(1234) (FVNDITVR INTEREA.) comme au jour de Pentecôte trois
milliers, autrement dit trois mille personnes avaient cru et qu’autant avaient été
baptisées par Pierre, comme le divin Luc l’a raconté au chapitre 2 des Actes, ils
persévéraient dans l’enseignement des apôtres et tous les croyants étaient égaux
et il mettaient tout en commun, vendaient leurs biens et leurs fortunes et les
partageaient à tous selon les besoins de chacun. |
(FVNDITVR
INTEREA.) Cum in die pentecoste tres
chiliades et tria millia hominum credidissent: et
baptizati tot a petro essent: ut in secundo
capite actuum narrauit diuus lucas: perseuerabant in
doctrina apostolorum: omnes etiam qui credebant
erant pariter: et habebant omnia communia: possessiones et substantias uendebant: et diuidebant illa omnibus prout cuique opus
erat.
|
(1235) C’était là le signe de la charité qui se répandait dans leurs
cœurs. |
Quod apertum erat indicium charitatis diffusae in cordibus
eorum.
|
(1236) C’est ce qui fait aussi que l’Esprit saint fut donné deux fois aux
apôtres ; il signifia le double feu de la charité, l’amour de Dieu et du
prochain. |
Vnde et bis apostolis
spiritus sanctus datus: geminum charitatis
ardorem: et dei ac proximi dilectionem
significauit.
|
(1237) Voilà ce qu’Arator dans la sixième section du livre 1 expose avec
soin. |
Hanc rem arator in hac
sexta primi libri sectione diligenter declarat.
|
(1238) (Interea) évidemment au moment où les apôtres les
enseignent et quand tous les fidèles que Pierre a baptisés persévèrent dans la
prière ; funditur gratia ("se déverse la grâce") évidemment du
saint Esprit per cunctos sensus ("à travers tous les sens")
évidemment des croyants. |
(Interea)
scilicet dum apostoli eos docent: et in oratione
perseuerant cuncti fideles a petro
baptizati:
funditur gratia scilicet
spiritus sancti:
per cunctos sensus scilicet
credentium.
|
(1239) De fait il y a une preuve et un indice clair de la réception de
l’Esprit saint : ils aiment chacun comme eux-mêmes et ont sur Dieu une
opinion vraie et, pour dire comme Grégoire, sur leur prochain une meilleure
opinion que sur eux-mêmes, car la vraie vertu n’est pas dans les miracles, comme
le montre la Vérité : "en cela, dit-il, il reconnaîtront que vous êtes mes
disciples si vous vous aimez les uns les autres" ; il ne dit pas : "en
cela il reconnaîtront que vous êtes mes disciples si vous faites des miracles"
mais il dit "si vous vous aimez les uns les autres" ; il indique ici
ouvertement que les vrais serviteurs de Dieu apparaissent non aux miracles qu’ils
montrent, mais à leur seule charité. |
Nam spiritus sancti recepti probatio et indicium clarum est: unumquemque ut se diligere. de deo uera: et ut uerbis utar gregorii:
de proximo meliora quam de seipso sentire. quia uera
uirtus: in amore est non in miraculis: ut ueritas ostendit:
in hocJn 13, 35 inquit cognoscent omnes quia discipuli mei estis: si dilectionem habueritis ad inuicem:Jn 13, 35 non ait: in hoc cognoscetur uos meos esse
discipulos: si signa feceritis sed ait:
si dilectionem habueritis ad inuicem:Jn 13, 35 aperte indicans ueros dei famulos: non
ostensione miraculorum sed sola charitate probari.
|
(1240) Voici en effet ce qui atteste que l’on est un disciple du Ciel :
le don de l’amour fraternel. |
testimonium enim discipulatus superni est: donum fraternae dilectionis.
|
(1241) Et parce que (comme le dit Augustin dans une lettre à Jérôme) la
plénitude de la loi c’est la charité, qui fait que l’on aime Dieu et le prochain,
préceptes dont dépendent toute la loi et les prophètes, ce n’est pas à tort
qu’Arator dit que c’est per cunctos sensus ("à travers tous les
sens) que la grâce de l’Esprit saint s’est diffusée dans le cœur des croyants qui
s’aimaient à tel point qu’ils avaient tout en commun de sorte que, par le don de
la charité, il ne faisaient plus aucun cas des biens temporaires, mais se
faisaient un trésor dans le ciel des vrais biens, et ainsi, par la seule vertu de
charité, ils embrassaient d’un coup toutes les vertus. |
et quia (ut in quadam ad
hieronymum epistula
ait augus.) plenitudo legis caritas est: qua deus
proximusque diligitur: in quibus praeceptis
caritatis tota lex pendet et prophetae:AVG. epist., 55, 21, 38 non iniuria arator ait per cunctos sensus gratiam
spiritus sancti fuisse diffusam in corda credentium:
qui adeo se amabant ut simul essent omnia omnibus communia. ut per dilectionis donum bona temporaria nihili facerent: thesaurizantes in coelo uera bona. atque ita per unam charitatis uirtutem omnis simul
uirtutes comprehenderent.
|
(1242) (gratia.) Expliquez donc de cette manière le vers
d’Arator : gratia ("la grâce") évidemment de la charité,
funditur ("se déverse") évidemment sous l’action de l’Esprit
saint, per cunctos sensus ("à travers tous les sens") évidemment
des fidèles. |
(gratia.) igitur expone hoc modo uersum aratoris:
gratia scilicet. charitatis funditur scilicet a spiritu sancto:
per cunctos sensus scilicet
fidelium.
|
(1243) Ici je prends le mot sensus ("sens") non seulement pour
les sens extérieurs, mais aussi pour les sens intérieurs ; de fait, puisque
l’amour du prochain (en atteste Grégoire) dérive vers deux préceptes qui sont
évidemment veiller à ne pas faire à un autre ce que tu détesterais que l’ont te
fît, et aussi cet autre : faire vous aussi aux gens ce que vous voudriez
qu’ils vous fassent ; avec ces deux commandements des deux testaments, grâce
à l’un on apaise la malice, grâce à l’autre on prolonge la bienveillance. |
sensus hic accipio non
solum exteriores sed etiam interiores. nam cum
proximi dilectio (ut author est gregorius) ad duo praecepta deriuetur scilicet illud quod ab
alio tibi odisti fieri: uide ne alteri feceris: et item illud:
quae uultis ut faciant uobis homines et uos facite illis:Mt 7, 12 his duobus utriusque testamenti mandatis: per
unum malitia compescitur: per alterum benignitas
prorogatur.
|
(1244) Il existe en effet deux sortes de malice : la malice des sens
extérieurs et celle des sens intérieurs : les sens extérieurs en effet, comme
des chèvres, bondissent par une sorte de saut, et se nourrissent de ces ruptures,
troublant l’âme par leur impétuosité. |
Malitia uero duplex: exteriorum sensuum
et interiorum. sensus enim extranei caprarum modo
uelut saltu quodam exiliunt: et pascuntur
praeruptionibus: impetu suo animam
perturbantes.
|
(1245) Pour toute occasion, ils sont là prêts à se précipiter et, soit par
l’arrivée de la beauté féminine, soit par l’odeur de quelque parfum délicat, soit
par l’ouïe, soit par le toucher de ce sexe insidieux, les voilà émus, eux dont la
constance d’âme (sans l’aide de l’Esprit céleste) est infléchie et comme rendue
étrangère à sa propre nature. |
ad omnem occasionem praesto sunt in praeceps ruentes: et uel occursu foemineae pulchritudinis: uel odore alicuius suauitatis: uel auditu tactuue insidiosi sexus protinus mouentur: quibus animae constantia (ni coelestis adsit
spiritus) inflectitur: et uelut a natura sui
abalienatur.
|
(1246) La grâce spirituelle, qui se diffuse venant du Ciel dans notre cœur,
nous donne donc une certaine forme de chasteté et de modération, de sorte que nos
sens extérieurs, vue, ouïe, odorat, toucher, goût et pour finir notre parole même
(nous entendons en effet ici le mot "sens" dans sa signification la plus large,
sans le lier par les entraves d’une acception plus étroite) demeurent dans leur
office, conservent leur tempérance et veillent à demeurer dans la
modération. |
dat ergo gratia spiritalis cor nostrum coelitus fusa castimoniam
quandam: moderationemque: ut externi sensus Visus: auditus: olfactus: tactus: gustus: uox denique
ipsa: (sensus enim hic latissime intelligimus: nec ullis arctioris significantiae uinculis
alligamus) in officio maneant: temperantiam
seruent: modestiam custodiant.
|
(1247) Parce que, si la vue est trop effrontée, il y a faute, et c’est la
raison pour laquelle il est écrit : "ne regarde pas la femme trompeuse et ne
laisse pas tes yeux être séduits, ni ses paupières t’emporter". |
quia uisus si sit procacior: habet
crimen: et ideo scriptum est:
noli intendere fallaci mulieri nec capiaris oculis:Pr 5, 2
nec arripiaris palpebris.Pr 4, 25
|
(1248) Et dans l’ouïe même, il y a faute, si la courtisane te séduit et, par
les multiples flatteries de son discours et les liens de ses lèvres, elle
t’enferme. |
et in ipso auditu crimen est si seducat meretrix: et multo blandimento sermonis: et laqueis labiorum suorum te alliget:
|
(1249) Quant au toucher même, la faute y est multiple, c’est pourquoi il est
prescrit : "ne t’attarde pas souvent auprès de la femme d’autrui, et ne
trouve pas plaisir aux embrassements d’une femme qui n’est pas la tienne". |
Et in ipso tactu multiplex culpa est:
ideo praecipitur:
ne multus fueris ad alienam:AMBR. bon. mort., 6, 25 et fouearis amplexibus non tuae.
|
(1250) Que dire de la parole ? Le lien le plus fort pour l’homme,
n’est-ce pas sa bouche ? N’est-il pas dit : "ne mange pas beaucoup de
miel, de peur que tu ne vomisses" ? |
quid uox? nonne laqueus fortissimus est
homini os suum? nonne dicitur mel ipsum noli multum edere:Pr 25, 27 ne euomas?
|
(1251) Ainsi donc l’Esprit saint réprime tous les sens extérieures afin que
leur impétuosité n’entraîne pas au vice, leur excès ne blesse pas ou le retard
qu’ils provoquent ne fasse pas achopper. |
Circumcidit ergo spiritus sanctus omnes sensus externos: ne aut impetus in uitium trahat: aut nimietas laedat: aut mora offensioni
sit.
|
(1252) Il ferme toutes les routes par lesquelles la mort entre, celles qui
ouvrent, à partir du siège de l’âme, vers les yeux, les narines et les oreilles,
en sorte que des fenêtres soient ouvertes aux œuvres de vie et fermées aux œuvres
de mort ; voici en effet ce que chacun obtient par le présent de la vraie
charité ; en ne faisant pas le mal qu’il ne veut pas endurer, il s’abstient
de toute œuvre nuisible. |
claudit omnes uias per quas intrat mors:
quae a sede animae ad oculos: ad nareis: ad aureis sunt perforatae:
ut fenestrae illae operibus uitalibus apertae: ac
mortiferis occlusae sint. Id enim uerae charitatis
munere quisque consequitur: dum malum quod pati
non[29v] uult non faciens:cessat a
nocendi opere.
|
(1253) Que dirai-je des sens internes ? L’Esprit nourricier les entoure
comme de la muselière du saint amour. Aussitôt, l’âme s’observe avec une attention
inquiète, pour éviter que l’orgueil ne l’élève et que, en causant sa propre ruine,
elle ne s’exalte jusqu’à mépriser le prochain, pour éviter que l’ambition ne
détourne sa réflexion, que la colère n’enflamme son cœur pour lui faire proférer
l’insulte, que la luxure ne pollue son esprit de mouvements illicites, que l’envie
(qui est la rivale des biens d’autrui) ne la consume de sa torche, que la malice
n’éveille la haine, en laissant libres et lâches les rênes à sa langue quand elle
calomnie et dit du mal. |
Quid loquar de internis sensibus? quos
ubi capistro cinxit sanctæ dilectionis almus spiritus: statim anima sollicita se intentione circumspicit: ne superbia eleuetur: et
usque ad despectum proximi se deiiciens exaltet: ne
ambitio cogitationem distrahat: ne ira ad
proferendam contumeliam cor inflammet: ne luxuria
illicitis motibus animum polluat: ne inuidia
(alienis bonis æmula) sua se face consumat : ne
odium malitia excitet liberas obtrectanti linguæ ac maledicæ habenas
laxans.
