Livre 1 section 2 (vv. 21-68)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(553) (IAMQVE quaterdenis) On demande d’ordinaire pourquoi Arator ne fait pas comme les autres poètes une propositio, une invocatio et une narratio. (IAMQVE quaterdenis) soIet quæri cur arator non proponat inuocet narret more cæterorum poetarum.
(554) Nous pouvons dire qu’il a fait sa propositio dans l’élégie au pape Vigile : quand il dit uersibus ipse canam quos lucas rettulit actus ("je chanterai en vers les actes que Luc a rapportés"). possumus dicere Eum proposuisse in elegidio ad uigilium pontificem: cum dixit uersibus ipse canam quos lucas rettulit actus .
(555) Et de même il fait l’invocatio quand il en est besoin et quand le matériau l’exige comme peu après Nequid in expertum studio meditemur inani spiritus alme ueni etc. ("afin que nous ne méditions pas avec un zèle vain un fait hors de notre expérience, Esprit nourricier, viens"). Et item ipsum inuocare ubi opus est et exigente materia ut paulo post Nequid inexpertum studio meditemur inani spiritus alme ueni etc.
(556) Dans cette deuxième section, Arator montre que le Christ, par de nombreux signes, a prouvé à ses disciples qu’après sa résurrection il avait le même corps qu’il avait eu auparavant ; ensuite qu’après quarante jours il fut enlevé au ciel depuis le Mont des Oliviers, tandis qu’ils le voyaient et s’en émerveillaient ; et qu’ensuite les disciples étaient revenus à Jérusalem où était la Vierge Mère de Dieu. ostendit autem in hac secunda sectione Arator christum multis signis probasse dis[12r]cipulis se post resurrectionem idem habere corpus quod ante habuisset. deinde post. xxxx. dies e monte oliueto assumptum fuisse in coelum illis uidentibus et mirantibus. postea uero dicipulos rediisse hierosolymam: ubi uirgo deipara erat.
(557) Le sens et l’ordre sont : iam ("déjà") autrement dit après la résurrection, dominus contulerat fidem ("le Seigneur avait apporté la foi") autrement dit la croyance, quaterdenis ("quatre fois dix") autrement dit quarante, per signa ("par des signes") autrement dit par des arguments et des indices manifesta ("évidents") autrement dit clairs, illis ("à ceux") évidemment ses disciples, cernentibus ("qui voyaient") autrement dit qui voyaient ce que faisait le Seigneur, quos ("que") évidemment les disciples, iubet ("il ordonne") évidemment le Christ, esse suos ("d’être ses") témoins in limite diffuso ("confins les plus étendus") autrement dit sur l’étendue des frontières, usque sub extremum mundum ("jusqu’aux confins du monde") autrement dit jusqu’au bout du monde. Est autem sensus et ordo: iam scilicet post resurrectionem: dominus contulerat fidem id est credulitatem quaterdenis id est quadraginta diebus: per signa id est argumenta et indicia: manifesta id est clara: illis scilicet discipulis suis: cernentibus id est uidentibus quæ fiebant a domino: quos scilicet discipulos: iubet scilicet christus: esse suos testes: in limite diffuso id est in finibus extensis: usque sub extremum mundum id est usque ad ultima mundi.
(558) Il faut savoir que les apôtres interrogèrent le Seigneur comme le dit Luc : "Seigneur, est-ce dans ce temps que vas rétablir la royauté en Israël ?". Le Christ a rejeté cette question en considérant qu’elle était excessivement grossière et pour ainsi dire charnelle : "et vous serez mes témoins à Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre" ; évidemment témoins de sa résurrection et de tous les autres miracles que vous avez vus en prêchant et en répandant l’Evangile jusqu’au bout de la terre. Sciendum est apostolos interrogasse dominum ut lucas ait: domine si in tempore hoc restitues regnum israel?ac 1, 6 reiecit christus interrogationem tanquam nimis crassam et ut ita loquar: carnalem: et adiecit: et eritis mihi testes in hierusalem: et in omni iudaea et samaria et usque ad ultimum terræ:ac 1, 8 Testes scilicet resurrectionis et cæterorum mirabilium quæ uidistis praedicando et diuulgando Euangelium usque in ultimum terræ.
(559) Et il n’est rien d’étonnant à ce que les apôtres interrogent le Christ de façon si désinvolte et si imprudente sur le royaume temporel d’Israël, alors qu’ils n’avaient pas encore absorbé la puissance et la sagesse de l’Esprit saint. Nec mirum est apostolos tam supine tamue imprudenter de regno israel temporario christum interrogasse: cum nondum spiritus sancti uirtutem et sapientiam ebibissent.
(560) Ainsi en effet Matthieu raconte que les fils de Zébédée avaient demandé, bien que ce ne soit pas de leur propre chef, que l’un siège à sa droite et l’autre à sa gauche, dans l’idée que le Christ irait siéger sur un trône temporel à la manière de tous les autres rois fragiles. Mais le Christ rejette cette demande. "L’Esprit saint viendra sur vous" et il apportera non un royaume en Israël comme vous le pensez, mais il vous apportera la puissance de témoigner de moi, et le temps de ce royaume est tel qu’auparavant la renommée de l’Evangile pourra courir non seulement à Jérusalem et sur tous les confins de la Judée et de la Samarie, mais même aux extrémités du monde dont elle fera le tour. Ita enim matthæus: narrat filios Zebedei petiisse: quamuis non per se: ut unus sederet ad dextram eius et alius ad sinistram. quando christus in solio temporario sessurus esset more cæterorum regum uacillantium. sed christus hoc reiicit. superuenietac 1, 8 inquit super uos spiritus sanctus:ac 1, 8 nec regnum israel ut putatis afferet: sed uirtutem testificandi de me uobis præstabit: tantumque illius regni tempus Ionge est ut prius non solum hierosolymam et omnes fines iudeæ et samariæ sed mundi etiam terminos per circuitum fama Euangelii percurrat.
(561) Quelqu’un hésitera peut-être quant au fait de savoir si ce témoignage a été intégralement donné par les apôtres ou également par les successeurs des apôtres. Dubitabit aliquis an id testimonium per apostolos completum fuerit: an etiam per apostolorum sucessores.
(562) Les théologiens anciens ne sont pas d’accord sur ce point délicat. Dissentiunt in hac ambiguitate antiqui theologi.
(563) Ainsi Jérôme dans son commentaire sur Matthieu dit que la parole du psaume "sur toute la terre s’en va le son de leur voix" et cette parole du Christ "cet évangile sera annoncé dans le monde entier" indique que le processus est intégralement accompli par l’intermédiaire des apôtres. Mais Augustin dans la lettre à Exitius, en accord avec Origène dans son commentaire sur Matthieu pense que cela n’a pas été encore intégralement accompli. Siquidem hieronymus super matth. dicit hoc dictum psalmi in omnem terram exiuit sonus eorum:Ps 18, 5 et illud christi prædicabitur Euangelium hoc in uniuerso mundo:Mt 24, 14 esse completum per apostolos. At augustinus in epistola ad Exitium: cui consentit origenes super matth. sentit hoc nondum fuisse completum.
(564) Avec ces arguments on éclaire comment nous comprenons le vers d’Arator quos apostolos iubet esse suos testes usque sub extremum mundum ("il ordonne à ses apôtres d’être ses témoins jusqu’à l’extrémité du monde en ses confins les plus étendus") autrement dit jusque dans les territoires les plus éloignés du monde, dans lesquels l’Église s’est répandue. Ex his constat quo intelligemus quod dicit Arator: quos apostolos iubet esse suos testes usque sub extremum mundum id est usque in extremas oras orbis terrarum: in quas ecclesia diffusa est.
(565) Le différent entre Jérôme et Augustin, ce n’est pas nous qui allons le trancher, parce je pense que les deux opinions se défendent, et je crois que sur le fond ils ne sont pas en désaccord, même si en surface leurs paroles semblent se contredire. Litem autem illam hieronymi et Augustini non dirimimus: quia utrunque credo probabile: nec illos dissentire arbitror in nucleo: licet uerba in cortice pugnare uideantur.
(566) (Miracula rerum) il y a dans le Christ deux natures, la nature divine et la nature humaine. La divinité du Christ ne pouvait être vue par des yeux mortels, mais l’humanité a été perçue par les yeux et les sens des apôtres. C’est pourquoi Luc, à la fin de l’évangile, dit que le Seigneur dit aux disciples : "touchez et voyez car un esprit n’a ni chair ni os comme vous constatez que j’en ai". (Miracula rerum) duæ in christo naturæ sunt diuina et humana. diuinitas christi non poterat uideri oculis mortalibus. at humanitas: apostolorum oculis et sensibus percepta est. Vnde lucas in fine Euangelii dicit dominum dixisse discipulis: palpate et uidete: quia spiritus carnem et ossa non habet: sicut me uidetis habere.Lc 24, 39
(567) Si c’était en effet grâce à une illusion magique que son corps avait été formé et s’il avait été celui d’un fantôme, il aurait été peu dense et aérien, et non un corps solide et véritable. Si enim magica illusione corpus illud fuisset compactum: et phantasticum: fuisset rarum et aereum: non solidum et uerum corpus.
(568) Il n’aurait pas eu également les cicatrices des blessures, qu’il encouragea Thomas à toucher comme il le dit dans l’évangile de Jean : "avance ton doigt ici, et vois mes mains, et avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule". Non habuisset etiam cicatrices uulnerum. quas ut palparet. thomas: monuit ipse cum apud Ioannem Euange. ei dixit: infer digitum tuum huc: et uide manus meas et affer manum tuam et mitte in latus meum: et noli esse incredulus.Jn 20, 27
(569) Le Christ montra à ses disciples qu’il était le même que celui qui avait souffert, en utilisant l’action de se nourrir quand il mangea avec ses disciples comme le raconte Luc : "ils lui offrirent un morceau de poisson grillé et un rayon de miel et comme il les avait mangé devant eux, prenant ce qu’il restait il le leur donna". Se quoque christus esse eundem qui passus fuerat discipulis ostendit per opera uitæ altricis cum manducauit cum discipulis ut narrat lucas: obtulerunt inquit ei partem piscis assi et fauum mellis et cum manducasset coram eis sumens reliquias dedit eis.Lc 24, 42
(570) Il montrait qu’il avait les sensations de la vie en parlant avec eux, en leur répondant et en les saluant. Vitam quoque sensibilem se habere monstrabat colloquendo respondendo: eos salutando.
(571) Quant à son intelligence, il y en a une preuve évidente dans le fait qu’il discutait avec eux des Écritures comme Luc le raconte dans son dernier chapitre. Intellectus autem apertum argumentum erat disputare cum illis de scripturis ut Lucas in ultimo capite narrat.
(572) Mais quand il entra, alors que les portes étaient closes, pour rejoindre ses disciples, il apporta la preuve qu’il était ressuscité pour une vie glorieuse. "Le Seigneur" (comme le dit Grégoire) "offrit à leur toucher sa chair qu’il avait fait entrer alors que les portes étaient closes, afin de montrer qu’après la résurrection son corps était identique dans sa nature, mais différent dans sa gloire". Cum uero ianuis clausis ad discipulos intrauit se resurrexisse ad uitam gloriosam probauit. palpandamGREG. M. in euang., 26, 1 (inquit Gregorius) dominus carnem præbuit: quam ianuis clausis introduxit: ut esse post resurrectionem ostenderet corpus suum eiusdem naturæ et alterius gloriæ.GREG. M. in euang., 26, 1
(573) Donc de telles preuves et de tels signes une fois mis ensemble rendirent pour les apôtres absolument certaine la foi qu’il s’agissait bien du même homme que celui qui avait été crucifié, et qui, ressuscité, s’entretenait avec eux, quand s’y furent ajoutés cependant (comme le dit le divin Thomas dans la Secunda) la révélation des anges et le témoignage des Écritures, dont le Christ ouvrit le sens aux disciples comme l’atteste Luc dans son évangile : "alors le Seigneur dit aux disciples : ‘ô cœurs sans intelligence et lents à croire dans tout ce qu’on dit les prophètes’". talia ergo argumenta et signa simul collata fidem certissimam apostolis fecerunt eundem esse illum hominem qui crucifixus fuisset: et qui resurgens secum loqueretur: adiuncta tamen (ut diuus thomas in. iii. parte ait) angelorum reuelatione et testimonio scripturarum: quarum sensus christus discipulis aperuit ut lucas in Euangelio author est. Vnde dixit dominus discipulis o stulti et tardi corde ad credendum in omnibus quae locuti sunt prophetæ.Lc 24, 25
(574) Il n’a pas dit "ô cœurs sans intelligence pour croire les réalités que vous touchez et sentez", mais bien en celles qui ont été dites par les prophètes. non dixit o stulti ad credendum ea quæ palpantur uel sentiuntur: sed in omnibus qua locuti sunt prophetæ.
(575) Ainsi, en effet, notre libérateur leva pour ses disciples toutes les ambiguïtés. Ils le virent, le touchèrent et il mangea avec eux. Ita enim liberator noster remouit omnes ambages discipulis. Visus est tactus est manducauit.
(576) Mais parce que nous lisons dans les divines lettres que des anges également ont agi ainsi, comme dans la Genèse ou dans l’Exode ou dans d’autres passages, où des anges parlèrent après avoir assumé un corps, mangèrent et firent, à ce que l’on rapporte, d’autres actes qui sont propres aux vivants, pour éviter de sembler en quelque point avoir trompé les sens des hommes, il tendit la main vers les Écritures. Ainsi, même s’il semble avoir été, grâce à des artifices magiques, capable de faire ce qu’il voulait, comme, selon le récit de Lactance, certains païens dans leur folie le prétendent mensongèrement, ils voient cependant que les prophètes n’auraient fait pareille prédiction pour eux-mêmes avant sa naissance. At quia id quoque fecisse angeIos in diuinis litteris legimus: ut in genesi in exodo: et aliis in locis: ubi in assumptis corporibus locuti sunt: manducauerunt: et alia quæ uiuentium sunt fecisse perhibentur: ne in aliquo humanos sensus ludificasse uideretur: mittit manum ad scripturas: ut etsi magicis artibus uideatur potuisse quod uoluit: ut narrante lactantio pagani quidam stolidi mentiti sunt: tamen uideant id prophetas de se antequam natus esset: non prædicturos fuisse.
(577) On me dira : à quoi rime pour moi d’aller chercher si loin ce préambule pour montrer comment furent évidents les signes et certaines les preuves (comme le dit Arator) par lesquelles le Christ montra et prouva à ses disciples qu’il n’utilisait envers eux nul charme trompeur ? dicet quispiam: quorsum hæc tam longo repetita principio ut ostendam quomodo fuerunt signa manifesta et documenta certa (ut ait Arator) quibus christus ostendit et probauit discipulis nulla se uti ad illos ludificatione.
(578) C’est la raison pour laquelle le poète a dit "déjà le Seigneur avait apporté la foi", de manière emphatique et expressive, exprimant non pas cette forme d’hypotypose que Cicéron dans les Académiques nomme perspicuitas et les Grecs ἐναργής, mais une foi certaine en cette vérité qui s’attacha à l’esprit des apôtres au sujet de la résurrection du Christ non seulement en tant que Dieu, mais encore en tant qu’homme. ideo dixit poeta: iam dominus contulerat fidem emphanticos et signanter: non euidentiam illam quam cicero in academicis uocat perspicuitatem: græci enarges nominant: sed fidem certam ueritatis illius quae mentibus adhesit apostolorum de resurrectione christi non solum ut dei Sed etiam ut hominis.
(579) Mais cette parfaite compréhension ne fut obtenue que par l’ajout de l’autorité des saintes Écritures, qui fait naître en nous une perception certaine et affermie des réalités de la foi qui ne sont pas manifestes. Comprehensio autem illa perfecte habita est adiuncta authoritate sacrarum scripturarum: quæ gignit in nobis certam et firmam perceptionem fidei non euidentiæ.
(580) Or, vu que l’objet de la foi n’est pas la vision, mais Dieu lui-même et qu’un article de foi est quelque chose d’invisible concernant Dieu, il est évident que les apôtres n’ont pas su de façon claire, mais bien plus cru que Dieu était ressuscité des morts. Cum autem obiectum fidei sit non uisus sed ipse deus: et articulus fidei sit aliquid non uisum circa deum: manifestum est apostolos non perspicue sciuisse Sed certo credidisse deum a mortuis resurrexisse.
(581) En effet, la divinité du Christ était impossible à saisir par les yeux des apôtres. Nec enim diuinitas christi sentiri poterat oculis apostolorum.
(582) D’où cette parole de Grégoire : "Thomas a vu une chose et en a cru une autre. En effet la divinité ne pouvait être visible par un homme mortel. Il a donc vu un homme et confessé sa foi en Dieu en disant ‘mon Seigneur et mon Dieu’". Vnde gregorius: thomas aliud uidit et aliud credidit. A mortali quippe homine uideri diuinitas non potuit. hominem ergo ui[12v]dit et deum confessus est. dominus meus dicens et deus meus.GREG. M. in euang., 26, 8
(583) Donc, de quelle manière le Christ dissipa-t-il tous les scrupules du doute ? Arator le montre en disant miracula rerum ("les miracles") évidemment opérés par le Christ non poterant celare deum ("ne pouvaient cacher Dieu") autrement dit ne pouvaient pas cacher et occulter la divinité du Christ, parce que, comme le dit Jean l’évangéliste "si l’on écrivait un à un les miracles que Jésus a faits, que ce soit avant ou après sa résurrection, le monde ne suffirait pas pour contenir ces livres". Quo igitur pacto scrupulos omneis dubitationum remouit christus? Arator ostendit: cum ait (miracula rerum) scilicet operatarum a christo: non poterant coelare deum id est non poterant abscondere et occultare diuinitatem christi. quia ut inquit loannes Euangeliographus si scribantur per singula quæ Iesus fecit miracula scilicet ante uel post resurrectionem: non mundus libros ipsos caperet.Jn 21, 25
(584) Mais on me fera ici une objection et on tentera de s’opposer à moi en disant : comment les miracles montraient-ils la divinité du Christ alors que de nombreux saints aussi firent des miracles, tels Moïse, Elie, Elisée et d’autres, et que Jésus déclare (Jn. 14) : "en vérité je vous le dis, celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes" ? Sed repugnabit aliquis hic: et contra conabitur: quomodo miracula ostendebant diuinitatem christi: cum multa uiri sancti etiam miracula fecerint ut Moses: helias: heliseus et reliqui et loannis.xiiii. dicat Iesus: Amen dico uobis: qui credit in me: opera quæ ego facio ipse faciet: et maiora horum faciet.Jn 14, 12
(585) Les théologiens font ici une réponse unanime qui résout de nœud : ce qui importe n’est pas ce qui est fait, mais la manière de le faire, autrement dit ce qui nous fait conclure que le Christ est Dieu, c’est qu’il agissait par sa puissance propre et non en la recevant d’un autre, ce qui est le propre de Dieu évidemment de manière totalement indépendante, lui dont le mode d’action ne peut se communiquer à la créature. respondent theologi hunc nodum soluentes uno consensu: non esse rem factam sed modum faciendi: id ex quo possumus concludere christum fuisse deum: quia uirtute propria et non aliunde accepta agebat: quod est proprium dei: independenter scilicet qui modus agendi creaturæ communicari non potest.
(586) En effet le Christ a accompli beaucoup de miracles non pas en réponse à sa prière ou à sa demande, mais en prescrivant et en commandant en homme qui a le pouvoir comme le dit l’évangéliste. Multa enim ægit chistus non orando: nec petendo sed præcipiendo et imperando tanquam potestatem habens ut ait Euangeliographus.
(587) Or cela, c’est en existant lui-même comme Dieu qu’il l’opérait et non en tant qu’homme existant par la puissance de Dieu. Hoc autem ut ipse existens deus: et non in dei uirtute existens homo operabatur.
(588) (Documenta.) Il a dit comment la divinité du Christ a été montrée aux apôtres par l’entremise de miracles, maintenant il affirme clairement de quelle manière son humanité a été prouvée à ces mêmes apôtres par l’entremise de la prise de nourriture : resurgens ("de sa résurrection") évidemment le Christ, quæ documenta ("quelles preuves") autrement dit des signes et des indices, daret sic certa ("plus sûres pouvait-il donner") autrement dit plus certaines quam mandere ("que de manger") autrement dit de partager un repas évidemment avec eux : c’étaient là les preuves les plus certaines. Corpora humana ("les corps humains") autrement dit des hommes probant uitam ("prouvent leur vie") autrement dit montrent qu’ils vivent et qu’ils ne sont pas morts his ("par cela") autrement dit par de tels actes, manger, et partager un repas. (Documenta.) dixit quomodo diuinitas christi patefacta fuit apostolis per miracula: nunc declarat quo pacto humanitas monstrata fuit eisdem per epulationem: resurgens scilicet christus quæ documenta id est signa et indicia daret sic certa id est certiora quam mandere id est comedere scilicet cum illis: quae documenta certissima erant. Corpora humana id est hominum: probant uitam id est ostendunt se uiuere et non esse mortua his id est talibus epulando scilicet et comedendo.
