Livre 1 section 6 (vv. 211-243)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(1234) (FVNDITVR INTEREA.) comme au jour de Pentecôte trois milliers, autrement dit trois mille personnes avaient cru et qu’autant avaient été baptisées par Pierre, comme le divin Luc l’a raconté au chapitre 2 des Actes, ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres et tous les croyants étaient égaux et il mettaient tout en commun, vendaient leurs biens et leurs fortunes et les partageaient à tous selon les besoins de chacun. (FVNDITVR INTEREA.) Cum in die pentecoste tres chiliades et tria millia hominum credidissent: et baptizati tot a petro essent: ut in secundo capite actuum narrauit diuus lucas: perseuerabant in doctrina apostolorum: omnes etiam qui credebant erant pariter: et habebant omnia communia: possessiones et substantias uendebant: et diuidebant illa omnibus prout cuique opus erat.
(1235) C’était là le signe de la charité qui se répandait dans leurs cœurs. Quod apertum erat indicium charitatis diffusae in cordibus eorum.
(1236) C’est ce qui fait aussi que l’Esprit saint fut donné deux fois aux apôtres ; il signifia le double feu de la charité, l’amour de Dieu et du prochain. Vnde et bis apostolis spiritus sanctus datus: geminum charitatis ardorem: et dei ac proximi dilectionem significauit.
(1237) Voilà ce qu’Arator dans la sixième section du livre 1 expose avec soin. Hanc rem arator in hac sexta primi libri sectione diligenter declarat.
(1238) (Interea) évidemment au moment où les apôtres les enseignent et quand tous les fidèles que Pierre a baptisés persévèrent dans la prière ; funditur gratia ("se déverse la grâce") évidemment du saint Esprit per cunctos sensus ("à travers tous les sens") évidemment des croyants. (Interea) scilicet dum apostoli eos docent: et in oratione perseuerant cuncti fideles a petro baptizati: funditur gratia scilicet spiritus sancti: per cunctos sensus scilicet credentium.
(1239) De fait il y a une preuve et un indice clair de la réception de l’Esprit saint : ils aiment chacun comme eux-mêmes et ont sur Dieu une opinion vraie et, pour dire comme Grégoire, sur leur prochain une meilleure opinion que sur eux-mêmes, car la vraie vertu n’est pas dans les miracles, comme le montre la Vérité : "en cela, dit-il, il reconnaîtront que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres" ; il ne dit pas : "en cela il reconnaîtront que vous êtes mes disciples si vous faites des miracles" mais il dit "si vous vous aimez les uns les autres" ; il indique ici ouvertement que les vrais serviteurs de Dieu apparaissent non aux miracles qu’ils montrent, mais à leur seule charité. Nam spiritus sancti recepti probatio et indicium clarum est: unumquemque ut se diligere. de deo uera: et ut uerbis utar gregorii: de proximo meliora quam de seipso sentire. quia uera uirtus: in amore est non in miraculis: ut ueritas ostendit: in hocJn 13, 35 inquit cognoscent omnes quia discipuli mei estis: si dilectionem habueritis ad inuicem:Jn 13, 35 non ait: in hoc cognoscetur uos meos esse discipulos: si signa feceritis sed ait: si dilectionem habueritis ad inuicem:Jn 13, 35 aperte indicans ueros dei famulos: non ostensione miraculorum sed sola charitate probari.
(1240) Voici en effet ce qui atteste que l’on est un disciple du Ciel : le don de l’amour fraternel. testimonium enim discipulatus superni est: donum fraternae dilectionis.
(1241) Et parce que (comme le dit Augustin dans une lettre à Jérôme) la plénitude de la loi c’est la charité, qui fait que l’on aime Dieu et le prochain, préceptes dont dépendent toute la loi et les prophètes, ce n’est pas à tort qu’Arator dit que c’est per cunctos sensus ("à travers tous les sens) que la grâce de l’Esprit saint s’est diffusée dans le cœur des croyants qui s’aimaient à tel point qu’ils avaient tout en commun de sorte que, par le don de la charité, il ne faisaient plus aucun cas des biens temporaires, mais se faisaient un trésor dans le ciel des vrais biens, et ainsi, par la seule vertu de charité, ils embrassaient d’un coup toutes les vertus. et quia (ut in quadam ad hieronymum epistula ait augus.) plenitudo legis caritas est: qua deus proximusque diligitur: in quibus praeceptis caritatis tota lex pendet et prophetae:AVG. epist., 55, 21, 38 non iniuria arator ait per cunctos sensus gratiam spiritus sancti fuisse diffusam in corda credentium: qui adeo se amabant ut simul essent omnia omnibus communia. ut per dilectionis donum bona temporaria nihili facerent: thesaurizantes in coelo uera bona. atque ita per unam charitatis uirtutem omnis simul uirtutes comprehenderent.
(1242) (gratia.) Expliquez donc de cette manière le vers d’Arator : gratia ("la grâce") évidemment de la charité, funditur ("se déverse") évidemment sous l’action de l’Esprit saint, per cunctos sensus ("à travers tous les sens") évidemment des fidèles. (gratia.) igitur expone hoc modo uersum aratoris: gratia scilicet. charitatis funditur scilicet a spiritu sancto: per cunctos sensus scilicet fidelium.
(1243) Ici je prends le mot sensus ("sens") non seulement pour les sens extérieurs, mais aussi pour les sens intérieurs ; de fait, puisque l’amour du prochain (en atteste Grégoire) dérive vers deux préceptes qui sont évidemment veiller à ne pas faire à un autre ce que tu détesterais que l’ont te fît, et aussi cet autre : faire vous aussi aux gens ce que vous voudriez qu’ils vous fassent ; avec ces deux commandements des deux testaments, grâce à l’un on apaise la malice, grâce à l’autre on prolonge la bienveillance. sensus hic accipio non solum exteriores sed etiam interiores. nam cum proximi dilectio (ut author est gregorius) ad duo praecepta deriuetur scilicet illud quod ab alio tibi odisti fieri: uide ne alteri feceris: et item illud: quae uultis ut faciant uobis homines et uos facite illis:Mt 7, 12 his duobus utriusque testamenti mandatis: per unum malitia compescitur: per alterum benignitas prorogatur.
(1244) Il existe en effet deux sortes de malice : la malice des sens extérieurs et celle des sens intérieurs : les sens extérieurs en effet, comme des chèvres, bondissent par une sorte de saut, et se nourrissent de ces ruptures, troublant l’âme par leur impétuosité. Malitia uero duplex: exteriorum sensuum et interiorum. sensus enim extranei caprarum modo uelut saltu quodam exiliunt: et pascuntur praeruptionibus: impetu suo animam perturbantes.
(1245) Pour toute occasion, ils sont là prêts à se précipiter et, soit par l’arrivée de la beauté féminine, soit par l’odeur de quelque parfum délicat, soit par l’ouïe, soit par le toucher de ce sexe insidieux, les voilà émus, eux dont la constance d’âme (sans l’aide de l’Esprit céleste) est infléchie et comme rendue étrangère à sa propre nature. ad omnem occasionem praesto sunt in praeceps ruentes: et uel occursu foemineae pulchritudinis: uel odore alicuius suauitatis: uel auditu tactuue insidiosi sexus protinus mouentur: quibus animae constantia (ni coelestis adsit spiritus) inflectitur: et uelut a natura sui abalienatur.
(1246) La grâce spirituelle, qui se diffuse venant du Ciel dans notre cœur, nous donne donc une certaine forme de chasteté et de modération, de sorte que nos sens extérieurs, vue, ouïe, odorat, toucher, goût et pour finir notre parole même (nous entendons en effet ici le mot "sens" dans sa signification la plus large, sans le lier par les entraves d’une acception plus étroite) demeurent dans leur office, conservent leur tempérance et veillent à demeurer dans la modération. dat ergo gratia spiritalis cor nostrum coelitus fusa castimoniam quandam: moderationemque: ut externi sensus Visus: auditus: olfactus: tactus: gustus: uox denique ipsa: (sensus enim hic latissime intelligimus: nec ullis arctioris significantiae uinculis alligamus) in officio maneant: temperantiam seruent: modestiam custodiant.
(1247) Parce que, si la vue est trop effrontée, il y a faute, et c’est la raison pour laquelle il est écrit : "ne regarde pas la femme trompeuse et ne laisse pas tes yeux être séduits, ni ses paupières t’emporter". quia uisus si sit procacior: habet crimen: et ideo scriptum est: noli intendere fallaci mulieri nec capiaris oculis:Pr 5, 2 nec arripiaris palpebris.Pr 4, 25
(1248) Et dans l’ouïe même, il y a faute, si la courtisane te séduit et, par les multiples flatteries de son discours et les liens de ses lèvres, elle t’enferme. et in ipso auditu crimen est si seducat meretrix: et multo blandimento sermonis: et laqueis labiorum suorum te alliget:
(1249) Quant au toucher même, la faute y est multiple, c’est pourquoi il est prescrit : "ne t’attarde pas souvent auprès de la femme d’autrui, et ne trouve pas plaisir aux embrassements d’une femme qui n’est pas la tienne". Et in ipso tactu multiplex culpa est: ideo praecipitur: ne multus fueris ad alienam:AMBR. bon. mort., 6, 25 et fouearis amplexibus non tuae.
(1250) Que dire de la parole ? Le lien le plus fort pour l’homme, n’est-ce pas sa bouche ? N’est-il pas dit : "ne mange pas beaucoup de miel, de peur que tu ne vomisses" ? quid uox? nonne laqueus fortissimus est homini os suum? nonne dicitur mel ipsum noli multum edere:Pr 25, 27 ne euomas?
(1251) Ainsi donc l’Esprit saint réprime tous les sens extérieures afin que leur impétuosité n’entraîne pas au vice, leur excès ne blesse pas ou le retard qu’ils provoquent ne fasse pas achopper. Circumcidit ergo spiritus sanctus omnes sensus externos: ne aut impetus in uitium trahat: aut nimietas laedat: aut mora offensioni sit.
(1252) Il ferme toutes les routes par lesquelles la mort entre, celles qui ouvrent, à partir du siège de l’âme, vers les yeux, les narines et les oreilles, en sorte que des fenêtres soient ouvertes aux œuvres de vie et fermées aux œuvres de mort ; voici en effet ce que chacun obtient par le présent de la vraie charité ; en ne faisant pas le mal qu’il ne veut pas endurer, il s’abstient de toute œuvre nuisible. claudit omnes uias per quas intrat mors: quae a sede animae ad oculos: ad nareis: ad aureis sunt perforatae: ut fenestrae illae operibus uitalibus apertae: ac mortiferis occlusae sint. Id enim uerae charitatis munere quisque consequitur: dum malum quod pati non[29v] uult non faciens:cessat a nocendi opere.
(1253) Que dirai-je des sens internes ? L’Esprit nourricier les entoure comme de la muselière du saint amour. Aussitôt, l’âme s’observe avec une attention inquiète, pour éviter que l’orgueil ne l’élève et que, en causant sa propre ruine, elle ne s’exalte jusqu’à mépriser le prochain, pour éviter que l’ambition ne détourne sa réflexion, que la colère n’enflamme son cœur pour lui faire proférer l’insulte, que la luxure ne pollue son esprit de mouvements illicites, que l’envie (qui est la rivale des biens d’autrui) ne la consume de sa torche, que la malice n’éveille la haine, en laissant libres et lâches les rênes à sa langue quand elle calomnie et dit du mal. Quid loquar de internis sensibus? quos ubi capistro cinxit sanctæ dilectionis almus spiritus: statim anima sollicita se intentione circumspicit: ne superbia eleuetur: et usque ad despectum proximi se deiiciens exaltet: ne ambitio cogitationem distrahat: ne ira ad proferendam contumeliam cor inflammet: ne luxuria illicitis motibus animum polluat: ne inuidia (alienis bonis æmula) sua se face consumat : ne odium malitia excitet liberas obtrectanti linguæ ac maledicæ habenas laxans.
(1254) Ce sont toutes ces eaux d’une mer instable que le feu de l’Esprit saint éteint, après que la véritable charité a enseigné à ne pas faire à autrui ce que tu détesterais voir autrui te faire. Has omneis instabilis freti undas ignis spiritus sancti extinguit: posteaquam uera charitas docuit ne alteri facias: quod tibi ab alio fieri odisti.
(1255) C’est la raison pour laquelle Arator rappelle que la grâce de l’Esprit saint s’est répandue à travers tous les sens des fidèles tant intérieurs qu’extérieurs (comme je l’ai exposé) ; mais combien cette même charité demande, pour ainsi dire de son propre droit, que l’on partage largement à son prochain un bien que tu juges équitable qu’on te remette ; cette autre source de l’amour pour le prochain est divisée par le bienheureux Grégoire en de nombreux petits ruisseaux afin que l’on compare les actes bons aux mauvais et les actes meilleurs aux bons : être doux envers les coléreux, être patient envers les obstinés, être bienveillant envers les gens pleins de malice, être libéral envers les indigents, être consolateur envers les affligés, faire des reproches à ceux qui sont liés par les désirs de ce monde comme par des liens pernicieux. Ideoque arator gratiam spiritus sancti per omnes sensus fidelium tam interiores quam exteriores (ut exposui) efusam commemorat. At quanta eadem charitas postulat suo quodam iure: ut bonum proximo largiter impendas: quod in te conferri æquum iudicas: hic quoque alter dilectionis in proximum fons: in multos riuulos a beato gregorio diuiditur: ita ut malis bona: et bonis meliora conferas: in iracundos mitis: in proteruos masuetus: in malignantes beniuolus : in indigentes liberalis: in afflictos consolator: in uictos mundi huius desideriis uelut perniciosis nexibus increpator.
(1256) Ainsi, en effet, tu montreras la voie droite à ceux qui errent, tu apporteras le don de la paix à ceux qui sont dans la discorde et tu affermiras, pour ceux qui sont dans la concorde, le lien de cette même paix. Sic enim et errantibus uiam rectam ostendes: et discordibus pacis munus ingeres: et concordibus eiusdem pacis uinculum firmabis.
(1257) Ainsi tu soulageras ceux qui sont accablés par les angoisses et sur le point de tomber, ou ceux qui menacent ruine, par une action généreuse ; ainsi tu adouciras les menaces des plus puissants par un raisonnement convaincant ; ainsi tu opposeras à ceux qui résistent le bouclier de la patience, en sorte que tu ne te détourneras pas de ta règle ; ainsi la douceur pourra tempérer la justice et la sévérité la clémence, pour éviter que l’une ne nuise à l’autre. Sic oppressos angustiis iamque casuros: uel ad ruinam nutantes ope munifica subleuabis: sic minas potentiorum ratiocinatione probabili lenies: sic resistentibus oppones scutum patientiæ ut non deseras disciplinam: sic mansuetudo iusticiam et seueritas clementiam temperet: ne hæc illi aut huic illa officiat.
(1258) La plupart du temps, en effet, une austérité sans mesure, quand elle s’achauffe pour la vengeance, franchit les grilles de la piété et les justes limites. Plerumque enim austeritas immoderata ad ultionem feruescens: pietatis cancellos et iustos transilit limites.
(1259) De fait, provoquer les ingrats à l’amour par des bienfaits, et conserver ceux qui vous sont reconnaissants dans l’amour en y ajoutant des services ; taire ce que le prochain fait de mal (quand tu ne peux le corriger), et reprocher ce qui peut être corrigé (afin de ne pas voir l’emporter l’impression que vous êtes d’accord) ; montrer le don de la bienveillance à ceux qui veulent le mal, afin de ne pas se détourner par la complaisance du juste sentier du droit ; partager à chacun tous les biens pour éviter qu’en les partageant sous le coup d’un vain orgueil tu ne perdes la récompense de tes bienfaits ; éviter dans les biens que tu offres le précipice du sentiment de supériorité, afin de ne pas languir dans la torpeur loin de l’entraînement que donne un louable combat ; donner ce que tu possèdes, sans craindre plus que nécessaire pour ta propre indigence, en étant bien conscient, quand tu donnes largement de tes biens terrestres, de la largesse qui sera celle de celui qui te récompensera, et tu n’obscurcis d’aucun nuage de tristesse la lumière de la joie qu’il y a à agir bien. Iam uero ingratos beneficiis ad amorem prouocare: et gratos additis officiis in amore seruare: et proximorum mala (cum non potes corrigere) tacere: et quæ possunt corrigi (ne consensum præstare uideatis) increpare: et sic maliuolis benignitatis munus exhibere: ne per gratiam a recto iuris tramite declines: et sic cuncta proximis bona impendere: ne hæc impendendo per superbiam inanem: benefactorum mercede frauderis: et sic in bonis quæ præstas tumoris præcipitium uitare: ne tamen ab agonis laudandi exercitatione per torporem langueas: et sic quæ possides tribuere: ne tuam plus quam necesse est inopiam pertimescas: dum terrena largiens quanta sit largitas remunerantis attendis: nec ullo tristiciæ nubilo hilaritatis beneficæ lumen obscuras:
(1260) Voilà tout ce que donne la seule charité ainsi que bien d’autres avantages sans nombre ; si je voulais tous les énumérer j’arriverai à mon dernier jour sans avoir terminé. hæc omnia una præstat charitas: et alia inumera: quæ si uelim cuncta recensere: supremus ante me dies occupet.