|
(1254) Ce sont toutes ces eaux d’une mer instable que le feu de l’Esprit saint
éteint, après que la véritable charité a enseigné à ne pas faire à autrui ce que
tu détesterais voir autrui te faire. |
Has omneis instabilis freti undas ignis spiritus sancti
extinguit: posteaquam uera charitas docuit ne
alteri facias: quod tibi ab alio fieri odisti.
|
(1255) C’est la raison pour laquelle Arator rappelle que la grâce de l’Esprit
saint s’est répandue à travers tous les sens des fidèles tant intérieurs
qu’extérieurs (comme je l’ai exposé) ; mais combien cette même charité
demande, pour ainsi dire de son propre droit, que l’on partage largement à son
prochain un bien que tu juges équitable qu’on te remette ; cette autre source
de l’amour pour le prochain est divisée par le bienheureux Grégoire en de nombreux
petits ruisseaux afin que l’on compare les actes bons aux mauvais et les actes
meilleurs aux bons : être doux envers les coléreux, être patient envers les
obstinés, être bienveillant envers les gens pleins de malice, être libéral envers
les indigents, être consolateur envers les affligés, faire des reproches à ceux
qui sont liés par les désirs de ce monde comme par des liens pernicieux. |
Ideoque arator gratiam
spiritus sancti per omnes sensus fidelium tam interiores quam exteriores (ut
exposui) efusam commemorat. At quanta eadem charitas
postulat suo quodam iure: ut bonum proximo largiter
impendas: quod in te conferri æquum iudicas: hic quoque alter dilectionis in proximum fons: in multos riuulos a beato gregorio diuiditur: ita ut malis bona: et
bonis meliora conferas: in iracundos mitis: in proteruos masuetus: in
malignantes beniuolus : in indigentes liberalis: in afflictos consolator:
in uictos mundi huius desideriis uelut perniciosis nexibus increpator.
|
(1256) Ainsi, en effet, tu montreras la voie droite à ceux qui errent, tu
apporteras le don de la paix à ceux qui sont dans la discorde et tu affermiras,
pour ceux qui sont dans la concorde, le lien de cette même paix. |
Sic enim et errantibus uiam rectam ostendes: et discordibus pacis munus ingeres: et
concordibus eiusdem pacis uinculum firmabis.
|
(1257) Ainsi tu soulageras ceux qui sont accablés par les angoisses et sur le
point de tomber, ou ceux qui menacent ruine, par une action généreuse ; ainsi
tu adouciras les menaces des plus puissants par un raisonnement convaincant ;
ainsi tu opposeras à ceux qui résistent le bouclier de la patience, en sorte que
tu ne te détourneras pas de ta règle ; ainsi la douceur pourra tempérer la
justice et la sévérité la clémence, pour éviter que l’une ne nuise à
l’autre. |
Sic oppressos angustiis iamque casuros:
uel ad ruinam nutantes ope munifica subleuabis: sic
minas potentiorum ratiocinatione probabili lenies:
sic resistentibus oppones scutum patientiæ ut non deseras disciplinam: sic mansuetudo iusticiam et seueritas clementiam
temperet: ne hæc illi aut huic illa officiat.
|
(1258) La plupart du temps, en effet, une austérité sans mesure, quand elle
s’achauffe pour la vengeance, franchit les grilles de la piété et les justes
limites. |
Plerumque enim austeritas immoderata ad ultionem feruescens: pietatis cancellos et iustos transilit limites.
|
(1259) De fait, provoquer les ingrats à l’amour par des bienfaits, et
conserver ceux qui vous sont reconnaissants dans l’amour en y ajoutant des
services ; taire ce que le prochain fait de mal (quand tu ne peux le
corriger), et reprocher ce qui peut être corrigé (afin de ne pas voir l’emporter
l’impression que vous êtes d’accord) ; montrer le don de la bienveillance à
ceux qui veulent le mal, afin de ne pas se détourner par la complaisance du juste
sentier du droit ; partager à chacun tous les biens pour éviter qu’en les
partageant sous le coup d’un vain orgueil tu ne perdes la récompense de tes
bienfaits ; éviter dans les biens que tu offres le précipice du sentiment de
supériorité, afin de ne pas languir dans la torpeur loin de l’entraînement que
donne un louable combat ; donner ce que tu possèdes, sans craindre plus que
nécessaire pour ta propre indigence, en étant bien conscient, quand tu donnes
largement de tes biens terrestres, de la largesse qui sera celle de celui qui te
récompensera, et tu n’obscurcis d’aucun nuage de tristesse la lumière de la joie
qu’il y a à agir bien. |
Iam uero ingratos beneficiis ad amorem prouocare: et gratos additis officiis in amore seruare: et proximorum mala (cum non potes corrigere)
tacere: et quæ possunt corrigi (ne consensum
præstare uideatis) increpare: et sic maliuolis
benignitatis munus exhibere: ne per gratiam a recto
iuris tramite declines: et sic cuncta proximis bona
impendere: ne hæc impendendo per superbiam
inanem: benefactorum mercede frauderis: et sic in bonis quæ præstas tumoris præcipitium
uitare: ne tamen ab agonis laudandi
exercitatione per torporem langueas: et sic quæ
possides tribuere: ne tuam plus quam necesse est
inopiam pertimescas: dum terrena largiens quanta sit
largitas remunerantis attendis: nec ullo tristiciæ
nubilo hilaritatis beneficæ lumen obscuras:
|
(1260) Voilà tout ce que donne la seule charité ainsi que bien d’autres
avantages sans nombre ; si je voulais tous les énumérer j’arriverai à mon
dernier jour sans avoir terminé. |
hæc omnia una præstat charitas: et alia
inumera: quæ si uelim cuncta recensere: supremus ante me dies occupet.
|
(1261) Si ces sujets toutefois sont agréables à l’un de vous, qu’il lise les
livre 10 des Moralia de Grégoire et il trouvera ces idées écrites
en d’autres termes et bien plus encore avec plus d’élégance et de sagesse, comme
s'il puisait à la source. |
Si cui tamen ista grata erunt: legat
gregorii in.x. moralium libro:
et hæc ipsa aliis uerbis: et multo plura elegantius
sapientiusque ut in fonte conscripta repperiet.
|
(1262) Quant à cette simple source de la charité d’où découlent les larges
eaux de la bienveillance, le poète l’ajoute juste après : Et
uoluntas ("et la volonté") évidemment des fidèles de cette primitive
Église, locuples ("opulente") autrement dit riche en amour
évidemment pour son prochain et pour Dieu ; metit ("mesure")
autrement dit rassemble ; diuitias ("ses richesses")
évidemment celles des dons de l’Esprit saint par lesquels il fait que chacun qui
est enclin à la vraie charité accomplisse les œuvres variées de cette charité,
comme je viens de le dire. |
simplicem uero hunc fontem charitatis: ex
quo manant aquæ benignitatis largiores subdit poeta:
(Et uoluntas) scilicet
fidelium ecclesiæ illius primigeniæ:
locuples id est diues:
in amore scilicet erga
proximum et deum:
metit id est colligit
diuitias scilicet donorum sancti spiritus: quibus
efficit ut quisquis uera charitate præditus est:
multifaria charitatis opera (ut paulo ante dixi) exerceat.
|
(1263) Et, s’il fait ici mention de la volonté, c’est parce qu’aimer est le
fait de la volonté ; une volonté bonne rend absolument l’homme bon quand elle
pousse les autres forces de l’âme à agir selon elle, en tenant solidement son
sceptre. |
Et de uoluntate fit hic: mentio: quia amare uoluntatis est:
Voluntas autem bona: facit absolute hominem bonum: cum impellat alias uires animæ ad actiones suas
sceptra tenens.
|
(1264) Et de là vient que le caractère bon ou vicieux de la volonté tourne à
l’avantage ou au détriment des autres puissances de l’âme. |
Vnde fit ut bonitas uoluntatis uel uitiositas: commodo uel damno sit reliquis animæ potestatibus.
|
(1265) Mais on peut aussi interpréter autrement :
uoluntas ("une volonté") riche en amour metit
("mesure") autrement dit sépare et enlève d’elle-même, comme les moissonneurs qui
coupent la moisson de la terre et la rassemblent en gerbes ; donc la volonté
s’enlève des richesses (qui servent pour ainsi dire de moyen de négoce pour la
charité) et des fautes, quand les saints vendaient leurs possessions et les
distribuaient à chacun selon ses besoins. |
uel aliter potes interpretari:
uoluntas diues in amore
metit id est scindit et
aufert a se: sicut messores secant a terra
segetem: et colligunt in manipulos: uoluntas ergo aufert a se diuitias tamquam
charitati negocium facessentes et noxias: cum
possessiones sancti uiri uendebant: et singulis
distribuebant ut cuique opus erat.
|
(1266) De fait, Augustin, en commentant la lettre de Jean, dit : "la
racine de tous les maux, c’est la cupidité et la racine de tous les biens c’est la
charité ; les deux ne peuvent aller ensemble ; sans que l’une des deux
ne soit totalement arrachée, l’autre ne peut s’implanter ; quelqu’un tente de
couper sans raison des branches, s’il ne s’efforce pas d’enlever la racine". |
Nam augus.
super epistulam Ioannis.
radix inquit omnium malorum est cupiditas: et radix omnium bonorum est charitas.AVG. in psalm., 80, 1, 8 simul ambæ esse non possunt. nisi una
radicitus euulsa fuerit: alia plantari non potest. sine causa conatur aliquis ramos incidere: si radicem non contendit euellere.
|
(1267) Dans ce sens, tu diras que ce poème est pour ainsi dire une
interprétation de ce qui précède. |
Ad hunc autem sensum dices: hoc carmen
esse interpretamentum antecedentis: ut ita dicas.
|
(1268) (Interea) gratia (entre temps la grâce")
autrement dit la charité funditur per omnes sensus ("se déverse à
travers tous les sens") autrement dit la réflexion et les forces de l’âme ;
per ("à travers") autrement dit la riche volonté dans l’amour,
autrement dit la charité, metit diuitias ("mesure ses richesses")
et les tranche de lui-même, comme des plantes nocives pour l’âme et extrêmement
dommageables. |
(Interea) gratia id est charitas funditur per omnes sensus id
est cogitatus et uires animæ: et per id est diues uoluntas in amore: hoc est enim charitas:
metit diuitias: et resecat a se tamquam plantas animæ noxias ac
nimium damnosas.
|
(1269) N’allez pas vous étonner qu’il prenne le mot gratia
("grâce") pour désigner la charité, puisque χάρις (d’où vient le mot charité) veut
dire grâce. |
Nec mireris quod gratia accipiat pro charitate: cum charis (unde deducitur
charitas) gratiam significet.
|
(1270) χάρις -itis en effet désigne en grec ce que le latin
désigne par gratia. |
charis itis enim græce dicitur: quæ latine gratia.
|
(1271) Il y a aussi une autre raison pour laquelle le mot grâce est pris ici
simplement comme synonyme de charité. De fait, comme l’atteste Hilaire, il faut
prendre le sens des mots en tenant compte des raisons de l’emploi de ce mot parce
que ce n’est pas au discours que la réalité est soumise, mais le discours à la
réalité. |
Est et alia ratio: cur gratia hic
simpliciter pro charitate accipiatur. Nam (teste
hilario) intelligentia dictorum ex causis est assumenda dicendi:ALEX. HAL. summ., 3, 2, 1, 8 quia non sermoni res: sed rei est sermo
subiectus.
|
(1272) Puisqu’ainsi, dans ces 33, vers Arator traite du don de la charité, il
a démontré largement par les conséquences quelle grâce ces fidèles ont reçue et
quel fut le don qui a précédé cela. |
Cum ergo in his. xxxiii. uersibus Arator de dono
charitaris agat: nimirum quam gratiam fideles illi
acceperint: et quod fuerit illud donum
præcedens: sequentibus causis demonstrauit.