(589) De fait, puisque l’âme vitale a trois offices qui la soutiennent : se nourrir, croître et se reproduire, le premier est le plus nécessaire à la vie car il touche à l’être même qui, sans le secours de cet acte, ne peut se maintenir ni se conserver. Nam cum sint tria uegetalis animæ officia: alere: augere: gignere: primum uiuentibus maxime necessarium est: utpote quod attingat essentiam: quæ sine hac ope teneri et conseruari non possit.
(590) L’âme alimente grâce à la chaleur qui lui est innée et propre et par celle-ci comme par quelque machine elle opère la digestion. Alit anima per calorem natiuum et uernaculum et per hunc quasi per machinamentum quoddam concoctionem facit.
(591) De même en effet que l’artisan abat la forêt sans être abattu par elle et en perfectionne la matière, de même la créature animée, grâce à la chaleur qui est en elle, amollit la nourriture, la réduit et la digère. Vt enim faber cædit non cæditur a sylua quam cædit: et materiam expolit: ita animans per insitum calorem cibum molit et comminuit et coquit.
(592) Donc l’âme, telle une nourrice, alimente ; ce qui est alimenté c’est le corps qui a la vie comme source de son alimentation : nous sommes alimentés par cette nourriture que nous nommons aliment. Alit ergo uis animæ nutrix: alitur corpus quod altricem animam obtinet: alimur cibo quod alimentum numcupamus.
(593) Maintenant que vous avez bien cela en mémoire, il faut savoir que le Christ n’a pas mangé parce qu’il avait besoin de quelque chose, comme les apôtres qui, sans aliments, ne pouvaient absolument pas vivre et se maintenir. De fait, bien que l’augmentation ainsi reçue soit temporaire, aussi longtemps que la vie est conservée, jamais il ne se produit que nous ne nous nourrissions pas. His ita in memoriam subiectis: est sciendum christum non indigentia comedisse sicut apostoli qui sine alimento minime uiuere et consistere poterant: Nam licet augmentum temporarium sit: tamen quamdiu uita seruatur: nullo tempore committitur ut non alamur.
(594) Ceux-là donc avaient besoin de nourriture. Le Christ, après sa résurrection, ou encore nous, après que nous serons ressuscités, n’aurons plus besoin d’aliment. illi ergo cibo indigebant: christus post resurrectionem uel nos posteaquam resurrexerimus: alimento non indigebimus.
(595) Donc il mange avec eux pour leur montrer qu’il a un corps vivant avec une âme qui le soutient, et non un corps fantomatique ou aérien tel qu’en prennent d’ordinaire les esprits qui, même si on les voit manger, ne sont pas dits vivants au sens propre, puisqu’ils n’ont pas d’âme et que ce corps n’est pas vivifié par une force nourricière et par les autres puissances de l’âme, comme je l’ai montré dans ma dissertation de Verbis Obliquis. Comedit ergo ut ostenderet se habere corpus uiuum anima uegetali: non phantasticum aut aereum quale spiritus assumere solent. qui licet comedere uideantur: non tamen proprie dicuntur uiuere cum animam non habeant: nec corpus illud nutrice potentia et aliis animæ uiribus uiuificatum sit ut ostendi in quadam relectione: de uerbis obliquis.
(596) D’où il s’ensuit qu’on ne peut pas parler au sens propre de l’acte de se nourrir pour un corps formé à partir d’un ange. Vnde nec proprie epulatio illa corporis ab angelo formati dici potest.
(597) Donc le Christ mange en raison de sa puissance et non par nécessité, évidemment pour montrer qu’il a la puissance d’une âme nourricière et par là toutes les autres capacités de l’âme et non parce que son corps désormais immortel et glorieux aurait besoin d’aliment. christus ergo comedit potestate non necessitate: ut scilicet ostenderet se habere potestatem animæ nutricis et per hanc reliquas animæ uires: non quod corpus illud iam inmortale et gloriosum alimenti egeret.
(598) En effet il est une manière pour la terre assoiffée d’absorber l’eau et une autre pour le rayon brûlant du soleil. Aliter enim absorbet aquam terra sitiens: aliter solis radius calens.
(599) Celui-ci le fait par sa puissance, celle-là en raison d’un manque. hic potentia: illa indigentia.
(600) Et le corps du Christ n’a pas été le seul à ressusciter de cette manière : les corps de tous les saints également ressusciteront de cette manière évidemment en ne manquant plus d’aucun aliment. Nec solum corpus christi resurrexit tale: Sed etiam omnium sanctorum corpora eiusmodi resurgent nullius sciliet alimenti indigentia.
(601) Puisqu’en effet, selon la définition des théologiens, le don est un ornement permanent de l’âme, suffisant pour la vie du corps et qui persévère de manière constante dans une éternelle béatitude, et qu’il est quadruple dans le corps qui ressuscite comme l’indique l’Apôtre en 1 Co. : "ce qui est semé dans la corruption, lèvera dans l’incorruptibilité ; ce qui est semé dans l’absence de gloire, lèvera dans la gloire ; ce qui est semé dans la faiblesse lèvera dans la puissance ; ce qui est semé comme un corps animal lèvera comme corps spirituel" : le premier don rendra le corps se relevant pour la gloire impassible, le second lumineux, le troisième subtil, le quatrième agile. Puisque donc les corps des saints sont appelés à ressusciter ornés de tant de joyaux, ils n’auront besoin, je ne dis pas de nourriture qui de quelque manière restaure la fragilité de la nature, mais bien de quoi que ce soit d’autre. Cum enim dos (ut theologi diffiniunt ) sit perpetuus ornatus animæ et corporis uitæ sufficiens et in æterna beatitudine iugiter perseuerans et illa sit quadruplex in corpore resurgente ut in prima ad corinthios. epistola innuit apostolus: Seminatur in corruptione: surget in incorruptione: seminatur in ignobilitate surget in gloria. seminatur in infirmitate surget in uirtute: seminatur corpus animale surget spirituale:1 Co 15, 42-44 prima dos impatibile: secunda clarum: tertia subtile: quarta agile corpus reddet ad gloriam resurgens: cum ergo tot monilibus ornata sanctorum corpora sint resurrectura: non dico cibi qui naturae fragilitatem aliquo modo reparat: sed nec alicuius rei omnino egebunt.
(602) En effet, Dieu a fait l’âme si puissante que, de sa parfaite et absolue béatitude, rejaillit dans le corps une santé perpétuelle et l’absence de la faim, de la soif, du chaud et du froid, de la fatigue et de toutes les peines dont nous sommes abondamment affectés dans la vie présente. Tam potentem enim fecit deus animam ut ex eius perfecta ac cumulatissima beatitudine redundet in corpus perpetua sanitas et uacuitas famis sitis caloris frigoris: lassitudinis et omnium quibus abundamus in hac uita: ærumnarum.
(603) Et si quelqu’un dit : si le corps du Christ avait alors le don de la luminosité comment se fait-ils qu’il n’apparaissait pas resplendissant comme dans la transfiguration, je réponds ainsi : parce que les disciples, s’ils l’avaient vu sous son aspect glorieux, sans aucun doute ne l’auraient pas reconnu et leurs yeux mortels n’auraient pu endurer une si grande splendeur. Et siquis dicat si corpus christi dotem tunc claritatis habebat: quo pacto apparebat non fulgens ut in transfiguratione: dico sane: quia discipuli si illum in specie gloriosa uidissent procul dubio non agnouissent: nec oculi mortales tantum splendorem sustinuissent.
(604) De fait, si dans la transfiguration, dans laquelle certains prétendent qu’il n’y avait pas don mais similitude du don, les apôtres purent à peine supporter la lumière de l’aspect du Seigneur, hé bien, auraient-ils supporté le don dans sa vérité et la clarté de son corps de gloire ? Nam si in transfiguratione: in qua non dos sed dotis similitudo a quibusdam fuisse perhibetur: uix lucem aspectus dominici apostoli perferebant: quid? ueram dotem et claritatem corporis gloriosi pertulissent?
(605) Donc cela était le fait d’un ordre de son âme, afin que la lumière ne vienne pas frapper la vue des disciples. Imperio igitur animæ fiebat ne lux uisus discipulorum repercuteret.
(606) L’âme bienheureuse en effet soit permettra à l’action du corps qui la contient de s’exercer librement, soit la contiendra et la limitera au gré de sa volonté et elle pourra, selon son bon vouloir, soit resserrer la bride soit la relâcher. Anima enim beata corporis sui actus uel libere sinet ire: uel continebit cohercebitque pro arbitrio: et premere et laxas dare habenas ad libitum poterit.
(607) C’est aussi ce que nous voyons qu’il est arrivé au Christ puisque, par un ordonnancement divin, il avait encore un corps passible. Quod etiam christo uidemus accidisse cum ordinatione diuina corpus adhuc haberet patibile.
(608) De fait, dans la transfiguration, il montra son corps lumineux de l’éclat du soleil ; dans la mer il le rendit agile traversant le flot à pied sec ; dans la cène il le donna impassible à manger à ses disciples, sans qu’il soit cependant détruit par leurs dents ; dans sa sortie du sein de la vierge, il prouva que ce même corps qui était le sien était subtil ; ou encore, si l’on en juge par le miracle particulier que voici, il montra que son corps était subtil et agile quand il se tira des mains des Juifs qui désiraient le lapider, et qui ne comprirent pas comment il s’était échappé de leurs mains. Nam in transfiguratione corpus suum ostendit clarum solis iubare: in mari agile fecit sicco pede fluctus transmittens: in coena illud dedit impatibile discipulus manducandum: nec tamen eorum dentibus conterendum: in exitu claustri uirginalis subtile idem illud esse probauit: uel si hoc peculiare miraculum iudicatur: subtile et agile corpus suum esse tum declarauit cum se e manibus iudeorum eripuit illum lapidare cupientium: nec quomodo inde euasisset intelligentium.
(609) A partir ce que je viens de dire il est évident que quand Arator dit que le Seigneur a mangé avec ses disciples, ce n’est pas par un quelconque manque que le Christ a agi ainsi, ni parce qu’après la résurrection nous aussi nous ferons des banquets comme le disent les musulmans et quelques hébreux que la lettre tue, mais bien pour montrer à ces témoins de très grande valeur la vérité de sa nature et de son corps. Ex his liquet cum ait Arator dominum comedisse cum discipulis: non indigentia illud factum fuisse a christo: nec quia nos post resurrectionem epulaturi simus ut dicunt otomanici et nonnulli hebreorum quos littera occidit: sed ut ueritatem naturæ et corporis sui ostenderet testibus illis grauissimis.
(610) (Coelum petiturus.) le Seigneur qui allait monter au ciel le quarantième jour après sa résurrection autrement dit le jour de l’Ascension apparut à ses disciples dans la cité de Jérusalem. Et le Christ conduisait ses disciples hors de la cité à Béthanie (cette ville est sur le flanc du Mont des Oliviers), étant désormais sur le point de monter au ciel comme Luc le raconte à la fin de son évangile, et ainsi, après avoir passé sous silence tout ce qu’il a fait pendant ces quarante jours, il rapproche implicitement du premier jour de la résurrection le dernier dans lequel il est monté au ciel. (Coelum petiturus.) dominus ascensurus in coelum in die quadragesimo post resurrectionenm id est in die assumptionis apparuit discipulis in ciuitate hierusalem: Eduxit autem christus discipulos extra ciuitatem in bethaniam: quæ uilla est in latere montis oliueti iam ascensurus in coelum ut narrat lucas in fine Euangelii: et ita prætermissis omnibus: quae per quadraginta dies gesta sunt: primo resurrectionis diei tacite coniungit nouissimum quo in coelum assumptus est.
(611) Il dit donc le Christ, évidemment petiturus coelum ("sur le point de rejoindre le ciel") autrement dit sur le point d’y monter, progreditur ("s’avance") autrement dit sort de la cité de Jérusalem pour aller à Béthanie lustrare ("pour parcourir") autrement dit pour faire le tour nemus oliuæ ("le Mont des Oliviers") autrement dit de la forêt et de la multitude d’oliviers qui se trouve sur le Mont des Oliviers près de Jérusalem. Dicit ergo christus scilicet petiturus coelum id est ascensurus: progreditur id est procedit extra ciuitatem hierusalem in bethaniam: Iustrare id est circumire: nemus oliuæ id est syluam et multitudinem oliuarum quæ est in monte oliueto prope hierusalem:
(612) (Quia germine) il montre la raison pour laquelle c’est depuis le Mont des Oliviers que le Christ est monté dans le ciel. Parce que, dit-il, locus ("le lieu") autrement dit le Mont des Oliviers est locus luminis et pacis ("un lieu de lumière et de paix"), qui germine sacro ("par sa semence sacrée") autrement dit par l’huile, dénote une réalité sacrée, parce que l’huile germe et naît des oliviers qui naissent sur le Mont des Oliviers. On peut dire oletum qui vient de olea comme aussi olivetum qui vient de oliva. (Quia germine) ostendit causam ob quam christus a monte oliueto ascendit in coelum. quia inquit locus id est mons oliueti est locus luminis et pacis: germine sacro id est oleo rem sacram denotante: quod oleum germinat et nascitur ab oliuis nascentibus in oliueto monte: Id oletum dici potest ab olea : ut oliuetum ab oliua.
(613) De fait, olea et oliva désignent l’arbre, oleum et olivum le liquide lui-même. nam olea et oliua arborem significant: oleum et oliuum liquorem ipsum.
(614) Assurément, le divin Ambroise, qui comme deux colonnes égales consolide la ferme doctrine de l’Église et l’orne de la blancheur de son éloquence unique a dit : "voici la raison pour laquelle le Seigneur vint au ciel à partir du Mont des Oliviers : pour planter les nouveaux oliviers des vertus dans le ciel". Sane diuus ambrosius pariæ columnæ instar doctrina solida dei ecclesiam fulciens: et candore eloquii singularis exornans: ideo inquit dominus a monte uenit oliueti: ut nouellas oliuas in sublimi uirtutum plantaret.AMBR. in Luc., 9, 2
(615) Mais comment, va-t-on me dire, interprétons-nous les paroles d’Ambroise et d’Arator ? Bien assurément si nous comprenons que par le sommet du Mont est désignée la divinité du Christ, d’où les apôtres attendaient les dons promis de l’onction spirituelle, de la lumière et de la paix ; ce sont ces deux réalités qui sont signifiées par le germe de l’oliver. Sed quomodo dicet aliquis uerba ambrosii et Aratoris interpretabimur Sane recte: si per uerticem montis deitatem christi intelligimus: a qua apostoli munera spiritalis unctionis: et lucis et pacis promissa expectabant: quæ duo per germen oliuæ significantur.
(616) L’huile d’olive en effet éclaire quand elle est dans une lampe et c’était un rameau d’olivier qui, chez les Anciens, était signe de paix ainsi que Virgile le montre en Enéide 8 quand il dit à propos d’Enée : paciferaeque manum ramum prætendit oliuæ ("il tend de sa main un rameau d’olivier qui apporte la paix"). oleum enim in lucerna illluminat: et oliua ramus apud antiquos pacis signum erat: Vt uergilius in octauo de ænea loquens ostendit. paciferaeque manum ramum prætendit oliuæ.VERG. Aen., 8, 115
(617) De là vient aussi que nous lisons chez les mythographes que, quand au sujet du nom d’Athènes Neptune et Minerve se disputaient, Neptune, après avoir frappé le rivage fit sortir un cheval, l’animal adapté pour les guerres, mais Pallas, ayant jeté sa lance, fit naître un olivier, ce qui, en tant qu’emblème de la paix, fut jugé le meilleur. Vnde etiam apud fabulosos authores legimus cum de nomine athenarum neptumnus et minerua disceptarent: percusso littore equum a neptumno animal bellis aptum: iacta uero hasta a pallade oliuam fuisse procreatam: quae res ut pote pacis insigne: melior iudicata est.
(618) Ainsi le sommet du Mont des Oliviers est locus luminis et pacis ("un lieu de lumière et de paix"), parce que, sur son sommet, pousse l’olivier qui, par ses branches, est emblème de la paix et, par son huile, chasse les ténèbres et éclaire. Ainsi la divinité du Christ qui est notre tête et met en fuite, par la vérité de son enseignement et la lumière de sa grâce, les ténèbres de l’ignorance, de la faute et de la géhenne. Est ergo cacumen oliueti locus luminis et pacis: quia in uertice ipsius oliua procreatur: quae ramis indicium pacis est et insigne: et oleo tenebras repellit et illuminat: ita deitas christi: qui uertex ueritate doctrinæ et Iumine gratiæ tenebras ignorantiæ culpae et gehennæ fugat.
(619) Il est dit aussi pacis locus ("lieu de paix") parce que le Seigneur enfin laissa la paix dans le cœur des apôtres, troublé par la tempête de la Passion du Seigneur. pacis etiam locus dicitur: quia tempestate dominicæ passionis turbata apostolorum corda dominus tandem in pace reliquit.
(620) Je veux dire que le Christ donna aux apôtres la paix, mais non à la manière dont le monde la donne ; il leur donna cette vraie paix qui est la sérénité de l’esprit, la tranquillité intérieure et la simplicité de cœur ; celui qui possède ces trois biens n’obscurcit pas son intelligence des nuées des erreurs, ne jette pas sa volonté dans des voies détournée par une licence sans frein et ne laisse pas la bride sur le cou à ses sens par nature effrénés ou alors répand cette paix, en conservant l’ordre voulu, envers Dieu, son prochain et lui-même. pacem inquam non quo mundus dat: dedit christus apostolis: sed illam ueram pacem quæ est serenitas mentis: tranquillitas animi: simplicitas cordis: quæ tria qui habet nec intellectum errorum nebulis obscurat: nec uoluntatem inmoderata libertate in deuia præecipitat: nec efrenatis natura sua sensibus latas habenas permittit efunditue seruato ordine erga deum proximum seque ipsum.
(621) (Vult inde) il aborde un autre mystère : pourquoi le Seigneur a-t-il voulu revenir au ciel depuis le Mont des Oliviers et pas ailleurs ? (Vult inde) aliud tangit mysterium cur dominus e monte oliueti et non aliunde in coelum uoluerit reuerti.
(622) Mais pour que le sens d’Arator, qui est difficile, soit clair il faut savoir quelques éléments préalables. Sed quædam sunt praecognoscenda ut sensus uerborum Aratoris difficilis pateat:
(623) Premièrement l’existence d’un arbre qui est le baumier ; cet arbre, comme le dit Pline, est fendu avec du verre, une pierre ou un couteau en os et il laisse s’écouler un suc qui l’emporte sur tous les autres parfums. ac primum esse balsamum arborem: quae ut ait plinius incidatur uitro aut lapide osseisue cultellis: quaeque emittat succum qui omnibus odoribus præfetur.
(624) Ce suc est désigné du nom grec d’opobalsamum (ὀποϐάλσαμον). Succus ille graeca dictione opobalsamum nuncupatur.
(625) Si nous en croyons les Anciens cet arbre ne se trouve sur terre qu’en Judée. Hæc arbor si ueteribus credimus soli terrarum iudaeæ concessa est.
(626) A ce préambule il faut ajouter un bref résumé de ce qu’ont rapporté le Maître des Sentences en 4, distinction 7 et Bonaventure dans le Breviloquium au sujet du sacrement de confirmation et du chrême. huic proloquio adiungendum est breui summa id quod magister in . iiii. Sente. dist.vii: et diuus Bonauentura in breuiloquio de sacramento confirmationis et chrismate retulerunt.
(627) Le mot chrême est un mot grec qui vient de χρίω ('oindre') ; c’est ce qui fait qu’on parle du Christ autrement dit l’Oint car le Christ est roi et prêtre, deux fonctions qui, selon la Loi, imposaient l’onction. Est autem chrisma graecum uocabulum dictum a chrio id est ungo: unde etiam dicitur christus id est unctus: quia christus rex est et sacerdos: quibus ex lege debebatur unctio.
(628) Ici nous lisons dans le psaume : "c’est pourquoi Dieu ton Dieu t’a oint d’une huile d’allégresse plus que tes semblables", ce qu’il faut comprendre du Christ sous le rapport de son humanité parce que sa divinité n’avait besoin de rien. Hic in psalmo scriptum legimus propterea unxit te deus deus tuus oleo læticiæ præ consortibus tuis.Ps 44, 8 quod de christo secundum hominem intelligendum est. quia deitas nullo indiguit.
(629) L’Esprit, de fait, lui a été donné sans mesure alors que les autres l’ont reçu selon une certaine mesure. spiritus autem illi datus est non ad mensuram cum alii secundum mensuram acceperint.
