Préface à l'oeuvre d'Arator que les Grecs nomment prolégomènes dans lesquels on trouve quelques renseignements sur la vie et le poème lui-même.

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(102) Préface à l'oeuvre d'Arator que les Grecs nomment prolégomènes dans lesquels on trouve quelques renseignements sur la vie et le poème lui-même. Proloquia in opus Aratoris quæ græci uocant prolegomena: in quibus de uita et poemate ipso non nihil.
(103) Arator, sous-diacre cardinalice de la sainte Eglise romaine, a, le premier, embrassé dans le rythme poétique les Actes des Apôtres que nul n’avait abordés avant lui ni traduits en vers. Arator sanctæ romanæ ecclesiæ subdiaconus Cardinalis actus apostolorum nulli tactos antea: nec uersibus translatos primus poetico numero complexus est.
(104) Alors en effet que Prudence avait abordé les réalités sacrées en des mètres variés, et que Juvencus et Sédulius avaient pris pour sujet l’histoire de l’évangile, l’histoire apostolique que le bienheureux Luc avait racontée, n’ayant trouvé aucun auteur pour s’en occuper, était libre pour tous jusqu’au moment où, s’envolant d’abord de son sein, elle devint le bien d’Arator. cum enim prudentius res sacras uario metri genere attigisset: et Iuuencus ac sedulius historiam euangelicam occupassent: historia apostolica: quia beatus lucas Exposuerat: nullum nacta uindicem omnibus patebat: donec in ius cessit Aratoris ex eius sinu prius euolans.
(105) Et vraiment il a suivi non seulement l’histoire, mais encore les éléments symboliques cachés dans le sens historique de si savante manière, avec une telle variété, avec une telle finesse et abondance que je serais porté à penser que dans ce genre d’écrits il obtient le tout premier rang. Et profecto tam docte: tam uarie: tam acute et copiose non solum historiam: sed etiam in historico sensu latentia mysteria prosecutus est ut putem in hoc genere scribendi cum primum locum optinere.
(106) D’autres en effet ont traduit presque mot à mot les quatre évangiles, d’autres ont exposé les couronnes des martyrs, ou autres sujets de ce genre faciles à traiter avec tout l’éclat que l’on voudra. Transtulere alii pene ad uerbum quatuor Euangelia: alii uel coronas martyrum: uel alia id genus tractatu facilia quantumuis splendide exposuerunt.
(107) Seul cet auteur a illustré dans un poème les sens symboliques de la divine Ecriture. Mysticos sensus diuinæ scripturæ hic solus carmine illustrauit.
(108) Or bien que l’on dise qu’Arator a été poussé à écrire en vers les Actes des Apôtres, parce qu’il voyait que Juvencus et Sédulius avaient fait de même pour l’évangile, argument qu’Alde Manuce dit avoir vu dans un exemplaire d’Arator à Venise, cependant confiant dans son talent, il a osé ajouter à l’histoire sainte ce que Sédulius ne glisse que très rarement et que l’on ne trouve jamais chez Juvencus. Quamuis autem ad scribendos actus apostolorum idcirco uersibus arator dicatur: quod fecisse idem in euangelio iuuencum ac sedulium uidisset: quod Aldus Manucius affirmat se in Aratore quodam uenetiis uidisse: tamen suo ingenio fretus: id ausus est historiæ sacræ addere: quod perquam raro Sedulius interserit: numquam apud Iuuencum inuenitur.
(109) C’est la raison pour laquelle, selon moi, il est très semblable à Lucain à la fois par la pointe de son talent et la gloire unique et propre qui est la sienne dans son écriture. Quare mihi uidetur Lucano: et acumine ingenii et sua quadam et propria in scribendo laude: quia simillimus.
(110) Car en ce qu’il n’imite personne pour ce qui est d’expliquer les secrets des divines lettres, il a semblé imiter Lucain qui s’est acquis une gloire semblable en traitant d’un sujet différent. Hoc enim quod neminem explicandis diuinarum litterarum arcanis imitatur: lucanum uisus est imitari: qui in diuersa materia similem laudem adamauit.
(111) De fait, il n’a de rival que lui-même, et non quelque autre qui l’aurait précédé fort d’une gloire semblable. Nam secum certat: non cum aliquo alio qui cum præcesserit pollens simili laude.