|
(1273) Et il ne sera pas difficile de faire accepter cela aux théologiens qui
ne sont pas d’accord avec le Maître lombard, qui (comme le dit Jean Scot dans le
premier livre des Sentences distinction 17) soit postule que la
grâce est une manière d’être autre que la charité, soit dit au moins que cette
manière d’être réside dans la volonté et non dans l’essence de l’âme. |
nec hoc difficulter persuadebitur theologis dissetientibus a
magistro longobardo: qui (ut inquit loannes scotus in primo sen.
dist. xvii) uel ponit gratiam alium
habitum esse a charitate: uel saltem dicit hunc habitum esse in uoluntate: et non in
essentia animæ.IOH. DUNS SCOT. sent., 1, dist. 17, 2, 2, B, 3
|
(1274) Mais d’autres théologiens qui contredisent le maître, dans l’idée
qu’il n’a pas postulé cette manière d’être de la charité, par laquelle l’Esprit
saint vient habiter l’âme qui le mérite (bien que tente d’excuser son opinion un
homme certes sans éloquence mais d’une intelligence supérieure), certains donc (à
mon sens du moins avec sagesse et savoir) ont affirmé que, dans les faits, la
charité et la grâce étaient la même manière d’être, ce qu’appuie d’ailleurs
l’étymon de ce nom comme nous l’avons dit plus haut. |
Ast alii :a quibus magister arguitur quasi non
posuerit eum charitatis habitum: per quem spiritus
sanctus promerentem animam inhabitet: quamquam id
conatur excusare uir infacundi sed tamen Summi ingenii. ergo nonnulli (mea quidem sententia sapienter ac docte) eundem
esse habitum in re charitatem et gratiam asseuerauerunt: quos nominis etymon adiuuat: ut supra
dicebamus.
|
(1275) Chrysostome aussi, d’ailleurs, entérine leur proposition, lui qui
n’est pas seulement d’or par sa bouche, mais aussi par son cœur et ses
sentences : "la grâce", dit-il, "est la santé de l’esprit et l’affection du
cœur". |
Quibus etiam subsignat chrysostomus: non tantum ore sed
etiam pectore et sententiis aureus:
GratiaALB. M. comm. sent., 2, 26A, 4 inquit est sanitas mentis et dilectio cordis.ALB. M. comm. sent., 2, 26A, 4
|
(1276) En outre, il faut bien voir que la signification de ce mot est
extrêmement large : en effet on n’appelle pas seulement grâce cette forme que
Dieu donne gratuitement et sans considération de mérite, conduisant celui qui la
possède à l’action de grâce et rendant son œuvre bonne, mais encore celle qui est
dite multiple, donnée selon la munificence de celui qui la donne, et gratuitement,
et qui parfois échoit même à des gens mauvais. |
Cæterum illud uidendum est huius uocabuli significantiam
latissime patere. non enim gratia solum uocatur
forma illa a deo data gratis sine meritis: gratum
faciens habentem: et opus eius bonum reddens: sed etiam illa quæ multiplex secundum
munificentiam largitoris gratis data nuncupatur:
etiam improbis nonnumquam contingens.
|
(1277) Hé quoi ? Augustin dans son livre sur la nature et la grâce
n’a-t-il pas écrit que la grâce nous devance pour nous faire vivre pieusement,
mais qu’elle nous suit pour que nous vivions en sa compagnie, signifiant, par la
grâce subséquente, notre gloire ? N’est-il pas exact qu’au même endroit
l’Aigle d’Hippone montre que la grâce est une, alors même qu’elle opère dans l’âme
des œuvres multiples : c’est en effet elle qui fait de l’âme l’épouse du
Christ, la fille du Père éternel, et le temple de l’Esprit saint ; c’est elle
qui purifie l’âme, l’illumine, la rend parfaite, la fait vivre, la reforme,
l’établit solidement, l’élève, l’assimile et l’unit à Dieu. |
Quid? nonne augustinus in li. de natura et gratia
gratiam scripsit praeuenire ut pie uiuamus:AVG. nat. et grat., 31, 35 subsequi uero ut cum illa uiuamus. per
subsequentem gratiam significans gloriam? An non
ibidem ostendit aquila hipponensis
gratiam unam esse: cum tamen multa in anima
operetur. ipsa enim animam efficit sponsam
christi et filiam patris aeterni: et templum
spiritus sancti. Ipsa animam purgat: illuminat: perficit: uiuificat: reformat: et stablilit: eleuat: assimilat: deo
coniungit.
|
(1278) Tout cela, comment cela peut-il arriver, si la face supérieure de
l’âme, dans laquelle consiste l’image de la Trinité, n’est pas éclairée par les
trois lumières de la foi, de l’espérance et de la charité, et la face inférieure,
où sont raison, colère et cupidité, n’est pas dirigée par le conseil de la
prudence, par la constance du courage, par la pureté de la tempérance, par la
bonté de la justice ? |
Quæ omnia qui fieri possunt: nisi et
facies animæ superior: in qua consistit trinitatis
imago: tribus luminibus fidei spei charitatis
illustretur: et inferior ubi[30r] ratio
ira et cupiditas sunt: dirigatur consilio
prudentiæ: fortitudinis constantia: temperantiæ puritate:
bonitate iusticiæ?
|
(1279) A la vérité, ce sont là les sept couleurs qui sont comme tracées par
le pinceau du créateur suprême : si tu enlèves la lumière de la charité,
elles n’ont plus de forme et sont comme recouvertes des brumes du pays des
Cimmériens, mais l’affection, en les éclairant de sa lumière, les rend dignes
d’être vues et d’être particulièrement aimées. |
Verum enimuero hi septem peniculo summi artificis quasi deliniati
colores: si lucem charitatis remoueas: informes sunt: et uelut
cymmeria caligine obtenti: quos suo lumine
illustrans dilectio facit conspicabiles et amabilissimos.
|
(1280) S’y ajoutent les sept présents de l’Esprit saint que nous avons
rappelés plus haut : ils coulent de la même source, des sept degrés par
lesquels on monte sur la montagne dont les apôtres sont le sommet ; ils sont
tellement cohérents entre eux qu’ils semblent désigner immédiatement le même
auteur. |
Huc accedunt septem illa spiritus sancti munera: quæ supra memorauimus: ab eodem fonte
manantia: septem gradibus quibus in montem
culminis apostolici scanditur: ita congruentia: ut statim eundem præ se ferre authorem
uideantur.
|
(1281) De fait, la crainte convient aux humbles, la piété aux doux, la
science à ceux qui sont dans le deuil, le conseil au miséricordieux,
l’intelligence aux cœurs purs, la sagesse aux pacifiques, la justice, pour finir,
à ceux qui ont faim, le courage à ceux qui ont soif, mais tous ces dons sont
embrassés par le seul nom de grâce. |
Nam conuenit humilibus timor: mittibus
pietas: scientia lugentibus: misericordibus consilium: intellectus
mundis corde: pacificis sapientia: denique esurientibus iusticia: ac
sitientibus fortitudo: cuncta hæc uno gratiæ nomine
comprehenduntur:
|
(1282) Une unique grâce comme une source très féconde fait naître d’elle,
avec un cours si varié et si abondant, des ruisseaux très nombreux, très beaux et
admirables. |
una gratia tanquam uberrimus fons: meatu
tam uario tamque copioso ex se riuulos emittit numerosissimos: pulcherrimos:
admirandos.
|
(1283) Si donc quelqu’un dit : l’étendue de la grâce est telle qu’elle
signifie tous les dons de l’Esprit saint qui ne sont pas issus de la nature, mais
d’un don gratuit (en effet c’est cela que dénote le mot "grâce"), comment veux-tu
que dans le vers d’Arator (Funditur interea) per cunctos
gratia sensus ("entre temps se déverse à travers tous les sens la
grâce"), le mot "grâce" soit pris au sens de charité ? Je vais volontiers
aller au devant de cette ambiguïté : outre les raisons que j’ai données peu
auparavant, j’alléguerai maintenant la figure d’antonomase, qui fait que très
souvent, même si nous ne mettons pas le mot propre, par ce à quoi nous avons
recours à sa place, nous comprenons néanmoins ce mot même ; ainsi quand nous
disons "philosophe", voici ce que dit ce mot : on comprend Aristote si l’on
va dans la philosophie sur un seul pied et en claudiquant ; mais ceux qui
sont en bonne santé et marchent sur leurs deux pieds, pensent que l’on veut parler
de Platon. |
Si ergo dicet aliquis: gratia tam late
patet: ut cuncta munera spiritus sancti non
naturalia sed gratuita significet: Id enim notat
gratiæ uocabulum: quo pacto uis ut in uersu
Aratoris
(Funditur interea) per cunctos
gratia sensus: gratia pro charitate
accipiatur? Ego uero ac lubens isti ambiguitati
obuiam ibo: ac præter eas (quas paulo ante causas
rettuli) allegabo nunc antonomasian figuram: qua
plerunque etiam si nomen proprium non ponamus: per
id quod uice eius fungitur : ipsum nihilominus
intelligimus. Vt cum dicimus philosophus hoc dixit: intelligitur Aristoteles ab his: qui uno in
philosophia pede claudicant. Qui uero sani sunt
utroque pede :
platonem credunt significari.
|
(1284) Mais on me dira : ton exemple ne vaut rien, car il règle un
conflit par un autre conflit. |
Sed dices: nil ualet exemplum litem quod
Iite resoluit.
|
(1285) Qu’il n’y ait donc pas de doute : quand on parle de "poète", on
comprend (comme le dit l’empereur Justinien dans ses Institutes)
chez les Grecs le grand Homère, chez nous Virgile. |
Sit ergo hoc indubitatum: cum allegatur
poeta intelligitur (ut ait
imperator iustinianus in Institutionibus) apud græcos egregius
homerus:
apud nos Vergilius.
|
(1286) Ainsi quand on nomme de manière générale la grâce, κατὰ ἀντονομασίαν
(par antonomase), pensons que l’on parle de la charité qui, de toutes les grâces,
est la plus excellente. |
Ita cum generatim gratia nominatur : cata
antonomosian charitatem dici putemus: quia omnium
sit gratiarum excellentissima.
|
(1287) Mais cela comment pourras-tu le prouver ? va-t-on me dire. |
At id qui probare poteris? dicet
quispiam.
|
(1288) Rien de plus facile, si nous nous appuyons sur les paroles d’Augustin
au livre 15 du de Trinitate, que le Maître a rappelé dans son livre
1 et auxquelles Arator semble ici faire allusion : "l’amour" (dit la lumière
jadis posée sur le lampadaire de l’église d’Hippone, qui éclaire de la lumière de
la vérité avec son discours qui dissipe la confusion des ténèbres, en repoussant
en tout sens les nuées) : "l’amour de Dieu", dit-il donc, "se diffuse dans
nos cœurs, comme le dit l’Apôtre, par l’Esprit saint qui nous a été donné ;
il n’est rien de plus excellent que ce don de Dieu. C’est lui, et lui seul, qui
fait le départ entre fils du royaume et fils de perdition. L’Esprit donne aussi
d’autres présents, mais sans la charité, ils ne servent à rien. Donc, si une
personne ne reçoit pas le don de l’Esprit saint qui le fera aimer Dieu et son
prochain, il ne passe pas de la gauche vers la droite. Et l’Esprit saint n’est pas
proprement appelé un don, si ce n’est en raison de l’amour, car celui qui n’a pas
l’amour, même s’il parlait toutes les langues et avait le don de prophétie et
toute la science et toute la foi et distribuerait ses biens et livrerait son corps
pour qu’il soit brûlé, cela ne lui sert à rien. Qu’il est donc grand ce bien sans
lequel de si grands biens ne conduisent personne à la vie éternelle ? Cet
amour même", ou plutôt cette charité (car il n’y a qu’un nom pour les deux)
"conduit au Royaume". |
Nihil facilius: si Augustini uerba libro de trinitate. xv. adduxerimus in patrocinium: quæ
magister quoque in primo repetiuit:
ad quæ hic uidetur Arator alludere: Dilectio (inquit lucerna supra candelabrum hipponensis ecclesiæ olim posita
et lucem ueritatis a confusione tenebrarum splendore clarifici sermonis
pulsis undique caliginibus longe lateque enubilans) dilectioAVG. trin., 15, 26 inquit dei diffusa est in cordibus nostris (ut ait apostolus) per spiritum sanctum: qui datus est nobis. nullum est isto dono dei excellentius. Solum est quod diuidit inter filios regni: et filios perditionis. Dantur et alia per spiritum munera : sed sine charitate nihil prosunt. Nisi ergo tantum impertiatur cuiquam spiritus sanctus: ut eum dei et proximi faciat amatorem: a sinistra non transfertur ad dexteram. Nec spiritus sanctus proprie dicitur
donum: nisi propter dilectionem: quam qui non habuerit: etsi loquatur omnibus linguis:AVG. trin., 15, 26 et habuerit prophetiam: et omnem scientiam: et omnem fidem:
et distribuerit substantiam suam: et
tradiderit corpus suum ita ut ardeat: non ei
prodest. Quantum ergo bonum est: sine quo ad æternam uitam neminem tanta
bona perducunt? Ipsa uero dilectioAVG. trin., 15, 26 uel charitas (nam unius rei nomen est utrunque) perducit ad regnum.AVG. trin., 15, 26
|
(1289) Tels sont les mots d’Augustin qui fut le vrai sel de la terre (non pas
du seul pays du Cinyps mais de la terre entière), qui vient donner tant de goût,
aux cœurs non seulement de son temps mais de tous ceux qui ont suivi, que ne peut
les effacer nulle erreur du siècle. |
Hæc Augustini uerba: qui fuit uere sal
terræ non unius cinyphiæ: sed uniuersæ: quo præcordia non illius ætatis tantum: sed sequentium cunctarum ita condiuntur: ut nequeant ullo sæculi errore uanescere:
|
(1290) Donc ces paroles confirment largement ce que nous venons de dire et en
même temps ils indiquent implicitement ce que nous disions plus haut, quand nous
affirmions que l’on devait entendre la même chose par les mots charité et grâce,
en raison de l’origine grecque du mot χάρις. |
Hæc igitur uerba apte confirmant id quod diximus : simul etiam id innuunt quod supra dicebamus: cum charitatem et gratiam ex originatione græci
nominis charitos pro eodem intelligi
debere asseuerabamus.