(630) Et comme le dit l’évangéliste : "c’est de sa plénitude que tous nous avons reçu". Et ut ait euangelista de plenitudine eius nos omnes accepimus.Jn 1, 16
(631) chrisma ("le chrême"), autrement dit l’onguent ou l’onction, est utilisé dans le sacrement de confirmation afin que le chrétien soit comme un vaillant combattant renforcé pour confesser le nom du Christ avec audace et devant tous. chrisma autem id est unguentum uel unctio in confirmationis sacramento sumitur: ut christianus tanquam fortis pugil roboretur ad nomen christi audacter et publice confitendum.
(632) La formule dans ce sacrement est : "je te signe du signe de la croix, je te confirme du chrême du salut au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit, Amen". Forma uerborum in hoc sacramento est: signo te signo crucis: confirmo te chrismate salutis in nomine patris et flii et spiritus sancti amen.LITVRG. ROMAN. formula confirmationis
(633) chrisma ("le chrême") est fait d’un mélange d’huile d’olive et de baume ; c’est avec ce chrême que la main de l’évêque trace le signe de la croix sur le front du confirmand. chrisma autem fit ex oleo oliuarum et balsamo: quo chrismate manus episcopi signum crucis imprimit fronti confirmandi.
(634) L’huile, par son éclat, dénote la lumière de l’intelligence, le baume, par son parfum, l’odeur de bonne renommée et de vie honnête ; ce sont ces deux ou trois qualités qu’offre l’odeur de la grâce divine, sans laquelle l’homme chute mille fois. oleum suo nitore lumen intelligentiæ denotat: balsamum sua fragrantia odorem bonæ famæ et uitæ honestæ: illa duo uel tria præstat odor diuinæ gratiæ: sine qua homo millies cadit.
(635) Mais le courageux soldat du Christ ne doit pas rougir du signe de la croix qui était jadis le supplice le plus ignominieux et réservé aux bandits ; c’est la raison pour laquelle il reçoit sur le front l’étendard triomphal du Christ, prêt ainsi à enfoncer en toute sécurité les formations de bataille des ennemis et à périr soit sur la croix soit de tout autre genre de mort. At uero miles christi strenuus signum crucis: quæ olim erat ignominiosissima et latronum supplicium: non debet erubescere: ideo in fronte uexillum christi triumphale suscipit paratus hostium cuneos securus penetrare: et uel cruce uel alio quouis mortis genere occumbere.
(636) C’est sur le front, dis-je, qu’il reçoit ce signe, en un emplacement découvert et évident et qui est le lieu de la pudeur ; d’où vient l’expression perfricare frontem ("se frotter le front") ; et comme l’a dit Juvénal : quando recepit eiectum semel attrita de fronte ruborem ("quand revient la pudeur qu’on avait auparavant chassée en se frottant le front") ; la croix, dis-je, brille à l’emplacement où apparaissent de préférence la crainte et la pudeur. In fronte inquam signum illud accipit in loco aperto: et obuio: et in sede pudoris: unde dicimus perfricare frontem: et quando recepit eiectum semel attrita de fronte ruborem:IVV. 13, 239-240 dixit iuuenalis in loco inquam illo micat crux: in quo potissimum timor apparet et pudor.
(637) Mais de fait la gloire de la croix ne peut être annoncée librement par qui redoute le châtiment de la croix ou son ignominie ou en rougit. Verum enimuero non potest libere Crucis gloria præedicari ab eo qui crucis poenam ignominiamue aut metuat aut Erubescat.
(638) D’où vient que l’apôtre André, l’un des grands de la troupe des douze et le frère de Pierre Barjona, tandis que ses bourreaux le menaçaient de le torturer et de le mettre en croix, disait : "moi, si je redoutais la croix, je n’annoncerai absolument pas la gloire de la croix". Vnde andreas apostolus unus procerum agminis bisseni frater petri Barionæ: minitantibus lanienam et crucem carnificibus: ego aiebat si crucem expauescerem: gloriam crucis minime prædicarem.BERNARD. CLAR. serm. vig. sanct. Andr. 4
(639) Assurément la confession de foi du soldat du Christ est en général armée pour le combat, de sorte que nous comprenons (comme le dit le Maître des Sentences) que "dans l’onction du baptême l’esprit saint descend pour consacrer à Dieu cette habitation", et que dans le chrême, autrement dit la confirmation, vient dans l’homme la grâce des sept dons de l’Esprit avec toute plénitude de sainteté et de courage. ita sane confessio militis christiani ad pugnam armari solet: ut intelligamus (quod ait magister in unctione baptismi spiritum sanctum descendere ad habitationem deo consecrandam:PET. LOMB. sent., 4, 7, 4, 1 In chrismate uero: hoc est in confirmatione septiformem gratiam Cum omni plenitudine sanctitatis Et uirtutis uenire in hominem.
(640) Une fois remis cela dans notre esprit, la route s’éclaire pour comprendre le vers d’Arator qui dit uult ("il veut") évidemment le Seigneur, reuerti inde ("s’en retourner de cet endroit"), autrement dit revenir au ciel à partir de ce lieu, évidemment le Mont des Oliviers ; unde ("d’où") autrement dit à partir duquel lieu, odor ("un parfum"), évidemment du baume qui naît sur cette montagne ou aussi en d’autres lieux de Judée ; diuinus ("divin") autrement dit dénotant une réalité divine ; commendat creaturam ("donne du prix à une créature") autrement dit l’orne comme de l’étendard qui appartient en propre au roi qui a souffert en croix ; micantem ("étincelant"), dis-je, autrement dit la créature humaine ointe qui resplendit fronte signata ("le front signé"), évidemment par le chrême, quand le chrême, autrement dit l’onction faite d’huile et de baume abluit ("eut lavé") extérieurement, autrement dit purifié intérieurement en donnant la grâce des sept dons de l’Esprit saint ; unctos desuper ("ayant reçu l’onction d’en-haut") autrement dit de la grâce céleste ; le chrême, dis-je, dont le nom vient de nomine christi ("du nom du Christ"), parce que, de même que le Christ est dit l’Oint pour les raisons que nous avons énoncées plus haut, ainsi l’onction se dit chrême parce qu’extérieurement le front du confirmand est oint d’huile et de baume et interius ("jusqu’au plus intime") le saint Esprit l’oint de l’huile et du baume de ses dons. His ita in mentem reuocatis iam lucet uia intelligentiæ in uersu Aratoris: uult inquit scilicet dominus Reuerti inde id est redire in coelum ab illo loco scilicet monte oliueti: unde id est a Quo loco: Odor scilicet balsami Quod nascitur in monte illo uel in aliis locis etiam iudeæ: diuinus id est denotans rem diuinam: Commendat creaturam id est ornat tanquam uexillo proprii regis qui passus est in cruce: dico micantem id est splendentem creaturam scilicet humanam unctam fronte signata: scilicet chrismate: cum chrisma id est unctio oleo et balsamo confecta exterius: abluit id est mundat interius conferendo septiformem gratiam spiritus sancti: unctos desuper id est superna gratia: chrisma dico:[13v] dictum scilicet de nomine christi. quia sicut christus dicitur unctus ob eas causas quas supra diximus ita chrisma dicitur unctio: quia exterius oleo et balsamo ungitur frons confirmati: et interius ungit spiritus sanctus oleo et balsamo suorum donorum.
(641) D’où vient que l’Apôtre en 2 Co. déclare : "parce que nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ". Vnde apostolus in ii. ad corinthios epistola: quia2 Co 2, 15 inquit: christi bonus odor sumus deo.2 Co 2, 15
(642) "Dans l’Écriture sainte en effet", comme le dit le divin Grégoire en Moral. 34, "on a coutume de représenter les vertus par les odeurs des onguents. De là vient que dans le Cantique la fiancée désirant son fiancé dit : ‘nous courons dans le parfum de tes onguents’". In scriptura enim sacra (ut inquit diuus gregorius. iiii. et tricesimo moralium) unguentorum odoribus opinio solet signari uirtutum. Hinc sponsa in canticis sponsum desiderans dicit: In odorem unguentorum tuorum currimus.
(643) Puisqu'un sacrement, comme le dit le Maître des Sentences livre 3, "est la forme visible de la grâce invisible", le sacrement du chrême dans l’huile et le baume et dans l’onction du front portent la similitude de la réalité dont il sont le signe. De même que l’huile désigne la grâce qui illumine, l’odeur du baume désigne le parfum de la renommée et de la vie honnête et ainsi de suite comme nous l’avons dit, et on ne s’étonnera pas de voir Arator passer du singulier au pluriel quand il dit creaturam micantem ("une créature étincelante") autrement dit l’homme confirmé et desuper unctos ("ceux qui avaient reçu l’onction d’en-haut") autrement dit les gens confirmés par le chrême. Cum autem sacramentum: ut in. iii. ait magister sit inuisibilis gratiæ uisibilis forma:PET. LOMB. sent., 4, 1, 2 ideo chrismatis sacramentum in oleo et balsamo et in frontis unctione gerit similitudinem eius rei cuius signum est. ut oleum gratiam signat illuminantem: balsami odor fragrantiam famæ et uitæ honestae et reliqua ut diximus nec mireris quod arator transit a singulari ad pluralem numerum: cum ait creaturam micantem id est hominem confirmatum: et desuper unctos id est homines confirmatos chrismate.
(644) C’est en effet une manière de parler qui est extrêmement usitée chez les poètes comme dans ce passage d’Iliade 13 : ἔρχομαι εἴ τί τοι ἔγχος ἐνὶ κλισίῃσι λέλειπται οἰσόμενος· τό νυ γὰρ κατεάξαμεν ("je viens pour voir si quelque lance reste dans tes tentes et l’emporter car nous avons brisé celle... "). Est enim locutio apud poetas usitatissima ut illud xiii. iliados: erchomai ei ti toi egcos eni clisiesi leleptai oisomenos to nu gar catexamen .HOM. Il., 13, 256
(645) Je laisse de côté les exemples latins pour ne pas avoir l’air d’allonger. omitto exempla latinorum ne longior uidear.
(646) Le Christ a donc voulu reuerti ("s’en retourner") du lieu dans lequel naissent l’huile et le baume, qui orne le front du chrétien qui va confesser publiquement le nom du Christ. VoIuit igitur christus reuerti ab illo loco: in quo oleum et balsamum nascitur: quod ornat frontem chistiani nomen christi publice confessuri.
(647) (Tollitur) le sens est facile ; il dit : le Christ tollitur ("est emporté") autrement dit élevé dans le ciel, rediturus uictor ("pour revenir vainqueur"), évidement après avoir vaincu la mort et le diable, in axem astrigerum ("dans le ciel porteur d’astres") autrement dit dans le ciel qu’ornent les étoiles. (Tollitur) facilis est sensus christus inquit tollitur id est assumitur in coelum: rediturus uictor scilicet uicta morte et diabolo: in axem astrigerum id est in coelum stellis ornatum.
(648) Périphrase pour désigner le ciel ; et par une synecdoque nous comprenons clairement le tout. periphrasis coeli: et per synecdochem aperte totum intelligimus.
(649) (Et habet), évidemment le Christ, secum quod sumpsit ("avec lui ce qu’il a assumé"), autrement dit l’humanité qu’il a prise. (Et habet) scilicet christus secum: quod sumpsit id est humanitatem quam accepit.
(650) (noua pompa) un nouveau mode de procession triomphale. De fait, quand le Christ descendit sur terre dans le sein de la vierge pour vaincre le démon, alors Dieu dont on dit qu’il habite dans le ciel petiit arua ("rejoignit la glèbe") autrement dit vint sur la terre, et ensuite après que le Christ en croix eut vaincu le diable, prince de ce monde, alors l’homme qui habite la terre rejoignit sidera autrement dit monta dans l’empyrée au-dessus des étoiles. (noua pompa) nouus modus pompæ triumphalis. Nam cum christus descendit in terras et in uterum uirginis ut uinceret dæmonem: tunc deus cuius habitatio dicitur esse in celo: petiit arua id est uenit in terras: et posteaquam christus in cruce uicit diabolum principem huius mundi: tunc homo cuius habitatio est in terra petiit sydera id est ascendit in coelum empyreum supra sydera.
(651) Comprenez cela de façon pieuse parce que, si nous parlons au sens propre, il ne convient pas à Dieu qui est partout de descendre ou de monter, sinon quand nous parlons du Christ sous le rapport de son humanité. hoc intellige pie: quia proprie loquendo deo: qui est ubique non conuenit descendere nec ascendere: nisi cum loquimur de christo ratione suæ humanitatis.
(652) Tout (comme le dit Jean Damascène cité par le Maître des Sentences en 3) "ce que Dieu a planté dans notre nature, le Verbe l’a assumé, à savoir le corps et l’âme intellectuelle et leur propriétés". "Dieu descendit sur terre" est donc dit de façon juste, du moment que l’on comprend ce passage d’Augustin à Volusianus : "Dieu sait venir sans partir de la où il était ; il sait partir en n’abandonnant pas l’endroit d’où il venait" ; il sait être totalement partout sans que nul lieu jamais ne le contienne. omnia (inquit Damascenus apud magistrum in. iii.) quae in natura nostra plantauit deus uerbum assumpsit: scilicet corpus et animam intellectualem et horum idiomataBONAV. comm. sent., 3, 12, 2, 2 Descendit ergo deus in terras recte dicitur: dummodo intelligas illud augustini ad uolusianum: deus nouit uenire non recedendo ubi erat: nouit abire non deserendo quo uenerat:AVG. epist., 137, 4 nouit ubique totus esse et nullo contineri loco:
(653) (Quis datur) le poète s’exprime sous l’effet de l’admiration : quis fragor ("quel fracas") autrement dit quel bruit des anges dans la joie qui viennent à la rencontre de leur seigneur ; datur illi ("lui est donné") évidemment au Christ montant au ciel de parte aetherea ("du côté de l’éther") autrement dit du côté du ciel que l’on appelle admirable. (Quis datur) per admirationem dicit poeta: quis fragor id est quis strepitus lætantium angelorum et occurrentium domino suo: datur illi scilicet christo ascendenti in celum: de parte ætherea id est de parte coeli quod dicitur mirabilis.
(654) De fait si, pour un roi terrestre qui entre dans une ville, la population de la cité entière se répand pour aller à sa rencontre et montre sa joie par un concert varié de trompettes et en applaudissant, que faut-il dire que firent les citoyens de la cité céleste, anges, archanges, trônes et les autres grands du ciel, qui couraient de même à sa rencontre, pour leur seigneur et le roi des rois marqué de cicatrices si illustres et glorieux d’une si grande victoire. C’est ce qu’il déclare aussitôt après en disant : chori coelestes quantum resultant ("combien retentissent les choeurs célestes") autrement dit combien ils bondissent et dansent et s’agitent à leur façon, in laude ("à la louange") évidemment de leur Seigneur et créateur, alors autrement dit quand rector Olympi ("le maître de l’Olympe") autrement dit du ciel, évidemment le Christ, euehit Excelsis ("emporte au plus haut") autrement dit vers les hauteurs les plus élevées du ciel, comme Virgile it clamor caelo ("un cri va au ciel") autrement dit vers le ciel, euehit ("emporte") autrement dit exalte au plus haut des cieux quicquid suscepit ("ce qu’il prit en charge") autrement dit tout ce qu’il a pris en charge ab imis ("au plus bas") autrement dit dans les choses terrestres et humaines et cela désigne l’âme et le corps. Nam si terreno regi urbem ingressuro uniuersæ ciuitatis populus efunditur obuiam et animi hilaritatem uario tubarum concentu et plausu ostendunt: quid dicendum est fecisse ciues illos ciuitatis supernæ angelos archangelos thronos et reliquos proceres coelestis ibidem occurrentes domino suo et regi regum tam claris cicatricibus insignito: et tanta uictoria glorioso: quod declarat statim dicens: chori coelestes quantum resultant id est quantum resiliunt et saltant et tripudiant modo suo in laude scilicet domini sui et creatoris tum id est quando rector olympi id est caeli scilicet christus: euehit Excelsis id est in excelsa et alta coeli: ut Ver. it clamor coeloVERG. Aen., 5, 450 id est in coelum: euehit id est exaltat in excelsa: quicquid suscepit id est omne illud quod suscepit: ab imis id est a terrenis et humanis: Hoc est animam et corpus.
(655) En effet suscepit ("il a pris en charge") cela, quand le Verbe s’est fait chair. Ingrediens ("pénétrant"), évidemment le Christ, polum ("la voûte") autrement dit le ciel, comitante trophaeo ("accompagné du trophée") autrement dit de l’insigne, carnis ("de la chair"), autrement dit du corps, locat exuuias raptas ("il dépose les dépouilles arrachées"), autrement dit enlevées et libérées de fauce atri profundi ("à la gorge du sombre abîme"), autrement dit l’enfer ténébreux ; exuuias ("les dépouilles"), autrement dit ce qu’il a pris à l’ennemi à savoir les saints patriarches in arce lucis ("dans la citadesse de la lumière") autrement dit dans l’empyrée, qui, selon les théologiens, est tout entier lumineux et transparent ; et c’est in arce ("dans la citadelle"), autrement dit au sommet. Il s’agit en effet du ciel le plus élevé et immobile. hoc enim suscepit cum uerbum caro factum est. Ingrediens scilicet christus polum id est coelum: comitante trophaeo id est insigni carnis id est corporis: locat exuuias raptas id est ereptas et liberatas: de fauce atri profundi id est inferni tenebrosi: exuuias id est spolia hoc est sanctos patres in arce lucis id est in celo empyreo quod secundum theologos totum est luminosum et Iucidum: et est in arce id est in summo. est enim ultimum coelum et immobile.
(656) Au sens propre, un trophée désigne un monument et, pour ainsi dire, un mémorial, à savoir une statue ou quelque insigne que l’on place en témoignage de victoire en un lieu où les ennemis ont été mis en déroute. Est autem trophæum proprie monimentum et ut ita loquar memoria: hoc est statua uel aliquod insigne: quod in testimonium uictoriæ in loco statuitur: in quo hostes in fugam uersi sunt.
(657) Le mot vient du verbe grec τρέπω autrement dit 'tourner'. La chair du Christ était le trophée et le témoignage de sa victoire totale contre la mort. a trepo uerbo græeco id est uerto. Caro christi erat trophæum et testimonium mortis uictæ et debellatæ.
(658) (Terrenosque erigit artus.) Le Christ, ayant pris en pitié l’ homme qui dès lors qu’il avait été vaincu par le démon s’était perdu, ému dans sa miséricorde et sa bonté, descendit du ciel pour le racheter au prix de son sang ; donc c’est avec la même pietate ("bonté") avec laquelle il s’humilia prenant la forme de serviteur qu’il exalta l’humanité et, exaltant sa propre humanité, ouvrit au ciel un accès pour notre humanité comme nous l’avons dit plus haut. (Terrenosque erigit artus.) christus misertus hominis: qui iam a dæmone uictus perierat: misericordia motus et pietate descendit e coelo: ut illum suo sanguine redimeret: eadem ergo pietate quam se humiliauit formam serui accipiens: ea humanitatem exaltauit: et suam humanitatem exaltans: nostræ humanitati aditum patefecit ut supra diximus.
(659) De fait le Christ montra bonté et miséricorde en descendant, mais aussi bonté en montant au cieux. nam pius fuit christus et misericors in descendendo: sed pius quoque in ascendendo.
(660) En effet, s’il n’était pas monté au ciel, jamais la porte du ciel ne nous aurait été ouverte ; d’où la parole de l’Apôtre en 1 Co. : "si le Christ n’est pas ressuscité", les morts non plus ne ressusciteront pas. Ainsi si le Christ n’est pas monté au cieux, nous non plus nous n’y monterons pas. Il est en effet le premier et la cause de la montée au cieux des autres. nisi enim ascendisset: numquam coeli ianua nobis patuisset: Vnde apostolus in .i. ad corin. epistula: si christus inquit non resurrexit:1 Co 15, 14 nec mortui resurgent. ita si christus non ascendit nec nos ascendemus. est enim ipse primitiæ: et causa ascensionis aliorum.
(661) De fait, comme le dit Aristote dans le livre 2 de la Métaphysique : ἕκαστον δὲ μάλιστα αὐτὸ τῶν ἄλλων καθ’ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει τὸ συνώνυμον : οἷον τὸ πῦρ θερμότατον : καὶ γὰρ τοῖς ἄλλοις τὸ αἴτιον τοῦτο τῆς θερμότητος ce qui veut dire "une chose est par excellence, quand c'est à elle que les autres choses empruntent ce qu'elles ont en elles ; ainsi le feu est le chaud par excellence, parce qu'il est la cause de la chaleur des autres êtres". Nam ut in .ii. primæ philosophiæ dicit aristoteles: hecaston de malista auto ton allon catho cai tois allois hyparchei to synonymon : oion to pyr thermotaton : cai gar tois allois to aition tuto tis thermotetos ARIST. Metaph., 2, 993b id est unumquodque maxime cæterorum causa est ipsum: quo et cæteris nomen idem cum eadem competit ratione: ut ignis est calidissimum. nam cæteris hic caliditatis est causa.