(112) Arator était Romain, on peut le conjecturer plus que l’affirmer avec certitude. Romanum fuisse Aratorem magis suspicari quam certo affirmare licet.
(113) Ces vers semblent l’indiquer : "pars ego tum populi tela pauentis eram" (j’étais moi-même alors une part du peuple qui craignait les traits) etc., le 'peuple' désignant évidemment le peuple de Rome craignant les traits des barbares. Videntur illa carmina id significare: pars ego tum populi tela pauentis eramARATOR ad Vigil., 2 et cetera populi scilicet romani pauentis tela barbarorum.
(114) Arator connut en effet son heure de gloire l’an de notre Seigneur Jésus Christ 544. Floruit: enim Arator anno domini nostri Iesu christi DviL.
(115) A cette époque la ville de Rome était assiégée par les Goths mais bientôt, par la prudence de Vigile et l’heureux règne de Justinien, elle en fut libérée. quo tempore urbs roma a Gothis obsidebatur: quæ mox et uigilii Prudentia et Iustiniani felici imperio liberata est.
(116) Il se trouve que cette époque a possédé des hommes de très grande valeur dont nul ne peut facilement retracer la vie et la placer chronologiquement en raison de l’impéritie de ce temps et de son manque de culture. habuit autem ætas illa uiros præcellentis quorum uitam non facile enarrare quiuis: distincteue digerere propter sæculi illius uel imperitia uel rusticitatem possit.
(117) Car dès lors l’empire et la puissance romaine n’avaient pas moins commencé à décliner que le savoir et l’éclat des belles lettres. Iam enim non minus inclinare imperium: et potentia romana quam doctrina et splendor litterarum coeperat.
(118) Cela a pour conséquence que la plupart de ce qui, dans ce siècle, mériterait d’être connu est enveloppé et recouvert de la plus grande obscurité. Quo fit ut quam plurima illius sæculi scitu digna maxima inuoluat tegatque obscuritas.
(119) Nous lisons cependant chez Paul Diacre qui écrivit il y a environ six cents ans le témoignage suivant concernant Arator. Legimus tamen apud paulum diaconum: qui abhinc annos circiter sexcentos scripsit: tale de Aratore testimonium.
(120) "Et alors néanmoins, Arator, sous diacre de l’Église de Rome et poète admirable, mit en vers hexamètres les Actes des Apôtres". Tuncque nihilominus arator romanæ ecclesiæ subdiaconus poeta mirabilis apostolorum actus uersibus hexametris exarauit. PAUL. DIAC. hist. longob., 1, 35
(121) A cette époque (selon que l’atteste le même Paul, écrivain qui n’est en rien négligeable), Cassiodore à Rome s’illustra tant dans la science profane que dans la science sacrée ; au Mont Cassin, saint Benoît resplendit des merites d’une grande vie et des vertus apostoliques ; à Constantinople, Priscien de Césarée explora les profondeurs de l’art grammatical. Quo tempore (ut idem paulus scriptor haud contemnendus testatur) cassiodorus apud urbem romam tam sæculari quam diuina scientia claruit: apud castrum casini sanctus Benedictus magnae uitae meritis et apostolicis uirtutibus efulsit: apud constantinopolin uero priscianus caesariensis grammaticæ artis profunda rimatus est.
(122) Les vers d’Arator sont souvent cités par Bède le Vénérable, qui jouit d’une grande autorité parmi les théologiens et qui écrivit environ deux cents ans après Arator ; il voue pratiquement de la vénération à ce poème sacré, comme le montre cette citation du livre 2, "Qui canit ecclesiae tria dogmata, sæpius edit historicum, morale sonans typicumque uolumen" (celui qui chante les triples enseignements de l’Église publie assez souvent un livre qui fait entendre les sens historique, moral et symbolique) et ainsi il recourt fréquemment à lui. Versus Aratoris Beda uenerabilis magnae apud theologos authoritatis: et qui post Aratorem annis fere ducentis scripsit: plerumque allegat quasi uenerans hoc sacrum poema. sicut illud ex secundo Qui canit ecclesiae tria dogmata: sæpius edit historicum: morale sonans typicumque uolumen:ARATOR act., 2, 890 et ita frequenter ad hunc recurrit.
(123) On voit par là en quelle estime nos ancêtres l’ont tenu. Ex his constat quanti eum maiores nostri fecerint.
