Livre 1 section 1 (vv. 1-20)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(333) Désormais, mes très chers auditeurs, nous quittons les terres et, abandonnant les golfes sinueux du port où nous étions en sûreté, nous nous avançons en haute mer. Iam terras linquimus Auditores lucundissimi et tuti portus sinus flexuosos deserentes . In altum prouehimur:
(334) Désormais si vous tournez les yeux derrière vous et ne regardez plus vers le flot qui reste à parcourir, vous verrez décroître peu à peu les hauteurs et disparaître les sommets couverts de nuages et les montagnes devenues floues. iam si retro oculos flectiris nec in fluctus emetiendos spectatis altssima locorum paulatim decrescere: tectumque cacumen nubibus et dubios montes cernetis euanescere.
(335) C’est pourquoi il faut implorer le secours de l’aide et de la miséricorde divines, afin que le Père céleste et Jésus le sauveur emplissent du souffle de leur esprit les voiles de notre commentaire que nous déployons pour eux et que, poussant notre navire dans la droite route de la navigation que nous avons entreprise, il nous donne de traverser l’espace terrible et orageux de mer qui se trouve entre nous et le port et de jouir à la fin d’un mouillage désiré et hospitalier. Quare auxili et misericodiæ diuinæ munus implorandum est: ut ille coeIestis pater et salutifer lesus extensa sibi huius nostræ commentationis uela flatu spiritus sui impleant: et in rectum cursum initæ nauigationis propellentes ratem: nobis det mare: quod interiacet: atrox atque procellosum transmittere: atque optato appulsu hospitalique tandem frui.
(336) Mais, à la vérité, parce que, moi, je ne suis pas digne d’entrer dans le saint temple de Dieu avec mes pieds souillés, ni de lever hardiment les yeux, ni d’adresser une supplication de ma bouche profane à son immense majesté (car pour reprendre un hémistiche de Grégoire de Nazianze πάγκακός εἰμι τελώνης ["je suis le plus mauvais des publicains"]), parce que donc je me juge, en raison de mes innombrables péchés, absolument indigne de plaider ma cause, et d’être un porte-parole convenable de ma supplication, je vais recourir à votre promesse, vous mes auditeurs qui êtes initiés aux saints mystères, et je vais encourager ceux qui de leurs mains touchent le Seigneur de l’univers et le créateur du monde à ne pas cesser de me soutenir de leurs prières, comme ils ont commencé à le faire. At uero: quia ego sanctum dei templum immundis pedibus intrare dignus non sum: non licentes oculos tollere: non prophano ore maiestatem illam immensam deprecari: Nam ut Nazianzeni utar hemistichio pagcacos eimi telones:NAZ. vit., 1000 quia ergo me indignissimum ob innumera peccata iudico huius causæ actorem: nec satis idoneum nostræ deprecationis oratorem: utar nunc promisso uestro o auditores sacris initiati hortaborque eos qui manibus suis dominum uersant uniuersi: fabricatoremque mundi: ut me: sicut ceperunt: non desinant iuuare suis precibus.
(337) Ce sont en effet ceux qui jouissent de plus près que moi de la présence de Dieu qui sont de dignes porte-parole et ils réussiront aisément à plaider pour moi, parce qu’ils ouvrent, quand ils le veulent, les portes royales et à l’inverse, quand ils le veulent, les referment. illi enim qui propiore fruuntur deo sunt digni oratores: exoratoresque facile euadent quia fores regias cum uolunt aperiunt: rursusque cum uolunt claudunt.
(338) De fait, quel intermédiaire peut être plus cher à Dieu pour qu’il l’écoute avec bienveillance, ou quel ambassadeur plus pressant pour obtenir ce qu’il désire, que celui à qui le roi éternel et le seigneur du monde a donné les clés de son palais, à qui il a remis un tel gage de confiance qu’il aime tant en raison de sa vertu ? Quis autem proxeneta carior ita ut benigne audiatur: aut legatus uehementior ita ut impetret: esse potest: quam is cui rex æternus et dominus rerum claues atrii sui dedit: cui obsidem tantum credit: et quem ob uirtutem tantum amat?
(339) En tout cas, dans les divines Écritures, le prêtre lui-même est appelé "habitant de la maison de Dieu" et par les servantes du roi on n’a pas tort de comprendre les âmes des lévites, parce qu’ils servent dans l’intimité près des mystères du tabernacle comme si c’était près de la chambre royale et qu’ils y sont admis. Certe in diuinis scriptis sacerdos ipse nuncupatur inquilinus domus dei. et ancillæ regiæ non immerito intelliguntur leuitarum animæ quod ad secreta tabernaculi quasi ad interiora cubiculi familiarius seruiunt: et admittuntur.
(340) Puisqu’il en est ainsi, ils m’accorderont ce qu’ils m’ont promis, et moi, non pas avec mes propres forces (je sens bien qu’elles sont déclinantes voire inexistantes) mais appuyé sur l’aide divine, je vais désormais déployer mes voiles. Quod cum ita sit illi præstabunt quod promiserunt: et ego non uiribus meis quas uel caducas: uel potius nullas esse sentio: sed auxilio diuino fretus iam uela explicabo.
(341) Et cependant je n’oublierai pas ce que certains parmi vous m’ont suggéré : que mon explication soit totalement claire et la plus transparente possible. Nec uero obliuiscar id: quod ex uobis nonnulli monuistis: ut scilicet apertissima sit et oppido quam perspicua explanatio.
(342) Je me réglerai donc à la mesure des débutants et de fait je marcherai comme si je cheminais avec des tout-petits. sumittam me ad mensuram rudium et proinde ambulabo ac sicut paruulis iter facerem.
(343) Ainsi, bien que je puisse aller plus vite, je mesurerai mon pas et je n’irai pas plus loin que mes compagnons ne peuvent aller, sinon peut-être parfois quand je donnerai des conseils à de plus expérimentés. Nam quamuis possim ire uelocius gradum minuam: nec plus quam procedere comites mei possint: progrediar: nisi forte ubi interdum peritiores admonuero.
(344) De même en effet que l’aigle est porté tantôt par un vol tranquille tantôt dans un mouvement d’une extrême rapidité, et tantôt s’élève au-dessus des nuages là où on ne connaît ni les hivers ni l’inconstance du printemps nuageux, où il n’est plus place pour le tonnerre et la foudre, tantôt, délaissant les sommets du ciel, il descend vers les terres et vole plus bas pour saisir dans ses serres soit un lièvre à longues oreilles soit un daim craintif, de même moi (s’il est permis de comparer le très grand et le très petit, autrement dit moi qui ne suis rien et le roi des oiseaux) je m’efforcerai de vous satisfaire, vous en priorité, et de temps à autres les plus expérimentés. Vt enim aquila modo uolatu cunctabundo: modo impetu fertur uelocissimo: et modo supra nubium cacumen ascendit: quod ignorat hyemes et nubiferi ueris inconstantiam: ubi nec fulmini nec fulguri ullus locus est: modo relicto aeris fastigio in terras descendit atque humilis uolat ut unguibus feriat uel leporem auritum uel damam timidum: ita ego (si licet maximis paruissima componere: hoc est me: qui nihil sum: reginæ auium.) dabo opera: ut uobis præcipue: et nonnumquam peritioribus satisfaciam.
(345) Mais commençons plutôt par une introduction. Hinc uero potissimum exordiemur.
(346) Comme nous l’avons dit plus haut, Arator a promis d’embrasser dans son poème les Actes des Apôtres écrits par le bienheureux Luc. Mais l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres forment pour ainsi dire un seul et même ouvrage. Arator: ut supra diximus: promisit se carminibus comprehensurum Actus apostolorum: quos Beatus Lucas scripsit. At Euangelium Lucæ et actus apostolorum eiusdem: sunt pene unum opus.
(347) En effet là où s’arrête l’évangile dans lequel le divin Luc, commençant à Jean le précurseur, a exposé la conception du Christ, sa naissance, ses miracles, sa prédication, sa mort sa résurrection et pour finir son ascension, là commence le récit des Actes des Apôtres. Vbi enim desiit historia Euangelica: in qua diuus Lucas incipiens a præcursore Ioanne: Christi conceptionem: natiuitatem: opera miranda: prædicationem: mortem: resurrectionem ac postremo ascensionem exposuit: ibi incipit historia actuum apostolicorum.
(348) La fin de l’évangile est le passage dans lequel il est dit que Jésus est monté aux cieux et que les apôtres revinrent de Béthanie à Jérusalem. completio Euangelii est ille locus in quo Iesum cælos ascendisse: discipulos a bethania in hierusalem regressos testatur.
(349) Le début du récit des actes et le passage suivant (par lequel Arator commence comme le bienheureux Luc) : celui où il raconte que le Christ s’est montré vivant à ses disciples après sa résurrection en leur donnant de nombreuses preuves et qu’il est apparu aux apôtres eux-mêmes pendant quarante jours de façon fréquente, puis que les apôtres ont interrogé le Seigneur, alors qu’il allait monter aux cieux sur le royaume de Jérusalem, puis que des anges, une fois le Seigneur monté au ciel, se sont rendus présents à eux et tout le reste de la matière que suit le divin Luc. initium historiæ apostolicæ est hic locus: a quo Arator incipit sicut beatus lucas: in quo ait christum se discipulis præbuisse uiuum in multis argumentis post resurrectionem: atque ipsis apostolis per quadraginta dies crebro apparuisse: ipsosque apostolos dominum ascensurum interrogasse de regno hierusalem quibus angeli domino ascendente astiterunt: et cætera quæ diuus Lucas persequitur.
(350) Luc divise le récit des Actes des Apôtres en vingt-huit chapitres : jusqu’au chapitre 12, le bienheureux Luc raconte de quelle manière l’Esprit saint fut envoyé aux apôtres pour que, par la force qu’ils avaient reçue de lui grâce au don des langues et s’appuyant sur la confiance qu’il leur avait donnée, ils annoncent avec constance l’évangile. Diuidit autem historia actuum apostolorum in duo de triginta capita: usque ad .xii. caput: narrat beatus Lucas: quo pacto spiritus sanctus missus fuerit ad apostolos: ut illius uirtute recepta per donum linguarum eloquenter: et per fiduciam constanter Euangelium denunciarent.
(351) Or, bien que, dans ces douze chapitres, on trouve quelques autres récits comme la reconstitution du nombre des Douze, la lapidation d’Étienne, la conversion de Paul et quelques autres épisodes, on voit surtout dans ces douze chapitres la prédication de Pierre par laquelle il fit connaître l’évangile d’abord parmi les juifs puis ensuite aussi parmi les païens. quamuis autem nonnulla alia: ut reintegratio numeri duodenarii: et lapidatio stephani: et pauli conuersio et quaedam alia in his .xii. capitulis narrentur: præcipue tamen in his .xii. prædicatio petri declaratur: qua Euangelium primum inter ludæos: deinde etiam inter gentiles diuulgauit.
(352) Le contenu de ces douze chapitres constitue la matière du livre 1 d’Arator. contenta in his .xii. capitulis comprehendit primus li. Aratoris.
(353) Du chapitre 12 jusqu’à la fin du récit des Actes il ne s’agit que de Paul qui claironne l’évangile par toute la terre. a .xiii. capite usque ad finem historiæ apostolicæ de paulo solum agitur bucinante euangelium per orbem terrarum.
(354) Le récit ne va pas jusqu’au martyre de Paul, mais seulement jusqu’à son arrivée à Rome. non usque ad pauli martyrium: sed usque ad ipsius in urbem aduentum extenditur historia.
(355) Ces récits concernant Paul font la matière du second et dernier livre d’Arator. Hec uero de paulo narrata continent secundus et ultimus Aratoris liber.
(356) C’est donc à bon droit que les Actes des Apôtres du bienheureux Luc sont rattachés à son évangile ; ainsi, en effet, l’un est lié à l’autre de sorte que les deux textes constituent un seul corpus. Merito igitur beati lucæ actus. apostolorum iunguntur historiæ Euangelicæ: lta enim unum alteri connectitur. ut unum corpus duo sermones conficiant.
(357) Pour commencer (dit le bienheureux Luc) "j’ai raconté" évidemment dans le récit évangélique "tout ce que Jésus a entrepris de faire et d’enseigner" ; dans ce récit, on montre la loi qui est donnée par l’intermédiaire du Christ. Pri[8r]mumac 1, 1 (inquit beatus lucas) sermonem feciac 1, 1 scilicet euangelicæ historiæ: de omnibus quæ cæpit Iesus facere et docere:ac 1, 1 In hoc sermone lex per christum data ostenditur.
(358) Mais dans le second récit de Luc, autrement dit les Actes des Apôtres, on montre la même loi évangélique se répandant par toute la terre sous la conduite de l’Esprit saint et par le ministère des apôtres et d’autres disciples. At in secundo sermone lucæ id est in actibus apostolorum: ostenditur eadem lex Euangelica diuulgata per orbem terrarum regimine spiritus sancti et ministerio apostolorum aliorumque discipulorum.
(359) Comme, en effet, le Seigneur avait prescrit à ses disciples : "allez dans le monde entier et annoncez l’évangile à toute créature", ils attendirent la venue de l’Esprit saint comme le Christ le leur avait promis et enjoint. Cum enim præcepisset dominus discipulis Euntes in mundum uniuersum praedicate Euangelium omni creaturæ:Mc 16, 15 expectauerunt spiritus sancti aduentum: ut promiserat eis christus: et edixerat.
(360) Et quand il pénétra dans le cœur des apôtres le jour de la Pentecôte, eux, qui auparavant fermaient leurs portes, chassèrent leur peur et sortirent devant tout le monde, et eux qui étaient muets et dépourvus d’éloquence, en pêcheurs qu’ils étaient, ignorants de toute science, quand ils eurent bu aux fleuves de l’Esprit saint, ils furent remplis d’une telle abondance de savoir et d’éloquence que c’est à bon droit que le prophète les compare à des nuées. Eo autem intrante corda apostolorum in die pentecostes: qui ante fores claudebant: pulso metu in publicum prodibant: et qui muti erant elinguesque utpote piscatores omnis doctrinae ignari: posteaquam fluuios spiritus sancti ebiberunt: tanta ubertate scientiæ et eloquentiæ redundabant: ut merito a propheta nubibus comparentur.
(361) "Qui sont", dit-il, "ceux qui volent comme des nuées ?". Qui sunt inquit: hi qui ut nubes uolant?Es 60, 8
(362) Ce sont en effet les apôtres qui, comme des nuées emplies d’eaux salutaires, déversèrent sur toute la terre la pluie de la doctrine évangélique. Apostoli enim ueluti nubes aquis salutaribus plenae imbres doctrinæ euangelicæ in omnes terras fuderunt.
(363) Parmi ces nuées, l’apôtre Paul qui ne faisait pas partie des Douze, tel une nuée immense, n’abreuva pas une seule partie du monde de ses pluies mais toutes les régions des peuples, et les fit trembler de son tonnerre et les éclaira de ses éclairs. inter illas autem paulus apostolus extra numerum .xii. quasi nubes amplissima non unam orbis partem sed uniuersas gentium plagas pluuiis rigauit: fulminibus terruit: fulguribus illustrauit.
(364) De ce fait, il est probable que c’est sous l’impulsion de l’Esprit saint que le bienheureux Luc a adjoint ce deuxième récit des Actes des Apôtres au premier récit de l’évangile, afin que l’autorité de Paul, qui a été ajouté aux Douze en surnuméraire, soit affermie dans un livre canonique et, de même, pour que ses lettres soient considérées au nombre des écrits canoniques, en ayant le témoignage de l’écriture canonique qui raconte sa conversion, sa prédication, ses miracles et ses vertus uniques avec force détails. Vnde probabile est ab spiritu sancto impulsum beatum lucam hunc secundum historiae apostolicæ sermonem priori sermoni historiæ Euangelicæ addidisse: quo pauli quoque extra numerum .xii. assumpti authoritas libro canonico firmata teneretur. Simul ut eius epistolae inter canonicas scripturas haberentur. canonicæ scripturæ testimonium habentes: quæ conuersionem eius et predicationem et miracula et singulares uirtutes plenissime exequitur.
