuscules renvoyant à ses activités de professeur de latin, un traité sur les verbes impersonnels Relectio de uerbis obliquis (1511), un sur la métrique latine Epometria (1515), un sur l’orthographe Orthographia et un sur la prosodie Prosodia, les deux derniers étant réunis en un seul volume (1517). C'est dans ce contexte d'enseignement du latin qu'il décide de publier son commentaire d’Arator, réalisé à partir de ses cours, et dont le volume à lui seul constitue plus de la moitié de ses écrits.

Salamanque : Barbosa face aux théologiens, le commentaire d'Arator

L'une des caractéristiques de ces années de professorat à Salamanque est l'opposition parfois violente entre Barbosa et les théologiens de l'Université. Cet affrontement culmine dans le cours donné en 1513-1514 sur Arator, texte théologique selon les théologiens, et qui ne doit donc pas être laissé aux mains des grammairiens ou des rhéteurs. Profondément blessé par ces attaques qu'il juge absurdes, Barbosa répond par le carm 13 [Pinho], et se justifie longuement dans l'épître dédicatoire de son commentaire.

Ce conflit explique sans nul doute le soin mis à montrer dans le commentaire une parfaite connaissance de la tradition patristique et scholastique. D’ailleurs, en 1502, Barbosa, déjà sans doute en butte à des critiques, avait demandé au pape la reconnaissance par un jury extérieur de ses compétences en théologie, pour obtenir les droits et prérogatives qu’il aurait eus s’il avait obtenu un diplôme universitaire, et un document de 1506 atteste qu’il a obtenu cette reconnaissance puisqu'il est in sacra Theologia magister egregius et peritissimus et praedicator insignis. Selon toute probabilité, et comme il le laisse entendre dans le commentaire, il s’est formé en théologie au début de sa carrière à Salamanque auprès de Fernando de Roa (mort sans doute vers 1507), avant 1503, date à laquelle Roa n’ensigne plus à Salamanque.

La publication du commentaire d'Arator et son semi-échec

Le commentaire paraît en 1516 chez l'éditeur qui a sans doute publié les précédents textes de Barbosa, João de Porres, qui, fait rare, est explicitement mentionné, signe à la fois de l'importance qu'il accorde à cet ouvrage dans son catalogue et du crédit dont bénéficie Barbosa, qui, par là-même rend sans doute hommage, dans ce qu'il considère comme son ouvrage le plus important, à l'imprimeur qui l'accompagne depuis plusieurs années. Pourtant, le commentaire n'obtient pas le succès espéré, sans doute principalement pour des raisons extérieures à son contenu, et qui tiennent plus aux conditions matérielles de sa parution.

L'imprimerie dans la péninsule ibérique est moins avancée que dans d'autres parties de l'Europe. Une première imprimerie a ouvert en 1474 à Valence et, à Salamanque, Nebrija en a fait ouvrir une en 1479. Pourtant il faut ,attendre 1496 pour voir apparaître le nom d’un typographe, un allemand, Leonardo Hutz, et 1505 pour voir un nom espagnol associé à ce métier. Le texte de Barbosa, long et complexe, car comprenant du grec, va faire en quelque sorte les frais de cet état de fait.

Au début du XVIe siècle, le papier est particulièrement coûteux dans la péninsule, et, pour réduire le coût des livres, on opte parfois pour des présentations qui emplissent la page au maximum. La forme matérielle du commentaire, particulièrement dense et serrée, ainsi que l'usage très abondant des abréviations, qui en rendent la lecture particulièrement difficile et incommode, relèvent de ces contraintes. Mais une autre contrainte est encore plus sérieuse : aucun imprimeur de Salamanque ne dispose de caractères grecs, et, donc, comme on le fait usuellement à Salamanque, le grec présent dans le commentaire est translittéré en caractères latins selon la prononciation en usage dans l'Université. Cet aspect, qui ne serait qu'anecdotique si Barbosa citait uniquement des mots séparés, devient un handicap considérable quand le commentateur cite plusieurs vers d'Homère ou un long passage d'un Père grec ou d'un philosophe. Ainsi, la compétence d'helléniste dont se flatte Barbosa apparaît bien dans le commentaire, mais sous une forme qui, là encore, ne facilite pas la lecture. Tout cela, joint à la longueur du commentaire, et au fait que les poètes latins tardifs sont parfois sévèrement jugés par les érudits du XVIe siècle qui les comparent, en leur défaveur, avec les classiques, explique sans doute que l'ouvrage n'ait jamais rencontré son public.

Vie personnelle et carrière après la publication du commentaire (1516)

Marié peu après son retour d'Italie, très vraisemblablement avec une parente de sa mère, Isabel de Figuereido, qui lui donne un fils (connu par le carm 49 [Pinho]), il devient veuf dans les premières années du siècle. Bien qu'il ait alors demandé au pape d'être admis dans les ordres en avril 1506 et en ait reçu l'autorisation, Barbosa ne persévère pas dans cette voie et se remarie avec Isabel, veuve de son collègue Juan Suarez de Oviedo (mort vers 1506), morte prématurément après lui avoir donné cinq enfants, comme nous l'apprend l'Epitaphium uxoris qu'il rédige pour elle (carm 67 [Pinho]). Des enfants que lui a donnés cette seconde épouse, quatre filles et un garçon, deux des filles deviennent religieuses, sans que l'on connaisse leur prénom, comme aussi Catarina, seule fille de Barbosa dont le prénom soit connu. Quant à son fils Fernão, on ne sait pas grand-chose de lui, sinon qu'il a été pris dans son adolescence dans une bagarre avec l'infant Duarte, au moment où son père était en charge de l'éducation du cardinal infant Afonso.

De fait, en 1523, après vingt ans passés comme Maître de rhétorique à Salamanque, Barbosa prend sa retraite de l'Université, mais est immédiatement appelé par le roi João III pour être le précepteur de son frère, le cardinal infant Afonso, poste qu'il occupe jusqu'en 1530 et dans lequel il accompagne la cour dans ses multiples déplacements.

Après avoir obtenu son congé de la cour, il revient dans la propriété familiale de Esgueira, où il passe les dix dernières années de sa vie, et meurt le 20 janvier 1540, autour de ses soixante-cinq ans.