(1261) Si ces sujets toutefois sont agréables à l’un de vous, qu’il lise les livre 10 des Moralia de Grégoire et il trouvera ces idées écrites en d’autres termes et bien plus encore avec plus d’élégance et de sagesse, comme s'il puisait à la source. Si cui tamen ista grata erunt: legat gregorii in.x. moralium libro: et hæc ipsa aliis uerbis: et multo plura elegantius sapientiusque ut in fonte conscripta repperiet.
(1262) Quant à cette simple source de la charité d’où découlent les larges eaux de la bienveillance, le poète l’ajoute juste après : Et uoluntas ("et la volonté") évidemment des fidèles de cette primitive Église, locuples ("opulente") autrement dit riche en amour évidemment pour son prochain et pour Dieu ; metit ("mesure") autrement dit rassemble ; diuitias ("ses richesses") évidemment celles des dons de l’Esprit saint par lesquels il fait que chacun qui est enclin à la vraie charité accomplisse les œuvres variées de cette charité, comme je viens de le dire. simplicem uero hunc fontem charitatis: ex quo manant aquæ benignitatis largiores subdit poeta: (Et uoluntas) scilicet fidelium ecclesiæ illius primigeniæ: locuples id est diues: in amore scilicet erga proximum et deum: metit id est colligit diuitias scilicet donorum sancti spiritus: quibus efficit ut quisquis uera charitate præditus est: multifaria charitatis opera (ut paulo ante dixi) exerceat.
(1263) Et, s’il fait ici mention de la volonté, c’est parce qu’aimer est le fait de la volonté ; une volonté bonne rend absolument l’homme bon quand elle pousse les autres forces de l’âme à agir selon elle, en tenant solidement son sceptre. Et de uoluntate fit hic: mentio: quia amare uoluntatis est: Voluntas autem bona: facit absolute hominem bonum: cum impellat alias uires animæ ad actiones suas sceptra tenens.
(1264) Et de là vient que le caractère bon ou vicieux de la volonté tourne à l’avantage ou au détriment des autres puissances de l’âme. Vnde fit ut bonitas uoluntatis uel uitiositas: commodo uel damno sit reliquis animæ potestatibus.
(1265) Mais on peut aussi interpréter autrement : uoluntas ("une volonté") riche en amour metit ("mesure") autrement dit sépare et enlève d’elle-même, comme les moissonneurs qui coupent la moisson de la terre et la rassemblent en gerbes ; donc la volonté s’enlève des richesses (qui servent pour ainsi dire de moyen de négoce pour la charité) et des fautes, quand les saints vendaient leurs possessions et les distribuaient à chacun selon ses besoins. uel aliter potes interpretari: uoluntas diues in amore metit id est scindit et aufert a se: sicut messores secant a terra segetem: et colligunt in manipulos: uoluntas ergo aufert a se diuitias tamquam charitati negocium facessentes et noxias: cum possessiones sancti uiri uendebant: et singulis distribuebant ut cuique opus erat.
(1266) De fait, Augustin, en commentant la lettre de Jean, dit : "la racine de tous les maux, c’est la cupidité et la racine de tous les biens c’est la charité ; les deux ne peuvent aller ensemble ; sans que l’une des deux ne soit totalement arrachée, l’autre ne peut s’implanter ; quelqu’un tente de couper sans raison des branches, s’il ne s’efforce pas d’enlever la racine". Nam augus. super epistulam Ioannis. radix inquit omnium malorum est cupiditas: et radix omnium bonorum est charitas.AVG. in psalm., 80, 1, 8 simul ambæ esse non possunt. nisi una radicitus euulsa fuerit: alia plantari non potest. sine causa conatur aliquis ramos incidere: si radicem non contendit euellere.
(1267) Dans ce sens, tu diras que ce poème est pour ainsi dire une interprétation de ce qui précède. Ad hunc autem sensum dices: hoc carmen esse interpretamentum antecedentis: ut ita dicas.
(1268) (Interea) gratia (entre temps la grâce") autrement dit la charité funditur per omnes sensus ("se déverse à travers tous les sens") autrement dit la réflexion et les forces de l’âme ; per ("à travers") autrement dit la riche volonté dans l’amour, autrement dit la charité, metit diuitias ("mesure ses richesses") et les tranche de lui-même, comme des plantes nocives pour l’âme et extrêmement dommageables. (Interea) gratia id est charitas funditur per omnes sensus id est cogitatus et uires animæ: et per id est diues uoluntas in amore: hoc est enim charitas: metit diuitias: et resecat a se tamquam plantas animæ noxias ac nimium damnosas.
(1269) N’allez pas vous étonner qu’il prenne le mot gratia ("grâce") pour désigner la charité, puisque χάρις (d’où vient le mot charité) veut dire grâce. Nec mireris quod gratia accipiat pro charitate: cum charis (unde deducitur charitas) gratiam significet.
(1270) χάρις -itis en effet désigne en grec ce que le latin désigne par gratia. charis itis enim græce dicitur: quæ latine gratia.
(1271) Il y a aussi une autre raison pour laquelle le mot grâce est pris ici simplement comme synonyme de charité. De fait, comme l’atteste Hilaire, il faut prendre le sens des mots en tenant compte des raisons de l’emploi de ce mot parce que ce n’est pas au discours que la réalité est soumise, mais le discours à la réalité. Est et alia ratio: cur gratia hic simpliciter pro charitate accipiatur. Nam (teste hilario) intelligentia dictorum ex causis est assumenda dicendi:ALEX. HAL. summ., 3, 2, 1, 8 quia non sermoni res: sed rei est sermo subiectus.
(1272) Puisqu’ainsi, dans ces 33, vers Arator traite du don de la charité, il a démontré largement par les conséquences quelle grâce ces fidèles ont reçue et quel fut le don qui a précédé cela. Cum ergo in his. xxxiii. uersibus Arator de dono charitaris agat: nimirum quam gratiam fideles illi acceperint: et quod fuerit illud donum præcedens: sequentibus causis demonstrauit.
(1273) Et il ne sera pas difficile de faire accepter cela aux théologiens qui ne sont pas d’accord avec le Maître lombard, qui (comme le dit Jean Scot dans le premier livre des Sentences distinction 17) soit postule que la grâce est une manière d’être autre que la charité, soit dit au moins que cette manière d’être réside dans la volonté et non dans l’essence de l’âme. nec hoc difficulter persuadebitur theologis dissetientibus a magistro longobardo: qui (ut inquit loannes scotus in primo sen. dist. xvii) uel ponit gratiam alium habitum esse a charitate: uel saltem dicit hunc habitum esse in uoluntate: et non in essentia animæ.IOH. DUNS SCOT. sent., 1, dist. 17, 2, 2, B, 3
(1274) Mais d’autres théologiens qui contredisent le maître, dans l’idée qu’il n’a pas postulé cette manière d’être de la charité, par laquelle l’Esprit saint vient habiter l’âme qui le mérite (bien que tente d’excuser son opinion un homme certes sans éloquence mais d’une intelligence supérieure), certains donc (à mon sens du moins avec sagesse et savoir) ont affirmé que, dans les faits, la charité et la grâce étaient la même manière d’être, ce qu’appuie d’ailleurs l’étymon de ce nom comme nous l’avons dit plus haut. Ast alii :a quibus magister arguitur quasi non posuerit eum charitatis habitum: per quem spiritus sanctus promerentem animam inhabitet: quamquam id conatur excusare uir infacundi sed tamen Summi ingenii. ergo nonnulli (mea quidem sententia sapienter ac docte) eundem esse habitum in re charitatem et gratiam asseuerauerunt: quos nominis etymon adiuuat: ut supra dicebamus.
(1275) Chrysostome aussi, d’ailleurs, entérine leur proposition, lui qui n’est pas seulement d’or par sa bouche, mais aussi par son cœur et ses sentences : "la grâce", dit-il, "est la santé de l’esprit et l’affection du cœur". Quibus etiam subsignat chrysostomus: non tantum ore sed etiam pectore et sententiis aureus: GratiaALB. M. comm. sent., 2, 26A, 4 inquit est sanitas mentis et dilectio cordis.ALB. M. comm. sent., 2, 26A, 4
(1276) En outre, il faut bien voir que la signification de ce mot est extrêmement large : en effet on n’appelle pas seulement grâce cette forme que Dieu donne gratuitement et sans considération de mérite, conduisant celui qui la possède à l’action de grâce et rendant son œuvre bonne, mais encore celle qui est dite multiple, donnée selon la munificence de celui qui la donne, et gratuitement, et qui parfois échoit même à des gens mauvais. Cæterum illud uidendum est huius uocabuli significantiam latissime patere. non enim gratia solum uocatur forma illa a deo data gratis sine meritis: gratum faciens habentem: et opus eius bonum reddens: sed etiam illa quæ multiplex secundum munificentiam largitoris gratis data nuncupatur: etiam improbis nonnumquam contingens.
(1277) Hé quoi ? Augustin dans son livre sur la nature et la grâce n’a-t-il pas écrit que la grâce nous devance pour nous faire vivre pieusement, mais qu’elle nous suit pour que nous vivions en sa compagnie, signifiant, par la grâce subséquente, notre gloire ? N’est-il pas exact qu’au même endroit l’Aigle d’Hippone montre que la grâce est une, alors même qu’elle opère dans l’âme des œuvres multiples : c’est en effet elle qui fait de l’âme l’épouse du Christ, la fille du Père éternel, et le temple de l’Esprit saint ; c’est elle qui purifie l’âme, l’illumine, la rend parfaite, la fait vivre, la reforme, l’établit solidement, l’élève, l’assimile et l’unit à Dieu. Quid? nonne augustinus in li. de natura et gratia gratiam scripsit praeuenire ut pie uiuamus:AVG. nat. et grat., 31, 35 subsequi uero ut cum illa uiuamus. per subsequentem gratiam significans gloriam? An non ibidem ostendit aquila hipponensis gratiam unam esse: cum tamen multa in anima operetur. ipsa enim animam efficit sponsam christi et filiam patris aeterni: et templum spiritus sancti. Ipsa animam purgat: illuminat: perficit: uiuificat: reformat: et stablilit: eleuat: assimilat: deo coniungit.
(1278) Tout cela, comment cela peut-il arriver, si la face supérieure de l’âme, dans laquelle consiste l’image de la Trinité, n’est pas éclairée par les trois lumières de la foi, de l’espérance et de la charité, et la face inférieure, où sont raison, colère et cupidité, n’est pas dirigée par le conseil de la prudence, par la constance du courage, par la pureté de la tempérance, par la bonté de la justice ? Quæ omnia qui fieri possunt: nisi et facies animæ superior: in qua consistit trinitatis imago: tribus luminibus fidei spei charitatis illustretur: et inferior ubi[30r] ratio ira et cupiditas sunt: dirigatur consilio prudentiæ: fortitudinis constantia: temperantiæ puritate: bonitate iusticiæ?
(1279) A la vérité, ce sont là les sept couleurs qui sont comme tracées par le pinceau du créateur suprême : si tu enlèves la lumière de la charité, elles n’ont plus de forme et sont comme recouvertes des brumes du pays des Cimmériens, mais l’affection, en les éclairant de sa lumière, les rend dignes d’être vues et d’être particulièrement aimées. Verum enimuero hi septem peniculo summi artificis quasi deliniati colores: si lucem charitatis remoueas: informes sunt: et uelut cymmeria caligine obtenti: quos suo lumine illustrans dilectio facit conspicabiles et amabilissimos.
(1280) S’y ajoutent les sept présents de l’Esprit saint que nous avons rappelés plus haut : ils coulent de la même source, des sept degrés par lesquels on monte sur la montagne dont les apôtres sont le sommet ; ils sont tellement cohérents entre eux qu’ils semblent désigner immédiatement le même auteur. Huc accedunt septem illa spiritus sancti munera: quæ supra memorauimus: ab eodem fonte manantia: septem gradibus quibus in montem culminis apostolici scanditur: ita congruentia: ut statim eundem præ se ferre authorem uideantur.
(1281) De fait, la crainte convient aux humbles, la piété aux doux, la science à ceux qui sont dans le deuil, le conseil au miséricordieux, l’intelligence aux cœurs purs, la sagesse aux pacifiques, la justice, pour finir, à ceux qui ont faim, le courage à ceux qui ont soif, mais tous ces dons sont embrassés par le seul nom de grâce. Nam conuenit humilibus timor: mittibus pietas: scientia lugentibus: misericordibus consilium: intellectus mundis corde: pacificis sapientia: denique esurientibus iusticia: ac sitientibus fortitudo: cuncta hæc uno gratiæ nomine comprehenduntur:
(1282) Une unique grâce comme une source très féconde fait naître d’elle, avec un cours si varié et si abondant, des ruisseaux très nombreux, très beaux et admirables. una gratia tanquam uberrimus fons: meatu tam uario tamque copioso ex se riuulos emittit numerosissimos: pulcherrimos: admirandos.
(1283) Si donc quelqu’un dit : l’étendue de la grâce est telle qu’elle signifie tous les dons de l’Esprit saint qui ne sont pas issus de la nature, mais d’un don gratuit (en effet c’est cela que dénote le mot "grâce"), comment veux-tu que dans le vers d’Arator (Funditur interea) per cunctos gratia sensus ("entre temps se déverse à travers tous les sens la grâce"), le mot "grâce" soit pris au sens de charité ? Je vais volontiers aller au devant de cette ambiguïté : outre les raisons que j’ai données peu auparavant, j’alléguerai maintenant la figure d’antonomase, qui fait que très souvent, même si nous ne mettons pas le mot propre, par ce à quoi nous avons recours à sa place, nous comprenons néanmoins ce mot même ; ainsi quand nous disons "philosophe", voici ce que dit ce mot : on comprend Aristote si l’on va dans la philosophie sur un seul pied et en claudiquant ; mais ceux qui sont en bonne santé et marchent sur leurs deux pieds, pensent que l’on veut parler de Platon. Si ergo dicet aliquis: gratia tam late patet: ut cuncta munera spiritus sancti non naturalia sed gratuita significet: Id enim notat gratiæ uocabulum: quo pacto uis ut in uersu Aratoris (Funditur interea) per cunctos gratia sensus: gratia pro charitate accipiatur? Ego uero ac lubens isti ambiguitati obuiam ibo: ac præter eas (quas paulo ante causas rettuli) allegabo nunc antonomasian figuram: qua plerunque etiam si nomen proprium non ponamus: per id quod uice eius fungitur : ipsum nihilominus intelligimus. Vt cum dicimus philosophus hoc dixit: intelligitur Aristoteles ab his: qui uno in philosophia pede claudicant. Qui uero sani sunt utroque pede : platonem credunt significari.
(1284) Mais on me dira : ton exemple ne vaut rien, car il règle un conflit par un autre conflit. Sed dices: nil ualet exemplum litem quod Iite resoluit.
(1285) Qu’il n’y ait donc pas de doute : quand on parle de "poète", on comprend (comme le dit l’empereur Justinien dans ses Institutes) chez les Grecs le grand Homère, chez nous Virgile. Sit ergo hoc indubitatum: cum allegatur poeta intelligitur (ut ait imperator iustinianus in Institutionibus) apud græcos egregius homerus: apud nos Vergilius.
(1286) Ainsi quand on nomme de manière générale la grâce, κατὰ ἀντονομασίαν (par antonomase), pensons que l’on parle de la charité qui, de toutes les grâces, est la plus excellente. Ita cum generatim gratia nominatur : cata antonomosian charitatem dici putemus: quia omnium sit gratiarum excellentissima.
(1287) Mais cela comment pourras-tu le prouver ? va-t-on me dire. At id qui probare poteris? dicet quispiam.