(365) Il peut bien aussi se faire que ce soit là la cause qui fit écrire les Actes au bienheureux Luc, ou du moins toutes ces causes ont pu jouer : la diminution du nombre des apôtres a été racontée par le témoignage de la sainte Écriture et il fallait raconter dans un livre canonique le moment où ce nombre est de nouveau complété. Potest esse etiam illa causa cur lucas actus scripserit: uel certe omnes esse possunt. quod apostolici numeri imminutio sanctæ scripturæ testimonio narrata est: ipsius etiam impletio canonico libro enarranda fuit.
(366) Cela est sans doute aussi la raison pour que la parfaite venue de l’Esprit parfait, accomplie lorsque le nombre des apôtres fut redevenu parfait, soit énoncé dans un récit du saint canon ; il a été utile et indispensable que ce second récit des Actes soit ajouté par le bienheureux Luc à son premier récit, l’évangile. Illa etiam causa praæcipua est ut perfectus perfecti spiritus aduentus: perfecto apostolorum numero completus sancti canonis enunciaretur historia: utile et necessarium fuit hunc alterum sermonem actuum apostolorum a beato luca addi illi priori historiæ Euangelicæ.
(367) Mais, parce que d’autres mirent en vers le récit évangélique, le récit apostolique, qui n’avait eu personne pour le défendre, a trouvé ce poète remarquable dont le génie l’illustrerait de ses vers magnifiques. sed quia historiam Euangelicam alii carminibus complexi fuerant: historia apostolica nullum habens assertorem: hunc poetam egregium nacta est: cuius ingenio et pulcherrimis uersibus illustraretur.
(368) Et donc Arator, sous l’action de l’Esprit divin, s’est emparé de ce travail : embrasser dans un poème le récit apostolique. Arator ergo diuini spiritus moderamine ad hanc prouinciam accitus ut scilicet carmine historiam apostolicam comprehenderet.
(369) Dans ce premier chapitre, il rattache le premier récit du bienheureux Luc au second récit du même Luc, à savoir le récit de l’évangile au récit des Actes des Apôtres. in hoc primo capite Continuat primum sermonem beati lucæ: secundo eiusdem lucæ sermoni: hoc est historiam Euangelicam historiae actuum apostolorum.
(370) De fait, il dit qu’après que la Judée se fut souillée du sang de son parricide en s’attachant à faire crucifier son roi, après que le Christ fut mort en croix et eut été enseveli et après que, ressuscitant des morts le troisième jour, il eut ressuscité de nombreux corps de saints, il apparut souvent à ses disciples. Nam ait posteaquam gens iudaica se maculauit cruore sui parricidii cum regem suum crucifigendum curauit: et christus in cruce mortuus est: et sepultus: et a mortuis tertia die resurgens multa corpora sanctorum suscitauit: apparuit discipulis sæpenumero.
(371) Cela, c’est la fin de l’évangile ; ensuite il rattache, dans le chapitre 2, ce récit évangélique à l’histoire apostolique quand il dit : le Seigneur pendant quarante jours est apparu à ses disciples et les a beaucoup enseignés jusqu’à son Ascension. hic est finis Euangelii: deinde continuat in secundo capitulo: hanc historiam Euangelicam historie apostolicæ cum dicit: dominum per quadraginta dies apparuisse discipulis et multa eos docuisse usque ad assumptionem ipsius.
(372) Arator fait donc ce que font ceux qui veulent relier deux fils séparés. facit ergo Arator id quod faciunt qui uolunt duo fila separata connectere.
(373) Cela ne peut se faire sans joindre une partie du premier à une partie du second, et, en unissant la fin du premier fil au début du second, nous n’en faisons plus qu’un et nous rattachons ces deux fils en un seul en les liant bout à bout. Nam id feri non potest nisi partem unius coniungamus parti alterius: et coniungendo finem unius lini principio alterius ita unum reddimus: et illa duo continuamus in unum ligando finem ad caput:
(374) (VT SCELERIS) voici le sens : après que la nation juive compleuit opus ("eut mis un comble à son œuvre"), celle de la passion du Seigneur, et que le Christ creator rerum ("le Créateur du monde") fut mort pour la partie qui constituait sa nature humaine et que, pour le genre humain, il eut versé son sang sur la croix, une grande lumière descendant avec le Christ aux enfers dissipa les ténèbres du tartare ; et voici l’ordre : ut autrement dit "après que" la Judée, souillée par le sang de son crime, ausa nefas ("sacrilège audace") autrement dit comme elle avait osé un parricide sacrilège, compleuit opus ("eut mis un comble à son œuvre") autrement dit la porta à son achèvement par son action, et quand creator rerum ("le Créateur du monde"), le Christ évidemment, dedit ("eut donné") évidemment son propre corps dans sa passion, et par corps je veux dire ce que sumpsit a membris ("emprunta aux membres") autrement dit au sein et au sang le plus pur humanis, autrement dit de l’homme, ce qui veut dire de la Vierge, sine semine ("sans semence") d’homme mais par l’action de l’Esprit saint, dignatus ("après avoir daigné") évidemment mourir en croix, ut tangeret ima inferni ("toucher l’abîme de l’enfer") en libérant les saints patriarches, non linquens ardua celi ("sans quitter les sommets du ciel"), évidemment le Christ, bien qu’il descendît aux enfers, dies ingressa ("le jour entra"), autrement dit cette lumière indicible, ingressa ad manes ("entra chez les Mânes"), autrement dit aux enfers, et soluit ("libéra"), autrement dit fit disparaître tenebras damnatas nocte æterna ("de la nuit éternelle les ténèbres maudites"), autrement dit qui dans les enfers est éternelle. (VT SCELERIS) sensus est: posteaquam iudaica gens compleuit opus passionis dominicæ. et christus creator rerum ea parte qua habebat naturam humanam mortuus est: et pro genere humano suum sanguinem fudit in cruce: lux magna cum christo descendens ad inferos remouit tenebras tartareas et est ordo ut id est postquam iudæa polluta cruore sui sceleris: ausa nefas id est cum ausa fuisset nefarium parricidium: compleuit opus id est consumauit opere: et ut creator rerum scilicet christus: dedit scilicet corpus suum passioni: hoc dico corpus: quod sumpsit a membris id est ex utero et ex purissimis sanguinibus: humanis id est hominis hoc est uirginis. sine semine uiri: spiritu sancto operante: dignatus scilicet mori in cruce: ut tangeret ima inferni liberans sanctos patres: non linquens ardua celi scilicet christus quamuis ad inferos descenderet: dies ingressa id est Iux illa inefabilis: ingressa ad manes id est ad inferos: soluit idest remouit tenebras damnatas nocte æterna id est. quæ æterna est apud inferos.
(375) (Vt autrement dit) "après que", ainsi Lucain au début du livre 3 Propulit ut classem uelis cedentibus auster ("quand l’Auster eut poussé les voiles de la flotte"). (Vt idest) postquam. ita lucanus in principio tertii Propulit ut classem uelis cedentibus auster.LVCAN. 3, 1
(376) Avec cette conjonction, Arator relie à juste titre le récit évangélique au récit apostolique comme Lucain, qu’il aime imiter, relia au deuxième livre de la Pharsale le troisième. recte hac particula continuat historiam euangelicam historiæ apostolicæ Arator: ut lucanus cuius gaudet imitatione: eadem continuauit secundum pharsaliæ tertio libro.
(377) (Iudæa polluta cruore) sui sceleris ("de son crime") est dit parce que Pilate cherchait à relâcher Jésus ; voyant que rien n’y ferait mais que cela ne ferait qu’augmenter le tumulte, il prit de l’eau et se lava les mains devant le peuple en disant : "je suis innocent du sang de ce juste, à vous de voir !"; alors le peuple tout entier répondit : "son sang sur nous et sur nos fils" et par ces mots il se souilla et se tacha du cruore sui sceleris ("sang de son crime"). (Iudæa polluta cruore) sui sceleris dicitur ideo quia: quærente pilato dimittere lesum: uidens quia nihil proficeret: sed magis tumultus fieret: accepta aqua lauit manus coram populo dicens: Innocens ego sum a sanguine huius Iusti: uos uideritis: Et respondens uniuersus populus: sanguis eius super nos et super filios nostros.Mt 27, 24-25 his uerbis se polluit et maculauit cruore sui sceleris.
(378) D’où vient que Jérôme dans la lettre à Dardanus dit : "ô Judée comment se fait-il que Dieu qui jadis fut si clément envers toi, qui jamais ne t’a oubliée n’est plus conduit par tes malheurs à te délivrer de ta captivité, mais pour mieux dire, à t’envoyer l’antéchrist que tu attendais ? Souviens-toi des paroles de tes pères : ‘son sang sur nous et sur nos fils’". Vnde hieronymus ad Dardanum o Iudæe quomodo clementissimus quondam deus: qui numquam tui oblitus est: nunc per tanta spacia temporum miseriis tuis non adducitur ut soluat captiuitatem: sed ut uerius dicam expectatum tibi mittat antichristum? memento uocis parentum tuorum: sanguis eius su per nos et super filios nostros.HIER. epist., 129, 7
(379) (Dedit) évidemment son propre corps dans la passion qu’il a choisie, parce que, comme dit le prophète : "il a été offert parce que lui-même l’a voulu". (Dedit) hoc corpus suum scilicet passioni sponte. quia ut propheta ait oblatus est quia ipse uoluit:Es 53, 7
(380) (pro stirpe humana) autrement dit pour le genre humain. (pro stirpe humana) id est in pro genere humano.
(381) (Membris humanis) autrement dit d’un humain, évidemment la Vierge. En effet, le ventre est un membre et une partie du corps féminin. (Membris humanis) id est hominis scilicet uirginis. est enim uterus mulieris membrum et pars.
(382) (Sine semine) parce que la Vierge Marie n’a pas conçu le Christ de manière humaine, mais bien divine, et non selon la puissance d’une semence masculine, mais selon la puissance de l’Esprit saint, comme le lui a dit l’ange : évidemment "l’Esprit saint viendra sur toi". (Sine semine) quia non concepit uirgo maria christum humano modo sed diuino: nec uirtute seminis uirilis sed uirtute spiritus sancti: Sicut ei dixit angelus: spiritus scilicet superueniet in te.Lc 1, 35
(383) En effet, l’Esprit saint, venant sur la Vierge, sanctifia son esprit comme son ventre pour qu’elle fût digne d’un enfantement céleste. spiritus enim sanctus superueniens in uirginem: mentem pariter et uterum eius sanctificauit ut coelesti esset digna partui.
(384) C’est aussi ce même Esprit évidemment qui forma par son action, de la chair de la Vierge et de ses membres et de son sang très pur, le corps du Rédempteur dans son ventre. Idem quoque spiritus scilicet e carne uirginis et membris ac purisimis sanguinibus corpus redem[8v]ptoris in utero eius sua operatione formauit.
(385) C’est non pas en effet en déchirant la barrière de sa virginité, ni par l’intermédiaire de la semence d’un homme que la Vierge Marie conçut, mais par la puissance de l’Esprit saint. Non enim per apertionem claustri uirginei: nec per uiri semen sed per spiritus sancti uirtutem maria uirgo concepit.
(386) C’est la raison pour laquelle les Grecs nomment le Christ rédempteur ἀπάτωρ ("sans père") et ἀμήτωρ ("sans mère") puisque, selon le type et l’ordre de Melchisédec, Jésus le libérateur de même qu’il ne connut pas la maternité dans son engendrement divin, de même ignora la paternité dans sa conception humaine, né du seul Père avant les siècles, issu de la seule Vierge dans ce siècle. unde a graecis christus redemptor apator et ametor nuncupatur: quoniam secundum typum melchisedech et ordinem: Iesus liberator ut matrem in illa diuina generatione nesciuit: ita patrem in humana conceptione ignorauit: ex patre solo natus ante sæcula: Ex uirgine sola ortus in hoc sæculo.
(387) Arator dit : ce qu’il a reçu de la Vierge, sa mère, a souffert la passion et a été donné pro stirpe humana ("au bénéfice de l’humanité"), parce que sa divinité est impassible ; de là vient que c’est en parlant de son humanité que le Christ dit : "mon âme est pleine de maux" et ma vie a approché de l’enfer. dicit autem Arator: hoc quod accepit a uirgine matre passum fuisse et datum pro stirpe humana. quia diuinitas est impatibilis. unde de humanitate sua christus loquens: quia inquit repleta est malis anima mea et uita mea in inferno appropinquauit.Ps 87, 4
(388) "Mon âme" (en suivant l’interprétation d’Ambroise) signifie l’humanité du Christ et non sa divinité. Anima mea (interprete ambrosio) id est christi humanitas non diuinitas ipsius.
(389) C’est pourquoi nous croyons fermement que le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, a pris un corps mortel de la Vierge, de telle sorte qu’en mourant il ne vînt pas corrompre son immortalité, qu’en naissant dans le temps il ne changeât rien à son immortalité, qu’en se livrant et en se soumettant à ses adversaires il ne diminuât en rien sa puissance, qu’en prêchant à Jérusalem il n’abandonnât nullement son gouvernement du monde, qu’il ne quittât pas le sein du père, autrement dit le lieu secret où il est avec lui et en lui, aussi longtemps qu’il fut dans le sein de la Vierge et dans cette vie mortelle. Quare firmiter credimus uerbum dei: per quod omnia facta sunt: sic assumpsisse mortale corpus ex uirgine: ut inmortalitatem suam moriendo non corruperit: ut æternitatem suam temporarie nascendo non mutauerit: ut potestatem suam suis inimicis se offerendo et subdendo non minuerit: ut administrationem mundi in hierusalem prædicando non deseruerit: ut a sinu patris id est a secreto. quo cum illo et in illo est. quandiu in utero uirginis et in hac uita mortali fuit: non recesserit.
(390) Voilà pourquoi Arator ajoute (dignatus) ut ima tangeret inferni non liquens ardua ("toucher l’abîme de l’enfer sans quitter les sommets"), car, bien que le Christ fût descendu aux enfers pour libérer les patriarches, il ne délaissait pas le ciel. ideo subiungit Arator (dignatus) ut ima tangeret inferni non liquens ardua. quamuis enim christus ad inferos descendebat ad liberandum patres: coelum non linquebat.
(391) Le Christ en effet qui est Dieu sait qu’il est tout entier en tout lieu et ne peut être contenu par nul lieu. Il sait qu’il vient en ne quittant pas le lieu où il était, il sait qu’il part en n’abandonnant pas le lieu où il était venu. Christus enim qui deus est nouit ubique totus esse: et nullo contineri loco. nouit uenire non recedendo ubi erat. nouit abire non deserendo quo uenerat.
(392) Il faut alors dans les réalités qui dépassent l’entendement humain éloigner notre esprit du sensible et écarter notre pensée de l’habitude afin de percevoir de quelque manière des réalités qui sont extrêmement éloignées des sens. oportet autem in his quæ humani ingenii captum transcendunt: seuocare mentem a sensibus: et cogitationem a consuetudine abducere: ut ea quae a sensibus longissime absunt aliquo modo percipias.
(393) Nous concédons en effet, comme dit le Maître au livre 3 des Sentences que "le Christ était en même temps tout entier dans l’enfer et tout entier dans le ciel, tout entier partout. Il était dans les enfers, résurrection pour les morts, il était dans les cieux, vie pour les vivants ; en lui le fait de prendre la condition mortelle fit qu’il prit la mort sans que sa divinité ne perdît la vie. Le Fils de Dieu donc n’endura pas la mort en son âme, ne l’éprouva pas dans sa condition glorieuse, mais cependant, par la participation à notre faiblesse, le roi de gloire fut crucifié". Concedimus enim ut ait magister in .iii sententiarum quia christus totus eodem tempore erat in inferno: totus in celo: totus ubique. Erat apud inferos resurrectio mortuorum: Erat super celos uita uiuentium. Vere mortuus. uere uiuus: in quo mortem susceptio mortalitatis excepit. et uitam diuinitas non perdidit. Mortem ergo dei filius et in anima non pertulit: et in maiestate non sensit: sed tamen participatione infirmitatis rex gloriæ crucifixus est.THOM. AQUIN. in sent. 3, 6, 2, 3
(394) Or, bien que durant trois jours son corps eût été dans le tombeau et son âme fût descendue aux enfers et qu'ainsi la mort pour un temps séparât son corps et son âme, ni l’une ni l’autre cependant ne fut séparée du Verbe de Dieu, comme le démontre le Maître au livre 3 des Sentences. Quamuis autem in illo triduo corpus fuit in sepulchro et anima ad inferos descendit. atque ita mors ad tempus carnem et animam separauit: neutrum tamen a uerbo dei diuisum est: ut probat magister in tertio. sen.