(662) Puisque donc l’ascension du Christ est la cause de l’ascension des autres êtres, et la cause suffisante, quand le Christ est monté aux cieux, il a préparé notre ascension et confirmé notre espérance. cum igitur ascensio christi sit causa ascensionis aliorum: et quidem sufficens: cum ascendit christus ascensionem nostram parauit: et spem nostram confirmauit.
(663) De même en effet que par Adam tous sont descendus, de même par le Christ tous sont montés. Vt enim per Adam omnes descendunt. ita per christum omnes ascendunt.
(664) Voilà pourquoi il ajoute iuit ("il s’en est allé"), évidemment le Christ, vers le ciel et il est monté propter quem uenerat ("à cause de qui il était venu"). ideo subiungit. (Iuit) scilicet christus in coelum et ascendit: propter quem uenerat.
(665) En effet, s’il n’était pas ressuscité, nous non plus nous ne serions pas ressuscités et s’il n’était pas monté aux cieux, nous non plus nous n’y serions pas montés. nisi enim resurrexisset: nec nos resurrexissemus: et nisi ascendisset: nec nos ascendissemus.
(666) Il a donc fait preuve de bonté en rachetant l’homme pour lequel il est descendu, et d’une bonté égale en élevant ce même homme pour lequel il est descendu. Vsus est igitur pietate in redimendo homine: proprer quem descendit: et pari pietate in sublimando eodem homine propter quem ascendit.
(667) (propter quem uenerat), autrement dit à cause de l’homme à cause duquel il était descendu du ciel. (propter quem uenerat) id est propter hominem propter quem descenderat e coelo.
(668) (Discipulos) altus stupor autrement dit une profonde admiration s’empare des disciples ; tandis que ces disciples évidemment sont en admiration devant l’ascension du Seigneur, uiri ("des hommes"), autrement dit des anges sous forme d’hommes, perspicui ("de lumière") autrement dit brillants par exemple à cause de leurs vêtements blancs, comme le dit Luc en Ac. 1. En effet les deux anges qui se tenaient près des apôtres qui regardaient vers le ciel avaient des vêtements blancs. (Discipulos) altus stupor id est profunda admiratio tenet discipulos. quibus scilicet discipulis admirantibus domini ascensionem: uiri id est angeli in specie uirorum: perspicui id est clari uel propter uestes albas ut ait lucas in . i. capi. actuum. habebant enim angeli illi duo qui astiterunt apostolis intuentibus in coelum: uestes albas.
(669) Mais la couleur blanche est lumineuse, ou alors lumineux à cause du corps aérien que les anges d’ordinaire assument comme je l’ai dit dans la Relectio de uerbis obliquis. Mais l’air est lumineux et diaphane. At color albus perspicuus est uel perspicui propter corpora aerea quæ assumere angeli solent: ut dixi in relectio[14r]ne de uerbis obliquis. At aer perspicuus est et diaphanus.
(670) (Dixere ore corusco) autrement dit avec un visage resplendissant. En effet, les anges avaient un visage à la fois beau et brillant qui dénotait leur brillance et beauté intérieure. Dixere ("ils dirent") évidemment il s’agit de ces hommes aux apôtres, mais ce qu’ils dirent, Arator ne le dit pas, car ce qui suit immédiatement après ce ne sont pas les paroles des anges, mais du poète lui-même : quæ cognita nobis ("ces faits qui nous sont connus") etc. (Dixere ore corusco) id est ore splendenti. habebant enim faciem angeli et pulchram et claram indicem interioris claritatis et pulchritudinis. dixere scilicet uiri illi apostolis: sed quid dixerint non dicit Arator. Illud enim quod sequitur statim: non dicunt angeli sed ipse poeta. quæ cognita nobis et cetera.
(671) Vraiment il n’y a pas lieu de s’étonner que le poète n’expose pas les paroles des anges car elles sont extrêmement connues et dans la bouche de tous, telles qu’on les trouve dans Luc. Ils dirent donc évidemment "hommes de Galilée, que restez-vous à regarder vers le ciel ; ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous reviendra de la même manière que vous l’avez vu partir vers le ciel". Verum non mireris poetam non exprimere uerba angelorum quia uulgatissima sunt et in ore omnium a luca sumpta. dixere ergo scilicet uiri galilei quid statis aspicientes in cælum: hic Iesus qui assumptus est a uobis in coelum: sic ueniet quemadmodum uidistis eum euntem in coelum.ac 1, 11
(672) Voici ce que dirent les anges, comme le montre aussitôt Arator en disant angelicis igitur postquam est affatibus usa ad messem prælecta manus ("ainsi donc après qu’elle eut entendu ces paroles des anges, la troupe d’abord choisie pour la moisson"). hoc dixerunt angeli: sicut mox ostendit arator dicens: angelicis igitur postquam est affatibus usa ad messem prælecta manus.
(673) Mais on me dira : pourquoi des anges ont-ils été envoyés aux apôtres ? Sed dicet aliquis cur angeli ad apostolos missi sunt?
(674) La réponse est évidente : parce que les apôtres, après avoir vu leur Seigneur et maître élevé dans la gloire de son ascension, étaient pris de tristesse. Sane quia apostoli dominum et magistrum gloriosa ascensione eleuatum cum uidissent moerore tenebantur.
(675) Les anges vinrent donc pour deux raisons : pour consoler leur tristesse devant l’ascension par la mention de son retour, d’où le fait qu’ils dirent "il viendra" évidemment lui-même dans le même corps en présence des anges et des hommes, et pour leur montrer qu’il était véritablement parti pour le ciel et non pour un semblant de ciel comme Elie. Venerunt ergo angeli ob duas causas: et ut ascensionis tristitiam regressionis commemoratione consolentur: unde dixerunt sic ueniet: scilicet idem ipse in eodem corpore præsentibus angelis et hominibus. et ut uere eum ire in coelum monstrarent: et non quasi in coelum sicut heliam.
(676) (Quæ cognita.) Il fait une digression hors du récit et il montre pourquoi le Christ a utilisé des anges dans l’office de consolation des apôtres une fois qu’il fut monté au ciel. (Quæ cognita.) digreditur ab historia: et ostendit cur angelis usus est christus in ministerio consolandi apostolos: posteaquam assumptus est.
(677) Et par ces vers, il prouve que le Christ est Seigneur non seulement des éléments et des êtres visibles, mais aussi des anges et des êtres invisibles et que la créature partout obéit à son créateur. et his uersibus probat christum dominum esse non solum elementorum et uisibilium: sed etiam angelorum et inuisibilium: et creaturam creatori ubique obsequi.
(678) Les astres indiquent sa naissance ; lors de sa Passion, les éléments souffrent avec lui, quand la terre tremble et que l’air est obscurci par une étonnante éclipse de soleil ; quand il monte au ciel, la nuée le reçoit et quand il reviendra elle l’accompagnera pour le jugement. Astra indicant nascentem: patientem elementa compatiuntur cum terra mota est et obscuratus est aer solis miranda eclipsi: ascendentem nubes suscepit: redeuntem ad iudicium comitabitur:
(679) nunc (dit le poète) iam speculemur ouantes ("observons-les maintenant dans l’allégresse") autrement dit contemplons dans la joie, évidemment après le récit de l’ascension du Christ, cognita autrement dit les choses connues dans les Actes des Apôtres au sujet de l’ascension du Christ qui résonnent en nous, quae cognita nobis ("comme des faits connus") et miranda sonant ("et admirables") aurement dit que nous entendons avec admiration. nunc (inquit poeta) iam speculemur ouantes id est contemplemur gaudentes scilicet post historiam de assumptione christi enarratam: cognita id est res cognitas in actibus apostolorum de ascensione christi: quæ cognita nobis sonant et miranda sonant id est cum admiratione audiuntur a nobis.
(680) De fait, comme le dit Augustin : "l’homme a été engendré de la vierge et resssucité des morts pour une vie éternelle et exalté au-dessus des cieux : voilà un acte peut-être plus puissant encore que de faire le monde". Nam ut inquit Augustinus homo de uirgine procreatus: et a mortuis in æternam uitam resuscitatus: et super coelos exaltatus potentius fortasse opus est quam mundum facere. AVG. epist., 137, 14
(681) C’est pourquoi contemplons miranda ("les actes admirables") du Christ, probemus ("confirmons") autrement dit montrons, modum ("la mesure") autrement dit la dimension, évidemment de son empire, évidemment celui du Christ, per iura ("par les lois"), autrement dit les puissances angéliques et les puissances des éléments et des étoiles, subdita ("qu’il a soumises"), autrement dit qui sont assujetties au Christ et lui obéissent. ideo contemplemur miranda christi: probemus id est ostendamus: modum id est mensura scilicet imperii scilicet christi: per iura id est potestates angelicas uel potestates elementorum et stellarum: subdita id est subiecta et christo obedientia.
(682) De fait, les anges obéirent au Christ, comme aussi les éléments et les étoiles, comme il va le dire aussitôt après, comme il est juste pour des créatures de le faire pour leur créateur ; ainsi par cette obéissance des êtres visibles et invisibles est prouvée l’immense domination du Christ notre Seigneur. nam angeli paruerunt christo et elementa et stellæ: ut statim dicet: ut æquum est creaturas suo creatori parere ideo per hanc obedientiam uisibilium et inuisibilium probatur dominium immensum christi domini nostri.
(683) Et, bien que le droit soit ce qu’ordonne soit un peuple, soit une cité, soit un prince, cependant ici le mot est pris au sens de pouvoir ; en effet sans pouvoir il ne peut y avoir de droit. et licet ius sit iussum populi uel ciuitatis uel principis: tamen hic pro potestate accipitur. nec enim ius sine potestate esse potest.
(684) Il dit donc Virgine matre satus ("conçu d’une vierge mère"), cet être de bonté qui absolument seul dans le monde eut une vierge pour mère, resurgens calcata ("ressuscité après avoir foulé") autrement dit après avoir vaincu la mort, petens sceptra ("s’emparant des sceptres") autrement dit le royaume du ciel, nuntiat ("annonce"), évidemment aux apôtres, acta ("les hauts-faits"), autrement dit ce que le Christ a fait, parce que les anges annoncèrent aux apôtres de quelle manière le Christ était monté au ciel, afin qu’ils n’aillent pas penser qu’il était passé dans un autre lieu, et même les anges annoncèrent aux apôtres de la part du Christ ce qu’il allait faire, évidemment le jour du Jugement, quand ils dirent "il viendra" etc., his ministris ("par ces ministres"), évidemment les anges dont le Christ utilise le ministère en tant qu’il est leur véritable seigneur, d’où apparaît l’étendue de la domination du Christ lui-même, qui commande aux anges, comme s’ils étaient ses serviteurs. ait ergo: Virgine matre satus. iste pius qui unicissimus in mundo uirginem matrem habuit: resurgens calcata id est uicta morte: petens sceptra id est regna coeli: nuntiat scilicet apostolis suis: acta id est ea quæ ægit christus: quia angeli nuntiauerunt apostolis quo pacto christus ascenderat in coelum: ne putarent eum in alium locum transisse: et etiam angeli nunciauerunt apostolis a christo agenda scilicet enim die iudicii cum dixerunt: sic uenietac 1, 11 et cetera his ministris. scilicet angelis. quorum ministerio utitur christus sicut uerus dominus eorum: unde apparet dominii latitudo ipsius christi: qui angelis imperat utpote seruis suis.
(685) Apparaît également la divinité du Christ : en effet aucune nature n’est au-dessus de la nature angélique sinon la nature divine ; c’est ce qui fait que nous lisons dans Matthieu : "et voici que les anges s’approchèrent et ils le servaient", évidemment le Christ. Apparet et diuinitas christi: nulla enim natura est supra angelicam nisi diuina. Hinc apud mattheum legimus: Et ecce angeli accesserunt et ministrabant eiMt 4, 11 scilicet christo.
(686) (Nec cessant) Il montre la domination du Christ également sur les éléments, quand, lors de la Passion, comme nous l’avons dit, la terre trembla et l’air s’obscurcit. ( Nec cessant) ostendit dominium christi et in elementa: cum in passione ut diximus terra mota est et aer obscuratus.
(687) (Tonanti) autrement dit Dieu, évidemment le Christ (Seruire), autrement dit manifester leur obéissance quand ils furent bouleversés par la croix de leur créateur. (Tonanti) id est deo scilicet christo (Seruire) id est praestare obsequium cum commota sunt cruce sui creatoris.
(688) (stella comes) Il affirme la domination du Christ sur les étoiles. (stella comes) declarat christi dominium in stellas.
(689) De fait, quand les mages eurent vu une nouvelle étoile en orient, ils surent qu’un homme extraordinaire était né en Judée. Nam cum magi nouam stellam in oriente uidissent: nouum hominem iam natum in iudea cognouerunt.
(690) Balaam, en effet, en Nb 23, avait annoncé par avance : "une étoile se lèvera de Jacob et un bâton se dressera d’Israël" etc. ; les mages, ayant pris cette étoile pour guide et connaissant l’annonce de la naissance du Christ, vinrent en Judée avec des cadeaux pour adorer le Seigneur de gloire et la source du salut ; cette étoile, comme le dit Jérôme, n’était jamais apparue auparavant ; l’enfant la créa à ce moment et l’envoya comme guide aux mages, puis, après avoir accompli son office, elle disparut. Balaam enim num. xxiii. praedixerat : orietur stella ex iacob et consurget uirga ex IsraelNb 24, 17 etc: Hanc magi ducem itineris nacti: et nunciam geneseos christi cognoscentes cum muneribus in iudaeam uenerunt ut maiestatis dominum et salutis authorem adorarent: Haec stella ut ait diuus hieronymus nunquam prius apparuit: sed eam tunc puer creauit: et magis praeuiam deputauit: quae mox peracto officio esse desiit.
(691) C’est pourquoi il dit stella ("l'étoile"), évidemment nouvelle annonciatrice de la nativité, autrement dit de celle du Seigneur, apparaissant en orient, comes ("compagne") évidemment dans le voyage des mages, pergressa ("accompagnant") autrement dit précédant, magos ("les mages") évidemment qui venaient voir le Christ, militat ("combat") autrement dit fut comme un soldat pour son chef à la guerre, honori uenientis ("en l’honneur de celui qui vient") évidemment le Christ, dans le monde, autrement dit qui naît. ideo ait: stella scilicet noua nuncia natiuitatis id est dominicae apparens in oriente: comes scilicet in itinere magorum: pergressa id est antecedens: magos scilicet uenientes ad christum: militat id est fuit ut miles duci suo in bello: honori uenientis scilicet christi in mundum id est nascentis.
(692) Magos ("les mages"), nous comprenons bien qu’il s’agit ici de mages qui ne sont pas malfaisants comme ceux dont Juvénal dit "celui-ci apporte ses incantations de mage", mais des sages Chaldéens. Magos hic non maleficos intelligimus: unde illud luu. hic magicos affert cantus: sed sapientes chaldaeaorum.
(693) (Nubes) Même la nuée sert son créateur : nubes famulatur ("une nuée se met au service") autrement dit sert, obsequio ("en hommage") autrement dit dans son ministère, euntis ("celui qui s’en va"), évidemment le Christ, vers le ciel. (Nubes) etiam nubes seruit suo creatori. nubes famulatur id est seruit: obsequio id est in ministerium: euntis scilicet christi in coelum.
(694) Le bienheureux Luc dit en effet "et une nuée l’enveloppa", évidemment le Christ, "et le déroba à leurs yeux" ; le Christ fut conduit dans le ciel à la fois par toute la Trinité qui, dans tous ces effets est la cause principale, et par lui-même, puisque son corps glorieux obéit en tout à son âme et lui est soumis ; et enfin par la nuée qui offrit son service à son Seigneur et créateur. dicit enim beatus lucas: et nubes suscepit: eumac 1, 19 scilicet christum. ab oculis eorum.ac 1, 19 assumptus est autem christus in coelum a tota trinitate: quae in omnibus effectis praecipua causa est: et a se ipso: cum corpus gloriosum suae animae unde quaque obtemperet ac sit morigerum: et a nube praestante famulatum domino suo et creatori.
(695) (Angelicis) Il revient au récit. (Angelicis) redit ad historiam.
(696) De fait, comme le raconte le bienheureux Luc, quand les apôtres eurent entendu les paroles des anges, ils revinrent du Mont des Oliviers à Jérusalem, et ce mont était distant de la ville de la longueur d’un chemin de sabbat, autrement dit mille pas. nam ut narrat beatus lucas: posteaquam apostoli uerba angelorum audiuerunt: in hierusalem reuersi sunt a monte oliueti: qui mons distabat ab urbe itinere unius sabbati id est mille passibus.
(697) De fait, pour les Juifs, il n’y avait pas infraction si, le jour du sabbat, ils marchaient mille pas, puisqu’ils pensaient que cela était permis si c’était fait dans l’idée de se reposer et non de contrevenir à la loi ; pour le reste, ils observaient avec un scrupule extrême le sabbat, en s’abstenant de toute activité. Nam iudaeis non erat fraudi si mille passus in sabbato ambulassent: cum id recreationis non uiolationis causa factum sibi licere arbitrarentur: alioquin sabbatum religiosissime obseruabant ab omni opere uacantes.
(698) Un chemin de sabbat est donc un chemin de mille pas, le chemin qu’il était permis aux Juifs de parcourir durant le sabbat. Est ergo iter sabbati iter mille passuum: quod iter transigere licebat iudaeis in sabbato.
(699) igitur voici l’ordre igitur manus ("donc la troupe") autrement dit la multitude, évidemment des apôtres, praelecta ("d’abord choisie"), autrement dit choisie par avance, évidemment par le Christ, ad messem ("pour la moisson"), évidemment pour convertir les nations par leur prédication, selon ce qu’on lit en Mt 5 : "la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux" ; la moisson est donc la multitude des peuples aptes à recevoir la parole et à porter du fruit, comme la moisson est d’ordinaire pleine de grain, et les ouvriers sont les prédicateurs de la parole et les docteurs de la loi sacrée. igitur. ordo est igitur manus id est multitudo scilicet apostolorum: praelecta id est ante electa scilicet a christo: ad messem scilicet ad gentes conuertendas per praedicationem secundum illud matt .v . messis quidem multa: operarii autem pauci:Mt 9, 37 messis hoc est multitudo populorum suscipiendo uerbo et ferendo fructui aptas qualis messis granis plenae esse solet. operarii id est praedicatores uerbi et sacrae legis doctores.
(700) manus praelecta ad messem ("la troupe d’abord choisie pour la moisson") c’est dit allégoriquement, selon moi, postquam est usa affatibus angelicis ("après qu’elle eut entendu les paroles des anges") autrement dit les propos et l’adresse des deux anges, liquit ("a quitté") autrement dit est partie cacumina ueneranda ("les vénérables sommets") autrement dit dignes de vénération montis oliuiferi ("du mont porteur d’olives") autrement dit qui porte des olives, le Mont des Oliviers. manus inquam praelecta ad messem allegorice: postquam est usa affatibus angelicis id est uerbis et alloquiis duorum angelorum: liquit id est deseruit cacumina ueneranda id est digna ueneratione montis oliuiferi id est ferentis oliuas hoc est oliueti.
(701) Il dit que la cime du Mont des Oliviers est vénérable, soit parce que c’est de là que le Seigneur a été enlevé au ciel, soit parce que ce lieu (comme le dit Sulpice) dans lequel se sont trouvées les traces de Jésus lors de son ascension ne put être pourvu d’un dallage, le marbre s’arrachant sous les yeux de ceux qui le posaient, quelque marbre que l’on y appliquât. Dicit uerticem oliueti uenerandum: uel quia dominus inde in coelum assumptus est: uel quia locus ille (ut ait sulpicius) in quo steterunt uestigia ascendentis lesu continuari pauimento non potuit: excussis in ora apponentium marmoribus quaecunque ei applicabantur.
(702) La terre également du Mont des Oliviers d’où le Seigneur a été enlevé au ciel comme si elle veillait sur l’empreinte des traces du Seigneur et de la poussière qu’il avait foulée en garda fidèlement la trace. terra etiam illa oliueti montis unde dominus assumptus est: uelut custos dominici ue[14v]stigii impressionem calcati pulueris fideliter custodit.
(703) (Qui). Évidemment les apôtres, calle citato ("sur une route rapide") autrement dit sur un rapide chemin ou sur un chemin parcouru rapidement petunt moenia nota ("ils se dirigent vers les remparts familiers") évidemment de la ville de Jérusalem, quo ("là où") autrement dit dans la ville dans laquelle, quo est pris adverbialement, licet ("il est permis") évidemment aux Juifs ire mille passibus ("d’aller par un chemin de mille pas") autrement dit de faire route, per sua sabbata ("par leur sabbat"), car bien que les Juifs n’aient aucune activité le jour du sabbat et ne fassent absolument rien, il leur était cependant permis à Jérusalem de faire le trajet depuis le Mont des Oliviers, car la distance du Mont des Oliviers à Jérusalem n’excédait pas mille pas. (Qui). Scilicet apostoli: calle citato id est uia ueloci hoc enim itinere uelociter peracto: petunt moenia nota. scilicet urbis hierusalem: quo id est in quam urbem. aduerbialiter quo: licet scilicet iudaeis ire mille passibus id est iter facere: per sua sabbata id est in sabbato: quanuis iudaei in sabbato uacabant et nihil omnino agebant: tamen ab oliueto in hierusalem licebat iter facere in sabbato: quia non intererant nisi mille passus ab oliueto in urbem hierusalem.