(124) Mais il y a aussi des auteurs modernes qui font de lui les plus grands éloges ; je me contenterai pour ma part (pour ne pas être trop long) du témoignage de Battista le Mantouan qui dit au livre cinq de l’Alphonsus : "romanusque pater Damasius cui clarus Arator it comes" (et le pontife romain Damase qu’accompagne l’illustre Arator) etc. at uero recentiores quoque authores illum summo opere laudant: sed ego unius Baptistae mantuani (ne longior sim) testimonio contentus ero: qui in quinto Alphonsi ait: romanusque pater Damasius cui clarus Arator it comes et cetera.
(125) Je ne passerai pas non plus sous silence cet élément qu’ajoute Alde : Arator lui-même a donné en présent ces deux livres au souverain pontife le septième jour avant les ides d’avril dans le presbytérium devant la confession du bienheureux Pierre en présence d’évêques, de prêtres, de diacres et de bien d’autres personnes. Illud non prætermittam: quod Aldus addit. ipsum Aratorem hos duos libros pontifici maximo muneri dedisse. viii. idus aprilis in præsbyterio ante confessionem Beati petri: cum et episcopi et presbyteri et diaconi et alii quam plurimi adessent.
(126) Après qu’ils eurent été partiellement lus, Surgentius le primicier des notaires les donna pour qu’ils soient placés dans les archives de l’église. Recitatos autem aliqua ex parte surgentius primicerius scholae notariorum dedit: ut in ecclesiae scrinio collocarentur.
(127) Mais les plus savants des assistants demandèrent de manière très pressante au pontife d’ordonner la lecture publique de ces livres : ce qui fut fait dans l’église Saint Pierre dite Aux Liens et tous s’y rendirent, tandis que le poète assurait lui-même la lecture. Sed doctissimus quisque summa instatia rogauit Pontificem quo eos libros iuberet publice recitari: quo facto In diui petri templum cognomento ad uincula: omnes conueniunt: atque ispo authore recitante:
(128) Et c’est avec la plus grande attention que l’on écouta en quatre séances les deux livres, les jours suivants : les ides d’avril, le 13e jour des calendes de mai, le 8e jour des ides du même mois et le 3e jour des calendes de juin. maxima attentione quater ambo libri auditi sunt. his scilicet diebus: Idibus aprilis.xiii. Kal maii.viii. Idus eiusdem: iii Kal. Iunias.
(129) Nous voyons que seul Arator a réussi ce qu’Horace dit dans l’Art poétique du poème parfait : "Iudicis argutum quam non formidat acumen : haec placuit semel : haec decies repetita placebit" (qui ne redoute pas la pointe acérée de celui qui le juge : cela a plu une fois, cela plaira si on le répète dix fois). Vnum uidemus Aratorem praestitisse id: quod in arte poetica de perfecto poemate dixit horatius: Iudicis argutum quam non formidat acumen: haec placuit semel: haec decies repetita placebit.HOR. ars, 364
(130) De fait si l’œuvre d’Arator avait déplu à la première lecture, elle n’aurait pas été entendue avec autant d’attention quatre fois, et quand une pièce que l’on a jouée deux fois, quelle qu’elle soit, est d’un si grand prix aux yeux des critiques, que dira-t-on de ce poème qui, à chaque fois qu’il a été lu, a été écouté avec le plus grand plaisir ? Nam si semel displicuisset opus Aratoris: non quater tanta attentione auditum fuisset: et cum fabula bis acta quæcun[4r]que fuit tanti fiat a Criticis: quid dicendum de eo poemate quod toties recitatum: toties iucundissime auditum fuit?
(131) Le titre de l’œuvre est "Histoire Apostolique", suivant ainsi le titre de celle que composa Juvencus qui est "Histoire Evangélique". Titulus Operis est Historia apostolica: sicut titulus eius operis quod Iuuencus composuit: est de historia Euangelica.
(132) De même en effet que celui-ci a voulu exposer en vers les actes, la doctrine et les miracles du Christ, de même Arator a raconté les actes des apôtres et leur prédication en y ajoutant une interprétation symbolique ; et de même que Juvencus a suivi l’histoire racontée par les quatre évangélistes, de même Arator suit en tout l’ordre et la construction du bienheureux Luc. Vt enim ille facta et doctrinam et miracula Christi uersibus exposuit: ita Arator actus apostolorum et prædicationem: addita tamen mystica intelligentia enarrauit: Vtque ille quattuor euangeliographorum historiam: ita Arator Beati lucae ordinem et contextum usquequaque sequitur.