(395) En effet c’est en préservant l’union de l’un et de l’autre avec la divinité que s’est opérée la séparation de l’âme et du corps. Salua enim unione utriusque cum diuinitate: separatio animæ a corpore facta est.
(396) Ainsi est anathème (comme le dit Bonaventure dans le Centiloquium) qui dit que le fils de Dieu a abandonné une nature une fois qu’il l’eut prise. Anathemaps. BONAV. centil. (inquit Bonauentura in centiloquio) est qui dicit filium dei naturam quam semel assumpsit: reliquisse.ps. BONAV. centil.
(397) (Dignatus) donc évidemment désigne le Christ et souffrir, autrement dit ne le jugeant pas indigne de sa dignité, qui "alors qu’il était dans la condition de Dieu", comme dit l’apôtre, "s’est anéanti lui-même en prenant la condition d’esclave, devenant obéissant jusqu’à la mort". (Dignatus) ergo scilicet christus pati id est sua dignitate non iudicans indignum: qui cum in forma dei essetPh 2, 6-7 ut ait apostolus: exinaniuit semetipsum formam serui accipiens. factus obediens usque ad mortem.Ph 2, 6-7
(398) De là ce que dit le Maître au livre 3 : "mais si on cherche à savoir si Dieu aurait pu libérer l’homme par un autre moyen que par la mort, nous répondons qu’un autre moyen aurait été possible pour Dieu, au pouvoir de qui tout est soumis, mais qu’il n’y avait et qu’il ne pouvait exister aucun autre moyen qui convînt mieux à guérir notre misère. En effet qu’est-ce qui seul relève notre esprit, le libère du désespoir de ne pas être immortel, sinon le fait que nous avons eu tant de prix au yeux de Dieu que le Fils de Dieu, demeurant immuablement bon dans ce qu’il était en lui-même et recevant de nous ce qu’il n’était pas, ayant daigner s’associer à nous, portât nos maux en mourant ?". Vnde magister in .iii. si uero quaeritur utrum alio modo hominem liberare posset deus quam per mortem: dicimus et alium modum fuisse possibilem deo: cuius potestati cuncta subiacent: sed nostrae miseriæ sanandæ conuenientiorem modum alium non fuisse: nec esse oportuisse. quid enim mentes nostras tantum erigit: et ab immortalitatis desperatione liberat: quam quod tanti nos fecit deus: ut dei filius immutabiliter bonus in se manens quod erat: et a nobis accipiens quod non erat: dignatus nostrum inire consortium mala nostra moriendo perferret? PET. LOMB. sent., 3, 20, 1
(399) Et bien que le Christ eût pu vaincre le diable par sa puissance en toute justice, il mit cependant de côté ce qu’il pouvait pour faire d’abord ce qu’il fallait, évidemment pour que la victoire de sa justice et de son humilité soit plus grande que celle de sa puissance. Et quamuis diabolum potentia æquissime uincere potuit christus: postposuit tamen quod potuit ut prius ageret quod oportuit: ut scilicet maior esset iusticiæ et humilitatis uictoria quam potentiae.
(400) dignatus ("après avoir daigné") donc évidemment souffrir ou donner pro stirpe humana hoc ("au bénéfice de la race humaine ce") corps quod sumpsit sine semine ut tangeret ima inferni ("qu’il emprunta sans semence pour toucher l’abîme de l’enfer"), autrement dit pour parvenir au plus bas et au plus profond de l’enfer, lui le Christ, creator rerum ("Créateur du monde"), et en libérer tous les saints. dignatus ergo scilicet pati uel dare pro stirpe humana hoc corpus quod sumpsit sine semine ut tangeret ima inferni id est ut perueniret ad imas et infimas partes inferni creator rerum christus. et liberaret inde sanctos omnes.
(401) Il obtint en effet en souffrant la mort et la passion pour tous les fidèles et les saints un accès au paradis et la rédemption du péché, du châtiment, et la libération du diable et de l’enfer. Meruit enim per mortis ac passionis tolerantiam cunctis fidelibus et sanctis aditum paradisi et redemptionem a peccato: a poena a diabolo: ab infernoque liberationem.
(402) Mais puisque, selon certains théologiens commentant le livre 4 des Sentences, il existe quatre lieux dans les profondeurs de la terre, un qui avant la venue du Christ était dit 'sein d’Abraham' vers lequel descendaient les saints patriarches et que l’on appelle aussi 'limbes' ; un deuxième plus bas que l’on nomme 'purgatoire' ; un troisième que l’on nomme 'limbes' et dans lequel descendent les enfants qui décèdent en ne portant le poids que du seul péché originel et un quatrième, le plus bas, dans lequel sont les damnés et qui s’appelle proprement 'enfer', nous devons comprendre que le Christ a atteint et a touché de sa présence le premier lieu dans lequel étaient les saints patriarches ; et le Christ descendit là non en vertu de sa divinité, selon laquelle il est partout, non en vertu de son corps selon lequel il était au tombeau, et il reste donc en vertu de son âme qui descendit là unie au Verbe de Dieu. Cum autem secundum nonnullos theologos super. iiii. Sententiarum in infimis terræ sint quattuor loca: unus qui ante aduentum christi dicebatur sinus abrahæ ad quem sancti patres descendebant qui etiam limbus nuncupatur: alter inferior qui dicitur purgatorium: tertius qui limbus dicitur in quem infantes descendunt cum solo peccato originali decedentes: quartus infimus in quo sunt damnati: qui proprie infernus apellatur: intelligere debemus christum peruenisse et tetigisse sua præsentia locum illum primum in quo erant sancti patres: et descendit christus illuc non ratione diuinitatis: secundum quam est ubique. nec ratione corporis: secundum quod fuit in sepulchro: restat ergo ratione animæ quae unita uerbo dei illuc descendit.
(403) D’où vient ce que dit le Maître dans le livre 3 des Sentences : "nous confessons cependant que le Christ a été suspendu à la croix et s’est couché dans le tombeau, mais dans sa seule chair, et qu’il a été dans l’enfer, mais dans sa seule âme". unde magister in tertio: Confitemur tamen christum pependisse in ligno et iacuisse in sepulchro sed in carne sola. et fuisse in inferno sed in anima sola.
(404) Si je ne semblais pas quitter mon projet par une digression, en tirant matière à montrer mon érudition et mon intelligence, j’expliquerai à fond, selon mes faibles forces, cette sentence de Durand, le plus subtil des théologiens, qui affirme que le Christ a été dans l’enfer sous le mode de l’effet et non sous celui de la présence. Ni uiderer opus destinatum deserere excursu aliquo materiam captans ostentandæ eruditionis et ingenii: excussissem profecto pro uiriculis illam durandi subtilissimi theologi sententiam: quam ille autumat christum effectualiter tantum non praesentialiter fuisse in inferno.
(405) Mais parce que de telles affirmations sont excessivement risquées et suspectes, croyons fermement ce que l’on dit dans le symbole au sujet du Christ : "il est descendu aux enfers" et ce que dit Paul dans la Lettre aux Ephésiens : "il est monté qu’est-ce à dire sinon qu’il est descendu dans les parties inférieures de la terre" où la glose commente "autrement dit les enfers". Quia uero talia sunt nimis scrupulosa et suspecta: credamus firmiter: id quod in symbolo dicitur de christo: descendit ad inferos:SYMB. apost. et id quod apostolus ad ephesios scribens quod autem inquit ascendit quid est nisi quia descendit ad inferiores partes terræ Ep 4, 9 ubi glo. id est ad inferos.GLOSS. ORD. in Eph., 4, 9
(406) Croyons, dis-je, sans en bouger ce que dit le divin Thomas et affirment la plupart des autres théologiens, que le Christ fut réellement et sous le mode de la présence dans l’enfer puisque les fines pointes de la raison humaine restent immensément en dessous de la puissance divine et inférieures à elle. Credamus inquam immobiliter quod diuus thomas et plaerique omnes theologi affirmant christum scilicet ueraciter et præsentialiter fuisse in inferno: cum acumina rationis humanæ infra apices uirtutis diuinæ immensum subsistant: et subiaceant.
(407) Disons donc avec Ambroise : "laisse de côté l’argument quand c’est la foi que l’on demande ; que dans ses gymnases la dialectique se taise ; la foi a été confiée à des pêcheurs pas à des dialecticiens". Dicamus ego cum ambrosio aufer argumenta ubi fides quaeritur: in ipsis gymnasis suis dialectica taceat piscatoribus creditur non dialecticis.PET. LOMB. sent., 3, 22, 3
(408) Il faut aussi savoir que le mot infernus autrement dit inferna -orum est fréquemment employé comme nom chez les écrivains ecclésiastiques. Chez les puristes du latin en revanche, on ne le rencontre jamais, ou rarement, autrement que comme adjectif et ils disent inferi -orum pour désigner ce que les auteurs sacrés nomment infernus et les grecs Ἅιδης ("l’Hadès"). est autem sciendum quod infernus id est et inferna orum apud ecclesiasticos scriptores substantiue frequenter inuenitur. apud latinissimos uero aut nunquam aut raro inuenitur nisi adiectiue. dicunt autem[9r] inferi orum: pro eo quod dicitur a sacris infernus: a graecis ades.
(409) (Dies ingressa) peut se comprendre de deux manières : le jour autrement dit corporel, tel qu’il est dans la journée voire même bien plus grand, ingressa ad manes ("entra chez les Mânes") avec le Christ qui y descendait ou parce que, quand le Seigneur mourut en croix, les pierres se fendirent et la terre fut ébranlée et la lumière du soleil qui s’était obscurcie sur la terre suivait le Seigneur sous la terre comme le dit Arator : fugitiua reliquunt astra polum comitata deum ("dans leur fuite, les astres abandonnent le ciel et accompagnent Dieu"), ou parce que (pour reprendre les mots d’Augustin) "de même que, à la venue du soleil, toute ténèbre présente dans l’air est mise en fuite, de même, à la venue de l’âme du Christ dans les limbes, l’enfer est éclairé". (Dies ingressa) dupliciter intelligi potest: dies id est ut corporalis qualis est in die uel etiam multo maior: ingressa ad manes cum christo descendente aut quia moriente domino in cruce petræ scissæ sunt: et terra mota est: et lux solis quae supra terram obtenebrescebat sub terram dominum suum sequebatur ut ait Arator: fugitiua reliquunt astra polum comitata deum: aut quia (ut uerbis utar augustini) sicut adueniente luce solis omnis tenebra in aere existens efugatur: sic adueniente anima christi in limbum infernus illustratur.
(410) Et bien qu’on puisse interpréter pieusement et selon le sens courant qui est celui que vise la plupart du temps cette locution poétique, on dira sans doute mieux et de manière plus exacte dies ingressa ("le jour entra") autrement dit le Christ entra. Et quamuis hoc pie et secundum uulgi sensum: ad quem spectat plerumque poetica locutio: dici possit: tamen melius et exactius dices dies ingressa id est christus ingressus.
(411) De fait comme le dit Ambroise dans l’un de ses sermons : "le Christ lumière n’est pas arrêté par des cloisons, ni divisé par les éléments, ni obscurci par les ténèbres. La lumière du Christ, dis-je, est sans nuit, c’est un jour sans fin. Quant au fait que ce jour soit le Christ, l’apôtre le dit : ‘la nuit s’est retirée et le jour s’est approché’". nam ut inquit ambrosius in quodam Sermone: Iux Christus non parietibus obstruitur: non elementis diuiditur: non tenebris obscuratur. Iux inquam Christi dies est sine nocte: dies sine fine. quod autem iste dies Christus sit: apostolus dicit: nox præcessit: dies autem appropinquauit.Rm 13, 12MAX. TAVR. 57
(412) Et peu après, le même Ambroise dit : "de fait, l’Écriture atteste que ce jour qu’est le Christ parcourt le ciel la terre et le tartare. En effet qu’il brille sur la terre Jean le déclare : ‘il était la vraie lumière qui éclaire tout homme’ etc., qu’il éclaire l’enfer, le prophète le dit : ‘sur ceux qui se tenaient dans la région de l’ombre de la mort, la lumière s’est levée’". Et paulo post idem ambrosius. nam quia inquit hic dies Christus celum: terram: tartarumque collustret scriptura testatur. quod enim supra terram fulgeat dicit loannes: Erat Iux uera quæ illuminat omnem hominemJn 1, 9 et .c. quod in inferno luceat: ait propheta. Qui sedebant in regione umbrae mortis: Iux orta est illis.Mt 4, 16MAX. TAVR. 67
(413) De même le psalmiste dit : "le jour au jour en annonce la nouvelle". Le jour en effet est le Fils lui-même à qui le Père, qui est jour, annonce le secret de sa divinité. Item psalmographus dies inquit diei Eructat uerbum:Ps 19, 3 ipse enim est dies filius: cui pater dies diuinitatis Suæ eructat arcanum.
(414) De même Augustin déclare ouvertement quelle lumière le Christ a apporté aux Mânes, autrement dit aux âmes qui ont quitté le corps des saints patriarches ; il déclare : "cette tristesse et ce châtiment total, le Christ les change en joie et en allégresse en montrant aux saints patriarches son âme et l’essence de sa divinité dans laquelle consiste toute la gloire du paradis". Item augustinus aperte declarat quam lucem ad manes id est animas exutas patrum sanctorum Christus attulerit: hanc ergo inquit tristiciam et poenam totam Christus conuertit in læticiam et gaudium: dum sanctis patribus animam suam et diuinitatis essentiam ostendit: in qua omnis gloria paradisi consistit.
(415) Le divin Ambroise également dans le livre 3 du Traité sur l’Esprit saint déclare : "la sagesse qui diffusait la lumière de la vie éternelle sur ceux qui se trouvaient en enfer rayonnait là ; la vraie lumière de la sagesse illuminait l’enfer mais l’enfer ne pouvait la retenir prisonnière". diuus quoque ambrosius in tertio de spiri . S. sapientia quæ in inferno positis lumen uitæ fundebat æternæ. Radiabat illic lux uera sapientiæ: illuminabat infernum: sed in inferno non claudebatur.
(416) Mais, pour ceux qui comprennent, ces explications seront suffisantes. De fait que les tout-petits se contentent de lait. sed haec intelligentibus sufficient. nam paruuli lacte sunto contenti.
(417) (Soluit tenebras) le jour autrement dit le Christ, parce qu’en présence de la lumière les ténèbres s’enfuient. (Soluit tenebras) dies idest Christus. quia ad præsentiam lucis fugiunt tenebræ.
(418) Or, vu que l’enfer est double, un lieu qui est ce lieu plein de ténèbres qui correspond au monde souterrain, et l’autre qui est la privation de la vision divine, si l’on comprend de façon simple et selon le sens poétique, on dira soluit tenebras ("libéra les ténèbres") par l’introduction d’une immense lumière à l’intérieur des limbes où se trouvaient les saints patriarches. Mais il est mieux de comprendre que le Christ libéra les ténèbres de l’enfer, alors qu’elles étaient condamnées, a nocte æterna ("de la nuit éternelle") autrement dit, comme elles étaient damnées et frappées de condamnation, a nocte æterna ("de la nuit éternelle") autrement dit à travers une nuit éternelle ; cette nuit et cette privation de la vision divines étaient appelées à durer pour toujours, si le Seigneur n’était pas descendu aux enfers se donner lui-même à voir, lui qui est la lumière. Cum autem infernus sit duplex: unus locus ille caliginosus correspondens infra terram: alter carentia uisionis diuinæ: si intelligis simpliciter et secundum sensum poeticum: dices soluit tenebras introducta luce ingenti intra limbum: in quo erant sancti patres. sed melius soluit Christus tenebras inferni cum essent damnatæ a nocte æterna: id est cum essent damnificatæ et damno affectæ: a nocte æterna idest per noctem æternam: quae nox et carentia uisionis diuinæ erat futura æterna: nisi dominus ad inferos descendisset: se qui lux est uidendum ostendens.