(704) Et veille bien à ne pas croire qu’Arator dise que les apôtres sont revenus à Jérusalem le jour du sabbat, alors que le Seigneur a été enlevé au ciel le cinquième jour autrement dit le jeudi et c’est le même jour que les apôtres revinrent, mais le poète dit cela pour montrer quelle était la distance entre le Mont des Oliviers et la ville, évidemment parce que c’est par le chemin d’un jour de sabbat, comme le dit également Luc : "alors ils s’en retournèrent à Jérusalem depuis le Mont que l’on appelle des Oliviers, en parcourant un chemin de sabbat". Et caue ne putes Aratorem dicere: rediisse apostolos in hierusalem in sabbato: cum dominus feria quinta id est in die iouis assumptus fuerit et in eadem die apostoli redierint: sed hoc dicitur a poeta ut ostendat quantum distabat oliuetum ab urbe: quia scilicet itinere unius sabbati: sicut lucas etiam ait: tunc reuersi sunt in hierusalem a monte qui uocatur oliueti: sabbati habens iter.ac 1, 12
(705) (Licet) évidemment aux Juifs. (Licet) scilicet iudaeis.
(706) (Ire) autrement dit de faire route. (Ire) id est iter facere.
(707) (Qua tunc statione). On appelle statio un endroit dans lequel navires ou soldats séjournent pour un temps, ou bien un lieu assigné à la garde, ou bien encore un lieu où l’on séjourne fréquemment et dans lequel beaucoup se rassemblent pour décider de quelque sujet ; il dit donc qua statione ("en un poste de veille"), évidemment dans quel lieu de la ville de Jérusalem sedebat maria porta dei genitrix intacta ("résidait Marie, la porte de Dieu, la mère intacte") autrement dit la vierge mère et immaculée creantis ("du créateur") évidemment le Christ qui fut le créateur à la fois de la vierge mère elle-même et de toute créature, parce que, comme dit Jean, "toutes choses on été faites par lui" ; c’est la raison pour laquelle il a ajouté formata ("formée") évidemment la vierge Marie, a nato suo ("par son propre fils") évidemment le Christ Jésus. (Qua tunc statione). statio locus dicitur in quo naues aut milites ad tempus consistunt: aut locus ad custodiam assignatus: aut locus etiam in quo frequenter consistitur: et in quem multi conueniunt ut de aliqua re decernant: dicit igitur: qua statione scilicet in quo loco urbis hierusalem sedebat maria: porta dei: genitrix intacta id est mater uirgo et inmaculata: creantis scilicet christi: qui creator fuit et ipsius mariae uirginis et omnium creaturarum. quia ut inquit loannes: omnia per ipsum facta sunt:Jn 1, 3 ideo subiicit formata scilicet maria uirgo a suo nato scilicet christo lesu.
(708) Il faut savoir que les apôtres eux-mêmes revinrent à Jérusalem après l’admonition des anges, et qu’ils montèrent dans le cénacle, comme le raconte le bienheureux Luc, dans lequel se trouvait la mère du Seigneur avec les femmes qui accompagnaient celle-ci, et qui avaient suivi Jésus de la Galilée à Jérusalem pour obéir aux règles de la religion et de la piété ; mais dès que le Seigneur eut été fixé à la croix, les femmes ne quittèrent pas Marie la mère de Dieu. sciendum apsotolos ipsos rediisse in hierusalem post admonitionem angelorum: et ascendisse in coenaculum ut narrat beatus lucas: in quo erat mater domini cum mulieribus quae ipsam comitabantur: et Iesum a galilea in hierusalem secutae fuerant religionis ac pietatis obsequio: Verum cum statim dominus fixus cruci fuisset: mulieres deiperam mariam postea non dereliquerunt.
(709) Comme donc Arator en était arrivé à ce point de son récit, il saisit l’occasion de faire une digression pour louer la vierge ; il suit cette petite colombe d’une blancheur parfaite et qui est dépourvue d’absolument toute tache avec l’éloge qu’elle mérite, car il sait bien que tout ce que tout effort digne de sa mère concourt à la louange de celui qui s’est choisi une telle mère. cum ergo in hanc narrationem incidisset Arator: nactus occasionem diuertendi in laudes uirginis: columbellam illam candidissimam et omni prorsus uacantem labe digno praeconio sequitur: non ignarus totum ad laudem eius pertinere: qui matrem sibi talem delegit: quicquid dignum genitrici suae impensum fuerit.
(710) Il la loue de sa virginité qui, jointe à la fécondité, ne se rencontre que dans la seule Marie. Ensuite il montre ce que la funeste Eve a enlevé et qui est restitué par Marie, car elle rendit à la terre Dieu et la paix ; quand elle engendra pour nous le rédempteur qui, pressé sur le gibet de la croix, versa pour toute la terre la pluie du salut et daigna offrir abondamment à l’esprit humain les gouttes de sa grâce. Laudat autem ipsam a uirginitate quae foecunditati coniuncta in sola maria repperitur. deinde ostendit omne illud quod eua tristis astulit: per mariam restitutum: cum terris deum pacemque refudit. cum nobis redemptorem peperit qui in crucis patibulo expressus terris omnibus pluuiam salutis effudit et stillicidia gratiae humanis mentibus praestare ubertim dignatus est.
(711) Marie est dite porta dei ("porte de Dieu"), comme le chante l’Église porte du roi très-haut, parce que, de même que l’homme sort et entre par une porte, de même c’est par elle que le Christ entra et sortit, alors que la porte demeurait toujours close, et gardée de manière ineffable dans son intégrité virginale pour l’entrée et la sortie du roi très-haut, selon cette parole d’Ezéchiel : "cette porte sera fermée et ne sera pas ouverte ; et l’homme ne passera pas par elle, car le Seigneur, Dieu d’Israël, est entré par elle". dicitur autem maria porta dei: uelut canit ecclesia regis alti ianua: quia sicut homo per portam exit et intrat: sic christus deus intrauit e exiuit per illam: clausa semper manente porta: et ad ingressum et regressum summi regis integritate uirginea inefabiliter custodita: secundum illud Ezechielis: porta haec clausa erit: et non aperietur. et uir non transiuit per eam. quoniam dominus deus israel ingressus est per eam.Ez 44, 2
(712) On peut aussi autrement la qualifier de porte du ciel et de porte du paradis, puisque c’est par ses mérites que nous entrons au ciel ; c’est elle qui nous invite vers la source de vie éternelle au travers des lis blancs, des roses en fleurs et, dans cette région de félicité absolue où vivent les bienheureux, elle s’est acquise la dignité de la première place, et, se promenant au milieu de plantes couvertes de rosée au milieu des charmes du paradis et des choeurs de gazon, cueille des violettes qui jamais ne se fanent. aliter dicitur porta coeli uel lanua paradisi: quoniam meritis illius coelum ingredimur: quae per albentia lilia rosasque uernantes ad fontem perennis uitae nos inuitat: in illa beatorum felicissima regione primi ordinis dignitatem adepta: quaeque plantis roscidis oberrans: inter paradisi amoenitates chorosque gramineos uiolas immarcessibiles carpit.
(713) Dans un autre sens, dans le Cantique, on parle du "jardin clos", dans lequel notre Phébus de sa large lumière emplit une verdure d’un charme extrême ; c’est vraiment "le jardin des délices" où sont installées toutes sortes de fleurs et les parfums des vertus, et il est "clos" de telle manière que l’on ne puisse l’ouvrir à quelque force que ce soit et l’outrager de nul piège ou tromperie. Aliter dicitur in canticis hortus conclusus:Ct 4, 12 in quo largo lumine phoebus noster implet amoenissimum uiridarium: uere hortus delitiarum : ubi consita sunt cuncta florum genera et odoramenta uirtutum: sicque conclusus ut nesciat ulla ui aperiri: ullis insidiis fraudibusue uiolari.
(714) Mais où me conduit la piété dans mon imprudence, moi qui ne fais que passer sur ce sujet et désire faire autre chose : ô vierge ornement du ciel, je voudrais embrasser tous tes titres dans un bref sommaire, exactement comme si avec un petit coquillage je tentais de puiser tout les flots de l’océan. Sed quo me incautum deducit pietas: qui in transcursu et aliud agens uolo O uirgo decus coeli: tuarum laudum titulos breui summa complecti: perinde ac si parua concha fluctus oceani totos cuperem exhauriri.
(715) Et ce n’est pas, en effet, que si je faisais cela et s’il m’était donné la richesse d’Homère, la parole torrentueuse de Démosthène et de l’éloquence cicéronienne, j’accèderais dans mes louanges à une éloquence digne de toi que les anges ont annoncée, les patriarches représentée symboliquement, les prophètes prédite, les évangélistes montrée et pour finir Gabriel le céleste envoyé a saluée avec vénération et un extrême respect. nec enim tametsi hoc solum agerem: et mihi contigisset homerica ubertas ac demosthenis torrens: tullianaeue eloquentiae fluuius: dignam tui laudator accederem: quam angeli praedicarunt: patriarchae significarunt: prophetae praedixerunt: Euangeliographi monstrauerunt: Denique coelestis legatus Gabriel uenerabili officiosissimeque salutauit.
(716) Ne nous étonnons donc pas si le poète chrétien fait volontiers une digression pour célébrer les titres de la nymphe de Palestine et de la vierge mère de Dieu, sans ignorer évidemment que l’honneur que l’on rend à sa mère se reporte sur celui qui est né d’elle et que toute la hiérarchie et la puissance célestes vénèrent et adorent. Non igitur miremur si poeta christianus libenter ad celebrandos Nymphae palestinae deiperaeque uirginis titulos digreditur: non nescius scilicet honorem maternum eius esse: qui est natus ex ea quem omnis coelorum ordo et potestas ueneratur: atque adorat:
(717) (A nato) formata ("formée"), évidemment créée, par ton fils le Christ Jésus, parce que (comme le dit le promoteur très ardent et fécond de la virginité, Jérôme), en concevant son créateur lui-même dans le temps elle fit naître dans l’enfance celui dont elle était avant le temps la créature ; on peut également comprendre formata ("formée") comme ornée de grâces et de vertus variées afin qu’il se réservât pour lui-même en elle une habitation digne de lui ; à ce sujet voir Ecc. "dans la plénitude des saints mon séjour" ; c’est ce qui fait qu’à bon droit Bernard déclare : vraiment dans la plénitude des saints est son séjour, car elle n’a pas manqué de la foi des patriarches, ni de l’espérance des prophètes, ni du zèle des apôtres, ni de la constance des martyrs, ni de la sobriété des confesseurs, ni de la pudeur des vierges, ni de la pureté des anges. (A nato) formata tuo scilicet creata a tuo filio christo lesu. quia (ut inquit accerrimus ac facundus uirginitatis praeco hieronymus) authorem ipsum suum concipiens in tempore edidit impuberem: quem habuerat ante tempora conditorem: uel formata id est ornata uariis gratiis et uirtutibus ut dignum sibi in ea habitaculum constitueret. super illud.ecc. In plenitudine sanctorum detentio meaSi 24, 16 hinc ait merito Bernardus: Vere in plenitudine sanctorum est detentio sua: cui non defuit fides patriarcharum: nec spes prophetarum: nec Zelus apostolorum: nec constantia martyrum: nec sobrietas confessorum: nec mundicia uirginum: nec puritas angelorum.
(718) Anselme également au sujet de la conception virginale : "il convenait en effet que la vierge bienheureuse reçût l’éclat de la pureté la plus grande qui puisse exister en-dessous de Dieu lui-même". Anselmus quoque de conceptu uirginali: decebat siquidem ut uirgo beata ea puritate niteret: qua sub deo maior nequit intelligi.ANSELM. CANT. conc. vir., prol. 18
(719) Nous devons donc garder le regard en éveil pour bien voir ce que Luc en Ac. 1 et ici Arator rapportent : de fait, il dit que les apôtres sont revenus à Jérusalem et que tous ils ont unanimement persévété dans la prière avec les femmes et Marie la mère de Jésus. Debemus autem oculis uigilantibus perspicere id quod lucas in primo actuum capite: et Arator hic refert illle namque dixit apostolos reuersos fuisse in hierusalem: et omnes perseuerasse unanimiter in oratione cum mulieribus et maria matre lesu.
(720) Ici il dit moenia nota petunt qua tunc statione sedebat porta maria dei ("ils se dirigent vers les remparts familiers, où résidait alors Marie, la porte de Dieu") ; tous les disciples en effet recouraient à la vierge elle-même comme à la très abondante fontaine de sagesse ; ils allaient la voir au sujet de toutes les questions en suspens comme à une arche de divins mystères ; elle était pour eux le moyen d’y accéder et cela était pour eux la sanctuaire des secrets célestes et un oracle. Hic autem moenia (inquit) nota petunt: qua tunc statione sedebat porta maria dei. omnes enim discipuli ad ipsam uirginem recurrebant tanquam ad fontem sapientiae uberrimum: Hanc super dubiis quaestionibus uelut arcam diuinorum mysterorum adibant: hoc illis adytum erat: hoc arcanorum coelestium sacrarium atque oraculum habebatur.
(721) D’où le fait que Bède dans une homélie déclare "tout ce qui a été dit sur le Seigneur ou par le Seigneur ou fait par lui, sa mère la vierge le savait et le gardait sans son coeur et avec soin elle confiait tout à sa mémoire de sorte que quand viendrait le temps de la prédication ou de l’écriture au sujet de l’incarnation de celui-ci, elle puiss expliquer tout exactement comme cela s’était passé". Vnde in quadam homilia Beda uenerabilis: omniaBED. hom., 12 inquit: quae de domino: uel a domino dicta uel acta cognouerat mater uirgo in corde retinebat: et sollicite cuncta memoriae comendabat: ut cum tempus praedicandae uel scribendae incarnationis eius adueniret: sufficienter uniuersa: prout essent gesta: explicare posset.BED. hom., 12
(722) Jérôme également affirme la même chose en disant que la vierge mère de Dieu après l’ascension de son fils était toujours dans la compagnie des apôtres jusqu’à leur dispersion à travers toutes les terres et que cette nymphe céleste non seulement les réjouissait de son aspect divin, mais encore les enseignait, selon l’affirmation du même Jérôme, de sa science et de sa sagesse : "au milieu des apôtres", écrit-il, "après la résurrection, entrant et sortant, elle conféra avec eux de manière intime au sujet de la résurrection du Christ et de son incarnation" ; et "voici que, le Seigneur montant dans le ciel, la vierge appelle les apôtres à l’école des vertus, elle converse avec les sénateurs du ciel, dans la curie du paradis sous la discipline du saint Esprit et de toute la divine majesté". Idem quoque affirmat hieronymus, qui deiperam ait uirginem post filii sui ascensionem cum apostolis semper fuisse uersatam usque ad eorum dispersionem per omnis terras. nec solum eos suo diuino aspectu nympha coelestis exhilarabat: Sed etiam ut idem affirmat hieronymus. doctrina et sapientia instituebat: Inter apostolosps. HIER. epist., 9, 3 inquit post resurrectionem christi intrans et exi[15r]ens cum eis familiariter de resurrectione christi atque incarnatione contulit:ps. HIER. epist., 9, 3 Ecce domino ascendente in coelum: uocat apostolos uirgo in schola uirtutum: conuersatur cum senatoribus coeli: in curia paradisi sub disciplina spiritus sancti totiusque maiestatis diuinae.ps. HIER. epist., 9, 4
(723) Mais, à ce point, une ambiguïté pourra piquer certain au vif et lui faire demander s’il est vrai que la vierge était présente à la glorieuse ascension de son fils, alors que le bienheureux Luc dit que les apôtres retournèrent à Jérusalem et qu’Arator aussi raconte qu’ils vinrent dans le lieu où se trouvait la mère du Seigneur. Sed hic ambiguitas quaedam animum punget alicuius: qui percunctabitur numquid uirgo interfuerit assumptioni gloriosae filii sui: cum dicat beatus lucas apostolos redisse in hierusalem: et arator quoque eos narret uenisse in eum locum ubi erat mater domini.
(724) Assurément comme les lettres divines ne donnent aucune explication à ce sujet il ne nous est pas permis à nous non plus d’avoir l’audace d’affirmer quoi que ce soit. Certe cum nihil de his diuinae litterae explicent: non licet nobis quicquam audacter affirmare.
(725) De fait, si le divin Jérôme a un doute pour savoir si la reine de la curie céleste et la vierge mère de Dieu a été emportée au ciel avec son corps ou si elle est partie en abandonnant son corps pour la raison que l’Ecriture sainte n’en dit absolument rien, alors qu’il est extrêmement vraisemblable et parfaitement crédible qu’elle vit avec son corps dans le royaume céleste, et si quelqu’un a des doutes au sujet de ceux que nous croyons ressuscités avec le Christ au témoignage de l’évangile, pour savoir s’ils sont retournés à la poussière ou si en eux la résurrection a été complète, pourrait-on dire qu’ils ne seraient pas de vrais témoins s’ils n’avaient pas eu une véritable résurrection et s’ils n’étaient pareillement montés au ciel avec leur corps. Quoi ? Oserions-nous apporter une réponse définitive à une question que nous pouvons ignorer sans danger pour nous ? De fait, il est bien mieux de renfermer les bornes de notre intelligence certes réduites dans les limites de sa faiblesse que de juger sans réfléchir et dans une téméraire affirmation sur des sujets insondables et des actions divines qui nous échappent. Nam si diuus hieronymus de curiae coelestis regina ac deipera uirgine dubitat an assumpta fuerit cum corpore: an abierit relicto corpore: propterea quod hoc sacra scriptura minime declarat: cum sit uero simillimum maximeque credibile cum corpore eam in regno coelesti degere: si de iis quoque ambigit: quos cum domino teste euangelio resurrexisse credimus: utrum redierint in puluerem: an in illis completa sit resurrectio: quod ueri testes non essent nisi eorum uera fuisset resurrectio et cum corpore pariter ascendissent: quid? audebimus certo diffinire: quod nobis sine periculo licet ignorare? profecto satius est cancellos nostrae intelligentiae sane exinguos intra imbecillitatem suam cohercere: quam de inscrutabilibus atque inaccessis dei actionibus inconsulto ac temeraria assertione iudicare.
(726) Mais s’il nous est permis à l’exemple des saints les plus accomplis de laisser libre cours à nos pieux sentiments envers celle qui fut l’origine de notre salut, je me rangerai en lui faisant toute confiance à l’avis du divin Ambroise qui dit que le Seigneur après sa résurrection est apparu d’abord à sa mère ; ainsi quelque autre saint me convainc aisément que la vierge elle-même a assisté de manière particulière à la joie de l’ascension du Seigneur et que, le jour de pentecôte, elle a reçu avec les apôtres la grâce de l’Esprit saint qu’elle avait possédé en totale plénitude depuis la conception du Christ. Verum si licet exemplo sanctissimorum uirorum: piis in nostrae salutis auctricem affectibus: habenas efundere: sicut prona fide in sententiam diui Ambrosii eo: qui dominum ait post resurrectionem primo suae genitrici apparuisse: ita a quodam alio sancto uiro facile persuadeor ipsam ascensionis dominicae gaudiis praecipue interfuisse: atque in die pentecostes cum apostolis spiritus sancti gratiam accepisse: quam a conceptione christi plenissime habuit.
(727) (Mala criminis.) Il faut savoir qu’Eve, tant qu’elle fut dans le paradis et au moment où elle commit son péché, était vierge. (Mala criminis.) scire oportet Euam quam diu in paradiso fuit et quando peccauit: uirginem fuisse.
(728) Et si quelqu’un demande : pourquoi ne s’unirent-ils pas alors ?, La réponse se trouve chez le Maître des Sentences, suivant l’avis d’Augustin : "une fois la femme créée la transgression suivit immédiatement et ils furent chassés du paradis, soit parce que Dieu ne leur avait pas encore donné l’ordre de s’unir. Et ils pouvaient attendre l’autorité divine puisque le désir ne les pressait pas. Dieu à la vérité n’avait pas donné cet ordre car il avait la prescience de leur chute de ceux qui devaient assurer la propagation du genre humain". Vu donc qu’Eve était vierge quand elle commit son péché, elle l’était aussi quand elle poussa son mari au péché. Et Marie, mère de Dieu, était vierge en vérité mais par l’effet contraire à celle-ci. De fait quand la première vierge apporta tous les maux par son péché, une seconde vierge apporta tous les biens par le Christ. quod siquis quaerat: cur ergo ibi non coierunt. Respondet magister in.ii. ex sententia Augustini: quia creata muliere mox transgressio facta est: et eiecti sunt de paradiso: Vel quia nondum deus iusserat ut coirent. Et poterat diuina expectari authoritas ubi concupiscentia non angebat. Deus uero non iusserat: quia casum eorum praesciebat: de quibus homo propagandus erat:PET. LOMB. sent., 2, 20, 2 Cum ergo Eua uirgo fuerit cum peccauit: et cum ad peccatum uirum suum impulit: Et uirgo quoque fuerit maria deipera in re et effectu illi aduersa. nam prima uirgo cuncta mala attulit per peccatum: secunda uirgo maria cuncta bona per christum:
(729) C’est la raison pour laquelle Arator déclare uirgo secunda ("une seconde vierge") évidemment Marie, fugat ("met en fuite") autrement dit repousse et envoie au loin, évidemment par le Christ son fils, mala criminis ("les maux issus du crime") autrement dit le péché, Euae autrement dit la première vierge. ideo ait Arator. Virgo secunda scilicet maria: fugat id est repellit et procul abigit scilicet per christum filium suum: mala criminis id est peccati: Euae scilicet primae uirginis.