|
(1291) C’est exactement ce que dit Augustin dans le de Doctrina
Christiana et dans l’Enchiridion à peu près en ces
mots : "toute la grandeur", dit-il, "et l’immensité de la divine éloquence,
la charité les possède elle qui nous fait aimer Dieu et le prochain". D’où vient
que la Vérité dit : "en ces deux commandements réside toute la loi et les
prophètes". Si donc tu n’as pas le temps de regarder en détail toutes les pages de
la sainte Ecriture, de dérouler tous les voiles de ses propos, garde la charité,
tout dépend de là, car c’est la perfection et le but de tout. |
Idem quod Augustinus in
libris de doctrina xpiana et enchiridio fere his uerbis :
totam inquit magnitudinem et amplitudinem diuinorum eloquiorum
possidet charitas: qua deum proximumque
diligimus.
AVG. serm., 350 Vnde ueritas ait:
in his duobus mandatis uniuersa lex pendet et prophetæ.Mt 22, 40 Si ergo non uacat omnes paginas sanctas perscrutari: omnia inuolucra sermonum euoluere: tene
charitatem: ubi pendent omnia: quia perfectio est et finis omnium.
|
(1292) Ce sont des préceptes et des conseils donnés à juste titre, quand ils
sont référés à l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu. |
Tunc enim et præcepta et consilia recte fiunt: cum referuntur ad diligendum deum: et
proximum propter deum.
|
(1293) Ce qui vient de la peur du châtiment ou de quelque intention
charnelle, c’est ce qui n’est pas rapporté à la charité, et cela n’est pas encore
fait comme il le faut faire, bien que cela semble être fait. |
Quod uero timore pœnæ uel aliqua intentione carnali fit: ut non referatur ad charitatem: nondum fit sicut fieri oportet: quamuis
fieri uideat.
|
(1294) Est en effet ennemi de la justice, celui qui ne pèche pas par peur de
la punition. |
Inimicus enim iusticiæ est: qui poenae
timore non peccat.
|
(1295) L’ami de la justice c’est celui qui ne pèche pas par amour pour
elle. |
Amicus uero iusticiæ: qui eius amore non
peccat.
|
(1296) Voilà quelle est la somme de tout : que l’on comprenne que la
plénitude de la loi et de toutes les Ecritures divines est l’amour de Dieu et du
prochain. |
omnium ergo hæc summa est: ut
intelligatur: legis et omnium diuinarum
scripturarum plenitudo esse dilectio dei et proximi.
|
(1297) Par tout cela, j’ai abondamment prouvé que le mot grâce est ici pris
pour désigner la charité. |
His abunde probaui gratiam hic pro charitate accipi.
|
(1298) Mais tu voudras savoir ce que j’appelle ici charité ; je réponds
avec les mots d’Augustin au livre 3 du de Doctrina
christiana : "j’appelle charité le mouvement de l’âme pour jouir de
Dieu en propre et de soi-même et du prochain à cause de Dieu" ; et dans le
de Moribus ecclesiae : "la charité", dit Augustin, "de Dieu
se dit de la vertu qui est l’amour le plus droit dans notre esprit, celui qui nous
unit à Dieu et par lequel nous l’aimons". |
Sed scire uoles quid uocem hic charitatem: respondeo uerbis augustini in .iii. de doctrina
chr.libro :
charitatem uoco nutum animi ad fruendum deo proprium: et se ac proximo propter deum:AVG. doctr. christ., 3, 10 et in libro de moribus ecclesiæ
:
charitasAVG. mor. eccl., 1, 11, 19 (inquit) dei dicta est uirtus quæ animi nostri rectissima affectio est :AVG. mor. eccl., 1, 11, 19 quæ coniungit nos deo: qua eum diligimus.
|
(1299) Mais tu vas encore me demander : comment funditur
("se déverse")-t-elle (comme dit Arator) per cunctos sensus ("à
travers tous nos sens") ? |
Vltra adhuc quæres: quomodo funditur (ut ait arator) per cunctos sensus.
|
(1300) Le même auteur divin va te le dire : on dit que la charité de
Dieu se diffuse dans nos cœurs, non celle par laquelle il nous aime lui-même, mais
celle par laquelle il nous fait aimer. |
Dicet idem author
diuinus: charitas dei dicta est
diffundi in cordibus nostris: non qua ipse nos
diligit : sed qua nos diligere facit.
|
(1301) Mais comment la charité est-elle dirigée ? |
At quomodo intenditur charitas?
|
(1302) Je ne veux pas, après avoir si longuement traité de la charité, entrer
dans la mer de ce débat théologique et philosophique qui est très vaste et
profonde, pour ne pas choquer le regard de mes lecteurs, et, en même temps, parce
que ce lieu ne me semble pas suffisamment approprié à des disputes de ce
genre. |
nolo post tam longum de charitate Sermonem in istam undam
theologicæ ac philosophicæ concertationis sane uastam et profundam
intrare: ne legentium oculos offendam.simul quia non hic locus satis uidetur idoneus
istiusmodi disputationibus.
|
(1303) Voici donc une brève récapitulation : (gratia ("la
grâce")) autrement dit la charité et l’amour par excellence ; de fait (comme
le dit Augustin dans le de Moribus Ecclesiae quand il traite de
cette parole de l’Apôtre, "ni la mort, ni la vie ne pourront nous séparer de la
charité de Dieu") si rien ne nous sépare de sa charité, que peut-il y avoir non
seulement de meilleur mais même de plus certain que ce bien-là ? |
Illud ergo hic breuiter repetamus (gratia) id est charitas et
dilectio per excellentiam. Nam (ut augustinus ait in libro de moribus ecclesiæ: tractans illud uerbum apostoli:
nec mors nec uita poterit nos separare a charitate deiRm 8, 39) si nulla res ab eius charitate nos separat: quid esse non solum melius Sed etiam certius hoc bono
potest:AVG. mor. eccl., 1, 11, 18
|
(1304) C’est exactement ce que dit ensuite le poète : évidemment
locuples in amore uoluntas ("une opulente volonté dans l’amour")
confirme l’exposé que je viens de faire ; de fait, comme il avait dit
(gratia funditur) per cunctos sensus ("la grâce
se déverse à travers tous les sens") il ajoute uoluntas locuples in amore
metit diuitias ("une opulente volonté dans l’amour mesure les
richesses") évidemment célestes et reçues au centuple. |
Quod etiam subdit poeta: scilicet locuples in amore uoluntas: confirmat
hanc ipsam expositionem. nam cum dixisset (gratia funditur) per cunctos
sensus: subiungit: et uoluntas locuples in
amore metit diuitias scilicet coelestes:
et geminatas centies.
|
(1305) De fait, outre le commentaire que je viens ci-dessus d’apporter, cela
pourrait s’accorder avec la phrase du Christ en Marc : "Amen, je vous le dis,
il n’est personne qui aura laissé sa maison, ses frères, ses sœurs, son père, sa
mère, ses fils ou ses champs pour moi et pour l’évangile, qui ne recevra pas au
centuple, maintenant dans ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, fils, et
champs avec des persécutions et dans le monde à venir la vie éternelle. |
Nam præter eam enarrationem: quam supra
attuli: potest hæc accommodari secundum christi
sententiam apud Marcum
Euangelistam:
Amen inquit dico uobis: nemo est qui[30v] reliquerit domum : aut fratres
: aut sorores:
aut patrem: aut matrem: aut filios: aut agros propter me
et propter Euangelium: qui non accipiat
centies tantum nunc in tempore hoc: domos et
fratres et sorores et matres et filios et agros cum
persecutionibus: et in saeculo futuro
uitam æternam.Mc 10, 29-30
|
(1306) Puisque donc les fidèles, dans l’Église primitive, avaient abandonné
les biens charnels sous l’effet du véritable amour, ils mesuraient, autrement dit
amassaient, les richesses des biens spirituels, qui, par leur mérite et en
comparaison (comme le dit Bède), seront comme quand on compare à cent un petit
nombre ; parce qu’ils était amassés par des frères et des sœurs auxquels ils
étaient liés par un ciment spirituel, ils recevaient, même dans cette vie, une
charité bien plus précieuse ; ce qui fait que la multitude des croyants
n’avait qu’un seul cœur et une seule âme et qu’ils avaient abondance de
tout. |
Cum ergo hi fideles in ecclesia primigenia carnalia per ueram
dilectionem reliquissent : metebant id est
colligebant diuitias bonorum spiritalium:
quae sui merito et comparationeBED. in Marc., 3, 10 (ut ait Beda) ita erunt quasi paruo numero centenarius comparatus. quia a fratribus et sororibus: quibus spirituali glutino colligabantur: multo gratiorem etiam in hac uita
recipiebant charitatem. Vnde multitudinis credentium erat cor unum et anima una:ac 4, 32 et erant illis omnia copia.
BED. in Marc., 3, 10
|
(1307) Autre interprétation : le chiffre cent est passé de la main
gauche à la main droite et, bien qu’il semble, dans la manière dont on plie les
doigts, avoir la même forme que le nombre dix dans la main gauche, il excède
cependant ce nombre par sa grandeur parce que tous ceux qui, pour le royaume de
Dieu, méprisent les biens temporels dans l’attente de la patrie céleste qui est
signifiée par la main droite, même dans cette vie pleine de persécutions, goûtent
par avance, dans la certitude de leur foi, la joie du royaume et l’amour très vrai
qui unit également tous les élus. |
Vel centenarius a leua translatus in dexteram: licet eandem inflexu digitorum uideatur tenere figuram: quam denarius in leua:
numerum tamen quantitatis magnitudine superuadit:
quia omnes qui propter regnum dei temporalia spernunt: in expectatione patriae coelestis: quæ
per dexteram significatur: et in hac uita
persecutionibus plena: et regni gaudium: et omnium pariter electorum uerissimam dilectionem
fide certa prægustant.
|
(1308) Paul également indique ces richesses, lui la trompette des évangiles
qui résonne partout, et que tout entend, terres et mers, trompette qui, quand elle
eut reçu l’Esprit saint, emplit de sa voix tous les rivages du levant au couchant,
Paul, dis-je, indique ces richesses en disant : "s’ils semblent tristes, ils
sont toujours joyeux, s’ils semblent pauvres, ils en enrichissent beaucoup, s’ils
semblent n’avoir rien, ils possèdent tout". |
Has diuitias significans quoque paulus: buccina euangelium ubique
resonans omnibus audita telluris et æquoris undis:
Buccina quæ postquam diuinum pneuma recepit: Littora
uoce replet sub utroque latentia phoebo.