(1288) Rien de plus facile, si nous nous appuyons sur les paroles d’Augustin au livre 15 du de Trinitate, que le Maître a rappelé dans son livre 1 et auxquelles Arator semble ici faire allusion : "l’amour" (dit la lumière jadis posée sur le lampadaire de l’église d’Hippone, qui éclaire de la lumière de la vérité avec son discours qui dissipe la confusion des ténèbres, en repoussant en tout sens les nuées) : "l’amour de Dieu", dit-il donc, "se diffuse dans nos cœurs, comme le dit l’Apôtre, par l’Esprit saint qui nous a été donné ; il n’est rien de plus excellent que ce don de Dieu. C’est lui, et lui seul, qui fait le départ entre fils du royaume et fils de perdition. L’Esprit donne aussi d’autres présents, mais sans la charité, ils ne servent à rien. Donc, si une personne ne reçoit pas le don de l’Esprit saint qui le fera aimer Dieu et son prochain, il ne passe pas de la gauche vers la droite. Et l’Esprit saint n’est pas proprement appelé un don, si ce n’est en raison de l’amour, car celui qui n’a pas l’amour, même s’il parlait toutes les langues et avait le don de prophétie et toute la science et toute la foi et distribuerait ses biens et livrerait son corps pour qu’il soit brûlé, cela ne lui sert à rien. Qu’il est donc grand ce bien sans lequel de si grands biens ne conduisent personne à la vie éternelle ? Cet amour même", ou plutôt cette charité (car il n’y a qu’un nom pour les deux) "conduit au Royaume". Nihil facilius: si Augustini uerba libro de trinitate. xv. adduxerimus in patrocinium: quæ magister quoque in primo repetiuit: ad quæ hic uidetur Arator alludere: Dilectio (inquit lucerna supra candelabrum hipponensis ecclesiæ olim posita et lucem ueritatis a confusione tenebrarum splendore clarifici sermonis pulsis undique caliginibus longe lateque enubilans) dilectioAVG. trin., 15, 26 inquit dei diffusa est in cordibus nostris (ut ait apostolus) per spiritum sanctum: qui datus est nobis. nullum est isto dono dei excellentius. Solum est quod diuidit inter filios regni: et filios perditionis. Dantur et alia per spiritum munera : sed sine charitate nihil prosunt. Nisi ergo tantum impertiatur cuiquam spiritus sanctus: ut eum dei et proximi faciat amatorem: a sinistra non transfertur ad dexteram. Nec spiritus sanctus proprie dicitur donum: nisi propter dilectionem: quam qui non habuerit: etsi loquatur omnibus linguis:AVG. trin., 15, 26 et habuerit prophetiam: et omnem scientiam: et omnem fidem: et distribuerit substantiam suam: et tradiderit corpus suum ita ut ardeat: non ei prodest. Quantum ergo bonum est: sine quo ad æternam uitam neminem tanta bona perducunt? Ipsa uero dilectioAVG. trin., 15, 26 uel charitas (nam unius rei nomen est utrunque) perducit ad regnum.AVG. trin., 15, 26
(1289) Tels sont les mots d’Augustin qui fut le vrai sel de la terre (non pas du seul pays du Cinyps mais de la terre entière), qui vient donner tant de goût, aux cœurs non seulement de son temps mais de tous ceux qui ont suivi, que ne peut les effacer nulle erreur du siècle. Hæc Augustini uerba: qui fuit uere sal terræ non unius cinyphiæ: sed uniuersæ: quo præcordia non illius ætatis tantum: sed sequentium cunctarum ita condiuntur: ut nequeant ullo sæculi errore uanescere:
(1290) Donc ces paroles confirment largement ce que nous venons de dire et en même temps ils indiquent implicitement ce que nous disions plus haut, quand nous affirmions que l’on devait entendre la même chose par les mots charité et grâce, en raison de l’origine grecque du mot χάρις. Hæc igitur uerba apte confirmant id quod diximus : simul etiam id innuunt quod supra dicebamus: cum charitatem et gratiam ex originatione græci nominis charitos pro eodem intelligi debere asseuerabamus.
(1291) C’est exactement ce que dit Augustin dans le de Doctrina Christiana et dans l’Enchiridion à peu près en ces mots : "toute la grandeur", dit-il, "et l’immensité de la divine éloquence, la charité les possède elle qui nous fait aimer Dieu et le prochain". D’où vient que la Vérité dit : "en ces deux commandements réside toute la loi et les prophètes". Si donc tu n’as pas le temps de regarder en détail toutes les pages de la sainte Ecriture, de dérouler tous les voiles de ses propos, garde la charité, tout dépend de là, car c’est la perfection et le but de tout. Idem quod Augustinus in libris de doctrina xpiana et enchiridio fere his uerbis : totam inquit magnitudinem et amplitudinem diuinorum eloquiorum possidet charitas: qua deum proximumque diligimus. AVG. serm., 350 Vnde ueritas ait: in his duobus mandatis uniuersa lex pendet et prophetæ.Mt 22, 40 Si ergo non uacat omnes paginas sanctas perscrutari: omnia inuolucra sermonum euoluere: tene charitatem: ubi pendent omnia: quia perfectio est et finis omnium.
(1292) Ce sont des préceptes et des conseils donnés à juste titre, quand ils sont référés à l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu. Tunc enim et præcepta et consilia recte fiunt: cum referuntur ad diligendum deum: et proximum propter deum.
(1293) Ce qui vient de la peur du châtiment ou de quelque intention charnelle, c’est ce qui n’est pas rapporté à la charité, et cela n’est pas encore fait comme il le faut faire, bien que cela semble être fait. Quod uero timore pœnæ uel aliqua intentione carnali fit: ut non referatur ad charitatem: nondum fit sicut fieri oportet: quamuis fieri uideat.
(1294) Est en effet ennemi de la justice, celui qui ne pèche pas par peur de la punition. Inimicus enim iusticiæ est: qui poenae timore non peccat.
(1295) L’ami de la justice c’est celui qui ne pèche pas par amour pour elle. Amicus uero iusticiæ: qui eius amore non peccat.
(1296) Voilà quelle est la somme de tout : que l’on comprenne que la plénitude de la loi et de toutes les Ecritures divines est l’amour de Dieu et du prochain. omnium ergo hæc summa est: ut intelligatur: legis et omnium diuinarum scripturarum plenitudo esse dilectio dei et proximi.
(1297) Par tout cela, j’ai abondamment prouvé que le mot grâce est ici pris pour désigner la charité. His abunde probaui gratiam hic pro charitate accipi.
(1298) Mais tu voudras savoir ce que j’appelle ici charité ; je réponds avec les mots d’Augustin au livre 3 du de Doctrina christiana : "j’appelle charité le mouvement de l’âme pour jouir de Dieu en propre et de soi-même et du prochain à cause de Dieu" ; et dans le de Moribus ecclesiae : "la charité", dit Augustin, "de Dieu se dit de la vertu qui est l’amour le plus droit dans notre esprit, celui qui nous unit à Dieu et par lequel nous l’aimons". Sed scire uoles quid uocem hic charitatem: respondeo uerbis augustini in .iii. de doctrina chr.libro : charitatem uoco nutum animi ad fruendum deo proprium: et se ac proximo propter deum:AVG. doctr. christ., 3, 10 et in libro de moribus ecclesiæ : charitasAVG. mor. eccl., 1, 11, 19 (inquit) dei dicta est uirtus quæ animi nostri rectissima affectio est :AVG. mor. eccl., 1, 11, 19 quæ coniungit nos deo: qua eum diligimus.
(1299) Mais tu vas encore me demander : comment funditur ("se déverse")-t-elle (comme dit Arator) per cunctos sensus ("à travers tous nos sens") ? Vltra adhuc quæres: quomodo funditur (ut ait arator) per cunctos sensus.
(1300) Le même auteur divin va te le dire : on dit que la charité de Dieu se diffuse dans nos cœurs, non celle par laquelle il nous aime lui-même, mais celle par laquelle il nous fait aimer. Dicet idem author diuinus: charitas dei dicta est diffundi in cordibus nostris: non qua ipse nos diligit : sed qua nos diligere facit.
(1301) Mais comment la charité est-elle dirigée ? At quomodo intenditur charitas?
(1302) Je ne veux pas, après avoir si longuement traité de la charité, entrer dans la mer de ce débat théologique et philosophique qui est très vaste et profonde, pour ne pas choquer le regard de mes lecteurs, et, en même temps, parce que ce lieu ne me semble pas suffisamment approprié à des disputes de ce genre. nolo post tam longum de charitate Sermonem in istam undam theologicæ ac philosophicæ concertationis sane uastam et profundam intrare: ne legentium oculos offendam.simul quia non hic locus satis uidetur idoneus istiusmodi disputationibus.
(1303) Voici donc une brève récapitulation : (gratia ("la grâce")) autrement dit la charité et l’amour par excellence ; de fait (comme le dit Augustin dans le de Moribus Ecclesiae quand il traite de cette parole de l’Apôtre, "ni la mort, ni la vie ne pourront nous séparer de la charité de Dieu") si rien ne nous sépare de sa charité, que peut-il y avoir non seulement de meilleur mais même de plus certain que ce bien-là ? Illud ergo hic breuiter repetamus (gratia) id est charitas et dilectio per excellentiam. Nam (ut augustinus ait in libro de moribus ecclesiæ: tractans illud uerbum apostoli: nec mors nec uita poterit nos separare a charitate deiRm 8, 39) si nulla res ab eius charitate nos separat: quid esse non solum melius Sed etiam certius hoc bono potest:AVG. mor. eccl., 1, 11, 18
(1304) C’est exactement ce que dit ensuite le poète : évidemment locuples in amore uoluntas ("une opulente volonté dans l’amour") confirme l’exposé que je viens de faire ; de fait, comme il avait dit (gratia funditur) per cunctos sensus ("la grâce se déverse à travers tous les sens") il ajoute uoluntas locuples in amore metit diuitias ("une opulente volonté dans l’amour mesure les richesses") évidemment célestes et reçues au centuple. Quod etiam subdit poeta: scilicet locuples in amore uoluntas: confirmat hanc ipsam expositionem. nam cum dixisset (gratia funditur) per cunctos sensus: subiungit: et uoluntas locuples in amore metit diuitias scilicet coelestes: et geminatas centies.
(1305) De fait, outre le commentaire que je viens ci-dessus d’apporter, cela pourrait s’accorder avec la phrase du Christ en Marc : "Amen, je vous le dis, il n’est personne qui aura laissé sa maison, ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses fils ou ses champs pour moi et pour l’évangile, qui ne recevra pas au centuple, maintenant dans ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, fils, et champs avec des persécutions et dans le monde à venir la vie éternelle. Nam præter eam enarrationem: quam supra attuli: potest hæc accommodari secundum christi sententiam apud Marcum Euangelistam: Amen inquit dico uobis: nemo est qui[30v] reliquerit domum : aut fratres : aut sorores: aut patrem: aut matrem: aut filios: aut agros propter me et propter Euangelium: qui non accipiat centies tantum nunc in tempore hoc: domos et fratres et sorores et matres et filios et agros cum persecutionibus: et in saeculo futuro uitam æternam.Mc 10, 29-30
(1306) Puisque donc les fidèles, dans l’Église primitive, avaient abandonné les biens charnels sous l’effet du véritable amour, ils mesuraient, autrement dit amassaient, les richesses des biens spirituels, qui, par leur mérite et en comparaison (comme le dit Bède), seront comme quand on compare à cent un petit nombre ; parce qu’ils était amassés par des frères et des sœurs auxquels ils étaient liés par un ciment spirituel, ils recevaient, même dans cette vie, une charité bien plus précieuse ; ce qui fait que la multitude des croyants n’avait qu’un seul cœur et une seule âme et qu’ils avaient abondance de tout. Cum ergo hi fideles in ecclesia primigenia carnalia per ueram dilectionem reliquissent : metebant id est colligebant diuitias bonorum spiritalium: quae sui merito et comparationeBED. in Marc., 3, 10 (ut ait Beda) ita erunt quasi paruo numero centenarius comparatus. quia a fratribus et sororibus: quibus spirituali glutino colligabantur: multo gratiorem etiam in hac uita recipiebant charitatem. Vnde multitudinis credentium erat cor unum et anima una:ac 4, 32 et erant illis omnia copia. BED. in Marc., 3, 10
(1307) Autre interprétation : le chiffre cent est passé de la main gauche à la main droite et, bien qu’il semble, dans la manière dont on plie les doigts, avoir la même forme que le nombre dix dans la main gauche, il excède cependant ce nombre par sa grandeur parce que tous ceux qui, pour le royaume de Dieu, méprisent les biens temporels dans l’attente de la patrie céleste qui est signifiée par la main droite, même dans cette vie pleine de persécutions, goûtent par avance, dans la certitude de leur foi, la joie du royaume et l’amour très vrai qui unit également tous les élus. Vel centenarius a leua translatus in dexteram: licet eandem inflexu digitorum uideatur tenere figuram: quam denarius in leua: numerum tamen quantitatis magnitudine superuadit: quia omnes qui propter regnum dei temporalia spernunt: in expectatione patriae coelestis: quæ per dexteram significatur: et in hac uita persecutionibus plena: et regni gaudium: et omnium pariter electorum uerissimam dilectionem fide certa prægustant.
(1308) Paul également indique ces richesses, lui la trompette des évangiles qui résonne partout, et que tout entend, terres et mers, trompette qui, quand elle eut reçu l’Esprit saint, emplit de sa voix tous les rivages du levant au couchant, Paul, dis-je, indique ces richesses en disant : "s’ils semblent tristes, ils sont toujours joyeux, s’ils semblent pauvres, ils en enrichissent beaucoup, s’ils semblent n’avoir rien, ils possèdent tout". Has diuitias significans quoque paulus: buccina euangelium ubique resonans omnibus audita telluris et æquoris undis: Buccina quæ postquam diuinum pneuma recepit: Littora uoce replet sub utroque latentia phoebo. Paulus ergo has diuitias notans: quasi inquit tristes: semper autem gaudentes: sicut egentes: multos autem locupletantes: tanquam nihil habentes et omnia possidentes. 2 Co 6, 10
(1309) Voilà l’énumération faite par Paul, parce que, pour ceux qui craignent Dieu, rien ne manque des biens temporels, et pour ce qui est des biens spirituels, toutes les richesses et tous les biens sont à portée de leurs mains. Hæc ideo enumerauit paulus: quia deum timentibus nihil deest ex temporariis: et ex spiritalibus omnes opes: omnia bona adsunt.
(1310) Et ne va pas t’étonner que j’ai pris tant de mots pour expliquer seulement deux petits vers, puisque ces deux petits vers embrassent en un bref résumé toute les pages des lettres célestes. Nec mireris tot uerbis duos uersiculos explanari: cum hi duo uersiculi uniuersas literarum cœlestium paginas breui summa comprehendant.
(1311) (Vtque pii ("et pour que les pieux")) le sens est : les chrétiens pieux et religieux afin de montrer qu’ils sont liés et attachés au pacte des apôtres et sont tenus en communion avec eux par une paix véritable et un ferme amour ont utilisé ce gage (pignore) qui est le plus sûr de tous puisqu’évidemment ce n’est pas par une hypothèque qui ne transmet pas le bien au créancier, mais par un gage qui passe aux apôtres, autrement dit par le prix des biens qu’ils ont vendus et leur ont remis comme pignore certo ("un gage certain") qu’ils ont voulu être en sûreté, en montrant ainsi qu’ils étaient de vrais et parfaits chrétiens. (Vtque pii) sensus est. pii et religiosi christiani: ut ostenderent se obligatos et addictos in foedere apostolorum: et pace uera: et firma dilectione cum illis teneri: usi sunt eo pignore: quo nullum est certius cum scilicet non hypotheca: quæ ad creditorem rem non transmittit: sed pignore transeunte ad apostolos: hoc est precio bonorum uenditorum tradito illis tanquam pignore certo: securos illos esse uellent: sese ueros ac perfectos christianos probantes.
(1312) On ne peut, en effet, trouver aucun gage de perfection plus certain que de faire ce que, chez Marc, le Christ conseille à celui qui l’interroge et qui avait observé tous les commandements de la loi : "une seule chose", lui dit le Seigneur, "te manque. Va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres" etc. Nullum enim pignus certius perfectionis inueniri potest: quam id agere: quod monuit apud marcum christus illum percunctatorem: qui omnia legis mandata custodierat. Vnum: Mc 10, 21 dixit illi dominus: tibi deest. Vade et uende omnia quæ habes: et da pauperibus Mc 10, 21 etc.
(1313) Voilà quel fut le gage qui rendit les apôtres en sécurité et montra et démontra qu’ils étaient de vrais chrétiens : évidemment laxare res ("relâcher leurs avoirs") et partager leurs biens selon que chacun en avait besoin, ne rien garder pour soi et ainsi remplir le second précepte de l’amour, comme nous l’avions dit plus haut :  " ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi faites-le pour eux" ; quant à ligare corda ("lier les cœurs"), c’est vaincre les appétits et les sens externes comme internes, comme nous l’avons dit plus haut ; ce fut aussi un gage de vraie charité puisque, conformément au second précepte de l’amour énoncé plus haut, ils ne faisaient pas aux autres ce qu’ils auraient détesté qu’on leur fît. Hoc ergo fuit pignus: quod reddidit apostolos securos et illos ueros esse christianos probauit ac demonstauit . scilicet laxare res: et bona ut cuique opus erat diuidere: et nihil sibi retinere : atque ita implere alterum dilectionis præceptum ut supra dicebamus: Quæ uultis ut faciant uobis homines: et uos facite illis.Mt 7, 12 et ligare corda id est uincire appetitus: et sensus externos et internos: ut supra diximus: fuit quoque pignus ueræ charitatis: cum iuxta alterum dilectionis praeceptum supra declaratum: alteri non facerent quod ab alio sibi fieri odissent.