(419) En effet, tous les hommes étaient depuis la faute originelle dans la nuit et au pouvoir du diable, le prince des ténèbres, et selon la justice de Dieu le genre humain a été livré en son pouvoir et dans ses éternelles ténèbres, le péché du premier homme passant depuis l’origine en tous et les liant de sa dette ; de fait, comme dit l’Apôtre : "nous étions par nature des fils de la colère", par nature, autrement dit en tant qu’elle est dépravée par le péché, et non en tant qu’elle a été crée juste, au commencement. omnes enim homines originaliter erant sub nocte et sub principe tenebrarum diabolo: et secundum iusticiam dei traditum est genus humanum in eius potestatem et perpetuas tenebras: peccato primi hominis in omnes originaliter transeunte et illius debito obligante: Nam ut inquit apostolus eramus natura filii iræ.Ep 2, 3 natura id est ut est deprauata peccato: non ut est recta creata ab initio.
(420) Et donc comme, une fois la nature ainsi corrompue, nous étions projetés dans les ténèbres, le Christ les libéra en descendant aux enfers et par les mérites de sa passion, libérant le lien qui nous attachait à cette nuit éternelle autrement dit à la privation de la vision divine, et en montrant sa divinité dans laquelle il n’y a nul voile d’obscurité à ces saints patriarches. Cum ergo natura ita corrupta in tenebras essemus æternas proiecti: has soluit Christus descendens ad inferos: et merito suae passionis obligationem ad noctem illam æternam idest carentiam uisionis diuinæ: soluens: et suam diuinitatem in qua nullum est caliginis nubilum: illis ostendens sanctis patribus.
(421) Et, en comprenant de cette manière, tu diras : tenebras ("les ténèbres") autrement dit les âmes pleines de ténèbres et privées de cette ineffable lumière, le Christ soluit ("les libéra"), en tant qu’elles étaient enchaînées et damnées, de cette nuit sans fin, autrement dit il les libéra de la privation de la vision divine qui aurait été définitive s’il n’avait pas intercédé par les mérites de sa passion. et hoc modo intelligendo dices: tenebras idest mentes plenas tenebrarum et carentes luce illa ineffabili: soluit christus quasi obligatas et damnificatas a nocte illa perpetua: id est liberauit a carentia uisionis dei quæ erat futura perpetua nisi meritum passionis intercessiset.
(422) (Fugitiua) il parle des astra comitata deum ("astres qui accompagnent Dieu") évidemment le Christ qui va vers les enfers ; fugitiua ("dans leur fuite") autrement dit en fuyant et en abandonnant le lieu dans lequel ils étaient, relinquunt polum ("ils abandonnent la voûte céleste") autrement dit le ciel. (Fugitiua) astra inquit comitata deum scilicet christum euntem ad inferos: fugitiua id est fugientia et deserentia locum in quo erant: relinqunt polum idest celum.
(423) Le mot astra s’emploie au propre au pluriel et vient d’ ἀστράπτω ("resplendir") comme par exemple la Balance, le Bélier, le Taureau que l’on nomme étoiles. Astra proprie dicuntur plures ab astrapto id est fulgeo ut libra aries taurus quæ uocantur sydera.
(424) Ἀστήρ quant à lui ne désigne qu’une étoile. Mais souvent on les confond et on met l’un pour l’autre. Aster uero una stella est. sed sæpe confunduntur et alia pro aliis accipiuntur.
(425) Astra ici désigne donc un astre et c’est le soleil qui est la source de lumière et qui s’obscurcit au moment où le Seigneur souffrait en croix, soit, comme le dit Jérôme du fait d’une contraction de ses rayons, soit, comme le pense Origène, en raison de l’interposition de nuages particulièrement épais, soit parce que, bien que la lune fût dans son quinzième jour et fût distante du soleil d’un diamètre de ciel, cependant, il y eut une éclipse du soleil quand la lune monta miraculeusement de l’orient vers le midi et vint se placer dans l’axe du soleil, comme le bienheureux Denys atteste l’avoir vu en Égypte, région où l’air est calme et exceptionnellement pur. Astra ergo hic id est astrum hoc est sol: qui est fons luminis: et qui obscuratus est domino patiente in cruce: siue ut inquit Hieronymus per retractionem radiorum: siue ut sentit origenes: per interpositionem densissimarum nubium: siue quia Iuna quamuis esset quintadecima et distaret a sole per diametrum coeli: tamen eclipsis solis facta est miraculose ascendente luna ab oriente meridiem uersus et soli se supponente: ut testatur beatus dionysius se uidisse in ægypto regione aeris sereni et purissimi.
(426) De fait, si cela avait été une éclipse naturelle, la lune ne serait pas opposée au soleil mais jointe à lui. Nam si fuisset eclipsis naturalis: non fuisset luna soli opposita sed coniuncta.
(427) Ou bien prenons astra au sens propre ; cela veut dire toutes les étoiles et le soleil lui-même quittent le ciel, autrement dit les étoiles ont semblé quitter le ciel, quand, à partir de la sixième heure, il se fit des ténèbres sur toute la terre, comme le dit l’évangile ; de fait quand les étoiles ne sont plus visibles dans le ciel en raison des ténèbres qui se sont mises entre elles et nous, elles semblent fuir et abandonner le ciel bien qu’à la vérité elles ne l’abandonnent pas et sont fixes sur leurs orbites. uel dic astra proprie: hoc est omnes stellæ et ipse sol relinquunt polum id est uisa sunt sydera Relinquere coelum: cum ab Hora sexta tenebræ factæ essent super uniuersam terram: ut ait Euangelista: Nam cum stellæ non apparent in celo propter tenebras interpositas: uidentur fugere et coelum deserere: quamuis reuera: non deserant: et suis orbibus fixæ sint.
(428) Or les poètes parlent selon l'interprétation populaire comme quand ils disent que le soleil plonge dans l’océan, comme Juvénal audiet herculeo stridentem gurgite solem ("il entendra le soleil siffler dans le gouffre Herculéen"). En effet, le soleil ne siffle pas quand il se couche, et dans les eaux de l’océan, quand le soleil y plonge, il ne bouillonne pas comme un feu que l’on éteint dans de l’eau. Tout cela est l’interprétation populaire. Ioquuntur autem poetæ secundum uulgi sensum: ut cum dicunt solem mergi in oceanum luue. audiet herculeo stridentem gurgite solem.IVV. 14, 280 non enim sol stridet cum occidit: nec undis oceani sol mersus quasi ignis aquis extinctus feruescit. Iste uulgi sensus est.
(429) De fait, bien que Strabon dise en se fondant sur l’avis de Possidonius que le soleil se couche plus grand sur les côtes les plus limitrophes de l’océan et avec un grand bruit exactement comme si le mer se mettait à bouillonner en l’éteignant, et bien que Stace dise : summis oceani uides in undis : stridoremque rotæ cadentis audis ("tu vois à la surface des eaux de l’océan et tu entends le sifflement des roues du char qui y tombe"), nous cependant, les Portugais, qui ne vivons pas dans les régions limitrophes de l’océan mais sur son rivage même, nous n’avons entendu aucun sifflement quand le soleil entre dans les eaux de l’océan, et en outre le système de l’univers et la distance qui sépare le soleil du globe terrestre et de la mer s’opposent totalement à un mensonge si évident. nam quamuis strabo dicat ex sententia possidonii: solem in finitimis oceani littoribus maiorem occidere Ingenti strepitu ac si in illo restinguendo pelagus efferuescat: et statius dicat: summis oceani uides in undis: stridoremque rotæ cadentis audis:STAT. silv., 2, 7, 26 tamen nos lusitani qui non infinitimis sed in ipsis oceani littoribus uiuimus: nullum strepitum unquam soIe aquas oceani ingrediente audiuimus. et præterea ratio uniuersi et solis distantia a globo maris et terræ: repugnant tam aperto mendacio.
(430) Donc le poète dit Astra fugitiua relinquunt polum ("dans leur fuite, les astres abandonnent le ciel") autrement dit semblent l’abandonner ; et fugitiua ("dans leur fuite") ; autrement dit 'semblent fuir' en ne montrant plus leur lumière et leur éclat ; quand cela se produit, le vulgaire pense qu’ils fuient de leur place ; et s’ils fuyaient, ils accompagnaient leur créateur descendant aux enfers tandis qu’il souffrait en croix. Il ne faut pas comprendre ainsi, comme si cela s’était réellement produit et si les astres quittant la position fixe de leur orbite étaient descendus aux enfers avec leur Seigneur. Mais on expliquera ainsi astra comitata deum ("les astres accompagnent Dieu") : les astres n’apparaissant plus et accompagnant, autrement dit 'semblant accompagner' leur Dieu. dicit ergo poeta Astra fugitiua relinqunt polum id est uidentur relinquere: et fugitiua id est uidentur fugere non ostendentia lucem suam et fulgorem: quod cum fit: putat uul[9v]gus illa a suo loco fugere: et si fugiebant comitabantur suum creatorem descendentem ad inferos cum in cruce patiebatur: quod non ita debet intelligi quasi id ita acciderit: et astra refixa a suis orbibus descenderint ad inferos cum suo domino: sed declarabis: astra comitata deum id est astra non apparentia et comitata id est quæ comitari uidebantur suum deum.
(431) Mais on me dira : Arator n’a t-il pas dit qu’il dirait la vérité ? Alors pourquoi donc insère-t-il ici des inventions de poète, ne se souvenant plus de sa promesse et l’oubliant ; je réponds qu’Arator dit la vérité et n’insère aucun élément de fiction poétique. sed dicet quispiam: nonne dixit arator se uerum dicturum. cur ergo admiscet figmenta poetica promissi immemor et oblitus: dico Aratorem uerum dicere: et nullas fabulas poeticas admiscere
(432) De fait, de telles locutions métaphoriques ou figurées ne sont pas des fictions puisque, prises dans le sens vrai, elles sont vraies et qu’on s’en sert dans les divines lettres, comme Étienne qui a dit : "voici que je vois les cieux ouverts". Devons-nous comprendre que le corps de la voûte céleste s’est fendu, a éclaté ou s’est divisé ? Pas du tout comme nous allons le dire ci-dessous. Nam tales locutiones metaphoricæ uel figuratæ: non sunt fabulosæ: cum in uero sensu ueræ sint: et in diuinis litteris usitatæ sint: ut dixit stephanus Ecce uideo celos apertos:ac 7, 56 debemus intelligere corpora orbium coeIestium fuisse discissa aut dirupta aut diuisa: minime ut infra dicemus.
(433) Dans le livre de Job nous lisons "devant qui se courbent ceux qui portent le monde" et qui, s’il est sain d’esprit, ira croire que le saint Job a suivi de vaines fictions de poètes pour aller imaginer que la masse du monde était portée par un géant suant ? in libro lob legimus: sub quo curuantur: qui portant orbem.Jb 9, 13 et quis sanae mentis credat sanctum lob uanas poetarum fabulas secutum fuisse: ut suspicaretur mundi molem sudore giganteo subuehi?
(434) Et ailleurs le même héros de toute patience déclare : "mon âme voudrait être étranglée ! Je voudrais la mort plutôt que ces os !". Rien d’étonnant (comme l’atteste le divin Grégoire) que beaucoup de passages ne puissent être compris selon le sens littéral, parce que, si l’on s’en tient à leur surface, ils ne procurent aucune instruction aux lecteurs, mais les induisent en erreur. Et alio in loco idem heros patientissimus ait: elegit suspendium anima mea et morte ossa mea.Jb 7, 15 Ni mirum (ut diuus gregorius author est) multa intelligi iuxta litteram nequeunt. quia superficie tenus accepta: nequaquam instructionem legentibus sed errorem gignunt.GREG. M. epist., 5
(435) Ici je ne m'arroge aucun droit et je ne tire en rien la couverture à moi, je donne simplement une règle générale et nécessaire, dont il faut se servir en de nombreux passages de l’histoire apostolique que nous commentons. nihil hic accerso: nihil attraho: sed regulam pono generalem et necessariam: et qua uti opus est in multis locis historiæ apostolicæ quam interpetamur.
(436) On peut aussi dire comitata deum astra ("les astres accompagnent Dieu") parce que de même que le Christ a été voilé d’obscurité en croix par la mort et s’est éteint sous le rapport de son humanité, de même les astres ont accompagné ce moment où leur Créateur s’éteignait et se sont éteints et obscurcis. potes etiam dicere comitata deum astra: quia sicut chtistus obscuratus est in cruce per mortem: et extinctus ratione humanitatis: ita astra comitata hanc sui creatoris extinctionem extincta sunt et obscurata.
(437) Comprendre que cela est dit comme Augustin dans le Contre Félicien : "loin de nous la pensée que le Christ ait éprouvé la mort en tant que ce qu’il est en lui-même : la vie perdrait la vie si en effet il en était ainsi ; la source de vie se serait asséchée. Donc il a éprouvé la mort par la participation à la sensibilité humaine qu’il avait volontairement prise sur lui, mais il n’a pas perdu le pouvoir de sa nature, grâce auquel il donne la vie à tout" ; Et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui suit. hoc dictum intellige ut augustinus contra felicianum: Absit ut christus sic senserit mortem ut quantum in se est: uita uitam perdiderit si enim hoc ita esset: uitæ fons aruisset. sensit ergo mortem participatione humani affectus quem sponte susceperat: non naturæ suæ perdidit potentiam: per quam cuncta uiuificat.PET. LOMB. sent., 3, 21, 1 et ita intelligendum est quod sequitur
(438) (Cruce territa) évidemment la nature terrifiée par la croix et la passion du Christ son créateur veut souffrir avec Dieu son Seigneur. (Cruce territa) scilicet natura territa cruce et passione christi sui creatoris uult pati cum deo domino suo.
(439) Et la nature, autrement dit la masse des réalités naturelles, souffrait comme si elle n’avait pas la force d’endurer la mort de son créateur et artisan, quand la terre fut secouée d’un séisme et quand les pierres se fendirent. et ideo natura id est moles rerum naturalium patiebatur quasi non sustinere ualens sui creatoris et opificis mortem: cum terra mota est et petræ scissæ sunt.
(440) En effet par ce qui le faisait homme, Dieu a souffert, par ce qui le faisait Dieu, l’homme est mort en croix puis a été ensuite relevé et est ressuscité. per illud enim quod erat homo passus est deus: et per illud quod deus erat homo in cruce mortuus est: et postea excitatus est et resurrexit.
(441) Comment (comme le dit de belle manière l’aigle libyen) pourrais-tu dire que tu n’as pas souffert de blessure si c’est ton vêtement qui est déchiré (pourtant tu n’es pas ton vêtement) ? D’autant plus alors on doit dire que Dieu a souffert tout ce que souffre la chair unie au Verbe. quomodo (ut aquila Libyca pulchre ait) potes dicere te non passum iniuriam: si uestis tua conscindatur: quamuis uestis tua non sis tu? ALEX. HAL. summ., 3, 1, 5, 2 multo magis debet dici pati deus: quicquid patitur caro unita uerbo.
(442) De fait si quelqu’un disait et croyait que le fils de Dieu a souffert en tant que Dieu, qu’il soit anathème. Nam si quis dixerit atque crediderit filium dei deum passum: anathema sit.