(730) Ici Albert dans le Traité sur l’Annonciation de l’ange déclare : "Eve condamne, Marie sauve, d’où cette même Eve a changé son nom. Celle ci engendre tous les hommes dans le monde, celle-là dans le ciel ; celle-ci est mère charnelle, celle-là spirituelle. Celle-ci est la mère des misères, celle-là la mère de miséricorde ; celle-ci est le principe de la mortalité, celle-là le principe de la régénération ; celle-ci perdit la grâce, celle-là trouva la grâce ; celle-ci passa et nous fit passer de la grâce à la faute, celle-là nous fit nous relever de la faute dans la grâce ; celle-là fut créée du côté de l’homme endormi, celle-là du coeur vigilant de Dieu ; celle-ci fut l’occasion de la perdition de son mari, celle-là pour son mari le secours de la rédemption ; celle-ci est fiancée à l’origine de toutes les femmes corrompues, celle-ci est fiancée pour demeurer la vierge des vierges ; celle-ci la première perdit sa virginité, celle-là la première consacra sa virginité à Dieu ; celle-ci fut trompée par le diable, celle-là enseignée par un ange ; le diable vainquit celle-ci par orgueil, celle-là vainquit le diable par humilité". Hic super anunciatione Angelica Albertus ille: Eua inquit dannat: maria saluat. unde ipsam nomen Euae mutauit. Illa omnes homines generat in mundum: ista in coelum: illa mater carnalis: ista spiritualis. Illa mater miseriae: ista mater misericordiae. Illa principium mortalitatis: ista principium regenerationis. illa gratiam perdidit: ista gratiam inuenit. Illa transiuit et nos transire fecit de gratia in culpam. ista nos surgere fecit de culpa in gratiam. Illa de latere uiri dormientis facta: ista de corde dei uigilantis. Illa uiro suo occasio fuit perditionis: haec uiro suo adiutorium redemptionis. illa desponsatur origo corruptarum: haec desponsatur mansura uirgo uirginum. Illa prima uirginitatem perdidit: ista prima uirginitatem deo Consecrauit. Illa a diabolo decepta: ista ab angelo edocta. Illam diabolus uicit per superbiam: ista diabolum uicit per humilitatem.
(731) Par ces mots d’Albert, nous voyons combien de maux Eve la première vierge apporta qui furent enlevés tous par la seconde vierge, Marie, la mère de Dieu. His uerbis alberti uidemus quot mala attulit eua prima uirgo quae omnia sustulit uirgo secunda maria deipera.
(732) (nulla est.) c’est pourquoi nulla est iniuria sexus ("elle ne connaît pas la souillure due à son sexe") féminin, parce que, si, par une femme, la mort entra dans le monde, par une femme, la vie y revint ; et si pour les femmes le péché d’Eve fut une cause de déshonneur, pour ces mêmes femmes ce fut pour leur honneur et leur beauté que cela leur fut rendu par une femme, évidemment la vierge Marie. (nulla est.) ideo nulla est iniuria sexus muliebris: quia si per mulierem mors intrauit in mundum: per mulierem uita rediit: Et si mulieribus est dedecori peccatum Euae: eisdem decori est et ornamento per mulierem restitutio scilicet mariam uirginem.
(733) De là vient que dans une homélie, saint Maxime déclare : "Eve transporta aux enfers la postérité qui naquit de sa chair, la vierge bénie dirigea par sa progéniture ses enfants vers les cieux ; de la chair d’Eve naquirent, dit-on, les fils des hommes, de la chair de Marie renaquirent, dit-on, les fils de Dieu ; que tombent donc désormais les reproches faits à Eve car tous nous sommes joyeux grâce à l’enfantement de la bienheureuse vierge Marie" et la vie qu’Eve avait détruite, la vierge Marie la restaure. Hinc in quadam homelia sanctus Maximus: eua posteros ex sua carne nascentes transtulit ad inferos: benedicta uirgo ex sua prole natos dirigit ad coelos. Ex carne Euae nati dicuntur filii hominum: ex carne mariae filii renati dicuntur filii dei. Caedat ergo nunc improperium Euae: quia uniuersi sumus laeti per partum beatae mariae uirginis:ps.ILDEF. TOL. serm., 12 et uitam quam destruxerat Eua reparat uirgo maria.
(734) C’est la raison pour laquelle il ajoute (restituit), évidemment la bienheureuse vierge, évidemment le bien quod prima tulit ("ce que la première a emporté") autrement dit que la première vierge Eve emporta en péchant. ideo subdit (Restituit) scilicet beata uirgo illud scilicet bonum quod prima tulit id est prima uirgo eua abstulit peccando.
(735) De fait, par le Christ, fils de Marie, nous sommes libérés d’un châtiment à la fois temporel et éternel, comme le dit le Maître des Sentences, 3 dist. 19 : "Du châtiment éternel il nous libéra par la remise de notre dette, du châtiment temporel il nous libèrera totalement dans le futur quand son dernier ennemi, la mort, sera détruit ; nous attendons encore en effet la rédemption du corps, car selon l’âme nous sommes rachetés en partie et non en totalité, de la faute non du châtiment, et pas totalement de la faute, car nous sommes rachetés non de telle manière qu’elle n’existe plus mais de telle manière qu’elle ne domine plus sur nous". Nam per christum filium mariae a poena temporaria et aeterna liberamur ut ait magister in.iii. dist. xix: Ab aeterna quidem relaxando debitum: a temporali uero penitus nos liberabit in futuro: quando nouissima mors inimica destruetur. Adhuc enim expectamus redemptionem corporis. secundum animas uero iam redempti sumus ex parte non ex toto a culpa non a poena. Nec omnino a culpa. non enim sic redempti sumus ut non sit sed ut non dominetur.PET. LOMB. sent., 3, 19, 3
(736) (Non uoce) l’ordre est : dolor ("le chagrin") évidemment que nous montrons à cause de la corruption d’Eve, non excitet querelas (" qu'il n’engage à se plaindre") autrement dit ne provoque de plaintes, uoce ("notre voix") autrement dit le son de notre voix ; aut dolor non fatiget gemitu corda ("qu’aucun chagrin ne fatigue en gémissant les coeurs") évidemment des hommes ; moerentia ("attristés") autrement dit pleins de tristesse ; pro antiqua lege ("pour la Loi ancienne") autrement dit à cause de la loi infligée au genre humain à cause du péché de nos premiers parents mais principalement d’Eve qui pécha davantage. (Non uoce) ordo est dolor scilicet quem ostendimus propter corruptelam euae: non excitet quaerelas id est non moueat quaerimonias: uoce id est uocis sonitu: aut dolor non fatiget gemitu corda scilicet hominum: moerentia id est contristata: pro lege antiqua id est propter legem inflictam humano generi propter peccatum primorum parentum sed praecipue euae, quae plus peccauit.
(737) Dieu en effet disposa un loi, une sanction et un décret depuis les temps anciens qui stipula que quiconque serait de la descendance du premier homme créé serait soumis à la mort civile qui provoque la perte des biens lors de l’exil de sa patrie, et à la mort naturelle qui fait s’éteindre la vie elle-même qui est de tout ce qui se trouve dans la vie l’objet ce qui est le plus agréable. Posuit enim legem et sanctionem et decretum ab antiquis temporibus deus: ut quisquis a protoplasto deriuaretur: subiectus esset morti ciuili: qua bona e patria amittuntur: morti naturali: qua uita ipsa qua nihil in uita est iucundius: extingueretur:
(738) Les hommes se plaignent donc et accusent Eve et avec Eve tout le sexe féminin parce qu’à cause d’elle, dans l’âme des hommes Dieu détourna l’âme et le corps. Queruntur ergo homines: et euam et cum eua sexum foemineum criminantur: quod propter eam in hominum anima deuertit deus et animam et corpus.
(739) L’âme en effet en raison du péché des premiers parents reçut selon Bède, dans les biens naturels qui étaient les siens, quatre blessures : la faiblesse, l’ignorance, la malice et la concupiscence. Anima enim propter peccatum primorum parentum in bonis naturalibus authore beda: quattuor uulnera accepit: infirmitatis ignorantiae: malitiae et concupiscentiae.
(740) Que dire des biens gratuits ? Quand l’âme, après le péché, salit l’image divine, honora le démon, se mit au service du crime, se plongea dans la culpabilité d’un supplice éternel, il affaiblit la puissance du libre arbitre et pour finir, il appela toutes ses créatures pour venger les ennemis de leur créateur, une fois que sa grâce fut perdue. Quid loquar de gratuitis? cum anima post peccatum diuinam imaginem deformauit: honorauit daemonem: famulata est facinori: in reatum se confecit aeterni supplicii: debilitauit potentiam liberi arbitrii: postremo omnes creaturas in ultionem inimicorum creatoris sui amissa gratia peruocauit.
(741) Pour ce qui concerne les blessures naturelles du corps qui dérivent désormais de cette source, le divin Grégoire en énumère sept : le froid, la chaleur, la soif, la faim, la peine, la maladie, et la mort. At corporis uulnera naturalia iam inde ab illo fonte manantia septem enumerat diuus gregorius. frigus calorem: sitim famen laborem aegritudinem et mortem.
(742) Quant à la femme elle fut punie avec d’autant plus de rigueur et de sévérité qu’elle avait péché plus gravement : "en effet", comme le dit le Maître des sentences 2, dist. 22, "la femme semble avoir péché en voulant usuper l’égalité de la divinité et, gonflée d’une excessive présomption, elle crut qu’il en serait ainsi. Quant à Adam, il ne crut pas même-cela et songea à la puissance et à la miséricorde de Dieu, tandis que, se comportant comme de coutume à l’égard de son épouse, il consentit à ce qu’elle lui suggérait, en ne voulant pas lui faire de peine et la laisser en colère contre lui" ; il craignait que sans la consolation de sa présence elle ne se flétrisse et meure ; "ce n’était certes pas qu’il fût vaincu par la concupiscence charnelle", comme le dit Augustin, "sentiment qu’il n’avait jamais ressenti, mais poussé par une bienveillance amicale, ce qui le plus souvent se produit de sorte que l’on offense Dieu en ne voulant pas offenser son ami ; qu’il n’aurait pas dû agir ainsi, l’issue juste de la divine sentence le montra". at mulier quo gra[15v]uius peccauit eo rigidius seueriusque punita est: plus enim (ut magister in.ii. dist. xxii.) mulier deIiquisse uidetur: quae uoluit usurpare diuinitatis aequalitatem: et nimia presumptione elata credidit ita futurum. adam uero nec illud credidit: et de potentia et de misericordia dei cogitauit: dum uxori morem gerens eius persuasioni consensit nolens eam contristari et a se alienatam relinquere:PET. LOMB. sent., 2, 22, 4, 1 quam credebat sine suo solatio contabescere et interire: non quidem carnali uictus concupiscentiaPET. LOMB. sent., 2, 22, 4, 3 ut Augustinus ait: quam nondum senserat: sed amicabili quadam beniuolentia: qua plaerumque fit ut offendatur deus ne offendatur amicus. quod eum facere non debuisse diuinae sententiae iustus exitus indicauit.PET. LOMB. sent., 2, 22, 4, 3
(743) Ce fut donc d’une autre manière qu’Adam fut trompé : sans avoir aucune connaissance de la sévérité divine il crut qu’il avait commis une péché véniel, mais il ne fut pas séduit par la ruse du serpent qui séduisit la femme. Ergo aliter adam deceptus est: Inexpertus enim diuinae seueritatis ueniale commissum credidit: sed dolo illo serpentino non est seductus: quo mulier seducta est.
(744) Eve en effet crut qu’était vraie la phrase "vous serez comme des dieux", ce qu’Adam, lui, ne crut pas. Eua enim credidit illud uerum futurum: Eritis sicut dii:Gn 3, 5 quod adam non credidit.
(745) Donc la faute de la femme est plus grande ; chez elle, il y eut la présomption que donne un orgueil plus grand et c’est autant contre elle, que contre son prochain et contre Dieu qu’elle pécha. Plus ergo mulier deliquit: in qua maioris tumoris praesumptio fuit: quae etiam in se et in proximum et in deum peccauit. Vir autem in se et in deum.
(746) Pour cette raison, on sévit contre elle en redoublant ses maux, par l’ajout de tribulations dans la conception, de douleurs dans l’enfantement, de soumission dans la vie conjugale. ob hanc causam geminatis malis in eam animaduersum est: additis in conceptu aerumnis: in partu doloribus: in conuictu maritali dominio.
(747) Ces griefs, lorsque les gens considèrent la faute d’une personne, évidemment Eve, ils les reportent sur l’ensemble de la nature féminine et ils se plaignent : hélas femmes toujours insidieuses envers les hommes, c’est vous qui en vous précipitant pour saisir par insolence un honneur interdit, avez accablé tout les genre humain d’un même crime. Quae homines cum considerant personae culpam scilicet Euae: transferunt in uniuersam naturam muliebrem: et querelas afferunt Heu uiris foeminae semper insidiosae: uos: dum uetitum honorem per insolentiam inuaditis: totum genus humanum uno scelere obruistis.
(748) Quoi de plus pernicieux que ce naufrage ? Quoi de plus détestable que ce péché ? quod illo naufragio perniciosius? quid illo peccato detestabilius?
(749) Nous avions pour patrie un paradis de délices dans les champs duquel Dieu nous avait placés. Toutes les choses dont on se vante à travers le monde comme les biens particuliers de chaque patrie, Dieu les y avait placées, mais aussi d’autres innombrables qui ne se trouvent nulle part ailleurs dans le monde sinon dans ce jardin fleuri. Patria nobis erat paradisus uoluptatis in cuius aruis deus posuit: quaecunque per orbem singulae patriae sibi esse bona peculiaria iactitant: posuit etiam alia innumera quae nusquam gentium nisi in agro illo florigero inueniuntur.
(750) C’est là que l’on trouvera le baume de Jéricho, les fruits qui guérissent, l’encens sabéen, et l’ébène indien. illic reperies balsama hiericontina: poma medica: thus sabeum: indicum ebenum.
(751) En un unique lieu se rassemblèrent les présents de toutes les terres, et il n’est pas besoin pour les habitants de ce lieu d’affronter leur vie aux flots de la mer, pour apporter d’ailleurs les biens qui leur font défaut. In unum locum conuenere munera cunctarum terrarum: nec illius loci habitatores fluctibus maritimis animas obiicere opus est: ut ea quibus carent aliunde apportent.
(752) Dieu ordonna en effet que pullule à cet endroit tout ce qui se trouvait partout dans le monde, et il ordonna que nous puissions voir dans les autres régions du monde les vallons, les prés, les forêts, les collines selon les saisons de l’année arriver à maturité et offrir les charmes d’un apport varié de récoltes, semences, produits et fruits. lussit enim illic pullulare deus, quicquid ubique gentium fuit: atque ita iussit ut in aliis regionibus conualles: prata: syluas colles certi anni temporibus uideamus pubescere ac lasciuire uario frugum seminum fructuum pomorumque prouentu.
(753) Mais en vérité, à cet endroit, quelle que soit la saison, les avantages des autres saisons ne font pas défaut, mais à chaque saison les produits de toutes les saisons sont donnés de la même façon. Verum enimuero ibi (sit quaelibet anni pars) reliquarum anni partium commoda non desiderantur: sed singulis omnia pariter conferuntur.
(754) C’est ce qui fait qu’en toute saison les ornements du printemps y renaissent, les forêts s’habillent de frondaisons, les prés partout offrent le sourire de leurs fleurs et de leurs herbages ; les champs sont doucement caressés d’une abondance variée de récoltes et de fruitiers qui exhalent des parfums d’une douce et incroyable suavité ; et là la nature déploie sa puissance et les richesses de tous ces biens de sa riche corne d’abondance, en invitant les yeux, les oreilles et l’esprit au spectacle magnifique et admirable qu’elle donne, si bien que, si ailleurs elle semble une marâtre, ici elle semble une mère d’une extrême indulgence, si ailleurs elle semble dégénérer, ici elle est dans la noblesse qui lui est propre, et on y voit dans sa splendeur originelle la nature mère. Quo fit ut in quacumque tempestate: ueris ornamenta ibi reuiuiscant: syluae frondibus induantur: prata floribus omnifariam herbisque arrideant: campi frugum et fruticum multiplici copia subblandiantur: e quibus halat mira atque incredibilis suauitas odorum: adeoque ibi uires explicat suas et fortunas cunctorum bonorum diuiti amaltheae cornu ostentat natura: ad pulcherrimum atque admirandum sui spectaculum oculos auris mentemque aduocans: ut alibi nouerca ibi mater indulgentissima esse uideatur: alibi degenerare: ibi in propria nobilitate: atque in genuino splendore parens natura conspiciatur.
(755) Qui pourrait, dans un discours à leur mesure, dire les souffles de Zéphyr qui charment les oreilles quand, à travers un bois plein d’agréments et sur l’étendue arborée d’une terre gratifiée d’un éternel printemps, de son doux souffle, il agite les frondaisons et se glissant tour à tour dans les branches couvertes de fruit, il charme les coeurs de son doux sifflement, quand par moment aussi l’air qui là-bas est toujours paisible et calme résonne des chants les plus tendres des oiseaux et que les eaux font retentir les rives où elles coulent ? quis pari queat sermone consequi aures demulcentis sibila Zephyri? cum per nemus moenissimum et semperuernantis humi tractus arboriferos molliter spirans frondes quatit? ramosque pomiferos innuicem committens leni sibilo animos allicit? cum interim quoque aer ibi semper serenus et purus auicularum blandissimis concentibus resonet: ac lymphae riuis manantibus obstrepant?
(756) Mais qui saurait décrire les eaux paisibles de l’Euphrate et celles très impétueuses du Tigre qui arrosent sur leurs rives partout verdoyantes des champs opulents ; on dit qu’ils naissent dans le paradis et qu’ensuite ils s’écoulent pour parcourir la région de l’Asie que l’on nomme du nom grec de Mésopotamie car elle est comprise entre le cours de ces deux fleuves. lam uero quis referat uel Eufratis lenes: uel tigridis rapidissimas aquas uiridantibus undique ripis agros uberes permeantium: qui in paradiso nasci perhibentur: indeque deriuatim eam Asiae regionem comprehendunt: quae graeco nomine ideo mesopotamia dicitur: quod utrinque duorum amnium ripi media intercipiatur?
(757) En effet, il ne convient pas sur ce point de se rallier à l’opinion du très saint et très éloquent Jérôme quand il dit : "Salluste, auteur en qui on peut avoir toute confiance, affirme que l’on montre en Arménie les sources tant du Tigre que de l’Euphrate ; nous nous rendons alors compte qu’il faut comprendre autrement ce qui est dit au sujet du paradis". Nec enim Sanctissimi atque eloquentissimi hieronymi opinionem in hac re sequi decet: qui salustiusHIER. sit. nom. hebr., 202 (inquit) author certissimus asserit tam tigris quam Eufratis in Armenia fontes demonstrari: Ex quo animaduertimus aliter de paradiso intelligendum.HIER. sit. nom. hebr., 202
(758) Cette opinion, bien qu’elle ait l’appui du poids d’un si grand homme a pourtant été remise en cause depuis longtemps par de nombreux savants. haec sententia licet pondere tanti uiri fulta sit: tamen a multis doctis iam pridem explosa est.
(759) Si, en effet, Adam, le premier homme n’avait pas succombé à l’amour de sa très douce femme, que nous aurions été fortunés et vraiment heureux ! Nous aurions eu le bonheur de vivre dans un lieu extrêmement agréable, et de jouir de l’arbre de la vie qui possédait par dessein divin un force telle, comme l’attestent les théologiens, que tout homme qui mangeait de son fruit se trouvait conforté dans une santé physique inaltérable et ne s’amoindrissait ou ne succombait sous aucune infirmité ou faiblesse due à l’âge. si enim protoplastus adam amori, suauissimae coniugis non succubuisset: o nos fortunatos uereque foelices: quibus uiuere in loco amoenissimo: et ligno uitae frui contigisset: quod talem diuinitus habebat uim sic ut theologi testantur: ut qui ex eius fructu comederet corpus eius stabili sanitate firmaretur: nec ulla infirmitate uel aetatis inbecillitate in deterius uel in occasum laberetur.