(1314) Voici l’ordre : et ut pii ("et pour que les pieux") autrement dit les chrétiens religieux convertis à la foi par l’action des apôtres, coeant in foedera ("se rassemblent dans le pacte") autrement dit s’unissent dans une association, la paix, et un lien avec les apôtres, pignore certo ("avec un gage certain") autrement dit avec un indice qui serait comme un gage qui rassure le créancier sur le fait qu’on lui rendra, laxant ("ils relâchent"), évidemment ces gens pieux, res ("leurs avoirs") autrement dit leurs biens, en les partageant aux pauvres selon le besoin de chacun, et ligant corda ("ils lient leur cœur") autrement dit les troubles qui affectent leur cœur et leur chair, colère, ambition, orgueil et tous les autres mouvements et affects, comme nous l’avons dit. Est autem ordo. (et ut pii id est) religiosi christiani per apostolos conuersi ad fidem: coeant in fœdera id est conueniant in societatem et pacem et uinculum cum apostolis: pignore certo id est aliquo indicio tanquam pignore: quo securus reddi solet creditor: laxant scilicet pii illi: res id est bona sua diuidentes pauperibus ut cuique opus erat. et ligant corda id es perturbationes cordis et carnis: iram: ambitionem: superbiam: reliquos motus et affectus ut diximus.
(1315) (Noua iura ("un nouveau droit")) on lit aussi noua rura ("de nouvelles terres") autrement dit de nouvelles possessions qu’elles soient temporelles ou spirituelles, fluxere ("découlèrent") autrement dit vinrent en flots et en abondance beatis ("pour les bienheureux") évidemment les fidèles, manu munifica ("de leur main munificente") autrement dit généreuse, affectu ("par une affection") autrement dit la charité ("confraternelle") autrement dit où chacun a sa part et commune, licet ("quoique") autrement dit bien que, sine limite ("sans limite") autrement dit sans borne, census ("le cens") autrement dit celui de leur patrimoine commun que tous à égalité partageaient et recevaient en partage ; de la vient que, bien qu’ils aient obtenu des possessions sine limite ("sans limite") parce que tout était en commun, ils avaient cependant des richesses abondantes et qui affluaient. (Noua iura) uel noua rura id est nouae possessiones uel temporariae uel spiritales: fluxere id est cum fluxu et abundantia uenere: beatis scilicet fidelibus: manu munifica id est larga: affectu id est charitate: consorte id est participe et communi: licet id est quamquam. sine limite id est termino: census id est patrimonii illius communis : et quod aequaliter omnes comunicabant participabantue. Vnde quamuis sine limite possessiones consecuti sunt: quia omnia erant communia: tamen largas opes et affluentes habebant.
(1316) Quibus ("pour lesquels") évidemment les beatis ("bienheureux") fidèles, opes ("les biens") autrement dit les richesses ; diuisae ("divisées") évidemment entre tous ; geminantur ("redoublent") autrement dit se multiplient, ubere laeto ("avec une heureuse fécondité") autrement dit dans une fertilité qui fait affluer les biens. De même, en effet, qu’un champ fertile multiplie dix fois ou cent fois la semence que l’on y a jetée, en raison de sa fertilité, ainsi les biens partagés sont multipliés au centuple, puisque tous les biens de tous appartiennent à chacun et qu’alors qu’auparavant chacun n’avait que ce lui lui appartenait, ils avaient alors non seulement leurs biens propres mais aussi ceux des autres, puisque tout était en commun. Quibus scilicet beatis fidelibus: opes id est diuitiae: diuisae scilicet in omnes: geminantur id est duplicantur: ubere leto id est fertilitate affluenti. Vt enim ager fertilis duplicat in decuplo uel in centuplo iacta semina ob fertilitatem: ita opes diuisae duplicabantur in centuplo: cum iam omnia bona omnium essent sua: et cum antea non haberent nisi propria: tunc habebant et propria et aliorum: cum omnia essent communia.
(1317) Et le poète ajoute (et crescit in omnes ("et grandit en tous")) autrement dit ce patrimoine dans les fidèles ; cette richesse commune quod faciunt commune sibi ("qu’ils rendent commune"), puisque tout leur patrimoine était commun à chacun d’eux et capessunt totum ("et ils acquièrent la possession de tout") autrement dit les fidèles acquièrent la possession de ce patrimoine, quod nihil uolunt ("qu’ils ne veulent en rien") évidemment ces mêmes fidèles esse proprium ("posséder en propre") pour eux mêmes, mais qu’ils veulent mettre en commun. et hoc subdit poeta. (et crescit) in omnes id est fideles illud patrimonium: ille census communis: quod faciunt commune sibi: cum totum illud patrimonium esset commune unicuique eorum: et capessunt totum id est patrimonum illud fideles: quod nihil uolunt scilicet iidem fideles: esse proprium sibi sed commune.
(1318) Voilà pourquoi on peut rapporter aux bien temporels cette interprétation en s’appuyant sur la parole de l’Apôtre en 2 Cor : "comme n’ayant rien, et possédant tout" ; vous pouvez aussi rapporter cela à des biens spirituels et éternels : geminantur opes ("les richesses redoublent") évidemment les richesses spirituelles dans ce monde et éternelles dans l’autre, selon cette parole de Marc : "il recevra au centuple celui qui aura abandonné ses champs, etc", et cette parole de Matthieu : "amassez-vous un trésor dans le ciel où ni la rouille ni la mite ne rongent etc.". Itaque ad temporalia bona potes accommodare hunc sensum: iuxta dictum apostoli in secunda ad Corin. epistula: tanquam nihil habentes et omnia possidentes. Potes et ad bona spiritalia et aeterna referre: geminantur opes scilicet spiritales in hoc saeculo: et aeternae in alio: secundum illud marci: accipiet centies tantum: qui reliquerit agrosMc 10, 30 etc et illud matthaei: Thesaurizate uobis thesauros in cœlo: ubi nec erugo nec tinea demolitur Mt 6, 20 etc.
(1319) (Quo fonte cucurrit ("de quelle source a découlé")) au moment où Arator va montrer l’origine et le principe d’une si excellente charité, il attire l’attention de lecteur, en lui proposant ce qu’il va dire et en invoquant la grâce de l’Esprit saint afin de pouvoir expliquer ces faits plus dignement. (Quo fonte cucurrit) ostensurus Arator originem et principium charitatis tam excellentis : attentum facit lectorem: proponens quid uelit dicere: et inuocans spiritus sancti gratiam: quo dignius rem possit declarare.
(1320) Et voici l’ordre : (hinc ("maintenant")) autrement dit à partir de ce point, incipiam canere ("je vais commencer à chanter") : haec probitas ("cette probité") autrement dit la bonté d’une si excellente charité, quo fonte ("de quelle source") autrement dit par quel flot, ou alors métaphoriquement quo fonte ("de quelle source") à partir de quel principe. et est ordo (hinc) id est ab hoc loco: ego incipiam canere: haec probitas id est bonitas tam praecellentis charitatis: quo fonte id est quo fluxu uel quo fonte id est a quo principio metaphorice.
(1321) En effet le mot fons vient du verbe fundo ("verser"), parce que, de la source, l’eau se déverse pour former une rivière. fons enim a fundendo dictus: quod inde aqua fundatur in riuum.
(1322) Ve est mis pour uel ; il faut reprendre : moi, incipiam canere ("je vais commencer à chanter") quae fuit illa origo bonitatis ("ce que fut l’origine de cette bonté") autrement dit son principe ; cette source bonitatis ("de bonté") autrement dit d’amour par antonomase. ue id est uel :ego: repete. incipiam canere: quae fuit illa origo bonitatis id est illud principium: ille fons bonitatis id est dilectionis per antonomasiam.
(1323) Le poète veut dire que la source et l’origine d’une si grande bonté, ce fut l’Esprit saint répandu dans le cœur des fidèles. Significat autem poeta fontem et originem tantae bonitatis fuisse spiritum sanctum fusum in cordibus fidelium.
(1324) Mais on pourrait me dire : si l’Esprit saint fut la source et le principe d’une si grande probité, pourquoi a-t-il été donné deux fois ? Sed diceret aliquis: si spiritus sanctus fuit author ac principium tantae probitatis cur bis datus est.
(1325) Nous lisons chez Jean que l’Esprit saint a été donné une première fois aux apôtres par le Christ sur la terre, et ensuite après l’ascension du Christ lors de la Pentecôte. semel apud ioannem legimus a christo datus fuisse spiritum sanctum apostolis in ter[31r]ra: atque iterum post christi ascensionem in die pentecoste.
(1326) Pourquoi alors l’Esprit saint est-il venu deux fois, puisqu’il n’y a qu’un seul amour, qui aurait pu être donné en une seule fois ? cur ergo bis spiritus sanctus uenit: cum una sit dilectio:quæ semel dari potuit?
(1327) Voici la réponse d’Arator : l’Esprit saint a été donné deux fois pour montrer et marquer par une double offrande la double nature de l’amour ; de fait, dans le Deutéronome, on prescrit l’amour de Dieu et, dans le Lévitique, l’amour du prochain ; de cela dépendent toute la loi et les prophètes, comme l’affirme le Christ en Matthieu et Marc. Respondet arator: ideo bis datum fuisse spiritum sanctum: ut gemina dilectio gemina præbitione ostenderetur signareturque. Nam in deuteronomio: dilectio in deum præcipitur: et in leuitico dilectio in proximum: a quibus pendent prophetæ et uniuersa lex: ut apud matthæum et marcum affirmat christus
(1328) Donc, si vous prêtez attention aux paroles d’Arator, celui-ci suit Augustin qui dans son Sermon sur l’Ascension déclare : "je crois que la raison pour laquelle l’Esprit saint a été donné deux fois, une fois sur terre et ensuite du ciel, est de nous recommander les deux préceptes de la charité, évidemment envers Dieu et envers le prochain. Il n’y a qu’une seule charité, deux préceptes mais un seul Esprit, et deux dons ; car aucune des deux charités n’aime son prochain si ce n’est celle qui aime Dieu, et, par la charité qui nous fait aimer le prochain, nous aimons Dieu ; mais parce que Dieu est une chose et le prochain une autre, même s’ils sont aimés par une seule et même charité, voilà la raison peut-être pour laquelle on dit qu’il y a deux préceptes, un plus grand et un plus petit ; ou alors c’est en raison des deux mouvements qui s’opèrent dans notre esprit quand Dieu et le prochain sont aimés ; en effet l’esprit est poussé à aimer Dieu et il est aussi poussé à aimer le prochain, et l’amour est bien plus grand qui s’exerce envers Dieu que celui qui s’exerce envers le prochain" etc. Ergo si attendis uerba aratoris. ipse Augustinum sequitur: qui in sermone de ascensione: Arbitror inquit ideo spiritum sanctum bis datum semel in terra: et iterum de cœlo: ut comendarentur nobis duo præcepta charitatis scilicet dei et proximi. Vna est charitas: et duo præcepta. unus spiritus: et duo data. quia alia charitas non diligit proximum: nisi illa quæ diligit deum. Qua ergo charitate proximum diligimus: ipsa deum diligimus. Sed quia aliud est deus: aliud est proximus: etsi una charitate diliguntur: ideo forte duo præcepta dicuntur: et alterum maius: et alterum minus : uel propter duos motus qui in mente geruntur: dum deus diligitur et proximus. Mouetur enim mens ad diligendum deum. mouetur et ad diligendum proximum. et multo magis erga deum quam erga proximum.PET. LOMB. sent., 3, 27, 4 et cetera.
(1329) Mais vous allez me dire : pourquoi l’Esprit est-il donné sur terre ? En me servant des mots d’Augustin, je dirai qu’il est donné pour faire aimer le prochain et l’Esprit est donné du ciel pour faire aimer Dieu ; et ainsi, par l’Esprit qui est donné sur terre nous est confié l’amour d’une réalité terrestre, et par l’Esprit qui est donné du ciel, l’amour de Dieu, qui est un être céleste. sed dices: cur in terra datur spiritus? (ut utar Augustini uerbis) ideo datur ut diligatur proximus: et a cœlo datur spiritus : ut et deus diligatur. atque ita per spiritum datum in terra terreni dilectio: et per spiritum datum e cœlo dilectio coelestis dei commendatur.
(1330) Mais, parce que l’Esprit saint a d’abord été donné sur terre, et que notre rédempteur, chez Jean (qui, tel un tuyau d’argent, verse les eaux de la sagesse), déclare : "je vous donne un commandement nouveau" autrement dit innovant, "aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimé", quelqu’un pourrait croire que l’amour du prochain passe avant l’amour de Dieu. Sed quia prius in terra spiritus sanctus datus est: et redemptor noster apud Ioannem quasi phistula argentea aquas sapientiæ efundentem: dixit: mandatum nouum Jn 13, 34 id est innouans: do uobis: ut diligatis inuicem sicut dilexi uos: Jn 13, 34 posset aliquis putare dilectionem proximi esse priorem dilectione dei.
(1331) Que l’on ne s’y trompe pas, car l’amour de Dieu passe avant et est le principal, parce qu’il ne faut pas aimer son prochain sinon à cause de Dieu ; et le poète explique sous quel point de vue l’amour du prochain est premier et sous quel point de vue il est second, si on le rapporte à des réalités différentes comme nous allons le dire très prochainement. Quod ne quemquam fallat: cum dilectio dei sit prior ac principalior. quia proximus non est diligendus nisi propter deum : declarat poeta quomodo est prior dilectio proximi: et quomodo posterior: ad diuersa si referatur: ut paulo post dicemus.
(1332) On parle d’un "nouveau commandement" d’amour en raison de son effet : de même que l’on dit de la mort qu’elle est pâle parce qu’elle rend pâle, de même on parle d’un nouveau commandement d’amour parce qu’il fait de l’homme ancien un homme nouveau et fixe la limite de la loi nouvelle. Dicitur autem dilectionis mandatum nouumJn 13, 34 ab effectu: ut pallida mors quia pallidos facit: ita nouum: mandatum dilectionis uocatur. quia ex ueteri homine nouum hominem facit ueteris ac nouæ legis discrimen statuens.
(1333) On appelle aussi l’amour le vêtement nuptial, parce que nous voyons les fils du royaume qui en sont revêtus et par lui le Seigneur vient aux noces où il s’unit à l’Église. Vocatur etiam uestis nuptialis dilectio: quia eam indutos filios regni esse uidemus : per quam dominus ad sociandæ sibi ecclesiæ nuptias uenit.
(1334) Quant aux autres, peu importe la foi qui orne leur cœur ou la prudence ou quelque autre des autres vertus, nous jugeons qu’ils sont des fils de perdition qui ne méritent pas de s’étendre au repas près de Dieu, parce qu’avant d’entrer au banquet ils ne se sont pas revêtus du manteau impérial. Cæteros quantumuis fides ornent: uel prudentia: uel cæterarum quælibet uirtutum: iudicamus fiIios perditionis nec dignos qui diuum epulis accumbant: quia priusquam ad conuiuium intrarent: non ante illud sibi imperatorium paludamentum circumposuerunt.
(1335) Mais pour que personne ne se trompe, en ignorant le dessein du Christ, qu’il sache que cela seul est contenu dans ce décret céleste. Atque nequis erret christi consulti ignarus: sciat id unum præcipue in scito illo cœlesti contineri.
(1336) (Sacris ("aux saints") voici l’ordre : spiritus almus ("l’Esprit nourricier") autrement dit saint bis erat concessus discipulis ("avait été deux fois accordé aux disciples"), évidemment dans le temps précédent, d’abord sur terre avant l’ascension du Seigneur, quand le Seigneur leur dit "recevez l’Esprit saint" et ensuite au jour de la Pentecôte, ce que dit le poète, quand il dit (spiratur ("est insufflé")) évidemment l’Esprit saint in illos ("en eux") évidemment les disciples a christo surgente ("par le Christ quand il ressuscite") autrement dit après la résurrection du Christ, quand, s’adressant aux disciples, il répandit sur eux son souffle, voulant montrer par ce souffle que l’Esprit saint procède de lui comme il procède du Père. (Sacris) ordo est. spiritus almus id est sanctus bis erat concessus discipulis scilicet iam in anteacto tempore: prius in terra ante ascensionem domini: cum eis dixit dominus: accipite spiritum sanctum:Jn 20, 22 et posterius in die pentecoste. quod declarat poeta cum ait (spiratur) scilicet spiritus sanctus : in illos scilicet discipulos: a christo surgente id est post resurrectionem christi: cum discipulos alloquens insufflauit: per illam sufflationem ostendere uolens. spiritum sanctum a se procedere: sicut procedit a patre.