Paulus ergo has diuitias notans:
quasi inquit tristes: semper autem
gaudentes: sicut egentes: multos autem locupletantes: tanquam nihil habentes et omnia
possidentes.
2 Co 6, 10
|
(1309) Voilà l’énumération faite par Paul, parce que, pour ceux qui craignent
Dieu, rien ne manque des biens temporels, et pour ce qui est des biens spirituels,
toutes les richesses et tous les biens sont à portée de leurs mains. |
Hæc ideo enumerauit paulus: quia deum timentibus nihil
deest ex temporariis: et ex spiritalibus omnes
opes: omnia bona adsunt.
|
(1310) Et ne va pas t’étonner que j’ai pris tant de mots pour expliquer
seulement deux petits vers, puisque ces deux petits vers embrassent en un bref
résumé toute les pages des lettres célestes. |
Nec mireris tot uerbis duos uersiculos explanari: cum hi duo uersiculi uniuersas literarum cœlestium
paginas breui summa comprehendant.
|
(1311) (Vtque pii ("et pour que les pieux")) le sens est :
les chrétiens pieux et religieux afin de montrer qu’ils sont liés et attachés au
pacte des apôtres et sont tenus en communion avec eux par une paix véritable et un
ferme amour ont utilisé ce gage (pignore) qui est le plus sûr de
tous puisqu’évidemment ce n’est pas par une hypothèque qui ne transmet pas le bien
au créancier, mais par un gage qui passe aux apôtres, autrement dit par le prix
des biens qu’ils ont vendus et leur ont remis comme pignore certo
("un gage certain") qu’ils ont voulu être en sûreté, en montrant ainsi qu’ils
étaient de vrais et parfaits chrétiens. |
(Vtque pii) sensus est.
pii et religiosi
christiani: ut ostenderent se obligatos et
addictos in foedere
apostolorum: et pace uera: et firma dilectione cum illis teneri:
usi sunt eo pignore: quo nullum est certius cum scilicet non
hypotheca: quæ ad creditorem rem non
transmittit: sed pignore transeunte ad
apostolos: hoc est precio bonorum uenditorum
tradito illis tanquam pignore
certo: securos illos esse uellent: sese ueros ac perfectos christianos probantes.
|
(1312) On ne peut, en effet, trouver aucun gage de perfection plus certain
que de faire ce que, chez Marc, le Christ conseille à celui qui l’interroge et qui
avait observé tous les commandements de la loi : "une seule chose", lui dit
le Seigneur, "te manque. Va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres"
etc. |
Nullum enim pignus certius perfectionis inueniri potest: quam id agere: quod monuit
apud marcum christus illum
percunctatorem: qui omnia legis mandata
custodierat.
Vnum:
Mc 10, 21 dixit illi dominus:
tibi deest. Vade et uende omnia quæ
habes: et da pauperibus Mc 10, 21 etc.
|
(1313) Voilà quel fut le gage qui rendit les apôtres en sécurité et montra et
démontra qu’ils étaient de vrais chrétiens : évidemment laxare
res ("relâcher leurs avoirs") et partager leurs biens selon que chacun
en avait besoin, ne rien garder pour soi et ainsi remplir le second précepte de
l’amour, comme nous l’avions dit plus haut : " ce que vous voulez que les
gens fassent pour vous, vous aussi faites-le pour eux" ; quant à
ligare corda ("lier les cœurs"), c’est vaincre les appétits et
les sens externes comme internes, comme nous l’avons dit plus haut ; ce fut
aussi un gage de vraie charité puisque, conformément au second précepte de l’amour
énoncé plus haut, ils ne faisaient pas aux autres ce qu’ils auraient détesté qu’on
leur fît. |
Hoc ergo fuit pignus: quod reddidit
apostolos securos et illos ueros esse christianos probauit ac demonstauit
. scilicet laxare res: et bona
ut cuique opus erat diuidere: et nihil sibi retinere
: atque ita implere alterum dilectionis
præceptum ut supra dicebamus:
Quæ uultis ut faciant uobis homines: et
uos facite illis.Mt 7, 12 et ligare corda id est uincire appetitus:
et sensus externos et internos: ut supra diximus: fuit quoque pignus ueræ charitatis: cum iuxta alterum dilectionis praeceptum supra
declaratum: alteri non facerent quod ab alio
sibi fieri odissent.
|
(1314) Voici l’ordre : et ut pii ("et pour que les
pieux") autrement dit les chrétiens religieux convertis à la foi par l’action des
apôtres, coeant in foedera ("se rassemblent dans le pacte")
autrement dit s’unissent dans une association, la paix, et un lien avec les
apôtres, pignore certo ("avec un gage certain") autrement dit avec
un indice qui serait comme un gage qui rassure le créancier sur le fait qu’on lui
rendra, laxant ("ils relâchent"), évidemment ces gens pieux,
res ("leurs avoirs") autrement dit leurs biens, en les
partageant aux pauvres selon le besoin de chacun, et ligant corda
("ils lient leur cœur") autrement dit les troubles qui affectent leur cœur et leur
chair, colère, ambition, orgueil et tous les autres mouvements et affects, comme
nous l’avons dit. |
Est autem ordo. (et ut pii id est) religiosi christiani per
apostolos conuersi ad fidem:
coeant in fœdera id est
conueniant in societatem et pacem et uinculum cum apostolis:
pignore certo id est aliquo
indicio tanquam pignore: quo securus reddi solet
creditor:
laxant scilicet pii illi:
res id est bona sua
diuidentes pauperibus ut cuique opus erat.
et ligant corda id es
perturbationes cordis et carnis: iram: ambitionem: superbiam: reliquos motus et affectus ut diximus.
|
(1315) (Noua iura ("un nouveau droit")) on lit aussi
noua rura ("de nouvelles terres") autrement dit de nouvelles
possessions qu’elles soient temporelles ou spirituelles, fluxere
("découlèrent") autrement dit vinrent en flots et en abondance
beatis ("pour les bienheureux") évidemment les fidèles,
manu munifica ("de leur main munificente") autrement dit
généreuse, affectu ("par une affection") autrement dit la charité
("confraternelle") autrement dit où chacun a sa part et commune,
licet ("quoique") autrement dit bien que, sine
limite ("sans limite") autrement dit sans borne, census
("le cens") autrement dit celui de leur patrimoine commun que tous à égalité
partageaient et recevaient en partage ; de la vient que, bien qu’ils aient
obtenu des possessions sine limite ("sans limite") parce que tout
était en commun, ils avaient cependant des richesses abondantes et qui
affluaient. |
(Noua iura) uel
noua rura id est nouae
possessiones uel temporariae uel spiritales:
fluxere id est cum fluxu et
abundantia uenere:
beatis scilicet
fidelibus:
manu munifica id est
larga:
affectu id est charitate:
consorte id est participe
et communi:
licet id est quamquam.
sine limite id est
termino:
census id est patrimonii
illius communis : et quod aequaliter omnes
comunicabant participabantue. Vnde quamuis sine limite possessiones
consecuti sunt: quia omnia erant communia: tamen largas opes et affluentes habebant.
|
(1316)
Quibus ("pour lesquels") évidemment les beatis
("bienheureux") fidèles, opes ("les biens") autrement dit les
richesses ; diuisae ("divisées") évidemment entre tous ;
geminantur ("redoublent") autrement dit se multiplient,
ubere laeto ("avec une heureuse fécondité") autrement dit dans
une fertilité qui fait affluer les biens. De même, en effet, qu’un champ fertile
multiplie dix fois ou cent fois la semence que l’on y a jetée, en raison de sa
fertilité, ainsi les biens partagés sont multipliés au centuple, puisque tous les
biens de tous appartiennent à chacun et qu’alors qu’auparavant chacun n’avait que
ce lui lui appartenait, ils avaient alors non seulement leurs biens propres mais
aussi ceux des autres, puisque tout était en commun. |
Quibus scilicet beatis fidelibus:
opes id est diuitiae:
diuisae scilicet in
omnes:
geminantur id est
duplicantur:
ubere leto id est
fertilitate affluenti. Vt enim ager fertilis
duplicat in decuplo uel in centuplo iacta semina ob fertilitatem: ita opes diuisae duplicabantur in centuplo: cum iam omnia bona omnium essent sua: et cum antea non haberent nisi propria: tunc habebant et propria et aliorum: cum omnia essent communia.
|
(1317) Et le poète ajoute (et crescit in omnes ("et grandit en
tous")) autrement dit ce patrimoine dans les fidèles ; cette richesse commune
quod faciunt commune sibi ("qu’ils rendent commune"), puisque
tout leur patrimoine était commun à chacun d’eux et capessunt totum
("et ils acquièrent la possession de tout") autrement dit les fidèles acquièrent
la possession de ce patrimoine, quod nihil uolunt ("qu’ils ne
veulent en rien") évidemment ces mêmes fidèles esse proprium
("posséder en propre") pour eux mêmes, mais qu’ils veulent mettre en commun. |
et hoc subdit poeta. (et
crescit) in omnes id est fideles illud patrimonium: ille census communis:
quod faciunt commune
sibi: cum totum illud patrimonium esset
commune unicuique eorum:
et capessunt totum id est
patrimonum illud fideles:
quod nihil uolunt scilicet
iidem fideles:
esse proprium sibi sed
commune.
|
(1318) Voilà pourquoi on peut rapporter aux bien temporels cette
interprétation en s’appuyant sur la parole de l’Apôtre en 2 Cor : "comme
n’ayant rien, et possédant tout" ; vous pouvez aussi rapporter cela à des
biens spirituels et éternels : geminantur opes ("les richesses
redoublent") évidemment les richesses spirituelles dans ce monde et éternelles
dans l’autre, selon cette parole de Marc : "il recevra au centuple celui qui
aura abandonné ses champs, etc", et cette parole de Matthieu : "amassez-vous
un trésor dans le ciel où ni la rouille ni la mite ne rongent etc.". |
Itaque ad temporalia bona potes accommodare hunc sensum: iuxta dictum apostoli in secunda ad Corin. epistula:
tanquam nihil habentes et omnia possidentes. Potes et ad bona spiritalia et aeterna
referre:
geminantur opes scilicet
spiritales in hoc saeculo: et aeternae in alio: secundum illud marci:
accipiet centies tantum: qui reliquerit
agrosMc 10, 30 etc et illud matthaei:
Thesaurizate uobis thesauros in cœlo:
ubi nec erugo nec tinea demolitur Mt 6, 20 etc.
|
(1319) (Quo fonte cucurrit ("de quelle source a découlé")) au
moment où Arator va montrer l’origine et le principe d’une si excellente charité,
il attire l’attention de lecteur, en lui proposant ce qu’il va dire et en
invoquant la grâce de l’Esprit saint afin de pouvoir expliquer ces faits plus
dignement. |
(Quo fonte
cucurrit) ostensurus Arator originem et principium charitatis tam excellentis : attentum facit lectorem:
proponens quid uelit dicere: et inuocans spiritus
sancti gratiam: quo dignius rem possit declarare.
|
(1320) Et voici l’ordre : (hinc ("maintenant")) autrement
dit à partir de ce point, incipiam canere ("je vais commencer à
chanter") : haec probitas ("cette probité") autrement dit la
bonté d’une si excellente charité, quo fonte ("de quelle source")
autrement dit par quel flot, ou alors métaphoriquement quo fonte
("de quelle source") à partir de quel principe. |
et est ordo (hinc) id est ab hoc loco: ego incipiam canere:
haec probitas id est
bonitas tam praecellentis charitatis:
quo fonte id est quo fluxu
uel quo fonte id est a quo
principio metaphorice.
|
(1321) En effet le mot fons vient du verbe
fundo ("verser"), parce que, de la source, l’eau se déverse pour
former une rivière. |
fons enim a fundendo dictus: quod inde aqua
fundatur in riuum.
|
(1322)
Ve est mis pour uel ; il faut reprendre :
moi, incipiam canere ("je vais commencer à chanter") quae
fuit illa origo bonitatis ("ce que fut l’origine de cette bonté")
autrement dit son principe ; cette source bonitatis ("de
bonté") autrement dit d’amour par antonomase. |
ue id est uel :ego: repete.