(760) Oh que nous aurions été heureux si nous avions vécu dans notre propre maison et sur notre propre sol ! O nos beatos qui in domo propria et patrio solo uixissemus.
(761) Là nous aurions joui de l’amour saint du saint qui est né sans aucune forme de souillure, là du tranquille repos, de la vie innocente, de la jeunesse perpétuelle, de la sécurité en tout, et rien d’hostile n’aurait pu nous arriver. Hic sancta uenus: sancti atque omni absque labe nati nobis fuissent: Hic quies tranquilla: uita innocens: iuuentus perpetua: tuta omnia: nihil hostile nobis accidisset.
(762) Pour finir, après quelques siècles, notre roi habitant parmi nous pour notre honneur nous aurait ouvert l’accès au ciel sans aucun trépas ni le moindre nuage de mort. Denique post aliquot saecula fortassis rex noster ad decus nostrum in nobis habitans: nobis in coelum aditum absque funere absque ullo mortis nubilo aperuisset.
(763) Quant à l’ennemi antique dont la première vierge ne reconnut pas les ruses, et dont elle ne perçut pas la tromperie, tromperie que nul temps ne saurait abolir, cette couleuvre tortueuse, dis-je, aurait ouvert sa gueule en vain sans recevoir aucun fruit de sa jalousie et, frustrée dans son espérance, serait descendue seule au plus profond du tartare avec la foule maudite des spectres et des lémures. Hostis uero antiquus: cuius dolos prima illa uirago non cognouit: cuius non aduertit fraudem: fraudem nullo aeuo abolendam: ille inquam tortuosus coluber incassum hiauisset nullo suae inuidiae fructu percepto: et a spe frustratus in ima tartari solus cum plebe laruarum ac lemurum nefanda descendisset.
(764) La triste plainte des mortels que, nous, très misérables fils d’Eve, nous versons contre Eve, lui enleva le courage et, de je ne sais quelle manière, la contraignit à sortir du chemin qui lui était fixé. Abstulit animum et nescio quo pacto a destinato itinere digredi coegit tristis querimonia mortalium: quam in Euam Euae miserrimi filii fundimus.
(765) C’est cette plainte qu’Arator réprime en disant non uoce querelas excitet ("n’engage notre voix à se plaindre"). Hanc arator cohercet cum ait non uoce querelas excitet et.c.
(766) (Scelera ipsa) Imitation de Lucain qui en Phars. 1 dit iam nihil o superi querimur scelera ipsa nefasque / hac mercede placent ("désormais, ô dieux du ciel, nous ne nous plaignons plus de rien ; les crimes et les sacrilèges à ce prix nous plaisent"). (Scelera ipsa). imitatio est lucani qui in primo pharsaliae lam inquit nihil o superi querimur: scelera ipsa nefasque hac mercede placent:LVCAN. 1, 33-34
(767) Le sens est donc, s’il n’y a pas eu d’autre moyen ou d’autre raison pour que le Fils descende du ciel, sinon pour racheter le péché de nos premiers parents, il est juste et bien adapté que les maux et les scelera ("crimes") nous plaisent et que nous les choisissions pour ce prix si grand, autrement dit cette si grande récompense que nous avons reçue, le fait que le Verbe se soit fait chair, que Dieu habite parmi nous et nous rachète. Est ergo sensus. si non fuit alia uia aut ratio: qua dei filius e coelo descenderet nisi ut redimeret peccatum primorum parentum: iustum est et congruum ut mala et scelera nobis placeant et a nobis optentur hac tanta mercede idest hoc tanto premio accepto ut uerbum caro fieret: et deus In nobis habitaret ac nos redimeret.
(768) C’est la raison pour laquelle l’Église chante : "Bienheureuse faute qui nous valut un tel et si grand rédempteur". ideo canit ecclesia O foelix culpa quae talem ac tantum meruit habere redemptorem.LITVRG. ROMAN. exsultet
(769) Grandes sont les pertes dues à ce péché. Mais elles sont compensées très largement par les avantages que nous recevons grâce au Christ rédempteur. Magna sunt damna illius peccati. Sed plus commoda ponderant quae per redemptorem christum accepimus.
(770) Entre autres bienfaits que nous avons reçus de l’auteur de notre salut et que nous avons rappelés plus haut, il y a encore quelque chose de grand dans le fait qu’il prescrivit des limites bien définies à la domination du serpent venimeux lui-même, dont l’empire s’étendait librement dans toutes les directions ; c’est ce que déclare Jean dans l’Apocalypse en ces termes : "j’ai vu un ange qui descendait du ciel et portait la clé de l’abîme et une grande chaîne et il se saisit du dragon, l’antique serpent qui est le diable et Satan et il l’attacha et l’envoya dans l’abîme et le referma". Inter reliqua emolumenta quae ab authore salutis accepimus et supra memorauimus: hoc quoque magnum est quod ipsi angui uenenoso cuius imperium longe lateque uagabatur: certos dominii fines praescripsit: Quam in apocalypsi loannes his uerbis declarat: uidiap 20, 1-2 inquit angelum descendentem de coelo habentem clauem abyssi et catenam magnam et aprehendit draconem serpentem antiquum quae est diabolus et sathanas et alligauit[16r] eum et misit in abyssum et clausit.ap 20, 1-2
(771) Il referma, autrement dit il limita la puissance de nuisance de celui dont l’empire était extrêmement vaste. clausit id est potestatem nocendi limitauit: cuius imperium latissimum erat.
(772) Par la désignation de l’ange, nous comprenons le Christ, par la chaîne, sa puissance d’une sévérité absolue par laquelle la rage du diable, vaincue, est jetée dans les profondeurs des enfers. per angelum autem christum intelligimus: et per catenam potentiam seuerissimam: qua diaboli rabies uincta in ima inferorum truditur.
(773) Il faut savoir que les théologiens se disputent au sujet du problème suivant : est-ce que la raison pour laquelle le Verbe s’est fait chair a été la tromperie de nos premiers parents ou alors la volonté d’honorer l’homme ? sciendum theologos rixari super illo problemate: utrum scilicet ratio ob quam uerbum caro factum est: fuerit fraus primorum parentum an decus humanum.
(774) Si en effet Adam n’avait pas péché, certains affirment que le fils de Dieu n’aurait pas habité parmi nous. si enim Adam non peccasset: dicunt quidam filius dei non habitasset in nobis:
(775) D’autres, pourtant, disent que, quand bien même il n’aurait pas péché, le Fils aurait pris cependant la nature humaine pour être pour nous un ornement. Alii uero quanuis (aiunt) non peccasset: nihilominus ut nobis ornamento foret hominis naturam assumpsisset.
(776) Ainsi le divin Bonaventure et avec lui quelques autres affirment que la raison de l’envoi du Fils de Dieu dans la chair a été notre rédemption à cause de ce que dit l’Apôtre : "mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son fils né de la femme, fait sous la loi afin de racheter ceux qui étaient au pouvoir de la loi". siquidem diuus bonauentura: cumque hoc nonnulli alii autumant nostram redemptionem esse rationem missionis filii dei in carnem: propterea quod dixit apostolus: At ubi uenit plenitudo temporis: misit deus filium suum natum ex muliere: factum sub lege ut eos qui sub lege erant redimeret.Ga 4, 4
(777) De même Augustin : "si Dieu n’aimait pas les pécheurs, il ne descendrait pas du ciel vers la terre". Item Augustinus: si deus peccatores non amaret: ad terram de coelo non descenderet.AVG. in euang. Ioh., 49, 25
(778) Au contraire d’autres citent le même Augustin dans le de Spritu et Anima qui déclare : "la raison pour laquelle Dieu s’est fait homme est de donner en lui la béatitude à l’homme entier de sorte que si l’homme entre en lui-même par l’intellect ou s’il sort hors de lui par les sens, il trouve sa nourriture dans son créateur, sa nourriture intérieure dans la connaissance de la divinité, sa nourriture extérieure dans la chair du sauveur". E contrario eundem Augustinum citant alii in.li. de spiritu et anima ita dicentem: Propterea deus factus est homo ut totum hominem in se beatificaret: ut siue homo ingrederetur intus per intellectum: siue egrederetur extra per sensum: in creatore suo pascua inueniret. Pascua intus in cognitione deitatis: pascua foris in carne saluatoris.ps. AVG. spir. et anim., 9
(779) Cette raison avancée par Augustin semble tenir dans les bornes de la chute de la nature humaine. Haec autem ratio ab Augustino inducta uidetur stare Lapsu humanae naturae circunscripto.
(780) Alexandre ajoute également une autre autorité, celle de Bernard que rejoint Jean Scot ; pour ne pas allonger, je passe aussi sur les raisons qu’apporte Scot pour prouver que si Adam n’avait pas péché, le verbe divin se serait fait chair et serait venu mais non comme un rédempteur et fils de Dieu sujet à la souffrance. Adducit et aliam Bernardi authoritatem Alexander: cui loannes scottus accedit: quam ne longior sim omitto et quas adducit Scotus: ut probet quod si adam non pecasset: uerbum diuinum caro factum esset: uenissetque non ut redemptor et patibilis filius dei.
(781) parce que, cette âme pour laquelle il avait choisi par avance non seulement la plus haute gloire mais encore de la faire coéternelle à lui-même, ne se serait pas unie à un corps sujet à la souffrance s’il n’avait pas fallu accomplir la rédemption. quia illa anima: cui non solum summam gloriam: sed etiam sibi coaeuam quam praeoptasset: non fuisset unita corpori patibili si non esset redemptio faciunda.
(782) Et cette sentence, le chantre mantouan de notre époque, le plus noble des poètes, l’explique dans ces vers : "la raison de sa venue ne fut pas la tromperie de nos parents, mais l’honneur de l’humanité. Il vint vers les malades pour mourir parce que mourir c’était les guérir ; sans ce sanglant désastre, il serait venu vers les bien-portants, il les aurait porté sains et saufs dans les astres et il aurait fait de nous des citoyens de l’Olympe etc.". Et hanc sententiam mantuanus Vates nostro aeuo summe nobilis illis carminibus explicat. Nec fuit aduentus ratio fraus illa parentum: sed decus humanum. Venit moriturus ad aegros: quod fuerit sanare mori. sine caede cruenta ad sanos uenturus erat: laturus in astra incolumes et nos ciues facturus olympi: etc.SPAGNOL. Alph., 6, 569-573
(783) Mais dans ces matières, ne vaut-il pas bien mieux et n’est-ce pas bien plus avantageux de ne pas fouiller les entrailles de la divine providence, alors surtout que nous sommes des hommes qui nous souvenons de notre faiblesse et de notre fragilité ? In his autem quanto est melius ac praestabilius uiscera diuinae prouidentiae non scrutari praesertim homines suae hebetudinis suaeque fragilitatis memores?
(784) Si cependant il m’est permis d’exprimer ma propre opinion, la raison que donne Jean l’Ecossais me semble ordinairement préférable à celle que donnent d’autres qui pensent le contraire. Si tamen quid sentiam licet fari: potior mihi loannis caledonii ratio quam aliorum contra sentientium uideri solet.
(785) Arator, de son côté, semble être de cet avis quand il dit mundoque redempto ("pour le monde racheté"), évidemment par le Fils de Dieu revêtant la nature de l’homme, sors melior ("un destin meilleur"), autrement dit une condition meilleure uenit ("est venu"), autrement dit s’est produit pour le bien évidemment de l’homme, de clade ("du désastre"), autrement dit de la perte que nous avons reçue à cause du péché de nos premiers parents. Arator autem non hoc sentire uidetur cum ait (Mundoque) redempto scilicet per filium dei naturam hominis induentem: sors melior idest melior condicio: uenit id est contingit scilicet homini: de clade id est de damno quod accepimus per peccatum primorum parentum.
(786) Il convient, afin de comprendre ces mots d’Arator, de ne pas ignorer ce que le Maître des Sentences écrit livre 2 distinction 19, puisque nous verrons de quelle manière les hommes grâce au Christ, le libérateur du genre humain, sont dans un état meilleur qu’avant le péché. De fait, si nous considérons de quelle manière l’homme dans son état d’innocence était immortel et bienheureux et de quelle manière il est orné et paré d’un autre genre d’immortalité, la différence apparaîtra clairement et de manière évidente entre l’état de l’homme avant le péché et après le péché. illud oportet non ignorare ut haec aratoris uerba intelligamus: quod magister scribit in secundo dist. xix. quando uidebimus quo pacto homines per liberatorem humani generis Christum sunt in meliori statu quam ante peccatum. Nam si consideramus quomodo in statu innocentiae primus homo fuerit immortalis: et beatus: quo pacto alio immortalitatis genere sit insignitus et notabilis: tum discrimen apparebit manifestum et euidens inter statum hominis ante peccatum et post peccatum.
(787) Le premier homme donc, Adam, tant qu’il était innoncent, était d’une certaine manière mortel et d’une certaine manière immortel : il pouvait mourir et pouvait ne pas mourir, son corps animal avait besoin de nourriture et d’aliments, ce qui fait que l’homme est dit avoir été créé pour une âme vivifiante, évidemment qui donne la vie au corps avec l’aide de la nourriture, et, ainsi, dans cet état premier, l’homme possédait le pouvoir de mourir, évidemment s’il n’avait pas utilisé le fruit de l’arbre de vie (même si sur ce point, ce que d’autres pensent ne m’intéresse pas), en même temps qu’il possédait le pouvoir de ne pas mourir s’il était demeuré dans le devoir de l’obéissance, entretenant toujours sa jeunesse par les nourritures qui donnent vie, jusqu’au moment où d’un corps animal il serait passé à un corps spirituel. Protoplastus igitur adam adhuc innocens: erat quodammodo mortalis et quodammodo immortalis: quia poterat mori et poterat non mori: egebatque corpus ipsius animale cibi et alimoniae: unde et homo factus dicitur in animam uiuentem scilicet uitam corpori dantem per cibi praesidium: et ita in primo statu homo habuit posse mori scilicet si non usus fuisset fructu ligni uitalis: quanquam super hoc quid alii sentiant non curo: et habuit posse non mori si in officio obedientiae perseuerasset uitali alimonia semper iuuenescens donec ab animali corpore transisset ad spiritale.
(788) Dans le second état, autrement dit après le péché, il eut le pouvoir de mourir et de ne pas pouvoir ne pas mourir, autrement dit de ne pas pouvoir être immortel, parce que, dans cet état, mourir est inévitable, selon ce mot de l’Apôtre : "il a été fixé que l’homme meure une fois". In secundo statu idest post peccatum: habuit posse mori: et non posse non mori hoc est non posse esse immortalem: quia in hoc statu moriendi est necessitas: secundum illud apostoli statutum est hominibus semel mori.Hb 9, 27
(789) Dans le troisième état, autrement dit après la rédemption par le Christ qui donne la résurrection et offrira aux saints une immortalité meilleure, l’homme aura le pouvoir de ne pas mourir et de ne pas pouvoir mourir, car l’impossibilité de mourir s’attache à cet état qui est celui d’après la résurrection ; ce ne sera pas comme cela était dans le premier état, évidemment qu’il pouvait ne pas mourir, mais bien mieux qu’il ne pourra pas mourir puisque, créature désormais spirituelle et agile, il n’aura plus besoin de nourriture et sera immortel pour une raison pérenne. In tertio statu id est post redemptionem christi qui dat resurrectionem: et meliorem immortalitatem sanctis praestabit: homo habebit posse non mori et non posse mori: quia ad illum statum post resurrectionem pertinet impossibilitas moriendi: non sicut in statu primo fuit: scilicet quod possit non mori: sed etiam quod non poterit mori iam spirituale et agile ac cibis non egens et stabili ratione immortale.
(790) Voilà pourquoi Arator dit sors melior ("un destin meilleur") autrement dit un état meilleur, évidemment le troisième état obtenu grâce au Christ le rédempteur, uenit ("est venu") évidemment pour l’homme après la résurrection que le Christ offrira au dernier jour, melior ("meilleur") évidemment que le premier état dans lequel le corps était animal et d’une certaine manière mortel, comme nous l’avons montré. ideo ait arator sors melior id est melior status scilicet tertius per christum redemptorem: uenit homini scilicet post resurrectionem quam praestabit christus in nouissimo die: melior scilicet quam primus status in quo corpus erat animale et aliquo modo mortale vt ostendimus.
(791) Mais ici va naître une ambiguïté propre à intéresser les gens habiles, mais très peu adaptée à la foule des débutants et des gens mal dégrossis. sed hic orietur ambiguitas ingeniosis apta: rudi turbae et pingui minime idonea.
(792) En effet dans son Traité sur la Genèse le divin Augustin déclare : il sera en effet renouvelé de sa vieillesse non pas dans le corps animal dans lequel il a été mais dans un corps meilleur autrement dit spirituel, quand ce qui est mortel revêtira l’immortalité vers laquelle Adam aurait dû évoluer si en péchant il n’avait pas mérité la mort de son corps animal. dicit enim diuus Augusti. super genesi. Renouabitur enim a uetustate non in corpus animale quale fuit: sed in melius id est spirituale: cum hoc mortale induet immortale: in quod mutandus erat Adam nisi morte corporis animalis peccando meruisset.
(793) Comment donc (dit quelqu’un à partir ce ces mots) sors melior uenit de clade ("un destin meilleur est venu du désastre"), puisque, même si le désastre n’était pas venu, Augustin affirme que l’homme aurait évolué vers cette si désirable immortalité ? Quo (inquit et ex his uerbis quispiam) sors melior uenit de clade: cum etiam si cladis non uenisset: Augustinus dicat hominem in illam potissimam immortalitatem mutandum fuisse?
(794) Alors quel genre de bien le désastre du péché a-t-il apporté puisque sans péché nous aurions pu être véritablement immortels et spirituels ? quod ergo boni clades peccati attulit cum sine peccato potuissemus esse uere inmortales atque spiritales?
(795) Voici ce que nous pouvons répondre : sors melior ("un destin meilleur"), en comparant le troisième état avec le premier, comme dit Augustin "il sera renouvelé" en effet non dans le corps animal dans lequel il a été, mais en mieux. possumus respondere sors melior comparando tertium statum statui primo: ut augustinus ait: renouabitur: enim non in corpus animale quale fuit: Sed in melius.
(796) Ou alors si cela ne suffit pas, disons que notre condition est meilleure en raison de l’honneur dont nous sommes marqués et ornés, quand le Fils du Seigneur revêt notre humanité, honneur qui auparavant nous était visible dans la forme du Fils, ou alors melior sors ("un destin meilleur") parce que la justice originelle ne suffisait pas à entrer dans le paradis sans la grâce du baptême qui rend l’homme agréable et bien accueilli de Dieu, et digne de la vie éternelle comme on le dit en Sentences 2, dist. 32, et pour d’autres innombrables raisons que notre faiblesse ne peut embrasser. uel si hoc non facit satis: dic conditionem nostram meliorem ob decus quo insignimur et illustramur: filio domini nostram humanitatem induente: se quod ante nobis in filii forma conspiciendum uel melior sors: quia iusticia originalis non sufficiebat ad ingressum paradisi sine gratia baptismi: quae hominem facit gratum: et acceptum deo uitaque aeterna dignum: ut in.ii.Sen. dist.xxxii. traditur: atque alias ob causas innumeras quas imbecillitas nostra non attingit.
(797) (persona) autrement dit Eve seulement, et non la nature féminine dans son ensemble, dedit ruinam ("a provoqué la ruine"), autrement dit le malheur de faire chuter Adam ; par sa chute, nous tous, ses descendants, avons chuté ; non natura ("non sa nature"), évidemment la nature féminine entière, de même que ce n’est pas toute la nature féminine qui nous donna Jésus le Sauveur, mais la seule vierge Marie, gloire du sexe féminin. Or quand Arator dit persona ruinam dedit ("la personne a provoqué la ruine"), comprenez comme quand on dit que par un seul homme le péché est entré dans le monde, autrement dit dans la nature humaine, parce que la femme a péché avant l’homme et la femme a été créée de l’homme. (persona) id est eua tantum: non uniuersa natura muliebris: dedit ruinam idest casum hoc est fecit cadere Adam: quo cadente nos omnes eius posteri cecidimus: non natura scilicet foeminea tota. sicut non tota natura Muliebris dedit nobis Salutiferum lesum: sed sola uirgo Maria sexus gloria foeminei. cum autem dixit Arator persona ruinam dedit: sic intellige ut cum dicitur peccatum per unum homi[16v]nem intrasse in mundum idest in naturam humanam. quia mulier ante uirum peccauit: et mulier de uiro facta est.