(1337) Semel ("une fois") donc et, pour ainsi dire, une première fois il est insufflé ; puis l’Esprit saint est envoyé par le Christ après sa résurrection ; post ("ensuite") autrement dit une seconde fois et pour dire un peu comme en Espagnol 'otra vez'. Semel ergo et (ut ita dicam) una uice spiratur: et mittitur spiritus sanctus a christo post resurrectionem: (post) id est iterum: et ut pene hispane dicam: secunda uice:
(1338) ignis ("le feu") autrement dit l’Esprit saint sous l’aspect d’un feu facundus ("disert") autrement dit éloquent, autrement dit offrant aux apôtres la possibilité de parler dans toutes les langues ; missus ab astris ("envoyé depuis les astres") autrement dit du ciel après l’ascension du Christ, detulit ("fit descendre") autrement dit apporta ; uerba ("des mots") évidemment ceux de toutes les langues, nescia ("inconnus") pris au sens passif autrement dit ignorés des apôtres ; uiris ("aux hommes") évidemment aux apôtres, datif, construire detulit uiris ("fit descendre pour les hommes"). ignis id est spiritus sanctus in specie ignis : facundus id est eloquens : hoc est eloquendi facultatem in omnibus linguis apostolis prebens: missus ab astris id est a cœlo post ascensionem Christi: detulit id est attulit: uerba scilicet omnium linguarum : nescia: passiue id est nescita ab apostolis et ignorata: uiris scilicet apostolis in datiuo. detulit uiris.
(1339) (Ne quid ("de peur que"), pour un sujet aussi important, Arator fait une invocation : comme il va parler de Dieu autrement dit de l’Esprit saint, il a besoin du don de Dieu autrement dit de l’Esprit saint et des langues qu’il donne. (Ne quid.) in re tanta inuocat Arator: qui de deo id est spiritu sancto locuturus: dei id est spiritus sancti dono et linguis eget.
(1340) Surgit en effet nodus dignus uindice ("un nœud qui mérite un répondant"), pour reprendre les paroles d’Horace. incidit enim nodus dignus uindice:HOR. ars, 191 ut horatii uerbis utar.
(1341) spiritus alme) : ueni ("viens, Esprit nourricier") évidemment vers moi qui vais parler de tes dons si généreux, ueni ("viens") vers moi éclairer mon esprit de tes dons et emplir ma langue de ta fécondité. (O spiritus alme):ueni scilicet ad me dicturum de tuis munificentissimis muneribus : ueni ad me: tuis donis mentem meam illustrans: et linguam ubertate tua implens :
(1342) ne meditemur ("pour que nous ne méditions pas") autrement dit que nous ne pensions pas ou ne faisions pas d’efforts, quid ("quelque chose") mis pour aliquid inexpertum autrement dit rude, sans élégance, sans savoir, studio ("par un zèle") autrement dit par un effort, inani ("vide") autrement dit vain. ne meditemur id est ne cogitemus conemurue: quid id est aliquid: inexpertum id est rude impolitum indoctum : studio id est conatu : inani id est uano.
(1343) non diceris ("tu ne seras pas dit") évidemment, toi ô Esprit saint autrement dit tu n’es pas annoncé, tu n’est pas loué sine te ("sans to") autrement dit sans ta puissance divine, ta faveur, ton don ou ta grâce. non diceris scilicet tu o spiritus sancte id est non prædicaris non laudaris: sine te id est sine tuo numine fauore dono gratiaue.
(1344) Qui en effet pourrait sans Dieu atteindre les secrets de Dieu inaccessibles à l’esprit fragile des hommes ? Quis enim arcana dei fragili hominum menti inaccessa : sine deo potest pertingere?
(1345) "Le mystère du ciel", comme le dit Ambroise réfutant Symmaque, "que ce soit Dieu lui-même qui m’a créé qui me l’enseigne et non un homme qui s’ignore lui-même. S’agissant de Dieu à qui ferais-je plus confiance qu’à Dieu ?". "Ce n’est pas", dit Symmaque, "par un seul chemin que l’on peut parvenir à un si grand secret". Mais cet impie est réfuté par le pieux évêque : "ce que vous ignorez, nous par la voix de Dieu nous le connaissons" etc. Coeli mysteriumAMBR. epist., 10, 73, 7 : ut ait contra symmachum ambrosius: doceat me deus ipse qui condidit: non homo qui seipsum ignorauit. Cui magis de deo quam deo credam? AMBR. epist., 10, 73, 7 Vno:SYMM. rel., 3, 10 inquit Symmachus: itinere non potest perueniri ad tam grande secretum.SYMM. rel., 3, 10 Sed impium retundit pius. Quod uos ignoratis : id nos dei uoce cognouimusAMBR. epist., 10, 73, 8 et cetera.
(1346) C’est donc à bon droit qu’Arator invoque Dieu sans lequel Dieu ne peut être dit. Iure igitur inuocat arator deum sine quo deus haud dici potest:
(1347) (non unquam ("jamais")) mis pour numquam, diceris ("tu ne seras dit") toi, évidemment l’Esprit saint. (non unquam ) id est nunquam diceris tu scilicet spiritus sancte: sine te.
(1348) Da ("donne") évidemment, toi ô Esprit saint, munera linguae ("le présent de la langue") évidemment d’une langue éloquente pour disserter sur tes mystères ; qui ("qui") évidemment toi Esprit saint qui das linguas ("donnes des langues") évidemment aux apôtres in munere ("en présent") autrement dit en don. Da scilicet O spiritus sancte munera linguæ scilicet facundæ: ad disserendum tua mysteria: qui scilicet spiritus sancte: das linguas scilicet apostolis in munere: id est in dono.
(1349) En effet, le don des langues a été donné aux apôtres le jour de la Pentecôte, et il est nommé parmi les charismes de l’Esprit saint par l’apôtre Paul. Est enim donum linguarum datum apostolis in die pentecoste: et id inter spiritus sancti charismata numeratur ab apostolo paulo.
(1350) C’est donc de manière correcte qu’Arator demande à celui qui donne des langues l’éloquence pour sa propre langue. Recte ergo Arator petit a præbitore linguarum linguæ facundiam.
(1351) (Hæc iterata. ("ces dons renouvelés")) après avoir demandé le secours de l’Esprit sain, il explique pourquoi l’Esprit saint a été donné deux fois, et pourquoi le don a été renouvelé. (Hæc iterata.)post petitum spiritus sancti patrocinium: declarat cur spiritus sanctus bis datus est: et cur iteratus fuit.
(1352) En cela, il suit Augustin auquel nous avons fait allusion un peu plus haut. In quo sequitur Augustinum quem paulo ante allegauimus.
(1353) Il y a en effet dix préceptes dans le décalogue : méprise les faux dieux, fuis le parjure, garde le sabbat, honore ton père et aime ta mère, ne sois pas meurtrier, adultère, voleur ou faux témoin ; veille à ne pas convoiter le lieu ou la fortune de ton voisin. Ces dix préceptes sont comme le psaltérion à dix cordes et ont été donnés sur deux tables. Sunt autem decalogi præcepta .x. sperne deos: fugito periuria: sabbata serua: sit tibi patris honori sit tibi matris amor. Ne sis occisor: moechus: fur: testis iniquus: Vicinique thorum: resque caueto suas. hæc.x. præcepta tanquam decachordon psalterium: in duabus tabulis data sunt.
(1354) Les trois premiers qui concernent l’amour de Dieu étaient contenus sur la première table, les sept suivants qui regardent vers la charité envers le prochain étaient écrits sur l’autre table. Tria illa priora. quæ ad dilectionem dei pertinent: in una tabula scripta continebantur. .vii. sequentia quae ad charitatem proximi spectant: in alte[31v]ra tabula.
(1355) Tout cela se trouve en Exode 20. hæc in exodo cap.xx. simul continentur.
(1356) (Hæc iterata reor ("ces dons renouvelés je crois")) autrement dit de nouveau, autrement dit je pense que ces dons ont été donnés deux fois par l’Esprit saint aux apôtres, évidemment en raison de ce qui suit ; praemia ("ces récompenses") autrement dit les dons de l’Esprit saint, confirmant iustos ("affermissent les justes") évidemment les apôtres ou tous les fidèles, par l’instillation d’une double inspiration : comme la charité est double et les tables sont deux, l’Esprit saint a été envoyé deux fois pour qu’il y ait ici comme un accord dans le dédoublement dans beaucoup de réalités pour asseoir plus fermement en nous le souvenir de ce double amour. (Hæc iterata reor id est iterum: hoc est bis data puto præmia a spiritu sancto apostolis: scilicet ob id quod sequitur. præmia id est dona spiritus sancti: confirmant iustos scilicet apostolos: uel quoscunque fideles per infusionem geminæ inspirationis: sicut est gemina charitas: et geminæ tabulæ: et bis spiritus sanctus missus est: ut sit hic geminationis quasi concentus: in multis ad memoriam geminæ dilectionis firmius nobis commendandam.
(1357) (Praemia ("ces récompenses")) donc, autrement dit les dons de l’Esprit saint, confirmant iustos ("affermissent les justes") autrement dit ceux qui sont justifiés par le don de la charité ou de la grâce qui les rend agréables à Dieu, ut colant ("pour qu’ils gardent") autrement dit observent, duo iussa ("les deux ordres") autrement dit les dix commandements qui se ramènent à deux ordres d’amour, conscripta ("écrits") autrement dit contenus, duabus tabulis ("sur deux tables") comme nous l’avons dit. (Praemia )ergo id est dona spiritus sancti: confirmant iustos: id est iustificatos per donum charitatis uel gratiæ gratum facientis: ut colant id est obseruent: duo iussa id est .x. mandata: quæ ad duo dilectionis iussa reducuntur: conscripta id est contenta: duabus tabulis: ut diximus.
(1358) Et lui même continue en disant : Dilige tu plenus amore feruenti deum mente ("toi, aime Dieu, en étant plein d’amour, d'un esprit brûlant") et cela c’est dans le Deutéronome ; Rursus ait ("il dit encore") évidemment le saint précepte de Dieu dans le Lévitique et dans l’évangile de Matthieu : proximus quoque sit tibi carus ut tu ("que ton prochain aussi te soit cher comme toi-même") évidemment tu es cher à toi-même, autrement dit aimé. et ipse subdens declarat. Dilige tu plenus amore feruenti: deum mente . et hoc in deuteronomio. Rursus ait scilicet sancta dei præceptio in leuitico: et in Euangelio Matthei : proximus quoque sit tibi carus ut tu scilicet es tibi carus id est dilectus.
(1359) Cette règle d’amour, comme le dit Augustin, a été établie par Dieu, en sorte que l’on aime Dieu pour lui-même de tout son cœur et son prochain comme soi-même, autrement dit en vue de ce pour quoi on doit s’aimer soi-même et à cause de quoi on le fait. Hæc regula ut ait Augustinus. dilectionis diuinitus constituta est: ut deum propter sese ex toto corde: et proximum diligas sicut te ipsum id est ad quod et propter quod te ipsum diligere debes.
(1360) C’est donc en bien et en raison de Dieu qu’il faut aimer le prochain et non en mal. In bono ergo: et propter deum diligendus est proximus: non in malo.
(1361) Par le prochain, il faut entendre tout homme parce qu’il n’est personne avec qui l’on doive agir mal. Proximum uero omnem hominem oportet intelligi. quia nemo est cum quo sit operandum male.
(1362) "Celui donc qui aime les gens doit les aimer soit parce qu’ils sont justes, soit pour qu’ils soient justes", autrement dit soit en Dieu soit à cause de Dieu. Qui ergo amat homines: uel quia iusti sunt : uel ut iusti sint amare debet: AVG. trin., 8, 6 hoc est uel in deo uel propter deum.
(1363) "Celui, en effet, qui s’aime lui-même pour une autre raison, s’aime injustement ; car celui qui aime l’iniquité déteste sa propre âme". Qui enim aliter se diligit: iniuste se diligit.AVG. trin., 8, 6 Qui enim diligit iniquitatem : odit animam suam. AVG. trin., 8, 6
(1364) Il y a donc prescription d’une mesure : "comme toi-même" veut évidemment dire pour que tu aimes ton prochain à raison de ce que tu es toi-même ; si donc tu ne dois pas t’aimer en raison de toi-même, mais en raison de celui où réside la fin absolument juste de ton amour, qu’aucun homme ne vienne s’irriter si lui aussi tu l’aimes à cause de Dieu. Modus autem præcipitur. sicut te ipsum ut scilicet proximum diligas ad quod te ipsum. si ergo te non propter te diligere debes: sed propter illum: ubi dilectionis tuæ rectissime finis est. non succenseat alius homo: si et ipsum propter deum diligis.
(1365) Mais la mesure de l’amour pour Dieu est plus largement exposée par le Maître, livre 3, distinction 27 : "tu aimes Dieu de tout ton cœur, autrement dit avec ton intellect, et de toute ton âme, autrement dit avec ta volonté, et de tout ton esprit, autrement dit avec ta mémoire", afin que nulle part de notre vie ne reste sans être emportée là où se précipite le torrent de l’amour. At modus diligendi deum declaratur latius apud magistrum in tertio dist. xxvii diligis deum ex toto corde id est intellectu: et ex tota anima id est uoluntate: et ex tota mente id est memoria:PET. LOMB. sent., 3, 27, 5, 4 ut nulla pars uitæ nostræ uacet: quin illuc rapiatur: quo dilectionis impetus currit.
(1366) Il apparaît clairement de là que l’on ne doit pas aimer tout ce dont on doit se servir, mais seulement ce qui se rapporte à Dieu par un certain lien avec nous, comme le réclament l’homme, l’ange, ou les choses reliées à nous par le bienfait de Dieu à travers nous, comme le corps qu’il faut prescrire d’aimer pour en prendre soin en bon ordre et avec prudence. Ex his constat non omnia quibus utendum est: esse diligenda : sed ea sola quae uel nobiscum societate quadam referuntur in deum: sicut est homo uel angelus. uel ad nos relata beneficio dei per nos indigent: ut corpus: quod ita præcipiendum est diligi: ut ei ordinate prudenterque consulatur.
(1367) De fait, il y a quatre réalités que nous devons aimer : l’une qui est au-dessus de nous, évidemment Dieu, la deuxième que nous sommes nous, autrement dit notre âme, la troisième qui est à côté de nous, autrement dit le prochain et en quatrième lieu Augustin met notre corps. Nam cum sint quatuor diligenda: unum quod supra nos est scilicet deus: alterum quod nos sumus id est anima nostra : tertium quod iuxta nos est id est proximus: quarto loco nostrum corpus ab augustino collocatur .
(1368) Mais Ambroise détruit ainsi cette série : premièrement il faut aimer Dieu, deuxièmement ses parents, ensuite ses fils et pour finir ses domestiques qui, s’ils sont bons, doivent être préférés à de mauvais fils. at ambrosius ita seriem hanc conterit: primo deus diligendus est: secundo parentes : inde filii: post domestici: qui si boni sunt malis filiis præponendi sunt.
(1369) Pour ce qui est des ennemis, il suffit pour les aimer de ne pas les avoir en haine ; "tous, de fait, sont également à aimer, mais, comme on ne peut être utile à tout le monde, il faut d’abord prendre soin de ceux qui nous sont plus proches par le hasard du lieu, du temps ou de quoi que ce soit d’autre, et sont liés à nous par quelque destin commun ; mais reportez vous au livre 3 de Pierre Lombard, ces sujets y sont traités abondamment". At inimicos sufficit quod diligamus: et non odio habeamus. omnes autem æque diligendi sunt : sed cum omnibus prodesse non possis: his potissimum consulendum est: qui pro locorum et temporum uel quarumlibet rerum oportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur:AVG. doctr. christ., 1, 27 sed recurre ad tertium longobardi: ubi hæc copiose.
(1370) (Hoc pactum ("ce pacte")) autrement dit cet accord et cette constitution divine des deux amours tenet ("possède") autrement dit contient ; omne ius ("tout le droit") évidemment de la loi et des prophètes, comme nous l’avons dit ; quod ("que") évidemment ce droit de l’amour, creat ("crée") autrement dit produit, spiritus almus ueniens bis ("l’Esprit nourricier venant deux fois") évidemment une première fois après la résurrection et une seconde après l’ascension, per corda ("à travers le cœur"), celui des fidèles évidemment ; author ("l’auteur") autrement dit le créateur, évidemment Jésus, dedit hunc (" a donné celui-ci") évidemment l’Esprit saint, in terris ("sur terre") après sa résurrection, ut ametur homo ("pour que l’homme soit aimé"), autrement dit le prochain, post ("ensuite") autrement dit évidemment au jour de la Pentecôte, missus ("il a été envoyé") évidemment l’Esprit saint, ut humana ("pour que les choses humaines") autrement dit les hommes, flagrent ("s’embrasent") autrement dit brûlent, aiment avec ardeur deum ("pour Dieu"). (Hoc pactum) id est hæc pactio et constitutio diuina geminæ dilectionis: tenet id est continet omne ius scilicet legis et prophetarum ut diximus: quod scilicet ius dilectionis: creat id est producit : spiritus almus ueniens bis scilicet semel post resurrectionem : iterum : post ascensionem: per corda scilicet fidelium. Author id est creator scilicet Iesus dedit hunc scilicet spiritum sanctum in terris post resurrectionem: ut ametur homo id est proximus: post id est iterum scilicet in die pentecoste: missus scilicet est spiritus sanctus: ut humana id est homines : flagrent id est ardeant ardenter ament: deum.