(443) (Mortisque potestas) : l’ordre et le sens sont les suivants : la puissance de la mort, évidemment contre tous ceux qui sont nés et contre celui qui est né de la vierge, se uincente ("dans sa propre victoire") autrement dit cette mort qui vainquait le Christ et l’immolait sur la croix, perit ("périt") la puissance de la mort, parce que, comme personne s’il était déjà mort ne pouvait briser les liens de la mort et ressusciter, le Christ en ressuscitant le premier des morts vainquit la mort et ainsi périt et la puissance de la mort se perdit. (Mortisque potestas) ordo et sensus est. potestas mortis scilicet in cunctos natos et in christum natum ex uirgine: se uincente id est ea morte uincente christum et mactante in cruce: perit potestas mortis. quia cum nemo iam mortuus posset mortis uincula dirumpere et resurgere: christus primus resurgens a mortuis mortem uicit: et ita perit et perdita est potestas mortis.
(444) Et après le Christ par sa puissance beaucoup avec lui ressuscitèrent des morts et vinrent dans la cité sainte, apparurent à beaucoup de gens comme le dit l’évangéliste et au jour du jugement tous ressusciteront avec leurs corps, ce qui montre bien que la puissance de la mort est tombée. Et post Christum eius uirtute multi cum eo surrexerunt a mortuis: qui uenerunt in sanctam ciuitatem et apparuerunt multis ut ait Euangeliographus: et in die iudicii omnes resurgent cum corporibus suis: unde notum est quando mortis potestas cecidit.
(445) On peut aussi comprendre autrement et étendre la bonté du Seigneur à la libération de l’une et l’autre mort ; de fait, vu que la mort est double, l’une que craignent les gens et qui, selon Augustin, est la séparation de l’âme et de la chair, l’autre qu’ils ne craignent pas et qui est la séparation de l’âme et de Dieu, de l’une et l’autre mort, le Christ a libéré les hommes en mourant et alors il a montré son essence aux saints patriarches et a ressuscité les corps de beaucoup en témoignage d’une libération à venir de l’une et de l’autre pour les élus. potest et aliter intelligi ut ad utriusque mortis liberationem benignitas domini extendatur: nam cum sit duplex mors: una quam timent homines: quæ auctore augustino est separatio animæ a carne: Altera quam non timent: quæ est separatio animæ a deo: ab utraque morte Christus moriens in cruce homines liberauit: Et tunc suam essentiam sanctis patribus ostendit: et corpora multorum suscitauit in testimonium utriusque liberationis electis uenturæ.
(446) (Quæ pondere) : le sens est : par où, évidemment la mort, plus rapiens ("pillant davantage"), autrement dit emportant plus qu’il était juste, parce qu’elle a porté la violence contre la vie elle-même qui est le Christ ; nihil habet iuris ("elle n’a plus de droit"), autrement dit elle a perdu tous les droits qu’elle avait : mersa pondere triumphi ("écrasée sous le poids du triomphe") autrement dit écrasée et détruite par le poids et la masse d’une victoire aussi grande qu’elle n’aurait pas dû la vouloir. (Quæ pondere) sensus est qua scilicet mors plus rapiens id est plus quam æquum erat auferens: quippe quae intulerit uim in ipsam uitam quæ christus est: nihil habet iuris id est amisit totum ius quod habebat: mersa pondere triumphi. id est obruta et pessundata pondere et onere tantæ uictoriæ: quantam non debuit uelle.
(447) Et il parle de la mort κατὰ προσωποποίαν (par prosopopée) et personnification, comme si la mort comprenait sa victoire qu’elle a obtenue sur le Christ. et loquitur de morte cata prosopopoiian et conformationem ac si mors intelligeret uictoriam suam: quam de Christo consecuta est.
(448) C’est pourquoi chaque fois que la mort tuait les autres mortels elle semblait agir de façon juste et équitable, mais quand elle tua en croix le Christ, Seigneur de la vie et de la mort, pillant plus que de juste, elle ne fut pas exaltée ni ne tira d’orgueil d’une si grande victoire et d’un si grand triomphe, mais bien au contraire elle fut accablée et perdit tout droit contre les mortels. Itaque mors cum occidebat cæteros mortales: iustum et æquum facere uidebatur: sed cum christum dominum uitæ et mortis occidit in cruce: plus iusto rapiens: non elata est nec erecta tam magna uictoria ac tanto triumpho: sed potius mersa est: et totum ius in mortales perdidit.
(449) De fait, en s’efforçant de tuer Dieu (ce qui était inique), elle perdit le pouvoir de tuer les mortels (ce qui semblait équitable). nam dum deum conatur occidere: quod erat iniquum: perdidit potestatem occidendi mortales: quod uidebatur equum.
(450) Et nous avons un proverbe en Espagne qui dit :  "qui veut tout perd tout" ; ainsi, la mort, en voulant faire périr tous les hommes et les placer sous le droit de la mort, sans excepter le Christ de cette loi de mort, dont la divinité était cachée sous la chair comme un hameçon sous un appat, la mort, donc, en crucifiant imprudemment le Christ, dévora cet hameçon par lequel la mort meurt, et ainsi une si grande victoire ne l’éleva pas mais l’accabla et la renversa, si grands furent la charge et le poids de ce triomphe. Et ut in prouerbio hispano habemus: qui totum uult totum perdit:Prouerbium Hispanicum ita mors dum omnes homines uult perire: et stare sub iure mortis: nec excipit Christum ab hac lege moriendi: cuius diuinitas uelut hamus latebat sub carne quasi sub esca: mors dum incaute Christum crucifigit: hamum deuorauit: a quo mors moritur: et ita illa tanta uictoria non illam extulit sed mersit et obruit: et tantum fuit onus et pondus illius triumphi.
(451) C’est pourquoi il ajoute (Diuina) que uirtus ligans membra ("liant à nouveau les membres la puissance divine"), les membres de l’âme, autrement dit ramenant après trois jours l’âme au corps qui était dans le tombeau, il ressuscita aussi les corps des saints ; il dit mouit cadauera animata ("a mis en mouvement les cadavres qu'il a animés") autrement dit les corps des saints ressuscités auxquels il a rendu leur âme ; et ainsi la mort qui se glorifiait du fait que personne ne pouvait revenir à la vie, le vit pour la première fois avec la résurrection du Christ, puis avec les saints qui vinrent dans la cité sainte comme on le dit en Mt 27. ideo subiungit (Diuina) que uirtus ligans membra scilicet animæ id est reducens post triduum animam corpori quod erat in sepulchro: suscitauit etiam corpora sanctorum: hoc ait: mouit cadauera animata id est corpora sanctorum restitutis animis resucitata: Et ita mors quæ nulIum mortuum posse reuiuiscere gloriabatur: primum uidit Christum resurgentem: deinde eos sanctos qui uenerunt in sanctam ciuitatem ut dicitur . xxvii. Matt.
(452) (Ad uitam) monumenta patent ("les tombeaux s’ouvrent") évidemment après la résurrection du Christ, pour que le Seigneur soit le premier né d’une multitude de frères. (Ad uitam) monumenta patent scilicet post resurrectionem christi: ita ut sit dominus ex multis fratribus primogenitus.
(453) (Monumenta) des saints et cependant quand les tombeaux s’ouvrirent ils ne ressuscitèrent pas avant que le Christ ne le fasse. (Monumenta) sanctorum: et tamen cum monumenta aperta sunt non ante surrexerunt quam dominus resurgeret.
(454) D’où la phrase de l’Apôtre en 1 Cor. 15 : "mais le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémice de ceux qui se sont endormis puisque comme par un homme était venu la mort, ainsi par un homme la résurrection" etc. Vnde apostolus in prima ad cor. epistula capitulo .xv. nunc autem christus resurrexit a mortuis primitiæ dormientium. quoniam quidem per hominem mors: et per hominem resurrectio 1 Co 15, 20 etc.
(455) Et il n’y a aucune difficulté dans ce que l’on pourrait me dire : "certains ont été ressuscités auparavant ; de là vient que, puisque les prémices sont au sens propre les premiers fruits des récoltes qui étaient offerts à Dieu et que l’adjectif primitius veut dire premier et principal, comme le montre le poème d’Ovide Ecce rapit mediis flagrantem rhetus ab aris primitium torrem ("voici ce que Rhétus saisit du milieu de l’autel le premier tison brûlant"), personne ne pourra vraiment penser que le Christ est nommé prémice alors que Lazare est ressuscité avant lui et bien d’autres". Nec obsistit quod dicere quispiam posset: nonnullos alios prius fuisse resuscitatos: unde cum primitiæ proprie sint primi frugum fructus qui deo offerebantur: et primitius adiectiuum sit primus et principalis: ut monstrat carmen ouidianum: Ec[10r]ce rapit mediis flagrantem rhetus ab aris primitium torrem:OV. met., 12, 271 non uere putabit aliquis christum dici primitias cum lazarus prius resuscitatus fuerit et multi alii.
(456) Mais cela ne contredit rien du tout car leur résurrection fut pour une vie mortelle, mais celle du Christ pour la vie immortelle. Sed hoc non repugnat quia illa resurrectio fuit ad uitam mortalem: At christi ad uitam immortalem.
(457) Comme l’atteste Aristote : "le premier en un genre est la cause des autres, comme le feu dans le genre des choses chaudes" ; c’est pourquoi la résurrection du Christ et la causse suffisante de toutes les autres résurrections, en raison de sa nature divine qui possède une puissance infinie, à qui l’humanité adjoint comme un outil, autrement dit la cause organique de la résurrection, et la divinité est la cause principale, l’humanité jointe jouant le rôle de l’instrument. Vt autem aristoteles author est: primum in aliquo genere est causa aliorum ut ignis in genere calidorum: ideo resurrectio christi prima omnium aliarum resurrectionum causa sufficiens est: propter diuinam naturam quae uirtutem habet infinitam: cui humanitas uelut organum adiungit id est causa organica resurrectionis. deitas præcipua causa est: humanitas coniuncta instrumenti uicem gerens.
(458) C’est donc en toute vérité que l’Apôtre appelle le Christ prémice car il fut le premier dans le temps et le plus grand en dignité ; peu après c’est ainsi qu’il dit "une chose est la clarté du soleil", autrement dit le Christ, "une autre celle de la lune", autrement dit la Vierge Mère de Dieu, "une autre encore celle des étoiles" autrement dit des saints. "Une étoile en effet diffère d’une autre en clarté, il en est ainsi de la résurrection des morts". Verissime igitur apostolus christum uocat primitias quia primus fuit tempore: et maximus dignitate. hinc mox dixit: alia claritas solis1 Co 15, 41 id est christi: alia lunæ1 Co 15, 41 id est deiperae uirginis: et alia claritas stellarum1 Co 15, 41 id est sanctorum. stella enim a stella differt in claritate:sic et resurrectio mortuorum.1 Co 15, 41
(459) Le fait qu’on dise Ad uitam ("à la vie") peut se rapporter à la vie qui est union de l’âme à Dieu selon ce qui est dit "en lui était la vie", ou tout aussi bien à la vie selon laquelle l’âme séparée du corps est jointe au corps. Ad uitam autem quod dicitur: potes referre ad uitam quæ est coniunctio animæ ad deum: secundum quam dicitur in ipso uita erat:Jn 1, 4 uel ad uitam secundum quam anima separata a corpore corpori coniungitur.
(460) Or, puisque cette séparation arrive contre l’inclination naturelle de l’âme elle-même, cela ne peut pas lui arriver de manière définitive, autrement la nature humaine serait imparfaite, puisque les parties qui la composent seraient désunies et séparées. cum autem separari accidat animæ contra ipsius naturalem inclinationen id ei perpetuo nequit accidere: alioquin humana natura imperfecta esset partibus ipsam componentibus inuicem disiectis ac diuulsis.
(461) Donc la nature humaine sera accomplie quand, à la fin du monde, ses parties se réuniront de nouveau, et, en un sens, cet accomplissement est déjà commencé dans les saints patriarches qui ressuscitent avec le Christ. Perficietur ergo hominis natura partibus iterum coeuntibus in fine mundi: et aliqua ex parte inchoata est huiusmodi perfectio in sanctis patribus cum christo resurgentibus:
(462) C’est ce qu’ajoute Arator quand il dit (Cineresque piorum) autrement dit les ossements et les corps dissous en poussière ou les cendres des piorum ("les saints"), autrement dit les saints patriarches nouant natalem ("connaissent une nouvelle naissance") autrement dit se renouvellent en une seconde nativité, post busta ("après leur sépulture") autrement dit après leur tombeau, ce qui veut dire : après que les corps des saints eurent été mis au tombeau, il connurent la renaissance et retrouvèrent la vie. quod subdit Arator: cum ait: (Cineresque piorum) id est ossa et corpora resoluta in puluerem uel cinerem piorum id est sanctorum patrum nouant natalem id est renouant natiuitatem secundam: post busta id est post sepulchra. hoc est: postquam sepulta fuerunt corpora sanctorum: renata sunt iterum et reuixerunt.
(463) Mais il y a une différence entre la première nativité par laquelle ils vinrent d’abord dans la vie d’ici-bas et la seconde que le Christ en ressuscitant leur accorda : la première nativité les fit naître à la vie mortelle, la seconde les entraîna dans la vie immortelle. sed hoc interest inter primam natiuitatem qua uenerunt in hanc uitam primum: et hanc secundam quam christus resurgens eis tribuit. quod illa natiuitas prior edidit eos ad uitam mortalem: haec secunda ad uitam immortalem eos traduxit.
(464) De là vient que l’Apôtre dit en 1 Co. 15 : "comme en Adam tous meurent, ainsi dans le Christ tous accèderont à la vie". unde apostolus in prima ad corinthios ep. cap. xv. Sicut in adam omnes moriuntur: ita in christo onnes uiuificabuntur.1 Co 15, 22
(465) Expliquant ce passage Augustin écrit : "de même que de la corruption d’Adam on va vers la mort, de même par l’esprit du Christ on va vers la vie. Tous meurent en Adam, tous dans le Christ accèderont à la vie. Parce que personne ne va à la mort si ce n’est par Adam, personne ne va à la vie si ce n’est par le Christ. Parce que de même que par Adam tous les fils de ce siècle sont devenus mortels et ont connu le châtiment, de même par le Christ tous les fils de Dieu deviennent immortels dans la grâce". hunc locum declarans augustinus: sicut inquit ex corruptione adæ ad mortem: ita ex spiritu christi ad uitam. omnes in adam moriuntur: omnes in christo uiuificantur. quia nemo ad mortem nisi per illum: nemo ad uitam nisi per istum. quia sicut per adam omnes mortales et poena facti sunt filii sæculi: ita et per christum omnes inmortales in gratia fiunt filii dei.AVG. in euang. Ioh., 75, 3
(466) En enseignant cette victoire sur la mort, l’Apôtre allègue les paroles du prophète Osée : "la mort a été absorbée dans la victoire" autrement dit, dans la résurrection du Christ, la mort qui avait dépassé la mesure de sa victoire est vaincue et plus rapiens ("à piller davantage") qu’il était équitable nil iuris habet ("elle n'a pas de droit"). "Où, mort, est ta victoire ?". Hanc uictoriam aduersus mortem prædicans apostolus allegat uerba osee prophetæ: absorpta est1 Co 15, 54 inquit mors in uictoria1 Co 15, 54 id est in resurrectione christi mors uincitur uincendi modum transgressa et plus rapiens quam æquum erat: nil iuris habet. Vbi est mors uictoria tua?1 Co 15, 55
(467) Le prophète (ou tout aussi bien l’Apôtre) s’exprime ainsi plein de joie et apostrophant la mort dans la personne de ceux qui ressuscitent. "Tu as vaincu dans ceux qui mouraient, tu as été vaincue dans ceux qui ressuscitent". propheta uel apostolus lætabundus et morti insultans in persona resurgentium hoc ait. Vicisti in morientibus: uicta es in resurgentibus.
(468) (LVX tertia surgit) autrement dit le troisième jour se lève et alors maiestas ("la majesté") autrement dit l’incorruptibilité redit cum carne ("revient escortée de la chair") autrement dit du corps du Christ. (LVX tertia surgit) id est tertia dies nascitur et tunc maiestas id est incorruptibilitas redit cum carne id est corpore christi.