incipiam canere:
quae fuit illa origo
bonitatis id est illud principium: ille
fons bonitatis id est
dilectionis per antonomasiam.
|
(1323) Le poète veut dire que la source et l’origine d’une si grande bonté,
ce fut l’Esprit saint répandu dans le cœur des fidèles. |
Significat autem poeta
fontem et originem tantae bonitatis fuisse spiritum sanctum fusum in
cordibus fidelium.
|
(1324) Mais on pourrait me dire : si l’Esprit saint fut la source et le
principe d’une si grande probité, pourquoi a-t-il été donné deux fois ? |
Sed diceret aliquis: si spiritus sanctus
fuit author ac principium tantae probitatis cur bis datus est.
|
(1325) Nous lisons chez Jean que l’Esprit saint a été donné une première fois
aux apôtres par le Christ sur la terre, et ensuite après l’ascension du Christ
lors de la Pentecôte. |
semel apud ioannem legimus a christo datus fuisse spiritum sanctum
apostolis in ter[31r]ra: atque iterum post
christi ascensionem in die pentecoste.
|
(1326) Pourquoi alors l’Esprit saint est-il venu deux fois, puisqu’il n’y a
qu’un seul amour, qui aurait pu être donné en une seule fois ? |
cur ergo bis spiritus sanctus uenit: cum
una sit dilectio:quæ semel dari potuit?
|
(1327) Voici la réponse d’Arator : l’Esprit saint a été donné deux fois
pour montrer et marquer par une double offrande la double nature de l’amour ;
de fait, dans le Deutéronome, on prescrit l’amour de Dieu et, dans le Lévitique,
l’amour du prochain ; de cela dépendent toute la loi et les prophètes, comme
l’affirme le Christ en Matthieu et Marc. |
Respondet arator: ideo bis datum fuisse spiritum sanctum: ut gemina dilectio gemina præbitione ostenderetur
signareturque. Nam in deuteronomio: dilectio in deum
præcipitur: et in leuitico dilectio in proximum: a quibus
pendent prophetæ et uniuersa lex: ut apud matthæum et marcum affirmat christus |
(1328) Donc, si vous prêtez attention aux paroles d’Arator, celui-ci suit
Augustin qui dans son Sermon sur l’Ascension déclare : "je
crois que la raison pour laquelle l’Esprit saint a été donné deux fois, une fois
sur terre et ensuite du ciel, est de nous recommander les deux préceptes de la
charité, évidemment envers Dieu et envers le prochain. Il n’y a qu’une seule
charité, deux préceptes mais un seul Esprit, et deux dons ; car aucune des
deux charités n’aime son prochain si ce n’est celle qui aime Dieu, et, par la
charité qui nous fait aimer le prochain, nous aimons Dieu ; mais parce que
Dieu est une chose et le prochain une autre, même s’ils sont aimés par une seule
et même charité, voilà la raison peut-être pour laquelle on dit qu’il y a deux
préceptes, un plus grand et un plus petit ; ou alors c’est en raison des deux
mouvements qui s’opèrent dans notre esprit quand Dieu et le prochain sont
aimés ; en effet l’esprit est poussé à aimer Dieu et il est aussi poussé à
aimer le prochain, et l’amour est bien plus grand qui s’exerce envers Dieu que
celui qui s’exerce envers le prochain" etc. |
Ergo si attendis uerba aratoris. ipse Augustinum sequitur: qui in sermone de ascensione:
Arbitror inquit ideo spiritum sanctum bis datum semel in
terra: et iterum de cœlo: ut comendarentur nobis duo præcepta
charitatis scilicet dei et proximi. Vna est
charitas: et duo præcepta. unus spiritus: et
duo data. quia alia charitas non diligit
proximum: nisi illa quæ diligit deum. Qua ergo charitate proximum diligimus: ipsa deum diligimus. Sed quia aliud est deus: aliud
est proximus: etsi una charitate
diliguntur: ideo forte duo præcepta
dicuntur: et alterum maius: et alterum minus :
uel propter duos motus qui in mente geruntur: dum deus diligitur et proximus.
Mouetur enim mens ad diligendum deum.
mouetur et ad diligendum proximum. et multo
magis erga deum quam erga proximum.PET. LOMB. sent., 3, 27, 4 et cetera.
|
(1329) Mais vous allez me dire : pourquoi l’Esprit est-il donné sur
terre ? En me servant des mots d’Augustin, je dirai qu’il est donné pour
faire aimer le prochain et l’Esprit est donné du ciel pour faire aimer Dieu ;
et ainsi, par l’Esprit qui est donné sur terre nous est confié l’amour d’une
réalité terrestre, et par l’Esprit qui est donné du ciel, l’amour de Dieu, qui est
un être céleste. |
sed dices: cur in terra datur spiritus? (ut utar Augustini uerbis) ideo datur ut diligatur proximus: et a cœlo datur spiritus :
ut et deus diligatur. atque ita per spiritum datum
in terra terreni dilectio: et per spiritum datum e
cœlo dilectio coelestis dei commendatur.
|
(1330) Mais, parce que l’Esprit saint a d’abord été donné sur terre, et que
notre rédempteur, chez Jean (qui, tel un tuyau d’argent, verse les eaux de la
sagesse), déclare : "je vous donne un commandement nouveau" autrement dit
innovant, "aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimé", quelqu’un
pourrait croire que l’amour du prochain passe avant l’amour de Dieu. |
Sed quia prius in terra spiritus sanctus datus est: et redemptor noster apud Ioannem quasi phistula
argentea aquas sapientiæ efundentem: dixit:
mandatum nouum Jn 13, 34 id est innouans:
do uobis: ut diligatis inuicem sicut
dilexi uos:
Jn 13, 34 posset aliquis putare dilectionem proximi esse priorem dilectione
dei.
|
(1331) Que l’on ne s’y trompe pas, car l’amour de Dieu passe avant et est le
principal, parce qu’il ne faut pas aimer son prochain sinon à cause de Dieu ;
et le poète explique sous quel point de vue l’amour du prochain est premier et
sous quel point de vue il est second, si on le rapporte à des réalités différentes
comme nous allons le dire très prochainement. |
Quod ne quemquam fallat: cum dilectio dei
sit prior ac principalior. quia proximus non est
diligendus nisi propter deum : declarat poeta quomodo est prior dilectio proximi: et quomodo posterior: ad
diuersa si referatur: ut paulo post dicemus.
|
(1332) On parle d’un "nouveau commandement" d’amour en raison de son
effet : de même que l’on dit de la mort qu’elle est pâle parce qu’elle rend
pâle, de même on parle d’un nouveau commandement d’amour parce qu’il fait de
l’homme ancien un homme nouveau et fixe la limite de la loi nouvelle. |
Dicitur autem dilectionis mandatum nouumJn 13, 34 ab effectu: ut pallida mors quia pallidos
facit: ita nouum:
mandatum dilectionis uocatur. quia ex ueteri homine
nouum hominem facit ueteris ac nouæ legis discrimen statuens.
|
(1333) On appelle aussi l’amour le vêtement nuptial, parce que nous voyons
les fils du royaume qui en sont revêtus et par lui le Seigneur vient aux noces où
il s’unit à l’Église. |
Vocatur etiam uestis nuptialis dilectio:
quia eam indutos filios regni esse uidemus : per
quam dominus ad sociandæ sibi ecclesiæ nuptias uenit.
|
(1334) Quant aux autres, peu importe la foi qui orne leur cœur ou la prudence
ou quelque autre des autres vertus, nous jugeons qu’ils sont des fils de perdition
qui ne méritent pas de s’étendre au repas près de Dieu, parce qu’avant d’entrer au
banquet ils ne se sont pas revêtus du manteau impérial. |
Cæteros quantumuis fides ornent: uel
prudentia: uel cæterarum quælibet uirtutum: iudicamus fiIios perditionis nec dignos qui diuum
epulis accumbant: quia priusquam ad conuiuium
intrarent: non ante illud sibi imperatorium
paludamentum circumposuerunt.
|
(1335) Mais pour que personne ne se trompe, en ignorant le dessein du Christ,
qu’il sache que cela seul est contenu dans ce décret céleste. |
Atque nequis erret christi consulti ignarus: sciat id unum præcipue in scito illo cœlesti contineri.
|
(1336) (Sacris ("aux saints") voici l’ordre :
spiritus almus ("l’Esprit nourricier") autrement dit saint
bis erat concessus discipulis ("avait été deux fois accordé aux
disciples"), évidemment dans le temps précédent, d’abord sur terre avant
l’ascension du Seigneur, quand le Seigneur leur dit "recevez l’Esprit saint" et
ensuite au jour de la Pentecôte, ce que dit le poète, quand il dit
(spiratur ("est insufflé")) évidemment l’Esprit saint in
illos ("en eux") évidemment les disciples a christo
surgente ("par le Christ quand il ressuscite") autrement dit après la
résurrection du Christ, quand, s’adressant aux disciples, il répandit sur eux son
souffle, voulant montrer par ce souffle que l’Esprit saint procède de lui comme il
procède du Père. |
(Sacris) ordo
est.
spiritus almus id est
sanctus bis erat concessus
discipulis scilicet iam in anteacto tempore: prius in terra ante ascensionem domini:
cum eis dixit dominus:
accipite spiritum sanctum:Jn 20, 22 et posterius in die pentecoste. quod declarat poeta cum ait (spiratur) scilicet spiritus sanctus :
in illos scilicet
discipulos:
a christo surgente id est
post resurrectionem christi: cum discipulos
alloquens insufflauit: per illam sufflationem
ostendere uolens. spiritum sanctum a se procedere: sicut procedit a patre.
|
(1337)
Semel ("une fois") donc et, pour ainsi dire, une première fois il
est insufflé ; puis l’Esprit saint est envoyé par le Christ après sa
résurrection ; post ("ensuite") autrement dit une seconde fois
et pour dire un peu comme en Espagnol 'otra vez'. |
Semel ergo et (ut ita
dicam) una uice spiratur: et mittitur spiritus
sanctus a christo post resurrectionem: (post) id est iterum: et ut pene hispane dicam:
secunda uice:
|
(1338)
ignis ("le feu") autrement dit l’Esprit saint sous l’aspect d’un
feu facundus ("disert") autrement dit éloquent, autrement dit
offrant aux apôtres la possibilité de parler dans toutes les langues ;
missus ab astris ("envoyé depuis les astres") autrement dit du
ciel après l’ascension du Christ, detulit ("fit descendre")
autrement dit apporta ; uerba ("des mots") évidemment ceux de
toutes les langues, nescia ("inconnus") pris au sens passif
autrement dit ignorés des apôtres ; uiris ("aux hommes")
évidemment aux apôtres, datif, construire detulit uiris ("fit
descendre pour les hommes"). |
ignis id est spiritus
sanctus in specie ignis :
facundus id est eloquens
: hoc est eloquendi facultatem in omnibus
linguis apostolis prebens:
missus ab astris id est a
cœlo post ascensionem Christi:
detulit id est attulit:
uerba scilicet omnium
linguarum :
nescia: passiue id est nescita ab apostolis et ignorata:
uiris scilicet apostolis in
datiuo.
detulit uiris.
|
(1339) (Ne quid ("de peur que"), pour un sujet aussi important,
Arator fait une invocation : comme il va parler de Dieu autrement dit de
l’Esprit saint, il a besoin du don de Dieu autrement dit de l’Esprit saint et des
langues qu’il donne. |
(Ne quid.) in re tanta inuocat Arator: qui de deo id est spiritu
sancto locuturus: dei id est spiritus sancti dono et
linguis eget.
|
(1340) Surgit en effet nodus dignus uindice ("un nœud qui
mérite un répondant"), pour reprendre les paroles d’Horace. |
incidit enim nodus dignus uindice:HOR. ars, 191 ut horatii uerbis utar.
|
(1341) (Ô spiritus alme) : ueni ("viens,
Esprit nourricier") évidemment vers moi qui vais parler de tes dons si généreux,
ueni ("viens") vers moi éclairer mon esprit de tes dons et
emplir ma langue de ta fécondité. |
(O spiritus alme):ueni scilicet ad me dicturum de tuis
munificentissimis muneribus :
ueni ad me: tuis donis mentem meam illustrans: et linguam ubertate tua implens :
|
(1342)
ne meditemur ("pour que nous ne méditions pas") autrement dit que
nous ne pensions pas ou ne faisions pas d’efforts, quid ("quelque
chose") mis pour aliquid inexpertum autrement dit rude, sans
élégance, sans savoir, studio ("par un zèle") autrement dit par un
effort, inani ("vide") autrement dit vain. |
ne meditemur id est ne
cogitemus conemurue:
quid id est aliquid:
inexpertum id est rude
impolitum indoctum :
studio id est conatu :
inani id est uano.