(1371) Prima ("premier") autrement dit principal, évidemment il s’agit de l’amour, et antérieur par la dignité et la perfection est quæ ("est celui qui") évidemment l’amour, amet deum uehementer ("aime Dieu avec force"), cui ("par rapport à lui") évidemment par rapport à l’amour qui nous fait aimer Dieu, est secunda ("est second"), autrement dit postérieur et moins principal, cet amour évidemment du prochain, quae ("qui") évidemment l’amour du prochain, sociat ("associe") autrement dit unit, genus mortale ("le genre mortel") autrement dit le genre humain. Prima id est principalis scilicet dilectio et prior dignitate et perfectione: est quæ scilicet dilectio: amet deum uehementer. cui scilicet dilectioni qua deum amamus: est secunda id est posterior et minus principalis ea dilectio scilicet proximi: quæ scilicet dilectio proximi: sociat id est iungit genus mortale id est genus humanum.
(1372) (Tamen incipit ante. ("pourtant il commence avant")) : il nous faut aller au devant du doute qui se présente à nous. (Tamen incipit ante.) Occurrendum est dubitationi: quæ fit obuiam.
(1373) Le poète a dit en effet : l’amour de Dieu prima est ("est premier") et l’amour du prochain est secunda ("second") et posterior ("postérieur"). Et maintenant voilà qu’il nous dit : l’amour du prochain incipit ante ("commence avant") et est premier, et l’amour de Dieu sequitur secundam ("suit le second") évidemment l’amour du prochain. Dixit enim poeta dilectio dei prima est : et dilectio proximi est secunda et posterior. At nunc ait dilectio proximi incipit ante et est prior : dilectio dei sequitur secundam scilicet dilectionem proximi.
(1374) Si donc l’amour du prochain commence avant et si l’amour de Dieu le suit, alors manifestement l’amour de Dieu n’est pas premier mais second, et l’amour du prochain n’est pas second mais premier, et ainsi les deux propositions se combattent et sont contradictoires. Si ergo dilectio proximi incipit ante: et dilectio dei ipsam sequitur: iam nimirum dilectio dei non est prima sed secunda: et dilectio proximi non est secunda sed prima: atque ita uidentur hæc inuicem pugnare: et esse contraria.
(1375) Il est facile de résoudre ces difficultés si nous comprenons la distinction que nous livre Aristote au livre 9 de la Métaphysique. Hæc facile soluuntur: Si intelligimus distinctionem quampiam traditam ab aristotele in nono ton meta ta physica libro.
(1376) La notion de premier ou d’antérieur est en effet prise en deux sens : par exemple une chose peut être dite antérieure à une autre soit par la dignité et la perfection, soit par l’origine et l’ordre de la génération. Primum enim uel prius bifariam accipitur: Alterum namque prius altero dicitur. uel dignitate ac perfectione: uel origine et ordine generationis.
(1377) Il n’est donc ni gênant ni absurde que la même chose soit à la fois première et seconde, si on la rapporte à des objets divers : ainsi l’enfance est première par rapport à l’âge adulte, si l’on considère la succession depuis l’origine, mais elle est seconde, si l’on a en vue son imperfection, et l’âge adulte, dans la mesure où il est plus parfait et plus digne, est premier, mais en tant qu’il procède de l’enfance, il est second. Nec est incommodum absurdumue idem esse prius et posterius ad diuersa relatum. Vt pueritia est prior uirili ætate: si originis seriem consideres: et est posterior si imperfectionem contemplere. at uirilis ætas quatenus perfectior digniorque est: prior est. sed quatenus a pueritia progreditur: posterior est.
(1378) Dans les choses qui tendent de la puissance à l’acte, celles qui sont premières par l’origine sont plus imparfaites. In iis autem quæ a potentia ad actum tendunt priora origine imperfectiora sunt.
(1379) Donc l’amour du prochain est premier par l’origine et second par la perfection, au contraire l’amour de Dieu est premier par la perfection et second par l’origine. Est ergo dilectio proximi prior origine: et perfectione posterior : contra dei dilectio prior perfectione: posterior origine.
(1380) Quand on sait cela, il est facile de comprendre le sens de ces vers. Hoc præcognito facilis est sensus horum uersuum.
(1381) (Tamen ("pourtant")) dit Arator posterior numero ("celui qui vient après par le nombre") autrement dit secunda ("le second"), l’amour du prochain qui est compté en seconde place, quand nous disons "tu aimeras Dieu, tu aimeras ton prochain" ; posterior numero ("celui qui vient après par le nombre") autrement dit l’amour second, celui du prochain tamen ante incipit ("pourtant commence avant") autrement dit est premier par son origine, quand bien même évidemment l’amour de Dieu est premier, comme nous venons de le dire, et précède en dignité. (Tamen) inquit Arator posterior numero id est secunda dilectio proximi: quæ numeratur secundo loco : cum dicimus diliges deum: diliges proximum: posterior:numero id est secunda dilectio proximi: tamen ante incipit id est prior est origine: quamuis scilicet dilectio dei sit prima: ut paulo ante diximus: uel prior dignitate.
(1382) Quæ prior est ("celui qui est premier") évidemment l’amour de Dieu comitata secundam ("accompagnant le second") évidemment l’amour du prochain, sequitur ("le suit") évidemment après, bien qu’il soit plus parfait et premier en dignité. Quæ prior est scilicet dei dilectio: comitata secundam scilicet dilectionem proximi: sequitur scilicet post: quamuis sit perfectior ac prior dignitate.
(1383) En effet, nous n’aimons notre prochain qu’en raison de Dieu. Non enim diligimus proximum nisi propter deum.
(1384) Donc nous aimons davantage Dieu. Ergo magis diligimus deum.
(1385) De fait comme le dit Aristote dans le premier livre des Seconds Analytiques : αἰεὶ δι´ ὃ ὑπάρχει ἕκαστον, ἐκείνῳ μᾶλλον ὑπάρχει, οἷον δι´ ὃ φιλοῦμεν, ἐκεῖνο μᾶλλον φίλον autrement dit "toujours en effet la raison pour laquelle chaque chose existe existe davantage qu’elle : ainsi la raison pour laquelle quelque chose nous est cher nous est plus chère que la chose elle-même". Nam ut aristoteles in primo hysteron analyticon. i. posterior. resoluto. ait: aei diho hyparchei hecaston eceino mallon hyparchei: oion diho philumen eceino mal.[32r]Ion philon ARIST. An. pr., 72a id est semper enim propter quod unum quodque existit: illud magis existit: ut propter quod aliquid carum habemus: illud magis carum est.
(1386) Celui, en effet, qui aime le maître à cause de son disciple, il est absolument inévitable qu’il aime davantage le disciple lui-même. Qui enim præceptorem ob discipulum diligit: nimirum necesse est ipsum magis discipulum diligat.
(1387) Comme l’a en effet dit cet illustre péripatéticien qu’est Thémistios : ce qui est attribué à plusieurs, s’il est attribué de manière à être attribué à l’un par l’intermédiaire de l’autre, il est toujours inévitable qu’il s’accorde plus à ce qu’il a en commun avec l’autre. Vt enim egregius peripateticus themistius ait: semper id quod pluribus tribuitur: si ita tribuitur ut alteri per alterum tribuatur: necesse est: ut illi plus competat: per quod alteri communicatur.
(1388) D’où les conclusions : c’est par le mérite des propositions qu’elles sont crues et connues, et non parce que ce sont des propositions qu’elles sont crues et connues. Hinc conclusiones: quia merito propositionum et creduntur et cognoscuntur: minus quoniam propositiones et creduntur et cognoscuntur.
(1389) Il dit que l’amour de Dieu suit l’amour du prochain et qu’il lui est postérieur par quelque raison touchant à sa naissance ; c’est la raison pour laquelle le bienheureux Jean dans sa première lettre canonique chapitre 4 écrit : "celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?". Dicit autem quod dilectio dei sequitur dilectionem proximi: et est posterior natalicia quadam ratione: propter id quod beatus Ioannes in prima canonica epistola cap. iiii. scriptum reliquit: qui (inquit) non diligit fratrem suum quem uidet: deum quem non uidet quomodo diligere potest? 1 Jn 4, 20
(1390) Il est essentiel de ne pas ignorer ce fait : la raison qui fait aimer est parfois ce qui, en raison de sa beauté, parce que c’est bon ou semble bon, nous pousse à aimer. Illud conuenit non nescire: causam diligendi nonnunquam id esse quod sua pulchritudine quia bonum est: uel uidetur bonum: nos allicit ad diligendum.
(1391) Parfois, il est vrai, la raison de l’amour n’est pas ce qui, par sa bonté, fait naître l’amour, mais une certaine route qui conduit à ce beau et ce bien que l’on aime à raison de son mérite, comme voir quelqu’un conduit à l’aimer, bien que le fait même de voir ne soit pas ce par quoi nous sommes emportés par l’amour, mais une certaine route qui y conduit. Nonnunquam uero causa diligendi non est id quod sua bonitate excitat amorem: sed uia quæpiam qua itur in illud pulchrum bonumque merito sui diligendum: ut uidere aliquem ducit ad amorem: quamuis ipsum uidere non sit id quo dilectione ferimur: sed uia quæpiam qua itur illuc.
(1392) Comme le dit en effet Grégoire dans une homélie : "à partir des réalités que l’esprit connaît, il tend vers les réalités inconnues qu’il ne connaît pas, en sorte que, par l’entremise de ce qu’il sait aimer, parce qu’il le connaît, il apprenne aussi à aimer ce qu’il ne connaît pas". Vt enim gregorius in quadam homilia dixit: Ex his quæ animus nouit: surgit ad incognita quæ non nouit: ut per hoc quod scit notum diligere: discat et incognita amare.GREG. M. in euang., 11, 1
(1393) Donc voir son prochain et l’aimer, ce n’est pas cela le beau absolu que nulle beauté n’excède, mais c’est une sorte de route qui conduit à l’amour du plus grand et plus beau des biens. Videre ergo proximum aut diligere: non est illud summe pulchrum quo nihil pulchrius: sed uia quædam: qua itur in dilectionem maximi pulcherrimique boni.
(1394) Celui en effet qui n’aime pas son frère qu’il voit, et qui lui est semblable (car tout être vivant aime ce qui lui est semblable), comment aimera-t-il Dieu qu’il ne voit pas, qui est incorporel et dont il est tellement éloigné ? Qui enim non diligit fratrem suum quem uidet: et qui est similis (omne enim animal diligit sibi simile) deum quem nom uidet: qui est incorporeus: a quo tantopere distat: quomodo diliget?
(1395) Toute personne qui est arrivée à cet âge (selon ce que dit Jérôme) que l’on nomme puberté "aime quelque chose, soit de manière absolument pas droite quand il aime ce qu’il ne faut pas, soit de manière droite et utile quand il aime ce qu’il faut". omnis autem qui ad id aetatis uenerit (ut author est hieronymus ) quam pubertatem uocant: amat aliquid seu minus recte: cum amat quæ non oportet: Seu recte et utiliter: cum amat quæ oportetRVFIN. Orig. in cant., prol. .
(1396) Il existe bien un amour charnel que les poètes appellent aussi désir ; il en est aussi un spirituel qui s’acquiert par l’amour sincère du prochain comme par une voie intermédiaire. Est autem quidam amor carnalis: quem et cupidinem appellauerunt poetæ: est et spiritalis: qui per dilectionem proximi sinceram comparatur quasi per uiam intercedentem.
(1397) Donc lorsque l’âme est poussé par cet amour sublime et ce désir céleste, quand elle a vu la beauté et la gloire du Verbe, elle s’éprend de son aspect et de cette beauté au-dessus de toute beauté et par là elle en reçoit une sorte de zèle et une blessure d’amour. Illo igitur amore sublimi et coelesti cupidine cum agitur anima: perspecta pulchritudine et decore uerbi: speciem eius et pulchritudinem pulcherrimam adamat: et ex ipso Zelum quemdam et uulnus amoris accipit.
(1398) Voici en effet ce qu’est le Verbe : l’image et la splendeur du Dieu invisible en qui tout a été créé, les choses du ciel et celle de la terre, celles qui viennent au-devant de nos sens et celles qui les fuient. Est enim uerbum hoc: imago et splendor dei inuisibilis: in quo creata sunt omnia: quæ in coelis sunt: et quæ in terris uel sensibus obuia nostris uel eos fugientia.
(1399) Si donc quelqu’un pouvait séparer son esprit des sens au point que, mis largement à distance d’eux, il puisse, dans la capacité de son esprit, envisager la gloire et la beauté de tout ce qui a été créé, frappé de l’agrément de ces choses et comme transpercé d'un trait par la magnificence de leur splendeur, il recevrait de cette source même de salut une blessure et brûlerait du feu bienheureux de cet amour. Si quis ergo posset ita seuocare animum a sensibus: ut ab eis procul seiunctus capaci mente coniiceret: omnium quæ in ipso creata sunt. decus et speciem: rerum uenustate percussus: et splendoris magnificentia ceu iaculo terebratus salutare ab ipso uulnus acciperet: et beato igne amoris eius arderet.
(1400) En outre, le Maître au livre 3 dit que, dans cette vie mortelle, il est impossible que cette blessure soit totalement comblée. Cæterum magister in.iii. negat in hac uita mortali illud uulnus ex toto posse impleri.
(1401) En effet Dieu ici n’est pas aimé de toute notre âme. Non enim hic ex tota anima diligitur deus.
(1402) "Nous aimons en effet partiellement comme nous connaissons partiellement". Ex parte enim diligimus: sicut ex parte cognoscimus.PET. LOMB. sent., 3, 27, 6, 1
(1403) "Quand sera venu ce qui est parfait ; en sorte que sera détruit ce qui est partiel, autrement dit pour que ce ne soit plus partiel mais total, la charité ne nous sera pas enlevée mais elle sera augmentée, et ce précepte sera alors accompli : 'tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur' etc. dans la plénitude de la charité", quand tu seras devenu juste sans péché et quand il n’y aura nulle loi qui répugnera à ton esprit. Cum uenerit quod perfectum est: ut destruatur quod ex parte est id est ut iam non ex parte sit sed ex toto: charitas non auferetur sed augebitur: et implebitur illud præceptum: diliges dominum deum tuum ex toto corde et cetera in plenitudine charitatis: PET. LOMB. sent., 3, 27, 6, 1 cum fueris sine peccato iustus: cum nulla erit lex menti repugnans.
(1404) Mais pourquoi est-il prescrit quelque chose que l’on ne peut avoir ? Sed cur præcipitur: quod haberi non potest?
(1405) Bien au contraire, c’est ce qu’il est possible de posséder qui est prescrit, en partie évidemment et selon la perfection de sa vie. imo quod haberi possunt præcipitur: ex parte scilicet et secundum perfectionem uiae.
(1406) Autre est en effet la perfection du coureur et autre celle du vainqueur. Alia est enim perfectio cursoris: alia uictoris.
(1407) Ici il suffit que tu aimes ton prochain comme toi même, autrement dit en vue de la même béatitude que celle vers laquelle tu tends, et que tu aimes Dieu de manière à ne rien lui préférer. Hic sat est ut diligas proximum sicut te ipsum id est ad eamdem beatitatem: ad quam tu tendis: et ita deum diligas: ut nihil illi anteferas.
(1408) Autrement il n’y a pas de vrai amour. Aliter non est uera dilectio.
(1409) En effet il n’aime pas le roi celui qui n’aime pas la loi du roi, et c’est par amour du roi qu’il faut accomplir sa loi. Non enim diligit regem: qui eius legem non diligit. ex amore regis: lex eius debet impleri.
(1410) Par ces mots, si je ne m’abuse, nous avons abondamment éclairé ce que dit Arator : (Sic forma ("ainsi la formule") autrement dit la phrase canonique de Jean comme nous l’avons dit, docet ("enseigne") évidemment dans la première lettre canonique chapitre 4 ; inquit ("dit") autrement dit la phrase de Jean : nisi diligis fratrem ("si tu n’aimes pas ton frère") autrement dit ton prochain quem ("que") évidemment ton frère ; potis es ("tu es capable") autrement dit tu peux, cernere ("apercevoir") autrement dit voir, nescis amare deum quem ("tu ne sais pas aimer Dieu que") évidemment Dieu ; non es ("tu n’es pas") autrement dit que tu ne peux pas, cernere ("apercevoir"), parce qu’il est esprit et parce que "personne n’a jamais vu Dieu" comme le dit l’Evangile. His ni fallor abunde patefecimus uerba Aratoris dicentis. (Sic forma) id est sententia canonica Ioannis ut diximus: docet scilicet in prima epistola canonica cap. quarto inquit id est sententia Ioannis: nisi diligis fratrem id est proximum: quem scilicet fratrem: potis es id est potes: cernere id est uidere: nescis amare deum quem scilicet deum: non es scilicet potis id est non potes cernere: quia est spiritus: et quia deum nemo uidit unquam1 Jn 4, 12 ut ait Euangelista.