(469) Il faut en effet, comme le dit l’Apôtre que "ce qui est corruptible revête l’incorruptibilité et ce qui est mortel revête l’immortalité", évidememnt pour que le corps et les membres suivent la nature de leur tête qui est le Christ. Quand donc, le Christ après trois jours ressuscita, il confirma notre foi et notre espérance. oportet enim ut ait apostolus : corruptibile hoc induere incorruptionem et mortale hoc induere imortalitatem:1 Co 15, 53 ut scilicet corpus et membra: sui capitis qui christus est naturam sequantur cum ergo post triduum christus resurrexit fidem et spem nostram confirmauit.
(470) Si en effet, il n’était pas ressuscité, comment les hommes auraient-ils pu coire qu’il était le vrai Dieu, alors qu’un effet si merveilleux ne pouvait avoir de cause sinon Dieu ? Nisi enim resurrexisset quomodo homines illum uerum esse deum credidissent? cum effectus tam mirabilis non nisi deum authorem habere potuerit?
(471) Et pourtant un ouvrage qui surpasse les forces de la nature est l’indice d’une cause qui dépasse les forces de la nature. Atqui causæ uires naturæ supergressæ indicium est opus uires naturæ supegrediens.
(472) Ensuite, puisque notre chef et notre tête, le Christ, est ressuscité, nous devons espérer, nous qui sommes ses membres, que dans une certaine mesure nous suivrons sa nature. Deinde cum dux et caput nostrum christus resurrexerit: debemus sperare nos: qui membra sumus: secuturos illius naturam quadam tenus.
(473) Or comment pourrait être retenu par les lois de la mort, celui qui est mort pour arracher son pouvoir à la mort ? Quomodo autem poterat mortis legibus detineri qui iccirco est mortuus ut mortis adimeret potestatem?
(474) Et donc redit maiestas cum carne :("la majesté revient escortée de la chair") parce que le corps du Christ, qui était mortel, revint immortel et son âme, qui était passible, revint impassible et l’un et l’autre resplendirent dans le monde, libres de tous les châtiments auxquels ils étaient auparavant soumis. Redit ergo maiestas cum carne: quia corpus Christi: quod erat mortale redit immortale: et anima ipsius quæ erat patibilis impatibilis rediit: et utrunque refulsit in mundo liberum a cunctis poenis quibus ante subdebatur.
(475) Voilà ce qui est nouveau avec le Christ ; ce que cette nouveauté signifie en nous, l’Apôtre le montre dans la lettre aux Romains en écrivant : "de même que le Christ est ressuscité des morts par la gloire de Dieu le Père, que nous, de même, nous marchions dans une vie nouvelle". Hæc christi innouatio: quam in nobis significet innouationem ostendit apostolus ad romanos scribens QuomodoRm 6, 4 (inquit) christus surrexit a mortuis per gloriam dei patris ita et nos in nouitate uitæ ambulemus.Rm 6, 4
(476) Et c’est la raison pour laquelle Arator a dit peu auparavant natale post busta nouant ("connaissent une nouvelle naissance après leur sépulture"), en utilisant ce verbe de manière emphatique pour désigner un mystère caché. Et ideo Arator paulo ante dixit natale post busta nouant: usus est illo uerbo emphanticos: ut signaret latens mysterium.
(477) De même en effet que les saints patriarches, qui étaient les membres du Christ, ressuscitèrent après le tombeau, de même les Chrétiens, qui veulent être les membres du Christ et apparaître comme tels, après les tombeaux des morts, autrement dit après les péchés mortels par lesquels les hommes sont ensevelis doivent ressusciter avec leur tête (le Christ) par la nouveauté d’une vie sans péché et chrétienne. Vt enim illi sancti patres qui erant membra christi: post sepulchra resurrexerunt: ita christiani qui uolunt et esse et uideri membra christi: post sepulchra mortuorum id est post peccata mortifera: quibus homines sepeliuntur debent resurgere cum capite suo hoc est christo per nouitatem uitæ inocentis et christianæ.
(478) Mais on me dira : comment la majesté a-t-elle pu revenir accompagnée de la chair, alors qu’Aristote dans le livre 2 de la Génération des animaux dit : "les êtres dont la substance est corrompue reviennent identiques non en nombre mais seulement en espèce". sed dicet aliquis quomodo potuit maiestas redire cum carne: cum dicat Aristoteles in ii peri geneseos: ea quorum substantia corrumpitur: non in numero eadem sed in specie tantum redire.ARIST. gen. corr., 2, 11 (338b Bekker)
(479) Le même philosophe applaudit à cette sentence dans les Analytiques premiers 10 en affirmant que le corruptible et l’incorruptible diffèrent en genre et pour cette raison ne reviennent pas identiques en nombre et ne se perpétuent pas par individu mais par espèce. "Mais cela est vrai", dit-il, "des êtres qui reviennent par mouvement et voie naturels, puisqu’évidemment la corruption et l’incorruptibilité sont ramenées au même principe et à la même cause". cui sententiæ idem philosophus applaudit in x primæ philosophiæ affirmans corruptibile et incorruptibile genere differre: ac propterea non idem numero redire: nec singulatim quicquam sed speciatim perpetuari. sed uerum ait de his quae redeunt per motum et uiam naturæ: cum scilicet corruptio et incorruptio ad idem principium atque ad eandem causam reducuntur.
(480) Mais à la verité le corps est mortel par nature, mais par la puissance infinie de Dieu qui peut agir sans mouvement il est rendu immortel. at uero corpus mortale per naturam est: quod per dei uirtutem infinitam quæ sine motu agere potest: efficitur immortale.
(481) C’est ce qu’indique l’Apôtre en disant : "quand ce qui est mortel aura revêtu l’immortalité" comme s’il disait quand l’incorruptibilité et l’immortalité viendront comme un vêtement venu d’ailleurs, de Dieu non de la nature. Id autem innuit apostolus: cum1 Co 15, 53 inquit mortale hoc induerit immortalitatem:1 Co 15, 53 quasi dicat cum uenerit incorruptio et immortalitas ut indumentum aliunde: hoc est a deo non a natura.
(482) Pourtant il y a eu quelques philosophes modernes qui ont concédé que la résurrection pourrait en quelque manière être le fait de la nature, selon l’enseignement d’Aristote qui affirme, comme ils le pensent, que le monde est éternel et que les âmes ne sont pas infinies et sont immortelles et qu’il n’existe pas une intelligence unique pour tous les hommes. quamquam fuere nonnulli philosophi neoterici qui resurrectionem per naturam fieri aliquo modo posse concederent secundum aristotelis dogma: qui fuisse æternum mundum asseuerat ut illi putant: et animas non esse infinitas: et esse immortales: et non esse unum hominum cunctorum intellectum.
(483) Une fois cette concession faite, ils disent que les âmes qui ont été dans des corps peuvent revenir vers leur propre corps de la même manière qu’elles ont pu souvent migrer vers d’autres corps et en revenir conformément aux rêveries des Pythagoriciens. Quibus concessis dicunt animas quae fuerunt in corporibus sic ad sua corpora posse redire ut ad alia sæpius migrare et redire iuxta pythagoricum Somnium potuerunt.
(484) Mais l’identité dans la révolution du ciel et les gouttes divisées qui se réunissent en une seule et même eau et d’autres exemples de ce genre confondent ces gens qui s’attachent plus à des arguties qui les titillent qu’à la vérité. Cæterum eadem celi reuolutio: et guttæ diuisæ in unam atque eandem coalescentes et alia id genus exempla arguunt homines magis studiosos argutiarum titillantium quam ueritatis.
(485) Et de fait l’Apôtre ne souscrit pas à leurs idées quand il dit : "que tu es fou : ce que tu sèmes ne vient pas à la vie, s’il ne commence par mourir". Nec uero eis subscribit apostolus: Insipiens tu dicens: quod seminas non uiuificatur: nisi prius moriatur. 1 Co 15, 36
(486) Bien que, en effet, du grain semé que l’on jette nu dans la terre, il naisse un autre grain de même aspect différent par ce qui l’entoure, évidemment reposant sur la tige, recouvert par son enveloppe, et hérissé comme des dards de sa barbe, par cet exemple cependant, l’Apôtre ne veut pas démontrer que, de même que cela se fait par l’action de la nature, c’est aussi de même par les forces de la nature que les hommes vont resusciter ou que la résurrection est un acte naturel, mais que de même que la nature se reproduit à l’identique et ramène un même être semblable par l’aspect, mais différent par ce qui l’entoure, de même Dieu, avec incomparablement plus de facilité que la nature qui lui est soumise, peut ressusciter une même substance en nombre égal tout en changeant sa qualité. Iicet enim ex grano seminato quod nudum iacitur in terram: nascatur aliud granum eadem specie dissimili ornatu scilicet fultum calamo: opertum gluma: horrens aristæ quibusdam quasi spiculis: tamen eo exemplo non uult probare apostolus: ut hoc fit per naturam ita quoque naturæ uiribus homines resurrecturos: aut naturalem resurrectionem esse sed quemadmodum natura eamdem re[10v]parat eandemque reducit rem specie similem ornatu dissimilem: ita deus uel incomparabiliter facilius quam natura ei subdita: potest eanden substantiam numero ressuscitare: mutata qualitate.
(487) C’est également ainsi que sur le même sujet je comprends cette parole du saint Job et du prêtre Rufin, tous deux débordants d’éloquence mystique, quand ils semblent blâmer les gens avec une certaine pudeur et dire : "le genre humain est-il assez stupide pour, quand il voit le tronc d’un arbre coupé à ras de nouveau jeter des surgeons depuis la terre, et un bois mort de nouveau recevoir la vie ; de fait le tronc va refleurir en percevant l’eau et il donnera du fruit comme s’il était nouveau, ...mais l’homme s’il meurt s’en ira ? Et s’il tombe dans la mort il n’existera plus ?". Ita quoque illud sancti lob et Ruffini presbyteri mysticis eloquiis redundantium in re eadem intelligo: cum pudore quodam uidentur arguere homines: et dicunt. Itane stultum est hominum genus ut cum uideant excisae arboris truncum rursus pulluIare de terra: et lignum emortuum iterum uitam recipere: nam truncus ab odore aquae reflorebit: et faciet fruticem sicut nouella: Vir uero si mortuus fuerit: abierit? et mortalis si ceciderit ultra non erit?RVFIN. symb., 42
(488) Et je ne comprends pas autrement ce passage du divin Grégoire au livre 6 des Moralia : "après avoir considéré la poussière qu’est le genre humain, l’esprit de certains est ébranlé et doute : comment la poussière pourrait-elle redevenir de la chair, et construire un corps ressuscité par l’entremise de la structure des membres, puisque cela voudrait dire que l’aridité de la terre reverdit à travers des membres vivants et se divise en fonction de leur espèce et de leur forme. Cela assurément la raison ne peut le comprendre, mais il est facile de le croire en utilisant un exemple. Qui pourrait croire que d’un seul grain de semence se dresserait un arbre immense, s’il n’en avait fait l’expérience assurée ? Dans l’infime petitesse d’un seul grain on peut à peine trouver une similitude avec l’arbre : où se cache la dureté du bois, et dans le bois la moelle tantôt dure tantôt plus molle, l’écorce rêche, la verdeur de la racine, la saveur des fruits, le parfum délicieux, les couleurs variées, la délicatesse des feuilles ? En quoi donc est-il difficile que la poussière redevienne des membres tandis que nous voyons tous les jours la puissance du Créateur, car, de manière admirable, il crée du bois à partir d’une graine et, de manière plus admirable encore, du fruit à partir du bois ?". Nec aliter illud diui gregorii in .vi. moralium accipio: considerato inquit humani generis puluere quorundam mens concussa desperat: qui puluis ad carnem redeat: et rediuiuum corpus per membrorum liniamenta conponat: quoniam illa terrae ariditas per uiuentia membra uiridescat ac sese per eorum species formasque distinguat. Hoc nimirum per rationem comprehendi non potest: sed tamen credi per exemplum facile potest. Quis enim ab uno grano seminis immensam surgere arborem crederet: nisi certum hoc per experimentum teneret? In tanta namque unius grani paruitate pene nullam uides similitudinem: ubi latet ligni duricia: et in ligno tenerior uel durior medulla: asperitas corticis: uiriditas radicis: sapor fructuum: suauitas odorum: diuersitas colorum: mollicies foliorum. Quid ergo est difficile ut puluis in membra redeat: dum conditoris potentiam quottidie cernimus: quia et ex grano ligna mirabiliter: et adhuc mirabilius fructus ex lignis creat? GREG. M. moral., 6, 15
(489) Quant à ce que dit Arator lux tertia surgit ("le troisième jour se lève"), quelqu’un dira peut-être aussi ; et pourquoi le Christ alors qu’il le pouvait n’est pas ressuscité avant le troisième jour ? Quod autem dixit Arator lux tertia surgit: dicet quispiam et cur non christus ante triduum cum posset: resurrexit?
(490) Alexandre de Hales, qui mérite parfaitement son nom car il est doté d’un génie qui vole comme un oiseau, dira dans sa troisième partie que le Christ est ressuscité après trois jours pour que le témoignage de trois jours, comme s’il s’agissait de trois témoins d’importance capitale, prouve que le Christ était bien mort ; autrement beaucoup auraient douté de la réalité de sa mort. Dicet Alexander: Ales uerissime nuncupandus quod uolucri sit ingenio præditus: dicet ergo in iii parte ideo post triduum surrexisse ut trium dierum testimonium quasi trium testium grauissimorum christum probaret fuisse mortuum: alioquin multi de ipsius morte dubitassent.
(491) D’où vient que la Glose, au sujet de ces paroles de l’Apôtre "il ressuscita le troisième jour ajoute évidemment quand la réalité de sa mort fut prouvée". Vnde glo. super illa apostoli uerba Resurrexit tertia die1 Co 15, 4 : addit probata scilicet uera morte.GLOSS. ORD. in 1 Co., 15, 4
(492) D’autre rapportent cela au nombre de la Trinité, nombre impair et de la totale perfection, qui est indiqué par le Christ dans l’évangile de Matthieu quand il dit : "de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l’Homme sera dans le cœur de la terre trois jours et trois nuits". Alii referunt ad numerum trinitatis imparem ac perfectissimum: qui notatur a christo apud mattheum: sicut inquit fuit lonas in uentre ceti tribus diebus et tribus noctibus: ita erit filius hominis in corde terræ tribus diebus et iii noctibus.Mt 12, 40
(493) Or ces trois jours (ainsi que le dit Augustin au livre 2 du De trinitate) furent comptés en faisant une synecdoque comme dans puppesque tuæ pubesque tuorum ("tes poupes et la jeunesse des tiens") où la partie est prise pour le tout. Le premier jour est le vendredi qui est pris en compte pour sa dernière partie, le deuxième jour est totalement pris en compte c’est le samedi, et le troisième est pris en compte pour sa première partie et c’est le dimanche. fuerunt autem tres dies (ut augustinus in. ii de trinitate author est) synecdochios ut illud puppesque tuæ pubesque tuorum:VERG. Aen., 1, 399 ubi pars pro toto accipitur. dies una hoc est ueneris: accipitur secundum postremam sui partem: altera secundum se totam id est sabbati: tertia uero secundum partem sui primam hoc est dominica.
(494) Pour ce qui est en effet de l’heure de la résurrection, chacun a son opinion. de hora enim resurrectionis alii alia referunt.
(495) Certains sont d’avis que cela s’est passé au milieu de la nuit, d’autres que le Seigneur est ressuscité au matin ; Bonaventure (au livre 3 des Sentences) pense que l’on peut faire concorder ces avis, puisqu’il dit que les uns jugent d’après le moment de la résurrection (celui où cela s’est produit en réalité) et les autres d’après le moment où pour la première fois cela a été connu. quidam media nocte: nonnulli mane dominum surrexisse opinantur: quos Bonauentura concorditer sentire putat in tertio Sententiarum. cum hos dicat sentire de resurrectionis tempore: quo reuera contigit: illos autem de eo tempore quo primum innotuit.