(133) L’histoire est dite "apostolique" du mot ἀπόστολος autrement dit 'envoyé'. Dicitur apostolica ab apostolos id est missus.
(134) C’est en effet un mot grec, puisque les apôtres furent envoyés par Dieu pour prêcher l’évangile et annoncer à tous le salut, comme nous le dirons en son lieu et place. est enim graeca dictio. quoniam apostoli missi fuere a deo ut praedicarent Euangelium et salutem annunciarent uniuersis: ut suo loco dicemus.
(135) La qualification du poème est évidente. Qualitas carminis patet.
(136) De fait, si l’on excepte deux élégies, la totalité du poème est faite de vers héroïques. Nam exceptis duabus elegiis: totum poema metro heroico constat.
(137) Le régime du texte est mixte : le poète y parle et y représente d’autres personnages en train de parler. Actus autem mixtus est: ubi et poeta loquitur et alios inducit loquentes.
(138) Le but d’Arator est de célébrer les travaux des deux apôtres, principalement saint Pierre et Paul, par la voix desquels la foi catholique s’est répandue à travers le monde entier. Intentio Aratoris est celebrare labores duorum apostolorum præcipue sancti petri ac pauli: quorum uoce fides catholica per uniuersum orbem diuulgata est.
(139) En même temps, à travers leur exemple, il veut nous exhorter à la véritable piété et à la véritable religion, ce qu’il fait en n’ajoutant que des vérités aux paroles véritables de l’histoire sainte et à ses vraies maximes. Simul per horum exempla uult nos hortari ad ueram pietatem ac religionem: uero diuinæ historiæ eloquio uerisque sententiis uera tantum adiungens.
(140) En effet le poète, qui était le héraut et le prédicateur de la vérité, n’avait pas le droit en quelque endroit que ce soit d’abandonner la vérité. nec enim licebat poetæ ueritatis buccinatori prædicatorique ueritatem ulla in parte deserere.
(141) C’est ce qu’il dira lui-même bientôt : "Versibus ispe canam : quos lucas rettulit actus : historiamque sequens Carmina uera loquar" (je chanterai donc en vers les actes que Luc a rapportés et, au fil de l'histoire, je dairai des poèmes véridiques). Id ipse mox dicet Versibus ispe canam: quos lucas rettulit actus: historiamque sequens Carmina uera loquar.ARATOR ad Vigil., 19
(142) Le nombre des livres et leur ordre est évident. Numerus librorum et ordo manifestus est.
(143) Il n’y a en effet que deux livres qui suivent l’ordre qu’a observé le bienheureux Luc dans les Actes des Apôtres. Sunt enim duo libri tantum: qui eum ordinem sequuntur quem beatus lucas in actibus apostolorum seruauit.
(144) Pour le reste, nous le noterons en expliquant vers à vers. Reliqua in explanatione singulorum uersuum annotabimus.
(145) Ce que nous avons dit jusqu’ici et ce que nous allons dire, nous l’avons soumis pour correction non seulement au jugement très grand de celui qui siège sur le trône de Simon, fils de Jonas, et qui occupe sur terre sa fonction, mais encore à tous les membres de notre république des lettres, que ce soit des professeurs et des membres de premier rang, ou des inférieurs et des hommes de moins d’importance et dans des postes moins élevés : si par eux j’ai été averti, j’en rends grâce, et pour moi-même puisque j’aurai ainsi un peu progressé, et pour le public, car ainsi ils ne laissent pas tous les autres se tromper en même temps que moi. Quæ diximus et quæ dicturi sumus: non solum maximo iudici qui in summo Petri Barionæ sedet throno: quique eius uices in terris gerit qui ueritas est: corrigenda subiicimus: sed etiam quibuscumque eruditæ reip. uel classicis ac primi ordinis: uel proletariis et postremæ notæ imique subselii uiris: quibus si fuero admonitus: gratias agam et meo nomine cum aliquid profecero: et publico quod mecum cæteros non patiantur errare.
(146) En effet nous n’affirmons rien et ne nions rien qui ne soit en plein accord avec la foi orthodoxe des saints et la vérité publique des doctes. Nec enim quicquam aut affirmamus aut negamus nisi id consonet orthodoxæ fidei sanctorum et publicae ueritati doctorum et publicae ueritati doctorum.