(1411) Ergo concordia nexa ("donc la concorde liée") autrement dit attachée par le lien de l’amour, calescat ("s’échauffe") autrement dit brûle évidemment dans les croyants ; uoto ("par un vœu") autrement dit un zèle, pari ("pareil") et amor fratris ("que l’amour du frère") autrement dit du prochain, condat ("installe") autrement dit cache, dominum ("le Seigneur") Dieu évidemment dans notre coeur, et évidemment sit ("que soit") l’amour du frère et du prochain substantia ("la substance") autrement dit la raison, causæ geminæ ("d’une cause jumelle") autrement dit du double amour de Dieu et du prochain. Ergo concordia nexa id est uincta uinculo dilectionis: calescat id es ardeat scilicet in fidelibus: uoto id est studio pari. et amor fratris id est proximi: condat id est abscondat: dominum deum scilicet in pectore nostro scilicet sit amor fratris et proximi: substantia id est ratio: causæ geminæ id est duplicis dilectionis dei et proximi.
(1412) De fait, celui qui aime son prochain tend vers une parfaite charité pour une double cause jumelle : parce qu’il aime son prochain et parce que, par l’intermédiaire de son prochain, il aime Dieu ; et ainsi, l’amour du frère est la substance et la raison de deux amours : l’amour du prochain est sa propre cause et la cause, autrement dit la voie qui conduit à l’amour de Dieu, ce que nous avons déjà noté. Nam qui diligit proximum : gemina et duplici causa tendit in perfectam charitatem. et quia diligit proximum: et quia per proximum diligit deum: et ita fratris amor est substantia et ratio duarum dilectionum: dum proximi dilectio est causa sui: et causa id est uia dilectionis dei: quod iam supra notauimus.
(1413) Mais voici que se précipite sur nous un clown amoureux de prosodie, dirais-je un syllabâtre, qui vient m’accuser comme si, par dissimulation, je n’avais rien dit de cette syllabe qui répugne au mètre héroïque. Verum occurret nobis hic aliquis: momus syllabarius dicam an syllabaster: qui me incuset quasi dissimulanter syllabam illam uersui heroico repugnantem pene præterierim.
(1414) Nescis amare deum ("tu ne sais pas aimer Dieu") : on va me dire ; il y a une difficulté de prosodie dans ce mot nescis, car la dernière syllabe est longue et elle devrait être brève, car elle est en deuxième position dans le dactyle. Nescis amare deum inquiet : repugnat syllaba in illo uerbo nescis: cum sit ultima longa: de breuis esse debeat: quia est secunda in dactylo.
(1415) Et pourtant on allonge à la quatrième conjugaison les secondes personnes du singulier en -is : Martial : Nescīs heu nescīs dominæ fastidia Romæ. Atqui secundæ personæ singulares. in-is. quartæ coniugationis producuntur. Martialis. Nescis heu nescis dominæ fastidia romæ MART. 1, 3, 3 .
(1416) Cela est bien connu et évident si l’on passe à la première personne du pluriel nescīmus où la pénultième longue est marquée dans la prosodie par le circonflexe, et de même nescītis. Id etiam constat perspicuumque est: si transitur in primam personam pluralem nescimus: ubi penultima natura longa circunflexa prosodia notatur: et item nescitis.
(1417) Je veux, une fois pour toutes, répondre à ces littérateurs casse-pieds et à ces censeurs qui examinent avec tant de soin et tant d’inquiétude pauses et quantités syllabiques, afin qu’ils ne me harcèlent plus quand je commenterai le reste. Volo semel istis fastidiosis literatoribus: et censoribus tam sollicite tamque anxie moras et spatia syllabarum examinantibus respondere: ne posthac mihi reliquam interpretanti negocium facessant.
(1418) Et en premier lieu je peux excuser la quantité de cette syllabe par l’autorité de Properce ; si vous, illustres critiques, lui accordez votre pardon, il vous sera bien plus facile de le donner à Arator qui traite de sujets d’une extrême difficulté. Ac primum omnium possem excusare syllabam authoritate propertii. cui uos egregii critici si ueniam datis: multo facilius Aratori difficillima tractanti concedetis.
(1419) "Le poète" (comme l’atteste Marcus Tullius) "est le plus proche de l’orateur en ce qu’il est un peu plus contraint par les rythmes, mais plus libre par les licences qu’il peut se permettre sur les mots". Est poetaCIC. de orat., 1, 70 (ut . M. tullius author est) oratori finitimus numeris astrictior paulo: uerborum autem licentia liberior.CIC. de orat., 1, 70
(1420) Mais pourquoi plus libre ? Car il est plus contraint par les rythmes. At cur liberior? quia numeris astrictior.
(1421) Si donc le poète est plus libre que l’orateur car il est confiné dans l’étroite règle des rythmes, le poète chrétien sera encore plus libre que le poète païen, confiné qu’il est dans les mystères de la loi divine qu’il est difficile et presque ἀδύνατον (impossible) en raison de sa nouveauté d’expliquer sans aller jusqu’à parler de vers, même en prose. Si ergo poeta liberior quam orator quia in angustiis positus numerorum: multo liberior poeta christianus quam ethnicus in an[32v]gustiis positus mysteriorum diuinæ legis: quæ explanare non dico uersu sed prosa arduum est: ac pene adynaton: propter rerum nouitatem.
(1422) Combien est grande la difficulté qu’il y a à énoncer des choses nouvelles en termes raffinés et élégants, Evangélus chez Marcobe le montre bien quand il affirme que Marcus Tullius, quand il a disserté sur la nature des dieux, ou sur le destin, ou sur la divination, a diminué, en rapportant ces sujets de manière peu travaillée, la gloire qu’il s’était acquise par son talent d’orateur. Quanta sit difficultas in rebus nouis culte atque eleganter enunciandis ostendit Euangelus apud Macrobium: affirmans . M. Tullium aut de natura deorum: aut de fato: aut de diuinatione disputantem: gloriam: quam oratione conflauerat: incondita rerum relatione minuisse.MACR. sat., 1, 24, 4
(1423) Si donc Cicéron, qui avait tant acquis de capacités oratoires que son nom est passé à la postérité comme synonyme d’éloquence, alors qu’il n’utilisait pas le vers qui est plus contraint par les pieds, mais la prose libre, a eu de la peine à rapporter avec élégance des sujets philosophiques et éloignés du sens commun en raison de leur seule nouveauté, quelle indulgence ou pour mieux dire quelle licence devra-t-on donner au poète chrétien qui n’écrit pas en prose, mais en vers, et traite non de choses humaines ou de philosophie, mais de choses divines et de la sublimité de la théologie ? Si ergo cicero tantum dicendi facultate adeptus ut pro eloquentia eius sit nomen receptum: non uersu: qui pedibus astrictus est: sed libera ac soluta oratione uix condite res philosophicas et a communi usu remotas propter unam nouitatem referre potuit: quid ueniæ uel potius licentiæ dandum est poetæ christiano non prosa sed uersu: non res humanas aut philosophiam: sed diuinas et sublimem theologiam tractanti?
(1424) A qui faut-il laisser d’autant plus la bride sur le cou qu’à celui qu’un plus grande difficulté met dans un plus grand embarras ? cui eo liberius laxandæ habenæ sunt: quo maior difficultas in arctius discrimen illum impigit?
(1425) Ici j’appelle choses nouvelles celles qui n’ont pas été traitées auparavant par d’autres auteurs, auxquelles il est extrêmement facile d’ajouter quelque chose, ce qui fait que ces objets petit à petit parviennent en se raffinant à des sommets de qualité. Res nouas hic uoco ab aliis authoribus non ante tratactas: quibus addere perfacile est: quo fit ut res paulatim expolite in summum apicem perueniant.
(1426) Rien en effet, comme le dit Cicéron dans le Brutus n’a été en même temps à la fois découvert et porté à sa perfection, et ce modèle d’éloquence a tellement cru en la vérité de cette maxime qu’il pense qu’"il ne faut pas douter de l’existence de poètes avant Homère, ce que l’on peut comprendre à la lecture de ces poèmes qui dans son œuvre sont chantés dans les banquets des Phéaciens ou des prétendants". Autrement, d’où Homère aurait-il pu tirer une telle perfection ? Nihil est enim ut in bruto refert cicero: simul et inuentum et perfectum adeoque id uerum esse credidit summus orator: ut putet non dubitandum quin fuerint ante homerum poetæ, quod ex eis carminibus intelligi potest: quæ apud illum et in pheacum et in procorum epulis canuntur:CIC. Brut., 71 alioquin unde tam perfectus esse poeta potuit homerus?
(1427) Et il n’est rien au monde qui puisse atteindre la perfection dans ses débuts, mais en tout ou presque, pour utiliser les mots de l’homme de Madaure, "il y a l’ébauche d’une espérance avant l’expérience d’une réalité". Nec enim quicquam omnium est: quod possit in primordio sui perfici: sed in omnibus ferme (ut utar uerbis madaurensis) ante est spei rudimementum quam rei experimentum.APVL. flor., 3, 3
(1428) De nombreux poètes épiques avaient précédé Virgile ; ce poète admirable leur ajouta ce qui leur manquait. Multi epici Maronem præcesserant: quibus quod deerat addidit uates egregius.
(1429) De nombreux orateurs avaient précédé Marcus Tullius mais, parce qu’il n’y avait pas eu beaucoup de philosophe romains qui avaient précédé Marcus Tullius dans l’écriture d’ouvrages philosophiques, il ne put dans l’énoncé de ces nouveautés briller de son éloquence d’or, mais le fleuve de l’éloquence cicéronienne est tellement retardé par les obstacles de l’âpreté et de la confusion qu’il semble avoir encouru non sans quelque raison la censure d’Evangélus. Multi oratores . M. tullium. at quia non multi philosophi romani M . tullium philosophica scribentem antecesserant : non iam in illis nouis enunciandis suo illo aureo eloquentiæ genere nitescere potuit: sed adeo scabris turbulentisque retardatur obiicibus tulliani flumen illud eloqui ut in Euangeli censuram non sine quapiam ratione incidisse uideatur.
(1430) Et lorsque, dans son talent, nous reprochons ces détails, sommes-nous des juges iniques contre les poètes chrétiens, et des censeurs plus sévères qu’il n’est juste de l’être ? Et hæc cum in ingenio illo deprehendamus: sumus in poetas christianos iniqui iudices: et seueriores quam æquum est censores?
(1431) Et nous nous étonnons de voir notre poète dire carnaliter ("charnellement"), car cet adverbe paraît peu élégant ; même s’il abrège en usant d’une licence une syllabe longue par nature ou en allonge une brève, quelqu’un peut bien être accusé faussement, bien que totalement parfait, par des critiques malveillants, il ne peut cependant être convaincu de culpabilité s’il n’est pas fautif. et miramur si dixit poeta noster carnaliter: quod aduerbium uidetur esse minus elegans: etsi productam syllabam natura per licentiam contrahit: uel contractam producit: insimulari quiuis: quamquam absolutissimus a carptoribus potest: reuinci nisi uitiosus sit: non potest.
(1432) Et que daignerai-je répondre à ces Zoïles, dont le palais est si délicat que dans le premier chant de l’Iliade ils accusent de trois fautes le plus éminent des poètes, qu’il y ait un iambe en troisième position, qu’en cinquième position il ne fasse pas une synalèphe pourtant tout à fait triviale en grec, ce qui provoque une synérèse bien rude, et que dans le mot Ἀχιλῆος il ait utilisé avec trop de licence l’abrègement d’une syllabe longue par nature ? Et quid ego istos Zoilos digner responsione: qui adeo delicato sunt palato: ut in primo iliados carmine tres errores eminentissimi uatis accusent: et quod in tertia sede sit iambus: et quod in quinta non sit synaloepha græcis familiarissima: unde aspera resultet in scansione synæresis: et quod in illa dictione achileos systole nimis licenter usus fuerit.
(1433) Qui pourra supporter l’arrogance de ces personnages aux yeux de qui, même dans le premier vers de son si illustre poème, Homère ne trouve pas grâce, ces gens pour qui les roses et les lys et les très précieux baumes des vers sacrés ne sont que puanteur, qui n’approuvent ni ne sentent le très délicat parfum de nard épicé contenu dans ce vase, autrement dit l’esprit divin de la loi évangélique enfermé dans des rythmes poétiques ? Quis istorum feret supercilium: quibus in primo tam clari operis uersu homerus non satisfacit? quibus rosæ et lilia: et preciosissima unguenta sacrorum uersuum putere uidentur: quibus nardi spicati fragrantissimus odor alabastro contentus: hoc est legis euangelicæ diuinus spiritus numeris poeticis comprehensus nec placet: nec sentitur?
(1434) Il sera donc préférable de nommer des juges plus équitables auprès desquels la cause d’Arator et des autres poètes chrétiens (de fait cette calomnie est étendue par ces aboyeurs de critiques à tous nos poètes), après un juste examen du cas, sera traitée et défendue. satius igitur fuerit alios æquiores iudices nuncupare: apud quos iusto Examine aratoris causa: et cæterorum christianorum uatum: (nam in omnes nostros uates hæc calumnia ab istis latratoribus et criticis produci solet) et tractetur et defendat.
(1435) Donc maintenant que j’ai rejeté ceux-là, je vais maintenant m’adresser à ceux qui, je pense, seront plus équitables. istis ergo reiectis: illos: quos fore æquiores arbitror: nunc alloquar.
(1436) J’ai montré, il y a peu, combien est grande la difficulté de la nouveauté ; Jérôme s’en étonne au sujet de notre cher Juvencus qui a raconté en vers l’histoire du Seigneur en disant "il n’a pas craint de mettre sous les lois du vers la vérité de l’évangile". ostendi paulo ante quanta sit nouitatis difficultas: ob quam miratur hieronymus luuencum nostrum: qui historiam domini uersibus explicauerit: nec pertimuerit Euangelii ueritatem sub metri leges mittere:HIER. epist., 70, 5
(1437) Mais je me retire à moi-même ce moyen de défense et affirme que les poètes païens n’abusent pas moins de la quantité des syllabes que les chrétiens. Sed ego hoc patrocinium mihi adimo: affirmoque non minus ethnicos poetas abuti syllabis quam christianos :
(1438) Et en premier lieu si tu m’objectes ce vers d’Arator nescis amare deum, moi je te répondrai avec ce vers de Properce Et soror et cum qua dormĭs amica simul où, dans le verbe dormis, le i doit être scandé long, et non bref. ac primum: si mihi obiciis hoc aratoris carmen nescis amare deum: ego contra tibi propertii uersum oppono: Et soror et cum qua dormis amica simul.PROP. 2, 6, 12 ubi in dormis uerbo: est producta pro breui.
(1439) Ovide également dans les Héroïdes : Nescĭs an exciderint mecum loca uenimus illuc ; ici cependant certains lisent nescio, mais comment ils appuient cette lecture, je ne le vois nullement. Ouidius quoque in heroidibus: Nescis an exciderint mecum loca uenimus illuc.OV. epist., 12, 71 hoc tamen legunt quidam: nescio: sed quomodo ita legendum probent non uideo.
(1440) Tu me diras aussi qu’Arator et d’autres comme lui ne prêtent aucune attention au fait que dans un mot grec il y ait un η ou un ω, puisqu’ils disent idŏla avec o bref et ecclĕsia en abrégeant le second e, alors que le premier mot prend un ω en grec et le second un η. Tu dices et Aratorem et item alios: non attendere ubi in græcis dictionibus sit eta uel omega: cum dicant idola secunda breui: et ecclesia item secunda correpta: cum alterum per omega: alterum per eta scribant græci.
(1441) Je ne dis pas le contraire, mais, alors que tu es chassieux pour inspecter tes propres défauts avec des yeux couverts de pommade, pourquoi jettes-tu sur les défauts de tes amis un regard aussi acéré que celui de l’aigle ou du serpent d’Epidaure ? Alors que tu veilles pour débusquer les licences poétiques des poètes sacrés, pourquoi dors-tu ou fais-tu preuve de complaisance envers les poètes profanes les plus adeptes de licences poétiques ? Non diffiteor: uerum cum tua peruideas oculis mala lippus inunctis: cur in amicorum uitiis tam cernis acutum quam aut aquila aut serpens epidaurius? cum uigiles in deprehendenda licentia sacrorum uatum: cur dormitas aut conniues in prophanorum poetarum carminibus licentissimis?