(496) Le saint canon en effet n’a pas exposé assez clairement le fait suivant et quelqu’un pourrait aussi demeurer perplexe : la chair du Christ pendant ces trois jours a-t-elle été atteinte par la décomposition, puisqu’elle était vraiment une chair humaine, qui, comme le dit Aristote, lorsque le souffle vital la quitte se décompose et se corrompt. sacer. enim canon ista minus aperte explicauit posset etiam aliquis ambigere: num caro christi in illo triduo putredine læsa fuerit: cum esset uere caro humana: quæ abeunte anima ut ait Aristoteles putrescit et corrumpitur.
(497) Alexandre de Hales, ce théologien d’exception, enlève cet écueil dans le passage cité ci-dessus : "de fait, dit-il, si la puissance de l’âme créée jointe au corps garde ce corps libre de toute décomposition et intact, pourquoi la divinité unie au corps du Christ (anathème en effet comme l’affirme Jean Damascène, soit celui qui a dit que le Verbe a déposé ce qu’il avait une fois assumé), pourquoi donc la divinité protègerait moins le corps auquel elle a été joint de toute souillure de corruption, alors même que l’âme s’en serait retirée". hunc scrupum remouet Ales idem præstans theologus in loco supradicto: Nam inquit si uirtus animæ create corpori iuncta ipsum tuetur ab omni putredine liberum: atque intactum: quid diuinitas corpori christi unita (anathema enim et authore damasceno qui dixit uerbum deposuisse quod semel assumpsit) quid ergo deitas corpus illud cui erat iuncta: ab omni labe corruptionis minime seruauit quamuis anima ab eo diuulsa fuerit:
(498) De fait, David, poète et très grand roi, parlant de ce corps très saint dit : "tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption". A cet endroit la glose dit "le corps sanctifié du Christ grâce auquel les autres corps sont sanctifiés, voilà ce que tu ne laisseras pas se corrompre" ; Certe dauid poeta sacer et Rex præstantissimus de illo corpore sanctissimo loquens: non dabis inquit sanctum tuum uidere corruptionem:Ps 15, 10 ubi glo. corpusGLOSS. ORD. in ps., 15, 10 ait christi sanctificatum: per quod alia sanctificantur: non patieris corrumpi.GLOSS. ORD. in ps., 15, 10
(499) maiestas ("la majesté") est donc l’aspect glorieux et les quatre qualités qui l’illustrent que les théologiens nomment des dons dans le livre 4 des Sentences : la passibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté ; redit cum carne ("revient escortée de la chair") autrement dit avec le corps du Christ ressuscité par la divinité ; on peut aussi comprendre maiestas ("la majesté") comme la divinité qui revient escortée de la chair, c’est à dire la divinité du Christ qui était unit à l’âme unit l’âme à la chair ; et ainsi il revient des enfers en ramenant l’âme et en la joignant de nouveau au corps. maiestas igitur id est species gloriosa et illa quattuor decora: quæ in. iiii. Sen. a theologis dotes nuncupantur scilicet passibilitas subtilitas agilitas et claritas: redit cum carne id est cum corpore christi per diuinitatem suscitato: uel maiestas id est diuinitas redit cum carne: hoc est deitas christi quæ erat unita animæ animam unit carni: et ita redit ab inferis animam reducendo et corpori iterum eam coniungendo.
(500) Et c’est la figure de prolepse, parce que la chair ne revient pas des enfers, parce qu’elle ne descend pas aux enfers, mais on dit qu’elle revient parce que, dès que le Christ est revenu des enfers, rediit maiestas ("la majesté revint") autrement dit cet aspect glorieux, ou aussi il dit rediit maiestas ("la majesté revint"), non pas des enfers, comme nous le disions peu auparavant, mais rediit maiestas ("la majesté revint") autrement dit cette clarté qui était la sienne avant la passion du Christ par une divine disposition, et qui a été vue dans la transfiguration par trois disciples, toutefois de manière transitoire et qui ne dure pas longtemps. et est hic prolepsis figura: quia caro non redit ab inferis quia ad inferos non descendit: sed dicitur redire quia statim ut rediit christus ab inferis rediit maiestas id est species illa gloriosa: uel dicit rediit maiestas non ab inferis: ut paulo ante dicebamus: sed rediit maiestas id est illa claritas quæ ante passionem christi ex diuina dispositione tenebatur: et in transfiguratione discipulis tribus uisa est: celeriter tamen transiens nec diutius permanens.
(501) En effet puisque l’âme du Christ, depuis le commencement de la création, était glorieuse grâce à la vision manifeste et à la jouissance parfaite de la divinité, la gloire de cette âme rejaillissant sur le corps montra cette clarté comme celle du soleil aux trois disciples sur la montagne ; c’est d’elle dont on dit maintenant qu’elle est revenue, bien qu’elle soit dite maintenant permanente alors qu’elle n’était que fugace alors. Cum enim anima christi a principio creationis gloriosa fuerit per apertam uisionem et perfectam fruitionem: gloria animæ ad corpus redundans claritatem illam quasi solis: tribus in monte disciplis ostendit: quæ nunc dicitur rediisse: quamuis nunc permanens tunc transiens dicatur.
(502) Donc rediit maiestas ("la majesté revint") autrement dit cette clarté divine qui avait été interclusa ("séparée") selon le plan divin en sorte que ce corps était passible et soumis à la mort jusqu’à ce que le prix de la rédemption de l’homme fût payé ; redit ("il revient"), dis-je, autrement dit est ramené de manière permanente ce qui avait été montré de manière fugace dans la transfiguration. Rediit ergo maiestas id est illa claritas gloriosa quæ erat ordinatione diuina interclusa: ut corpus illud esset patibile et morti obnoxium donec precium redemptionis humane penderetur: redit inquam id est reducta est permanenter quæ antea transeunter in transfiguratione monstrata est.
(503) speciemque coruscam ("une éclatante beauté") autrement dit l’apparence glorieuse et resplendissante dans laquelle nos corps, si nous avons fait le bien, seront transformés, ainsi que le dit l’Apôtre dans la lettre aux Philippiens quand il écrit : "nous attendons le sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ, qui renouvellera le corps de notre faiblesse en le configurant à son corps glorieux". speciemque coruscam id est speciem gloriosam et fulgentem: in quam nostra corpora si boni fuerimus traducentur ut apostolus ad philippenses scribens ait: expectamus dominum nostrum lesum christum: qui reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suæ.Ph 3, 21
(504) Cette speciem coruscam ("éclatante beauté"), le Seigneur l’explique en Matthieu quand il dit : "les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de mon Père". hanc speciem coruscam declarat dominus apud matth. fulgebuntMt 13, 43 inquit iusti sicut sol in regno patris mei.Mt 13, 43
(505) (Refert de sede) umbrarum ("ramène du séjour des ombres") autrement dit le Christ fait revenir du sede umbrarum ("séjour des ombres") autrement dit de l’enfer qui est le séjour des ténèbres ; on peut aussi comprendre umbrarum ("des ombres") comme des âmes, à la manière des poètes; refert ("il ramène") est dit en usant évidemment de ce genre de prolepse que l’on voit en Enéide 1 : de fait, le poète préfigure ce qui sera ensuite fait ; de fait, il faut comprendre : il ramène la beauté du séjour des ombres comme quand il revient du séjour des ombres il ramène à son propre corps cette clarté que les trois apôtres avaient vue sur la montagne. (Refert de sede) umbrarum id est reducit christus de sede umbrarum id est ab inferno quæ est sedes tenebrarum: uel umbrarum id est animarum more poetico: dicitur refert per prolepsin illam scilicet ut in i eneidos: Nam præsumit poeta id quod postea factum est: nam refert speciem de sede umbrarum intelligendum est: id est posteaquam a sede umbrarum redit: reducit corpori suo claritatem illam uisam tribus apostolis in monte.
(506) Mais je ne veux pas examiner en détail ce qu’expose Alexandre de Hales dans sa troisième partie, dans le traité sur l’apparition du Christ ou encore Thomas dans la la question 45 de sa Tertia, pour ne pas avoir l’air de tirer la couverture à moi. Nolo autem scrutari quæ ales in. iii. parte in tractatu de apparitione christi: uel thomas in tertia quoque sua q xxxxv disserant: ne uidear aliquid attrahere.
(507) En effet, si cette clarté était la même que celle vue par les trois apôtres ou un semblant de la clarté qui est don, celui qui voudra le savoir, qu’il laisse de côté les petits ruisseaux de ce commentaire et qu’il aille voir dans les sources où nous avons puisé pour ainsi dire de petites gouttes. utrum enim eadem claritas fuerit uisa apostolis illis tribus: uel similitudo claritatis quæ dos est: qui scire uoluerit dimissis riuulis adeat illos fontes unde haec quasi guttulas haurimus.
(508) (Vt ab exule limo) le sens et l’ordre sont : omnipotens ("le Tout-Puissant") évidemment le Christ ipse parat uias ("lui-même prépare les chemins") évidemment par lesquels nous pouvons aller au paradis, notre patrie en sorte que origo patriae ("la patrie d’origine") évidemment la nôtre, longtemps interclusa ("séparée") autrement dit empêchée repetatur ab exule limo ("soit rejointe loin de l’exil de la terre") autrement dit de l’homme qui est fait du limon de la terre, en faisant une synecdoque, le tout pour la partie ; exule ("exil") autrement dit en exil loin du paradis, sa patrie, pour laquelle Dieu l’a créé, selon ce mot d’Augustin dans les Confessions : "tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi". (Vt ab exule limo) sensus est et ordo omnipotens scilicet christus ipse parat uias scilicet quibus eamus in paradisum patriam nostram: ut origo patriæ: scilicet nostræ diu interclusa id est impedita: repetatur ab exule limo id est ab homine qui factus est de limo terræ synecdochicos a parte totum: exule id est exulante a paradiso pa[11r]tria sua: ad quam deus illum creauit: secundum illud Augustini in confessionibus: fecistiAVG. conf., 1, 1 (inquit) nos domine ad te: et ideo inquietum et cor nostrum donec requiescat in te.AVG. conf., 1, 1
(509) Arator dit ut repetatur origo ("pour que soit rejointe l’origine") et sa patrie du commencement par l’homme, parce que l’homme au commencement fut placé dans le paradis dans lequel, comme dans une très douce patrie, il vivait au milieu des plus grands agréments. dicit autem arator ut repetatur origo et principium patriæ suæ ab homine: quia homo in principio positus fuit a deo in paradiso: in quo tanquam in patria duIcissima iucundissime uiuebat.
(510) Mais quand il pécha, une fois chassé du paradis, il partit en exil loin de sa patrie tant qu’est différée la plénitude du temps ; le terme de plénitude du temps est employé par l’Apôtre pour le temps de la grâce qui a pris naissance à partir de la venue du Sauveur. Verum ubi peccauit de paradiso eiectus exulauit a patria sua tamdiu quamdiu plenitudo temporis dilata est dicitur plenitudo temporis ab apostolo: tempus gratiæ: quod ab aduentu saluatoris exordium sumpsit.
(511) Or le Christ (comme le dit le Maître au livre 3 des Sentences, distinction 18) a obtenu pour nous en souffrant la mort et la passion l’accès du paradis et la rédemption du péché, du châtiment et du pouvoir du diable. Meruit autem christus (ut in. iii. sen. dist.xviii. magister ait) nobis per mortis ac passionis tolerantiam: aditum paradisi et redemptionem a peccato: a poena: a diabolo.
(512) Mais comment nous a-t-il rachetés par sa mort du diable et du péché et nous a-t-il ouvert l’accès à la gloire ? sed quomodo per mortem nos a diabolo et a peccato redemit? et aditum gloriæ aperuit?
(513) Dieu avait décidé (comme le dit Ambroise), en raison du premier péché, de ne pas laisser entrer l’homme dans le paradis, autrement dit, de ne pas l’admettre à la contemplation de Dieu, si, en un homme, il ne se trouvait pas une si grande humilité qu’elle puisse servir la cause de tous ses semblables, comme dans le premier homme se trouva un si grand orgueil qu’il nuisit à tous ses semblables. Decreuerat deus (ut ait Ambrosius) propter primum peccatum non intromitti hominem in paradisum id est ad contemplationem dei non admitti: nisi in uno homine tanta existeret humilitas: quæ omnibus suis proficere posset: sicut in primo homine tanta fuit superbia: quæ omnibus suis nocuit.PET. LOMB. sent., 3, 18, 5, 2
(514) L’orgueil du premier homme l’envoya lui-même et toute sa race dans l’exil, mais l’humilité du Christ et sa passion rendirent à l’homme sa patrie d’origine dans laquelle au début Dieu l’avait placé. superbia primi hominis se et genus suum in exilium misit: humilitas christi et passio in patriam illam originalem hominem restituit: in quam positus a deo primum fuit.
(515) Arator dit donc origo patriæ repetatur ("que la patrie d’origine soit rejointe") autrement dit que la patrie d’origine soit de nouveau atteinte, interclusa ("séparée") autrement dit fermée et interdite par le péché, diu ("longtemps") autrement dit pour un long moment, évidemment depuis le commencement jusqu’à la venue du Christ et sa sainte résurrection ; avant elle, la porte du paradis était close même pour les élus et ces saints patriarches qui descendaient aux limbes et dans les séjours infernaux ; on peut comprendre autrement ab exule limo ("loin de l’exil de la terre"), comme loin de la terre sur laquelle nous, misérables fils d’Eve, nous sommes en exil, pour revenir dans notre patrie d’origine. dicitur ergo ab Aratore: origo patriæ repetatur id est patria originalis iterum petatur: interclusa id est clausa et impedita per peccatum diu id est diuturno tempore scilicet principio usque ad aduentum christi: et eius sacram resurrectionem: ante quam clausa erat paradisi ianua etiam electis ac sanctis illis patribus: qui ad limbum et ad sedes infernas descendebant: uel aliter ab exule limo id est a terra in qua miseri filii euæ exulamus repetatur originalis patria.
(516) (Et corpora) évidemment ceux des saints patriarches iubet secum regnare ("il invite à régner avec lui"), autrement dit à être avec lui dans le royaume des cieux, post tumulos ("après le tombeau") autrement dit après leur sépulcre, c’est à dire une fois qu’ils eurent été ensevelis ils furent ressuscités par le Christ et transférés dans le royaume des cieux. (Et corpora) scilicet sanctorum patrum iubet secum regnare id est secum esse in regno coelorum: post tumulos id est post sepulchra: hoc est posteaquam sepulta iam fuerant a christo suscitata sunt: et in regnum coelorum translata.
(517) (Moriente semine ueneni) autrement dit quand la mort mourut grâce à la victoire du Christ comme nous l’avons dit plus haut, le Christ évidemment reddidit ("a rendu") autrement dit a restitué, sua germina ("ses plants") autrement dit ses propres fruits, ceux qui lui appartiennent en propre, à savoir les hommes qui germaient dans le paradis comme sur un sol qui leur était propre, horto florigero ("au jardin fleuri") autrement dit au paradis. (Moriente semine ueneni) id est moriente morte per christi uictoriam ut supra diximus: reddidit christus scilicet id est restituit: sua germina id est suos et fructus proprios: hoc est homines qui uelut in proprio solo germinabant in paradiso: horto florigero id est paradiso.
(518) De fait en grec παράδεισος veut dire 'jardin'. nam graece paradisus hortum significat.
(519) florigero ("fleuri") autrement dit qui porte des fleurs et qui est d’un agrément extrême. florigero id est ferente flores et amoenissimo.
(520) La mort est dite semen ueneni ("semence du poison") parce que, quand l’antique serpent trompa Eve par son discours de persuasion empoisonné (comme le raconte le prophète Moïse dans la Genèse), immédiatement la mort de l’exil suivit le moment où, jetés dans l’exil par la mort, ils furent chassés du paradis et connurent qu’ils étaient nus. dicitur autem semen ueneni mors: quia serpens antiquus cum euam decepit uenenosa persuasione (ut in genesi narrat Moses propheta) continuo mors secuta est exili: quam morte exulantes a paradiso pulsi sunt: et nuditatem suam cognouerunt.