|
(1343)
non diceris ("tu ne seras pas dit") évidemment, toi ô Esprit saint
autrement dit tu n’es pas annoncé, tu n’est pas loué sine te ("sans
to") autrement dit sans ta puissance divine, ta faveur, ton don ou ta grâce. |
non diceris scilicet tu o
spiritus sancte id est non prædicaris non laudaris:
sine te id est sine tuo
numine fauore dono gratiaue.
|
(1344) Qui en effet pourrait sans Dieu atteindre les secrets de Dieu
inaccessibles à l’esprit fragile des hommes ? |
Quis enim arcana dei fragili hominum menti inaccessa : sine deo potest pertingere?
|
(1345) "Le mystère du ciel", comme le dit Ambroise réfutant Symmaque, "que ce
soit Dieu lui-même qui m’a créé qui me l’enseigne et non un homme qui s’ignore
lui-même. S’agissant de Dieu à qui ferais-je plus confiance qu’à Dieu ?". "Ce
n’est pas", dit Symmaque, "par un seul chemin que l’on peut parvenir à un si grand
secret". Mais cet impie est réfuté par le pieux évêque : "ce que vous
ignorez, nous par la voix de Dieu nous le connaissons" etc. |
Coeli mysteriumAMBR. epist., 10, 73, 7
: ut ait contra symmachum
ambrosius:
doceat me deus ipse qui condidit: non
homo qui seipsum ignorauit. Cui magis de deo
quam deo credam?
AMBR. epist., 10, 73, 7
Vno:SYMM. rel., 3, 10 inquit Symmachus:
itinere non potest perueniri ad tam grande secretum.SYMM. rel., 3, 10 Sed impium retundit pius.
Quod uos ignoratis : id nos dei uoce
cognouimusAMBR. epist., 10, 73, 8 et cetera.
|
(1346) C’est donc à bon droit qu’Arator invoque Dieu sans lequel Dieu ne peut
être dit. |
Iure igitur inuocat arator
deum sine quo deus haud dici potest:
|
(1347) (non unquam ("jamais")) mis pour
numquam, diceris ("tu ne seras dit") toi, évidemment
l’Esprit saint. |
(non unquam ) id
est nunquam diceris tu
scilicet spiritus sancte:
sine te.
|
(1348)
Da ("donne") évidemment, toi ô Esprit saint, munera
linguae ("le présent de la langue") évidemment d’une langue éloquente
pour disserter sur tes mystères ; qui ("qui") évidemment toi
Esprit saint qui das linguas ("donnes des langues") évidemment aux
apôtres in munere ("en présent") autrement dit en don. |
Da scilicet O spiritus
sancte munera linguæ
scilicet facundæ: ad disserendum tua mysteria:
qui scilicet spiritus
sancte:
das linguas scilicet
apostolis in munere: id est in dono.
|
(1349) En effet, le don des langues a été donné aux apôtres le jour de la
Pentecôte, et il est nommé parmi les charismes de l’Esprit saint par l’apôtre
Paul. |
Est enim donum linguarum datum apostolis in die pentecoste: et id inter spiritus sancti charismata numeratur
ab apostolo paulo.
|
(1350) C’est donc de manière correcte qu’Arator demande à celui qui donne des
langues l’éloquence pour sa propre langue. |
Recte ergo Arator petit a
præbitore linguarum linguæ facundiam.
|
(1351) (Hæc iterata. ("ces dons renouvelés")) après avoir
demandé le secours de l’Esprit sain, il explique pourquoi l’Esprit saint a été
donné deux fois, et pourquoi le don a été renouvelé. |
(Hæc iterata.)post petitum spiritus sancti patrocinium: declarat cur spiritus sanctus bis datus est: et cur iteratus fuit.
|
(1352) En cela, il suit Augustin auquel nous avons fait allusion un peu plus
haut. |
In quo sequitur Augustinum quem paulo ante allegauimus.
|
(1353) Il y a en effet dix préceptes dans le décalogue : méprise les
faux dieux, fuis le parjure, garde le sabbat, honore ton père et aime ta mère, ne
sois pas meurtrier, adultère, voleur ou faux témoin ; veille à ne pas
convoiter le lieu ou la fortune de ton voisin. Ces dix préceptes sont comme le
psaltérion à dix cordes et ont été donnés sur deux tables. |
Sunt autem decalogi præcepta .x. sperne deos: fugito
periuria: sabbata serua:
sit tibi patris honori sit tibi matris amor. Ne sis
occisor: moechus: fur: testis iniquus: Vicinique
thorum: resque caueto suas. hæc.x. præcepta
tanquam decachordon psalterium: in duabus tabulis
data sunt.
|
(1354) Les trois premiers qui concernent l’amour de Dieu étaient contenus sur
la première table, les sept suivants qui regardent vers la charité envers le
prochain étaient écrits sur l’autre table. |
Tria illa priora. quæ ad dilectionem dei
pertinent: in una tabula scripta
continebantur.
.vii. sequentia quae ad
charitatem proximi spectant: in alte[31v]ra
tabula.
|
(1355) Tout cela se trouve en Exode 20. |
hæc in exodo cap.xx. simul continentur.
|
(1356) (Hæc iterata reor ("ces dons renouvelés je crois"))
autrement dit de nouveau, autrement dit je pense que ces dons ont été donnés deux
fois par l’Esprit saint aux apôtres, évidemment en raison de ce qui suit ;
praemia ("ces récompenses") autrement dit les dons de l’Esprit
saint, confirmant iustos ("affermissent les justes") évidemment les
apôtres ou tous les fidèles, par l’instillation d’une double inspiration :
comme la charité est double et les tables sont deux, l’Esprit saint a été envoyé
deux fois pour qu’il y ait ici comme un accord dans le dédoublement dans beaucoup
de réalités pour asseoir plus fermement en nous le souvenir de ce double
amour. |
(Hæc iterata
reor id est iterum: hoc est bis data
puto præmia a spiritu sancto apostolis: scilicet ob
id quod sequitur.
præmia id est dona spiritus
sancti:
confirmant iustos scilicet
apostolos: uel quoscunque fideles per infusionem
geminæ inspirationis: sicut est gemina charitas: et geminæ tabulæ: et bis
spiritus sanctus missus est: ut sit hic geminationis
quasi concentus: in multis ad memoriam geminæ
dilectionis firmius nobis commendandam.
|
(1357) (Praemia ("ces récompenses")) donc, autrement dit les
dons de l’Esprit saint, confirmant iustos ("affermissent les
justes") autrement dit ceux qui sont justifiés par le don de la charité ou de la
grâce qui les rend agréables à Dieu, ut colant ("pour qu’ils
gardent") autrement dit observent, duo iussa ("les deux ordres")
autrement dit les dix commandements qui se ramènent à deux ordres d’amour,
conscripta ("écrits") autrement dit contenus, duabus
tabulis ("sur deux tables") comme nous l’avons dit. |
(Praemia )ergo
id est dona spiritus sancti:
confirmant iustos: id est iustificatos per donum charitatis uel
gratiæ gratum facientis:
ut colant id est
obseruent:
duo iussa id est .x. mandata: quæ ad duo dilectionis iussa reducuntur:
conscripta id est
contenta:
duabus tabulis: ut diximus.
|
(1358) Et lui même continue en disant : Dilige tu plenus amore
feruenti deum mente ("toi, aime Dieu, en étant plein d’amour, d'un
esprit brûlant") et cela c’est dans le Deutéronome ; Rursus
ait ("il dit encore") évidemment le saint précepte de Dieu dans le
Lévitique et dans l’évangile de Matthieu : proximus quoque sit tibi
carus ut tu ("que ton prochain aussi te soit cher comme toi-même")
évidemment tu es cher à toi-même, autrement dit aimé. |
et ipse subdens declarat.
Dilige tu plenus amore feruenti: deum mente
. et hoc in deuteronomio.
Rursus ait scilicet sancta
dei præceptio in leuitico: et in Euangelio Matthei
:
proximus quoque sit tibi carus ut
tu scilicet es tibi
carus id est dilectus.
|
(1359) Cette règle d’amour, comme le dit Augustin, a été établie par Dieu, en
sorte que l’on aime Dieu pour lui-même de tout son cœur et son prochain comme
soi-même, autrement dit en vue de ce pour quoi on doit s’aimer soi-même et à cause
de quoi on le fait. |
Hæc regula ut ait Augustinus. dilectionis diuinitus
constituta est: ut deum propter sese ex toto
corde: et proximum diligas sicut te ipsum id est
ad quod et propter quod te ipsum diligere debes.
|
(1360) C’est donc en bien et en raison de Dieu qu’il faut aimer le prochain
et non en mal. |
In bono ergo: et propter deum diligendus
est proximus: non in malo.
|
(1361) Par le prochain, il faut entendre tout homme parce qu’il n’est
personne avec qui l’on doive agir mal. |
Proximum uero omnem hominem oportet intelligi. quia nemo est cum quo sit operandum male.
|
(1362) "Celui donc qui aime les gens doit les aimer soit parce qu’ils sont
justes, soit pour qu’ils soient justes", autrement dit soit en Dieu soit à cause
de Dieu. |
Qui ergo amat homines: uel quia iusti
sunt : uel ut iusti sint amare debet:
AVG. trin., 8, 6 hoc est uel in deo uel propter deum.
|
(1363) "Celui, en effet, qui s’aime lui-même pour une autre raison, s’aime
injustement ; car celui qui aime l’iniquité déteste sa propre âme". |
Qui enim aliter se diligit: iniuste se
diligit.AVG. trin., 8, 6
Qui enim diligit iniquitatem : odit
animam suam.
AVG. trin., 8, 6
|
(1364) Il y a donc prescription d’une mesure : "comme toi-même" veut
évidemment dire pour que tu aimes ton prochain à raison de ce que tu es
toi-même ; si donc tu ne dois pas t’aimer en raison de toi-même, mais en
raison de celui où réside la fin absolument juste de ton amour, qu’aucun homme ne
vienne s’irriter si lui aussi tu l’aimes à cause de Dieu. |
Modus autem præcipitur. sicut te ipsum ut
scilicet proximum diligas ad quod te ipsum. si ergo
te non propter te diligere debes: sed propter
illum: ubi dilectionis tuæ rectissime finis
est. non succenseat alius homo: si et ipsum propter deum diligis.
|
(1365) Mais la mesure de l’amour pour Dieu est plus largement exposée par le
Maître, livre 3, distinction 27 : "tu aimes Dieu de tout ton cœur, autrement
dit avec ton intellect, et de toute ton âme, autrement dit avec ta volonté, et de
tout ton esprit, autrement dit avec ta mémoire", afin que nulle part de notre vie
ne reste sans être emportée là où se précipite le torrent de l’amour. |
At modus diligendi deum declaratur latius apud magistrum in tertio dist.
xxvii diligis deum ex toto corde id est intellectu: et ex
tota anima id est uoluntate: et ex tota
mente id est memoria:PET. LOMB. sent., 3, 27, 5, 4 ut nulla pars uitæ nostræ uacet: quin illuc
rapiatur: quo dilectionis impetus currit.
|
(1366) Il apparaît clairement de là que l’on ne doit pas aimer tout ce dont
on doit se servir, mais seulement ce qui se rapporte à Dieu par un certain lien
avec nous, comme le réclament l’homme, l’ange, ou les choses reliées à nous par le
bienfait de Dieu à travers nous, comme le corps qu’il faut prescrire d’aimer pour
en prendre soin en bon ordre et avec prudence. |
Ex his constat non omnia quibus utendum est: esse diligenda : sed ea sola quae uel
nobiscum societate quadam referuntur in deum: sicut
est homo uel angelus. uel ad nos relata beneficio
dei per nos indigent: ut corpus: quod ita præcipiendum est diligi: ut ei
ordinate prudenterque consulatur.