(1442) De fait si Arator abrège des η, Juvénal ne fait-il pas de même en écrivant et longe calpĕ relicta où l’on écrit ordinairement κάλπη comme Πενελόπη et Virgile cum subito assurgens fluctu nimbosus ŏrion, alors que le mot prend un ω chez Musée οὐ θρασὺν Ὠρίωνα καὶ ἄβροχον ὁλκὸν Ἁμάξης ; et Perse non hic qui in crĕpĭdas graiorum ludere gestit donne les deux voyelles brèves alors que l’on écrit κρηπῖδα et que le i est long, voir Musée πλῶε βαθυκρήπιδος ἐπ’ εὐρέα δῆμον Ἀβύδου, et de même λύχνου σβεννυμένοιο. παρὰ κρηπῖδα δὲ πύργου ; et dans ne mihi pōlydamas, il fait de po l’initiale (longue) d’un dactyle, alors qu’on écrit Πολυδάμας et c’est ce qu’il fait qu’ils lisent Πουλυδάμας en ajoutant un υ. Nam si eta corripuit Arator: nonne Idem quoque fecit iuuenalis et longe calpe relicta:IVV. 14, 279 ubi calpe per eta sicut penelope scribitur: et Vergilius cum subito assurgens fluctu nimbosus orion:VERG. Aen., 1, 535 cum scribatur per omega apud Musæum: cai thrasyn oriona cai abrochon olcon amaxes.ps. MUS. Her. 214 Et persius: non hic qui in crepidas graiorum ludere gestit:PERS. 1, 127 utramque breuem protulit: cum prima per eta scribatur: et iota longa sit. Musæus. ploe uathy crepidos epeurea dem abydu.ps. MUS. Her. 229 et item lychnu sbennymenoio: para crepida de pyrgu.ps. MUS. Her. 338 Et ne mihi polydamas:PERS. 1, 4 po: prima in dactylo: cum scribatur per omicron: ideoque legunt pulydamas addita.y.
(1443) Et chez Virgile prima syracŭsio où il abrège la dipthongue grecque ου, raison pour laquelle ils pensent qu’il faut lire à la dorienne syracosio. Et apud uergilium: prima syracusio ubi dipthongus.VERG. ecl., 6, 1 u. græca corripitur: atque ideo censent dorice legendum syracosio.
(1444) Martial également : coenat prōpinat poscit negat innuit una estpropino qui vient de la préposition grecque πρό avec omicron est compté long. Martialis quoque: coenat propinat poscit negat innuit una est MART. 1, 68, 3 ubi propino a pro græca praepositione scripta per omicron: prima longa ponitur.
(1445) Et Claudien : haec centumgemini strictos aegaeŏnis enses compte brève la troisième syllabe o dans aegaeŏnis alors que le mot en grec prend ici un ω ; Homère dans l’Iliade : Αἰγαίων’, ὃ γὰρ αὖτε βίην οὗ πατρὸς ἀμείνων. Et claudianus : haec centumgemini strictos aegaeonis enses:CLAVD. rapt. Pros., 3, 345 posuit. o. tertiam syllabam correptam: cum scribatur per omega apud graecos. homerus in iliade: aigaion hogar aute bie hu patros ameinon.HOM. Il., 1, 404
(1446) Et Ovide aut elicen iubeo : nitidumque oriŏnis ensem où le o de la troisième syllabe d’Orionis est bref, alors que le mot prend ici un ω. Et oui. aut elicen iubeo:nitidumque orionis ensem:OV. met., 8, 207 ubi. o. tertia syllaba in orionis est breuis cum scribatur per omega.
(1447) Et Virgile dans ionioque mari malĕaeque sequacibus undis donne la seconde syllabe comme brève, alors que les Grecs font de ei dans maleia une diphtongue, voir Homère, Odyssée, ἐν νηυσὶ γλαφυρῇσι Μαλειάων ὄρος αἰπὺ. Et maro: ionioque mari maleaeque sequacibus undis VERG. Aen., 5, 193 : secundam breuem protulit: cum maleia per diphtongum a graecis scribatur. homerus in odyssea: en neusi glaphyresei maleiaon oros ai[33r]py HOM. Od., 3, 287 .
(1448) Si je voulais faire un catalogue de tous les passages qui sont écrits par les poètes païens en usant de licences, je ferais de longues digressions et je ne reviendrais pas de sitôt à l’ouvrage que je me suis fixé. Si uellem cuncta colligere: quæ licenter ab ethnicis uatibus dicuntur: profecto longas conderem digressiones: nec tam cito ad opus destinatum regrederer.
(1449) Si maintenant je les citais tous, quand en aurions-nous fini ? Iam uero si allegarem illa: quando esset finis?
(1450) matri longa.x. tulerunt fastidia menses : liminaque laurusque dei totusque moueri : Troas relliquias danaum atque immitis achilli. Et d’innombrables autres sur lesquels je passe pour que l’abondance d’exemple n’engendre pas l’ennui des lecteurs. matri longa.x. tulerunt fastidia menses:VERG. ecl., 4, 61 liminaque laurusque dei totusque moueri: VERG. Aen., 3, 91 Troas relliquias danaum atque immitis achilli VERG. Aen., 1, 30 . etc. innumera: quæ omitto ne legentibus copia fastidium pariat.
(1451) Ce qui donc a été permis aux auteurs profanes dans un matériau extrêmement pratiqué, celui qui estimera ces sujets avec équité jugera que cela a été bien plus justement permis à nos poètes dans une matière nouvelle, jamais pratiquée ni traitée par aucun poète antérieur. Quod ergo licuit prophanis scriptoribus in materia nimis culta: id nostris multo iustius licuisse iudicabit æquus rerum æstimator in materia noua et inculta id est a nullis antea poetis tractata.
(1452) De fait, tous les poètes chrétiens que nos clowns amateurs de prosodie réprimandent au nom d’un excès de licence poétique ont fleuri à peu près à la même époque et Arator est le plus récent d’entre eux. Nam omnes illi uates christiani: qui istius licentiæ nimiæ titulo a momis syllabariis insimulantur: iisdem ferme sæculis floruerunt: quorum recentissimus Arator est.
(1453) En effet je ne mets pas au nombre de ceux-ci quelques poètes remarquables de notre temps. Nec enim in illis: poetas quosdam nostrorum temporum egregios Numero.
(1454) Mais Arator est séparé de ces poètes par pratiquement mille ans, d’où nous concluons que Juvencus, Sédulius et Prudence ne l’emportent pas de beaucoup chronologiquement sur notre auteur. At arator ab hinc annos circiter mille floruit: unde colligimus: et luuencum et sedulium et prudentium superare hunc nostrum non longo æuo.
(1455) Mais, parce qu’il ne manquera pas de gens pour me dire qu’il faudrait chercher mes exemples dans les poèmes d’un seul auteur et non de plusieurs, afin qu’apparaisse avec plus d’évidence si sont fort nombreuses chez un seul auteur les licences poétiques, je veux éloigner toute critique pour éviter que quelque syllabastre hésitant ne me casse les oreilles et ne vienne dire qu’il n’a pas été pleinement satisfait. Verum quia non deerit: qui dicat ab uno carmina esse petenda: non a multis: ut unius si plurima sint: euidentius appareat licentia: uolo ne quis syllabaster cunctabundus caput quasset: nec sibi plene satisfactum dicat: omnia amoliri.
(1456) Je n’invoquerai ici que les vers du seul Lucrèce qui montrent beaucoup plus de licences que n’importe lequel des poèmes de poètes chrétiens, puisque celui-ci se fait une gloire (comme nos auteurs aussi l’ont affrontée) d’avoir affronté une incroyable difficulté dans son explication en raison de la nouveauté de sa matière. Adducam autem unius lucretii uersus multo licentiores quibuscunque carminibus christianorum uatum: quoniam hic gloriatur se (ut nostri quoque habuerunt ) miram difficultatem propter rerum nouitatem in explicando habuisse.
(1457) Voici ce qu’il dit dans le premier livre : nec me animi fallit graiorum obscura reperta / Difficile illustrare latinis uersibus esse / Multa nouis uerbis præsertim cum sit agendum / propter egestatem linguæ et rerum nouitatem ("et il ne m’échappe pas qu’il est difficile d’illustrer en vers latins les obscures découvertes des Grecs, en particulier s’agissant de traiter de nombreux sujets avec des mots nouveaux, tant en raison de la pauvreté de notre langue qu’en raison de la nouveauté de notre matière"). Ita enim canit in primo: nec me animi fallit: graiorum obscura reperta Difficile illustrare latinis uersibus esse: Multa nouis uerbis præsertim cum sit agendum: propter egestatem linguæ et rerum nouitatem.LVCR. 1, 136-139
(1458) Il va donc valoir la peine de citer principalement ses vers, lui que ces critiques triviaux révèrent comme un dieu, à la fois parce qu’il est profane puisqu’il est païen, et que, tout profane qu’il soit, il est en plus absolument hostile à toute forme de religion. Erit ergo operæ precium eius præcipue uersus allegare: quem isti triuiales critici uelut numen colunt: et quia prophanus est cum ethnicus sit: et quia prophanus hoc est ab omni religione alienissimus.
(1459) Et je ne vais pas rassembler tous les exemples, car ce serait pratiquement infini, mais, comme si je cueillais les feuilles de l’Ida ou l’eau à la surface de la mer de Libye, je vais sur ce nombre infini en rapporter quelques-uns que l’on trouve chez cet auteur, à titre d’échantillon et de modèle, et comme une sorte d’avant-goût. Nec ego cuncta colligam: id enim esset prope infinitum: sed frondes ut siquis ab ida: aut summam libyco de mare carpat aquam: paucula uelut specimen deigmaque: et quasi gustum proponam ex innumeris: quæ apud illum repperiuntur.
(1460) Donc, nous trouvons chez Lucrèce livre 3 ce vers : Naturā cuiusque animi uestigia prima dans lequel natura a un a final long au nominatif alors qu’il est bref au nominatif ; ici on ne peut excuser ce fait par la règle des syllabes communes, car ainsi il n’existerait rien qui ne puisse être excusé ; au livre 4, il y a quelque chose de semblable : Corpore tum plagas in nostro tanquam aliquā res où la dernière syllabe du dernier mot aliqua est brève au nominatif ; et on ne peut pas lire autrement si on se soucie du sens avec attention ; et livre 6 : Temporĕ eo sĭ odorast quo menstrua soluit et livre 2 Viuam progeniem quĭ in oras luminis edant : dans ces deux cas la voyelle devant voyelle ne s’élide pas et qui et si sont abrégés contre nature. Est ergo apud lucretium in tertio hic uersus. Natura cuiusque animi uestigia prima:LVCR. 3, 309 ubi natura in recto producitur cum sit ultima breuis in recto nec hic per modos communium syllabarum excusandus est sic enim nil non excusabile est. et in quarto simile quiddam est: Corpore tum plagas in nostro tanquam aliqua res:LVCR. 4, 263 ubi ultima illius dictionis aliqua. in casu nominandi breuis est. nec aliter recte legitur: si sensum diligenter attendas. et in vi. Tempore eo si odorast quo menstrua soluit:LVCR. 6, 796 et in secundo: Viuam progeniem qui in oras luminis edant:LVCR. 2, 617 in his duobus nec sequente uocali remouetur uocalis: et qui et si: corripiuntur contra naturam.
(1461) Mais cela se produit à l’exemple des Grecs. At id fit exemplo græcorum.
(1462) Certes c’est pour cette raison que cela se produit, mais pour eux rien n’est interdit ; mais il ne nous est pas permis d’être aussi diserts, nous qui cultivons des muses plus austères. Fit sane: sed illis nil est negatum: nobis non licet esse tam disertis: qui musas colimus seueriores.
(1463) De même, livre 5 : nec iacere indu manus uia quam munita fidēi et livre 3 siue aliud quid uis potius coniunctius ēi, dans les deux mots fidei et ei, soit la voyelle en hiatus est longue, alors même que ce sont des mots latins, soit il y a un iambe en fin de l’hexamètre dactylique. Item in quinto nec iacere indu manus uia quam munita fidei.LVCR. 5, 102 et in tertio siue aliud quid uis potius coniunctius ei:LVCR. 3, 556 in his quoque duobus ei et fidei: uocalis ante uocalem longa est: cum sint dictiones latinæ : uel iambus est in heroico.
(1464) En outre livre 3 : Preter enim quam quod morbis cum corpus ægrotat : soit il retire le a de praeter à la diphtongue, soit s’il ne retire par le a de la diphtongue, bien que les Grecs fassent souvent cela, ce n’en est pas moins une licence pour un poète latin que quand Properce le fait pour le mot aerumnas. Præterea in tertio. Preter enim quam quod morbis cum corpus ægrotat:LVCR. 3, 824 uel dipthongi. a. remouetur : uel si non amouetur a. a dipthongo: quamuis id græci sæpe faciant: poetæ latino. licentiosum est non minus: quam in illa uoce ærumnasPROP. 2, 34, 53 apud propertium.
(1465) Et de même livre 5 :  rēcidere assidue : quoniam fluere omnia constat et livre 1 : nam siue est aliquid quod prōhibeat efficiatque, vers où il allonge re et fait que prohibeo dans la succession des voyelles a la première syllabe longue, ce contre quoi s’insurge l’usage des autres poètes, et l’aspiration ici n’y fait rien puisque, un peu plus haut, le même dit An prŏhibere aliquid censes. Et item in. v. recidere assidue: quoniam fluere omnia constat:LVCR. 5, 280 et in primo nam siue est aliquid quod prohibeat efficiatque:LVCR. 1, 997 in quibus uersibus : re producitur: et prohibeo sequente uocali habet primam longam reclamante usu aliorum poetarum : nec aspirato quicquam facit: cum paulo supra dicat ldem: An prohibere aliquid censes.LVCR. 1, 973
(1466) Si l’on veut considérer avec équité ces détails et d’autres que je passe pour ne pas être trop bavard, on avouera sans aucun doute que les poètes païens ont usé de bien plus de licences que nos poètes chrétiens, et ont eu un usage bien plus audacieusement abusif que le leur de la quantité des syllabes. Si quis hæc et alia: quæ ne prolixior sim prætereo: æquis animis uelit considerare: procul dubio fatebitur : multo licentiores christianis nostris poetas ethnicos extitisse : multoque audacius illis hos abusos syllabis fuisse.
(1467) Sur le reste, pour éviter donc que quelqu’un ne vienne me chercher noise, j’ai voulu les réduire à néant non par morceaux mais tous d’un coup, ceux qui reprochent à Arator et aux autres Anciens comme aux modernes et aux poètes plus récents de négliger la quantité des syllabes, non tant au motif qu’ils seraient négligents, puisque le même phénomène se produit chez des auteurs profanes, que parce qu’ils écrivent aujourd’hui comme hier de manière chrétienne, pieuse et religieuse. Ne igitur de cætero quisquam molestus mihi sit: uolui non per partes sed uno impetu omnes simul profligare: qui uel Aratori et cæteris antiquioribus : uel neotericis ac recentioribus poetis: syllabarum obiiciunt negligentiam: non tam quod negligentes sint: cum prophanis quoque idem contigerit: quam uel christiane et pie religioseque scribant : uel scripserunt.
(1468) Quel Démosthène, quel Cicéron pourra les défendre de l’accusation d’impiété, alors qu’ils sont devenus les traîtres de la religion à laquelle ils avaient donné leur assentiment et de la foi dont ils ont revêtu le sacrement, et qui sont tellement loin de favoriser sa prédication qu’ils s’y opposent même avec la dernière violence, je ne saurais dire si c’est plus par ignorance que par impudence ? Il est bon qu’ils soient néanmoins lus par les gens pieux et la situation n’est pas si terrible qu’il manque de gens partisans de la droite raison auxquels plaisent les auteurs sacrés ; quant à ces fous, ils sont bien malheureux : la plupart d’entre eux a reçu une admirable intelligence comme une coupe d’or, et ne la consacrent pas au Dieu très grand, mais au Pluton infernal et s’en servent pour s’offrir eux-mêmes en boisson au démon et à leurs désirs. Quis ergo Demosthenes: quis cicero poterit ab impietate eos defendere: qui religionis: cui fuerunt assensi: et fidei cuius sacramentum induerunt: proditores facti: tantum abest ut eius præconibus faueant : ut etiam accerrime eos oppugnent: ignorantius dicam an impudentius? bene qui nihilominus leguntur a piis: nec in tam malo statu res est : ut desint fauissores sanæ mentis: quibus authores sacri placent. Insani illi prorsus infoelices: quorum plerique ingenium nacti egregium quasi poculum aureum: non id deo summo: sed infimo plutoni dicant: se ipsos dæmoni et libidinibus in illo propinantes.
(1469) Assez parlé sur ce sujet. Hæc hactenus.