(521) On parle de ueneni semen ("semence du poison") parce que le diable, quand il tenta Eve, ne vint pas sous sa propre apparence, comme le dit le Maître des Sentences au livre 2 : "pour éviter que sa tromperie ne fût trop apparente et fût connue ouvertement et ainsi repoussée, de même pour éviter que sa tromperie ne fût trop cachée et qu’on ne pût s’en prémunir et qu’en même temps l’homme pût passer pour subir une injustice si Dieu avait permis qu’il soit circonvenu par le diable de telle manière qu’il ne pût s’en prémunir , mais sous une forme sous laquelle on puisse facilement démasquer sa malice. Il vint donc vers l’homme comme un serpent, lui qui, peut-être, si on le lui avait permis aurait préféré venir sous la forme d’une colombe. Mais il n’étais pas digne que l’esprit malin rendît odieuse à l’homme l’apparence sous laquelle apparaîtrait ensuite l’Esprit saint". dicitur autem ueneni semen: quia diabolus cum temtauit Euam non in sua specie uenit ut magister in .ii. ait: ne illius fraus nimis manifestaretur: nec aperte cognosceretur: et ita repelleretur. iterum ne nimis occulta foret fraus eius: quæ caueri non posset: et homo simul uideretur iniuriam pati: si taliter circumueniri permitteret eum deus ut praecauere non posset: sed in tali: in quam eius malicia facile posset deprehendi. Venit ergo ad hominem in serpente: qui forte si permitteretur: in columbæ speciem uenire maluisset. sed non erat dignum ut spiritus malignus illam formam homini odiosam faceret in qua spiritus sanctus appariturus erat.PET. LOMB. sent., 2, 21, 2, 1
(522) Et ensuite : "le serpent est dit extrêmement rusé, non en vertu de son âme rationnelle, mais en vertu de son esprit diabolique". Hinc serpens callidissimus dictus est non rationali anima sed diabolico spiritu.PET. LOMB. sent., 2, 21, 2, 1
(523) Alors aussi l’homme, parce qu’il eut quelque créature pour l’inciter au mal, n’eut pas de façon injuste quelqu’un pour le ramener au bien. Hinc etiam homo quia incitatorem habuit ad malum: non iniuste reparatorem habuit ad bonum.
(524) Mais le diable parce que, sans que personne ne le tente, il s’était précipité à sa perte, n’a pas dû être aidé par une autre créature pour pouvoir se relever. diabolus uero quia sine alicuius tentatione perierat: per alium ut surgeret iuuari non debuit.
(525) En outre, sa nature angélique ne s’était pas totalement perdue, mais la nature humaine, elle, s’était totalement perdue. præterea angelica natura non tota perierat: humana uero tota perierat.
(526) Et c’est la raison pour laquelle pour éviter qu’elle ne se perde totalement, elle a été en partie rachetée en sorte que, par là, il soit suppléé à la ruine de la part angélique. et ideo ne penitus perderetur: ex parte est redempta: ut inde ruina suppleretur angelica.
(527) C’est la raison pour laquelle Arator dit reddidit ("a rendu"), a restitué, a réparé. ideo arator ait reddidit restituit reparauit.
(528) Mais quelqu’un hésitera peut-être sur la manière dont le Christ invite corpora ("les corps") à regnare secum ("régner avec lui") autrement dit à être dans son royaume et dans le paradis. sed dubitabit aliquis quomodo chrisrus iubet corpora sanctorum regnare secum id est esse in suo regno et in paradiso.
(529) Voici ce que dit la Glose sur Mt. 27 : "et beaucoup de corps de saints qui dormaient ressuscitèrent : il faut (dit la Glose) croire que ces gens sont montés au ciel avec leur corps en même temps que le Seigneur montait au ciel". Dicit glo. super illud cap. xxvii matthei: Et multa corpora sanctorum quæ dormierunt surrexerunt:Mt 27, 52 Hi inquit glo. credendi sunt cum domino ascendente simul ascendisse cum corpore.GLOSS. ORD. in Mat., 27, 52
(530) Donc le Christ iubet regnare ("invite à régner") ces justes dans le paradis avec lui et à être dans l’empyrée avec leur corps. Iubet ergo regnare christus hos in paradiso secum et in celo empyreo esse cum corpore.
(531) Quant à savoir si nous devons tenir avec certitude cette affirmation, ce n’est pas très clair à la lecture du saint canon. Vtrum tamen hoc certo affirmare debeamus non liquet ex sacro canone.
(532) Puisqu’il en est ainsi, qui oserait affirmer soit que ces personnes sont dans le paradis terrestre jusqu’au jour du jugement, soit qu’elles sont montées au ciel avec le Seigneur montant au ciel, soit encore que leurs corps sont retournés à la poussière dans laquelle il gisaient auparavant, alors que les voies du Seigneur sont impénétrables et dépassent par leur étendue sans limite l’intelligence de la raison humaine. Quod cum ita sit quis audeat dicere hos uel esse in paradiso terrestri usque ad diem iudicii: uel ascendisse cum domino ascendente: uel rediisse corpora eorum in puluerem in quo ante iacebant: cum uiæ domini inscrutabiles immenso tractu rationis humanæ intelligentiam transcendant.
(533) Et cette hésitation est en accord avec le présent passage et semble surtout s’appliquer au commentaire de la fin du poème : comment le Christ reddidit ("a rendu") les hommes horto florigero ("au jardin fleuri") autrement dit le paradis. Est et illa dubitatio huic loco consentanea: et maxime congruere uidetur enarrationi ultimi carminis: quomodo christus reddidit homines horto florigero id est paradiso.
(534) De fait, comme on parle du paradis parfois pour désigner la vision de Dieu, d’autres fois pour désigner un lieu corporel au-dessus des orbes célestes autrement dit pour désigner l’empyrée, et quelquefois pour désigner le jardin des délices autrement dit le paradis terrestre, de quelle manière le Christ a-t-il rendu les saint patriarches, autrement dit des hommes, au paradis dont, comme de leur patrie, ils étaient exilés ? Nam cum paradisus aliquando accipiatur pro uisione diuina: quandoque pro loco corporali supra orbes coelestis id est pro celo empyreo: nonnunquam pro horto uoluptatis hoc est pro paradiso terrestri: quo pacto restituit christus sanctos patres id est homines paradiso: a quo tanquam a patria exulabant?
(535) Pour lever plus facilement cette hésitation et cette ambiguïté "il faut savoir" (comme l’atteste le Maître des Sentences livre 2) "qu’il y a, pour parler de manière générale, trois avis concernant le paradis : 1-ceux qui veulent le comprendre uniquement de manière corporelle, 2-ceux qui veulent le comprendre uniquement de manière spirituelle, 3-ceux qui le comprennent de l’une et l’autre manière". ut facilius dubitationem hanc et ambiguitatem soluamus: est Sciendum tres esse generales de paradiso sententiasPET. LOMB. sent., 2, 17, 5, 2 ut magister in.ii. author est. Vna eorum qui corporaliter intelligi uolunt tantum. Altera eorum qui spiritaliter tantum. tertia eorum qui paradisum utroque modo accipiunt.PET. LOMB. sent., 2, 17, 5, 2
(536) Le Maître dit que la troisième manière a sa préférence parce que, si le paradis dans lequel l’homme a été placé est le type de l’Église présente et à venir, il faut cependant comprendre qu’il s’agit d’un lieu d’un agrément extrême riche en arbres fruitiers et rendu fécond par une grande source, situé à l’Orient, et séparé par une grande distance de mer ou de terre des régions habitées par les hommes et qui s’étend jusqu’au cercle lunaire. Tertiam sibi placere ait magister: quia et si praesentis ecclesiæ uel futuræ typum tenet paradisus ille in quo homo positus est: tamen intelligendum esse locum amoenissimum fructuosis arboribus magnum et magno fonte foecundum: in orientali parte: longo interiacente spacio uel maris uel terrae a regionibus quas incolunt homines secretum: et in alto situm: usque ad Iunarem circulum pertingentem.
(537) De là vient qu’il dise que les eaux du déluge ne sont pas même arrivées jusqu’à lui, bien que Jean Duns Scot, qui a reçu le surnom de "Docteur Subtil" pense que les eaux du déluge ne sont pas arrivées jusqu’à lui, non pas en raison de son altitude (vu que, s’il était placé dans un lieu si élevé, il serait inhabitable), mais parce que, comme ce cataclysme détruisait de manière miraculeuse les pécheurs, l’inondation n’est pas parvenue jusqu’au paradis parce qu’il n’y avait là nul criminel pour qu’elle le punisse. unde ait nec aquas diluuii peruenisse ad illum quamquam loanes caledonius cui doctori subtili cognomentum additur: putat aquas diluuii ad illum non propter altitudinem peruenisse: cum locus si tam sublimis poneretur esset inhabitabilis: sed quia cataclysmo per miraculum peccatores aboIente: ad paradisum non peruenit inundatio quia facinorosus in eo nullus erat qui puniretur:
(538) Mais ne faisons pas de digression, j’en reste à l’opinion inébranlable de ce théologien si fin et je passe. Sed ne diuertam hanc acutissimi theologi sententiam inconcussam reliquo.
(539) Josèphe, quant à lui, comme le rapporte le divin Ambroise au livre 6 de sa correspondance, dit que le paradis est un lieu rempli de toutes sortes d’arbres et de plantes et qu’il est arrosé par un fleuve qui se divise en quatre fleuves ; le reste, pour ne pas allonger, je n’en dis rien. Iosephus autem ut in sexto epistolarum refert diuus ambrosius: paradisum dicit locum refertum arboribus uirgultisque plurimis: irrigari etiam flumine qui diuidatur in quattuor fluuios:AMBR. epist., 6, 34, 2 et Reliqua quae ne longior sim: omitto.
(540) Puisque donc, sous le nom de paradis, on désigne ce lieu terrestre d’un extrême agrément dans lequel Adam a été façonné par Dieu et dans lequel il a vécu corporellement, même si cela ne dura pas longtemps, nous répondrons facilement à cette ambiguïté en suivant l’avis du divin Bonaventure, celui de Saint Thomas et de beaucoup d’autres qui disent que les saints patriarches on été conduits par le Christ lors de sa résurrection, après être apparus à Jérusalem, dans le paradis terrestre, pour y rester jusqu’au moment où le roi éternel serait de nouveau accueilli dans l’empyrée avec eux. Cum ergo paradisus dicatur locus ille amoenissimus in terra: in quo Adam a deo politus est et in quo corporaliter uixit: licet paruo tempore: facile respondebimus ambiguitati iuxta Sententiam diui Bonauenturæ: Sancti thomæ multorumque aliorum: qui aiunt sanctos patres a christo resurgente fuisse perductos post apparitionem illam in hierusalem: in paradisum terrenum ut ibi tandiu morarentur donec rex æternus in coeIum empyreum cum illis assumeretur.
(541) Donc le Christ a rendu l’homme au paradis terrestre dans lequel il avait été placé au départ par Dieu et ainsi il l’a ramené dans sa patrie. reddidit ergo christus hominem paradiso terreno: in quo primo positus a deo fuerat: et ita patriæ restituit.
(542) Par le mot paradis on entend aussi la contemplation de Dieu en vue de laquelle l’homme a été créé par Dieu. Paradisus etiam dicitur contemplatio dei: ad quam homo creatus est a deo.
(543) Notre intelligence en effet, comme le dit le Docteur Subtil dans sa Secunda, ne peut être rassasié par quelqu’un ou se reposer en quelqu’un sinon sous le rapport de l’infini. intellectus enim noster ut doctor subtilis in. ii. sapienter ait non potest ab aliquo satiari: uel in aliquo conquiescere nisi sub ratione infiniti.
(544) C’est cette intelligence en nous comme un esprit généreux que le divin Augustin dans le de Spiritu et Anima célèbre : notre âme est si noble qu’elle ne peut être rassasiée que par le souverain bien. quos intellectus nostri quasi generosos spiritus in libro de spiritu et anima diuus augustinus celebrat: Anima inquit nostra est tam nobilis ut nisi per summum bonum non possit satiari.
(545) Cela d’ailleurs, l’usage le montre à tout moment. Id uero usus ipse passim ostendit.
(546) Toute personne en effet à qui quelque chose manque sent aussi qu’il y a quelque chose d’amer mêlé dans les biens qu’il possède. Or que conçois-tu de si bon pied que de ton effort et de l’accomplissement même de ton vœu il ne sorte quelque repentir ? Cuilibet enim aliquid deest: et unusquisque his bonis quæ habet aliquid fellis sentit admixtum. quid autem tam dextro pede concipis ut te conatus non poeniteat uotique peracti ?
(547) Puisque donc, dans cette vie ici-bas, rien ne nous satisfait, seule la vision de la divine majesté et sa contemplation nous obtiennent la somme de tous les biens et la félicité parfaite, quand l’esprit avec l’aide de Dieu voit la vérité de manière transparente et non en énigme. Cum ergo in hac uita nihil nobis satisfaciat: sola diuinæ maiestatis uisio et contemplatio obtinet cumulum omnium bonorum et perfectam foelicitatem. ubi mens diuinitus adiuta uidet perspicuam ueritatem non in ænigmate.
(548) Il n’y a là qu’une seule vertu sans aucune peine et qui parfaite : aimer ce que tu vois, et le sommet de la béatitude c’est de voir et d’avoir ce que tu aimes. Sine omni labore una est ibi tota uirtus amare quod uides: et summa beatitas uidere et habere quod amas.
(549) Ceux qui parviennent à cette félicité, sont dans la Jérusalem céleste que l’on appelle aussi paradis autrement dit hortus floriger ("jardin fleuri") et d’un extrême agrément en raison de la suavité et de la douceur que l’on y possède sans aucun mélange et tout entière sans aucun voile d’inquiétude. Qui uero ad hanc felicitatem perueniunt: sunt in ciuitate illa celesti hierusalem: quæ dicitur paradisus id est hortus floriger et iucundissimus propter suauitatem et dulcedinem quæ ibi sincera et tota sine ullo sollicitudinis nubilo possidetur.
(550) On dit alors que c’est notre patrie parce que c’est pour elle que Dieu nous a créés ; c’est d’elle qu’en raison de l’orgueil du premier homme créé nous avons été rejetés mais en elle qu’en raison de l’humilité d’un deuxième homme nous avons été réinstallés. dicitur patria nostra: quia ad illam nos deus creauit: a qua per hominis primi protoplasti deturbati superbiam: per secundi hominis humilitatem restituti sumus.
(551) Donc reddidit horto florigero sua germina ("il a rendu ses plants au jardin fleuri"), autrement dit il a réinstallé les âmes des élus et l’âme du bon larron dans le paradis, autrement dit dans la contemplation de l’essence divine qui est le paradis et hortus floriger ("un jardin fleuri") en raison de son ineffable charme ; on peut dire aussi dans le paradis, autrement dit l’empyrée que les théologiens affirment être immobile et baigné de lumière mais à ce paradis le Christ ne reddidit ("rendit") pas, comme dans une cité qui leur serait propre et qui serait leur patrie, les saints patriarches sinon après quarante jours, lors de son admirable ascension. Reddidit ergo horto florigero sua germina id est restituit animas electorum et animam latronis paradiso id est contemplationi diuinæ essentiæ quæ est paradisus et hortus floriger ob iucunditatem inefabilem: uel paradiso id est celo empyreo quod esse immobile et lucidissimum theologi autumant: sed huic paradiso non reddidit id est non restituit tanquam in propriam ciuitatem et patriam Christus sanctos Patres nisi post quadraginta dies cum in celum mirabiliter ascendit.
(552) Et le retour commença quand le Seigneur monta au ciel avec les saints patriarches, mais il s’achèvera au jour du jugement, quand le Seigneur avec tous les élus passera dans la cité du ciel et y retournera. Et tunc fuit inchoata restitutio cum dominus ascendit cum sanctis patribus: sed perficietur in die iudicii cum uniuersis electis domino in supernam ciuitatem migrante ac redeunte.