(798) Ou alors comme le dit aussi le Maître des Sentences livre 2 distinction 22 : "alors que la femme péchait, si l’homme n’avait pas péché, le genre humain n’aurait pas du tout péri de la corruption du péché". Vel ut magister in.ii. dist. xxii ait etiam peccante muliere si uir non peccasset: humanum genus minime peccatis corruptum periret.PET. LOMB. sent., 2, 22, 4, 10
(799) Donc la femme dedit ruinam ("a provoqué la ruine"), parce que, péchant la première, elle poussa son mari Adam vers sa ruine et, à cause de sa chute, nous sommes tous tombés. Dedit ergo ruinam mulier: quia prius peccans uirum Adam in ruinam impulit: cuius casu omnes cecidimus.
(800) (Tunc foemina) c’est une comparaison entre Eve, la première vierge, et la seconde vierge, Marie : Eve était vierge et cependant elle fut grosse en concevant sans homme, non pas un enfant mais la morgue de son orgueil, en voulant usurper l’égalité avec la divinité ; enflée d’une excessive insolence elle crut qu’il en serait ainsi. (Tunc foemina) comparatio est primae uirginis Euae ad secundam uirginem mariam: Virgo erat Eua: et tamen grauida facta est concipiendo sine uiro non infantem: sed fastum superbiae uolens usurpare diuinitatis aequalitatem: et nimia insolentia elata credidit ita futurum.
(801) Eve conçut aussi l’esprit d’orgueil, comme le garantit Augustin, en ne voulant pas avouer son péché mais en le rejetant sur l’autre en disant "le serpent m’a trompé et j’ai mangé", différente par le sexe, mais égale par la morgue car la femme avait la même morgue que l’homme. Concepit etiam Eua spiritum superbiae ut augustinus author est: dum non uult peccatum confiteri sed refert in alterum dicens: serpens decepit me et comedi:Gn 3, 13 in impari sexu sed pari fastu. quia parem habuit fastum mulier cum uiro.
(802) Et donc ils firent également preuve d’orgueil en se cherchant des excuses ; l’orgueil, en effet, porte en lui la laideur de la confusion, non l’humilité de la confession. pariter ergo superbierunt sese excusantes. superbia enim habet confusionis deformitatem: non confessionis humilitatem.
(803) Mais tout au contraire, la vierge Marie, unique modèle d’humilité, qui, alors qu’elle est mère de Dieu, se nomme servante, ne s’enfla pas comme Eve de l’esprit d’orgueil, mais du minuscule corps du Christ enfant formé en elle par le saint Esprit. At uirgo Maria contra: humilitatis unicum specimen: quae mater dei se ancillam uocat: tumuit non spiritu superbiae ut Eua: sed infantis Christi corpusculo intus per spiritum sanctum formato.
(804) Et c’est ainsi qu’apparaissent la différence et les contradictions entre la première et la seconde vierge. Il dit donc tunc ("alors"), évidemment dans le paradis terrestre, foemina ("une femme"), évidemment la vierge Eve, foeta ("enceinte") autrement dit grosse et en attente d’enfant, tumuit ("fut grosse"), évidemment de la morgue de son orgueil, paritura periclum ("du danger qu’elle va engendrer") évidemment pour tout le genre humain ; il appelle danger la perte, car le danger précède ordinairement la perte et le désastre. Et ita apparet diuersitas ac repugnantia inter primam et secundam uirginem. ait igitur tunc scilicet in paradiso terrestri: foemina scilicet Eua uirgo: foeta idest grauida et praegnans tumuit scilicet fastu superbiae: paritura periclum scilicet uniuerso humano generi. damnum uocat periclum quia periclum praecedere solet damnum et cladem.
(805) Donc, ce qu’engendra Eve, ce fut le péché : elle conçut en elle l’orgueil si l’on parle de façon métaphorique et elle engendra la perte par le péché. partus ergo Euae fuit peccatum: concepit autem intra se superbiam metaphorice loquendo. et peperit damnum per peccatum.
(806) Nunc ("maintenant"), autrement dit dans la venue du Seigneur par l’action du saint Esprit, le corps du Christ a été formé dans le sein de la vierge, tumuit ("elle fut grosse"), évidemment la vierge Marie, et non pas de manière métaphorique mais dans son ventre qui en réalité grossit ; paritura deum ("du Dieu qu’elle va engendrer"), évidemment le Christ qui est Dieu et homme ; mortalia gignens ("donnant naissance à une vie mortelle"), évidemment la vierge bienheureuse, autrement dit le corps mortel et passible du Christ, et ferens divina ("portant une vie divine"), autrement dit Dieu. Nunc id est in aduentu domini cum per spiritum sanctum christi corpus in utero uirginis formatum est: tumuit scilicet uirgo maria non metaphorice sed reuera utero tumescente: paritura deum scilicet christum qui deus et homo est. mortalia gignens scilicet beata uirgo id est corpus illud christi mortale et patibile et ferens diuina idest deum.
(807) De fait, dès que la bienheureuse vierge dit "voici la servante" et offrit son accord au céleste envoyé, la divinité opéra dans le sein de la vierge quatre miracles. Nam simul ac beata uirgo dixit: ecce ancilla:Lc 1, 38 et assensum coelesti legationi praestitit: quattuor miracula in utero uirginis diuinitas operata est.
(808) Le premier fut la génération du corps du Christ du sang pur de la vierge, autrement dit sa conception et sa formation ; en effet le corps saint n’a pas été formé dans une succession d’étapes comme tous les autres corps, mais tout entier en un seul moment. Vnum fuit corporis christi de puris sanguinibus uirginis generatio idest conceptio et formatio. Non enim per successionem formatum est sanctum corpus ut caetera corpora: sed repente totum.
(809) Le deuxième fut la création ex nihilo de l’âme du Christ dans le même moment où son corps était formé. Alterum fuit animae christi de nihilo creatio in eodem momento quo fuit formatum corpus.
(810) Le troisième fut l’infusion de l’âme dans ce corps ; en effet, l’âme ne se joignit pas au corps qui était le sien après un intervalle de quarante jours comme dans tous les autres cas, mais, au moment-même où le corps fut formé, il fut aussi vivifié par l’âme. Tertium animae in corpus illud infusio. Non enim completis quadraginta diebus anima: sicut in caeteris: suo corpori coniuncta fuit: sed eodem momento et corpus formatum et anima uiuificatum.
(811) Le quatrième fut l’assomption par la divinité de notre humainté ; comme en effet l’atteste Richard en Sentences 3 : qu’y a t-il d’étonnant si l’Esprit saint dans le même moment forma le corps et y instilla l’âme de façon à constituer par l’étroite union des deux une nature humaine qui fut assumée dans l’unité de la personne du Fils de Dieu, quand il forma de manière immédiate sans semence d’homme sa chair qu’une puissance créée ne saurait former que dans le temps. Ce qui fut auparavant le fut non dans l’ordre du temps, mais dans celui de la nature, comme on dit que la nature est avant car elle est la cause de celui-ci ou est présupposée par lui. Quartum humanitatis nostrae a diuinitate assumptio. Vt enim Ricardus in tertio. Sen. author est: quid mirum si spiritus sanctus eodem momento corpus formauit: animam infudit: ita ut utriusque glutino naturam humanam constitueret: quae in unitatem personae filii dei assumpta sit: cum sine uirili semine statim carnem formauerit: quam nisi in tempore uirtus creata formet. Fuit autem ibi prius non temporis sed naturae ordine: ut Prius natura dicitur quod est causa ipsius uel praesupponitur ab eo.
(812) Ainsi en effet la chair est conçue avant que l’âme ne fût créée car elle est présupposée par l’âme ; l’âme est créée avant d’être infusée, et elle est infusée avant que ne soit constituée la nature humaine ; la nature humaine est constituée avant d’être assumée par la personne divine et il ne faut pas comprendre cela comme si la nature humaine constituée dans le sein de la vierge avait été déterminée pour une quelconque existence en elle-même, avant de l’être dans le Verbe, mais la priorité n’est que d’ordre ainsi que nous venons de l’écrire. Ita enim caro prius concipitur quam anima creatur: quia praesupponitur ab anima. prius creatur anima quam infunditur: prius infunditur quam natura humana constituitur: prius natura humana constituitur quam a persona diuina assumitur. quod non sic est intelligendum quasi natura humana illa in utero uirginis constituta fuerit terminata ad aliquam existentiam prius in seipsa quam in uerbo: sed eo tantum prioris ordine quem praescripsimus.
(813) Jamais en effet, ce qui veut dire ni dans le temps ni dans un moment, cette humanité n’a existé en acte en elle-même ; s’il en était autrement, qui dirait en vérité que le Fils de Dieu a été conçu dans la vierge ? Nunquam enim: hoc est nec in tempore nec in momento humanitas illa actu extitit in se ipsa: alioquin quis uere diceret filium dei conceptum in uirgine?
(814) C’est donc à bon droit qu’il dit gignens ("donnant naissance") évidemment en un moment, mortalia ("à une vie mortelle"), autrement dit un corps mortel et vivifié par une âme, et dans le même moment ferens diuina ("portant une vie divine") autrement dit le Fils de Dieu qui est Dieu, de telle sorte qu’elle est θεοτόκος, autrement dit vierge mère de Dieu. merito igitur dicit gignens scilicet in momento mortalia id est corpus mortale: et anima uiuificatum: et eodem momento ferens diuina idest filium dei deum: ut sit theotocos idest deipera uirgo.
(815) A partir de là on voit bien comme la première vierge tumuit ("fut grosse"), et comme la seconde ne le fut pas, et combien l’une s’oppose à l’autre de sorte que l’une soit le remède de l’autre. Ex his constat quomodo prima uirgo tumuit: et quo non secunda: et quantum altera alteri sit contraria: ut alterius altera sit remedium.
(816) En effet on soigne les contraires par les contraires : en effet le froid ne meurt que sous l’effet de la chaleur et l’amertume n’est éteinte que par la douceur. Contraria enim contrariis curantur: non enim moritur frigus nisi in calore: nec amaritudo extinguitur nisi in dulcedine.
(817) De fait, de même que la mort n’est morte que dans la vie, et de même qu’Adam a péché dans la douceur de l’arbre interdit, alors que le Christ a apporté la réparation dans l’amertume de la croix et du fiel, ainsi il était parfaitement cohérent que l’orgueil d’Eve soit guéri par l’humilité de la vierge mère de Dieu. Nam quemadmodum non est mortua mors nisi in uita: utque adam peccauit in dulcedine ligni uetiti: christus satisfecit in amaritudine crucis et fellis: sic ualde congruum fuit ut superbia Euae: contraria deiperae uirginis humilitate sanaretur.
(818) Et de même que l’une s’opposa à l’autre, de même les effets produits par l’une combattent les effets produits par l’autre : Eve fut un obstacle en apportant la mort, Marie un secours en apportant la vie, d’Eve naquit le mal dont la honte passe dans toutes les femmes, de la vierge mère de Dieu naît le bien dont l’honneur ôte le déshonneur des femmes. Et sicut altera fuit aduersa alteri: ita alterius effectus effectibus alterius repugnant. Eua occidendo obfuit: maria uiuificando profuit. ab Eua ortum malum est cuius obprobrium in omnes transit mulieres: a uirgine deipera bonum nascitur: cuius decus mulierum dedecus tollit.
(819) De fait, si l’homme tomba à cause de la femme, désormais il n’est relevé que par la femme ; c’est pourquoi il ajoute per quam ("par cette femme") évidemment la vierge Marie, mediator ("le médiateur"), évidemment le Christ, prodiit ("s’est avancé"), autrement dit est sorti, in orbem ("dans le monde"), et portauit ("et a emporté"), évidemment le Christ, ueram carnem ("une chair bien réelle"), autrement dit un vrai corps et non un corps de fantôme ou feint, mais le même selon le nombre qui fut dans le sépulcre, ad aethera ("vers l’éther") autrement dit le ciel. Nam si uir decidit per foeminam: iam non erigitur nisi per feminam. ideo subiicit: (per quam scilicet uirginem) mariam: mediator scilicet Christus: prodiit idest exiuit: in orbem idest in mundum: et portauit scilicet Christus: ueram carnem id est uerum corpus: non phantasticum aut fictum sed illud idem numero quod fuit in sepulchro: ad aethera idest coelum.
(820) aethera prosodie grecque sur le cinquième pied pour celui qui connaît la quantité des syllabes. aethera accentus graecus quintae perito syllaborum.
(821) Il dit prodiit ("s’est avancé") dans le monde, sans homme évidemment comme nous l’avons dit ; de fait un homme peut s’avancer dans le monde de quatre manières : sans homme ni femme, comme Adam, d’un homme sans femme comme Eve, d’un homme et d’une femme comme nous sommes tous nés, ou d’une femme sans homme comme seul le Christ s’est avancé. dicit autem prodiit in mundum sine uiro scilicet ut diximus. Nam quattuor modis homo potest prodire in mundum: aut sine uiro et femina ut adam: aut de uiro sine foemina ut Eua: aut de uiro et femina ut omnes generamur: aut de foemina sine uiro ut solus Christus prodiit.
(822) En effet, comme le dit le bienheureux André au proconsul Egéas : il était cohérent que le premier Adam s’avançât de la terre vierge, autrement dit intacte et non travaillée, et qu’ainsi le second Adam, à savoir le Christ, s’avançât d’une vierge immaculée et qui s’était tenue éloignée de toute étreinte d’homme, et que, de même que celle dont était formé le premier homme était baignée des fleuves du paradis, de même celle-ci seule fut baignée de la grâce céleste comme des fleuves du paradis. Vt enim beatus andreas Egeae proconsuli retulit: consentaneum erat ut primus Adam ex terra uirgine idest intacta et inexercita prodiit: ita Adam secundus hoc est Christus: ex uirgine illibata et ab omnis uiri complexibus abhorrente prodiret: utque illa unde protoplastus formatur paradisi fluminibus rigabatur: ita haec solum coelesti gratia tanquam paradisi amnibus rigata est.
(823) Eve commença à pécher et Adam mit le point final ; la mère de Dieu commença la réparation, le Christ l’accomplit et la mena à sa perfection ; voilà pourquoi il dit per quam prodiit ("par cette femme s’est avancé") le Christ dans le monde comme passant par une porte, lui qui fut le rédempteur et libérateur du genre humain. Eua peccatum inchoauit: uir absoluit. deipera reparationem incepit: Christus absoluit ac perfecit. ideo ait per quam prodiit in mundum quasi per portam Christus: qui redemptor et liberator humani generis extitit.
(824) Les Grecs appellent le Christ μεσίτης, là où les théologiens latins parlent de médiateur. "Nous n’avons", comme dit l’Apôtre, "qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, le Christ Jésus", comme un arbitre placé au milieu pour faire la paix, autrement dit réconcilier les hommes avec Dieu. C’est là l’arbitre que Job appelle de ses vœux : "si seulement" nous avions un arbitre. christus a graecis dicitur mesites: a latinis theologis mediator. Vnus enim1 Tm 2, 5 [17r] ut apostolus ait: mediator dei et hominum homo christus lesus:1 Tm 2, 5 quasi in medio arbiter ad componendam pacem idest reconciliandum homines deo. Hic est arbiter quem lob desiderat. Vtinam essetJb 16, 4 nobis arbiter.
(825) Le Maître des Sentences livre 3 distinction 19 dit : "nous sommes réconciliés avec Dieu grâce à la mort du Christ, ce qu’il ne faut pas comprendre comme si par le Christ Dieu avait commencé à nous aimer alors qu’il nous détestait, mais à cause du péché nous avions avec lui qui n’avait pour nous qu’amour une relation d’inimitié". Il est donc "le médiateur en ce qu’il est au milieu entre Dieu et les hommes et il réconcilie ces hommes avec Dieu en retirant de devant les yeux de Dieu les pauvres offenses des hommes", autrement dit en détruisant les péchés par lesquels Dieu était offensé et qui faisaient de nous ses adversaires. Magister in tertio senten. dist. xix. Reconciliati inquit sumus deo per mortem christi: quod non sic intelligendum est: quasi per christum nos deus coeperit amare quos oderat: sed propter peccatum cum eo habebamus inimicitias qui habebat erga nos charitatem. Est ergo mediator eo quod medius inter deum et homines: ipsos reconciliat deo: et offendicula hominum tollit ab oculis dei:PET. LOMB. sent., 3, 19, 6, 3 idest dum peccata delet quibus deus offendebatur: et nos inimici eius eramus:
(826) C’est la Trinité entière qui nous réconcilie par l’usage de sa puissance, évidemment en détruisant les péchés, mais le Fils seul le fait par l’accomplissement plénier de son obéissance, ce qui fait qu’il est le seul à être dit médiateur. Reconciliat nos tota trinitas uirtutis usu: scilicet dum peccata delet: Sed filius solus impletione obedientiae: unde et solus mediator dicitur.
(827) Il opère en effet une médiation entre les hommes et Dieu selon sa nature humaine et non selon sa divinité, car il n’est pas médiateur en Dieu et Dieu, car il n’y a qu’un seul Dieu ; de fait, en ce qu’il est Dieu, il n’est pas médiateur mais égal au Père ; mais selon l’humanité il a quelque chose de semblable à Dieu à cause de sa justice et de son innocence, et quelque chose de semblable à l’homme à cause de sa faiblesse mortelle qui le rapproche de nous, comme, par sa pureté immaculée, il est voisin de Dieu. Mediat enim inter homines et deum trinitatem secundum hominis naturam non secundum diuinitatem. non enim est mediator inter deum et deum: quia tantum unus est deus. nam in quantum deus non mediator sed aequalis patri est. at secundum humanitatem habet aliquid simile deo per innocentiam et iusticiam: et aliquid simile hominibus per infirmitatem mortalem: qua nobis propinquat: ut per immaculatam puritatem deo uicinus est.
(828) Or voilà bien ce qui convenait à un médiateur intercédant entre deux extrêmes : qu’il ne soit pas en tout semblable aux hommes car il aurait été loin de Dieu ou en tout semblable à Dieu car il aurait été loin des hommes, et ainsi n’aurait pas été médiateur. Hoc autem quasi inter duo extrema mediatori intercedenti congruebat: ne per omnia similis hominibus: longe esset a deo: aut per omnia deo similis: longe esset ab hominibus: et ita mediator non esset.
(829) C’est exactement le sentiment du divin Ambroise dans son Commentaire de l’épître aux Galates quand il dit : "cet arbitre, l’apôtre nous apprend qu’il faut le comprendre à cause de l’assomption de la chair, quand il dit à Timothée : ‘un arbitre entre Dieu et les hommes, un homme Jésus’". Idem sentit diuus Ambrosius in explanatione epistolae ad galatas ArbitrumAMBROSIAST. in Gal., 3, 20 inquit hunc per assumptionem carnis intelligi docet apostolus ad timotheum: Arbiter dei et hominum homo lesus:AMBROSIAST. in Gal., 3, 20 dicens.
(830) En un autre sens, le même divin Ambroise appelle le Christ médiateur et arbitre entre deux peuples qui s’opposaient et étaient adversaires, parce qu’il a enlevé à chacun des deux peuples ce qui faisait la source de leur discorde, de sorte qu’ils puissent être en paix : "il a enlevé aux païens la multiplicité de leurs dieux et le culte des éléments qui était pour les Hébreux une source de scandale ; aux Juifs il a enlevé les néoménie, la circoncision, le respect du Sabbat et les interdits alimentaires qui étaient une abomination pour les païens", et ainsi par le Christ médiateur les deux peuples qui auparavant étaient hostiles l’un à l’autre ont fait la paix. Aliter idem diuus Ambrosius christum uocat mediatorem et arbitrum inter duos populos dissidentes et inimicos: quod amputauit utrisque populis id per quod discordabant ut possent esse pacifici. Abstulit gentibus numerum deorum et famulatum elementorum quod scandalum erat hebreis. Iudaeis uero sustulit neomenias circuncisionem et curam sabbati et discretiones escarum quae abominabantur gentiles:AMBROSIAST. in Gal., 3, 20 et ita per christum mediatorem pacificati sunt duo populi qui prius fuerant infensi.
(831) Mais à quoi bon chercher davantage de justification au mot 'médiateur', puisque, dans les œuvres de Dieu ou ses noms, il n’est pas chose si petite que l’esprit humain n’y soit poussé à l’admirer tout en étant retenu et arrêté par l’immensité de sa recherche ? Sed quid ego plures rationes mediatoris inquiro? cum nulla sit in operibus dei aut nominibus eius tam parua res: in qua non mens humana in admirationem compellatur: ipsa indagationis suae immensitate repressa cohercitaque.
(832) En effet plus l’homme s’efforce de tendre les ailes de son examen loin du nid, plus il est renfermé dans la petite chambre de son ignorance ; en effet ces choses, dans les régions inférieures, ne sont pas perçues avec la clarté divine avec laquelle elles s’imposent dans les régions supérieures et y resplendissent. Quo enim extra nidum latius considerationis pennas extendere conatur: eo amplius intra illud ignorantiae suae habitaculum coarctatur. Non enim ea claritate diuina cernuntur in inferioribus: qua dominantur in superioribus et fulgent.
(833) Voilà pourquoi passons à la suite. ideo ad reliqua transeamus.