|
(1367) De fait, il y a quatre réalités que nous devons aimer : l’une qui
est au-dessus de nous, évidemment Dieu, la deuxième que nous sommes nous,
autrement dit notre âme, la troisième qui est à côté de nous, autrement dit le
prochain et en quatrième lieu Augustin met notre corps. |
Nam cum sint quatuor diligenda: unum quod
supra nos est scilicet deus: alterum quod nos sumus
id est anima nostra : tertium quod iuxta nos est id
est proximus: quarto loco nostrum corpus ab
augustino collocatur .
|
(1368) Mais Ambroise détruit ainsi cette série : premièrement il faut
aimer Dieu, deuxièmement ses parents, ensuite ses fils et pour finir ses
domestiques qui, s’ils sont bons, doivent être préférés à de mauvais fils. |
at ambrosius ita seriem
hanc conterit: primo deus diligendus est: secundo parentes : inde
filii: post domestici:
qui si boni sunt malis filiis præponendi sunt.
|
(1369) Pour ce qui est des ennemis, il suffit pour les aimer de ne pas les
avoir en haine ; "tous, de fait, sont également à aimer, mais, comme on ne
peut être utile à tout le monde, il faut d’abord prendre soin de ceux qui nous
sont plus proches par le hasard du lieu, du temps ou de quoi que ce soit d’autre,
et sont liés à nous par quelque destin commun ; mais reportez vous au livre 3
de Pierre Lombard, ces sujets y sont traités abondamment". |
At inimicos sufficit quod diligamus: et
non odio habeamus.
omnes autem æque diligendi sunt : sed cum
omnibus prodesse non possis: his potissimum
consulendum est: qui pro locorum et temporum
uel quarumlibet rerum oportunitatibus constrictius tibi quasi quadam
sorte iunguntur:AVG. doctr. christ., 1, 27 sed recurre ad tertium
longobardi: ubi hæc copiose.
|
(1370) (Hoc pactum ("ce pacte")) autrement dit cet accord et
cette constitution divine des deux amours tenet ("possède")
autrement dit contient ; omne ius ("tout le droit") évidemment
de la loi et des prophètes, comme nous l’avons dit ; quod
("que") évidemment ce droit de l’amour, creat ("crée") autrement
dit produit, spiritus almus ueniens bis ("l’Esprit nourricier
venant deux fois") évidemment une première fois après la résurrection et une
seconde après l’ascension, per corda ("à travers le cœur"), celui
des fidèles évidemment ; author ("l’auteur") autrement dit le
créateur, évidemment Jésus, dedit hunc (" a donné celui-ci")
évidemment l’Esprit saint, in terris ("sur terre") après sa
résurrection, ut ametur homo ("pour que l’homme soit aimé"),
autrement dit le prochain, post ("ensuite") autrement dit
évidemment au jour de la Pentecôte, missus ("il a été envoyé")
évidemment l’Esprit saint, ut humana ("pour que les choses
humaines") autrement dit les hommes, flagrent ("s’embrasent")
autrement dit brûlent, aiment avec ardeur deum ("pour Dieu"). |
(Hoc pactum) id
est hæc pactio et constitutio diuina geminæ dilectionis:
tenet id est continet
omne ius scilicet legis
et prophetarum ut diximus:
quod scilicet ius
dilectionis:
creat id est producit :
spiritus almus ueniens bis
scilicet semel post resurrectionem : iterum : post ascensionem:
per corda scilicet
fidelium.
Author id est creator
scilicet Iesus
dedit hunc scilicet
spiritum sanctum in terris
post resurrectionem:
ut ametur homo id est
proximus:
post id est iterum scilicet
in die pentecoste:
missus scilicet est
spiritus sanctus:
ut humana id est homines
:
flagrent id est ardeant
ardenter ament:
deum.
|
(1371)
Prima ("premier") autrement dit principal, évidemment il s’agit de
l’amour, et antérieur par la dignité et la perfection est quæ ("est
celui qui") évidemment l’amour, amet deum uehementer ("aime Dieu
avec force"), cui ("par rapport à lui") évidemment par rapport à
l’amour qui nous fait aimer Dieu, est secunda ("est second"),
autrement dit postérieur et moins principal, cet amour évidemment du prochain,
quae ("qui") évidemment l’amour du prochain,
sociat ("associe") autrement dit unit, genus
mortale ("le genre mortel") autrement dit le genre humain. |
Prima id est principalis
scilicet dilectio et prior
dignitate et perfectione:
est quæ scilicet
dilectio:
amet deum uehementer.
cui scilicet dilectioni qua
deum amamus:
est secunda id est
posterior et minus principalis ea dilectio scilicet proximi:
quæ scilicet dilectio
proximi:
sociat id est iungit genus mortale id est genus
humanum.
|
(1372) (Tamen incipit ante. ("pourtant il commence
avant")) : il nous faut aller au devant du doute qui se présente à
nous. |
(Tamen incipit
ante.) Occurrendum est dubitationi: quæ fit obuiam.
|
(1373) Le poète a dit en effet : l’amour de Dieu prima
est ("est premier") et l’amour du prochain est secunda
("second") et posterior ("postérieur"). Et maintenant voilà qu’il
nous dit : l’amour du prochain incipit ante ("commence avant")
et est premier, et l’amour de Dieu sequitur secundam ("suit le
second") évidemment l’amour du prochain. |
Dixit enim poeta dilectio dei prima est
: et dilectio proximi est secunda et posterior. At nunc
ait dilectio proximi incipit
ante et est prior : dilectio dei sequitur secundam scilicet
dilectionem proximi.
|
(1374) Si donc l’amour du prochain commence avant et si l’amour de Dieu le
suit, alors manifestement l’amour de Dieu n’est pas premier mais second, et
l’amour du prochain n’est pas second mais premier, et ainsi les deux propositions
se combattent et sont contradictoires. |
Si ergo dilectio proximi incipit ante: et
dilectio dei ipsam sequitur: iam nimirum dilectio
dei non est prima sed secunda: et dilectio proximi
non est secunda sed prima: atque ita uidentur hæc
inuicem pugnare: et esse contraria.
|
(1375) Il est facile de résoudre ces difficultés si nous comprenons la
distinction que nous livre Aristote au livre 9 de la
Métaphysique. |
Hæc facile soluuntur: Si intelligimus
distinctionem quampiam traditam ab aristotele in nono ton
meta ta physica libro.
|
(1376) La notion de premier ou d’antérieur est en effet prise en deux
sens : par exemple une chose peut être dite antérieure à une autre soit par
la dignité et la perfection, soit par l’origine et l’ordre de la génération. |
Primum enim uel prius bifariam accipitur:
Alterum namque prius altero dicitur. uel dignitate
ac perfectione: uel origine et ordine
generationis.
|
(1377) Il n’est donc ni gênant ni absurde que la même chose soit à la fois
première et seconde, si on la rapporte à des objets divers : ainsi l’enfance
est première par rapport à l’âge adulte, si l’on considère la succession depuis
l’origine, mais elle est seconde, si l’on a en vue son imperfection, et l’âge
adulte, dans la mesure où il est plus parfait et plus digne, est premier, mais en
tant qu’il procède de l’enfance, il est second. |
Nec est incommodum absurdumue idem esse prius et posterius ad
diuersa relatum. Vt pueritia est prior uirili
ætate: si originis seriem consideres: et est posterior si imperfectionem contemplere. at uirilis ætas quatenus perfectior digniorque
est: prior est. sed
quatenus a pueritia progreditur: posterior est.
|
(1378) Dans les choses qui tendent de la puissance à l’acte, celles qui sont
premières par l’origine sont plus imparfaites. |
In iis autem quæ a potentia ad actum tendunt priora origine
imperfectiora sunt.
|
(1379) Donc l’amour du prochain est premier par l’origine et second par la
perfection, au contraire l’amour de Dieu est premier par la perfection et second
par l’origine. |
Est ergo dilectio proximi prior origine:
et perfectione posterior : contra dei dilectio prior
perfectione: posterior origine.
|
(1380) Quand on sait cela, il est facile de comprendre le sens de ces
vers. |
Hoc præcognito facilis est sensus horum uersuum.
|
(1381) (Tamen ("pourtant")) dit Arator posterior
numero ("celui qui vient après par le nombre") autrement dit
secunda ("le second"), l’amour du prochain qui est compté en
seconde place, quand nous disons "tu aimeras Dieu, tu aimeras ton prochain" ;
posterior numero ("celui qui vient après par le nombre")
autrement dit l’amour second, celui du prochain tamen ante incipit
("pourtant commence avant") autrement dit est premier par son origine, quand bien
même évidemment l’amour de Dieu est premier, comme nous venons de le dire, et
précède en dignité. |
(Tamen) inquit
Arator
posterior numero id est
secunda dilectio
proximi: quæ numeratur secundo loco : cum dicimus diliges deum:
diliges proximum:
posterior:numero id est secunda dilectio proximi:
tamen ante incipit id est
prior est origine: quamuis scilicet dilectio dei sit
prima: ut paulo ante diximus: uel prior dignitate.
|
(1382)
Quæ prior est ("celui qui est premier") évidemment l’amour de Dieu
comitata secundam ("accompagnant le second") évidemment l’amour
du prochain, sequitur ("le suit") évidemment après, bien qu’il soit
plus parfait et premier en dignité. |
Quæ prior est scilicet dei
dilectio:
comitata secundam scilicet
dilectionem proximi:
sequitur scilicet post: quamuis sit perfectior ac prior dignitate.
|
(1383) En effet, nous n’aimons notre prochain qu’en raison de Dieu. |
Non enim diligimus proximum nisi propter deum.
|
(1384) Donc nous aimons davantage Dieu. |
Ergo magis diligimus deum.
|
(1385) De fait comme le dit Aristote dans le premier livre des Seconds
Analytiques : αἰεὶ δι´ ὃ ὑπάρχει ἕκαστον, ἐκείνῳ μᾶλλον ὑπάρχει,
οἷον δι´ ὃ φιλοῦμεν, ἐκεῖνο μᾶλλον φίλον autrement dit "toujours en effet la
raison pour laquelle chaque chose existe existe davantage qu’elle : ainsi la
raison pour laquelle quelque chose nous est cher nous est plus chère que la chose
elle-même". |
Nam ut aristoteles in
primo hysteron analyticon. i. posterior. resoluto.
ait:
aei diho hyparchei hecaston eceino mallon hyparchei: oion diho philumen eceino mal.[32r]Ion philon ARIST. An. pr., 72a id est semper enim propter quod unum quodque existit: illud magis existit: ut
propter quod aliquid carum habemus: illud magis
carum est.
|
(1386) Celui, en effet, qui aime le maître à cause de son disciple, il est
absolument inévitable qu’il aime davantage le disciple lui-même. |
Qui enim præceptorem ob discipulum diligit: nimirum necesse est ipsum magis discipulum diligat.
|
(1387) Comme l’a en effet dit cet illustre péripatéticien qu’est
Thémistios : ce qui est attribué à plusieurs, s’il est attribué de manière à
être attribué à l’un par l’intermédiaire de l’autre, il est toujours inévitable
qu’il s’accorde plus à ce qu’il a en commun avec l’autre. |
Vt enim egregius peripateticus themistius ait:
semper id quod pluribus tribuitur: si
ita tribuitur ut alteri per alterum tribuatur: necesse est: ut illi plus
competat: per quod alteri
communicatur.
|
(1388) D’où les conclusions : c’est par le mérite des propositions
qu’elles sont crues et connues, et non parce que ce sont des propositions qu’elles
sont crues et connues. |
Hinc conclusiones: quia merito
propositionum et creduntur et cognoscuntur: minus
quoniam propositiones et creduntur et cognoscuntur.
|
(1389) Il dit que l’amour de Dieu suit l’amour du prochain et qu’il lui est
postérieur par quelque raison touchant à sa naissance ; c’est la raison pour
laquelle le bienheureux Jean dans sa première lettre canonique chapitre 4
écrit : "celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer
Dieu qu’il ne voit pas ?". |
Dicit autem quod dilectio dei sequitur dilectionem proximi: et est posterior natalicia quadam ratione: propter id quod beatus Ioannes in prima canonica epistola cap.
iiii. scriptum reliquit:
qui (inquit) non diligit fratrem suum quem uidet: deum quem non uidet quomodo diligere
potest?
1 Jn 4, 20
|
(1390) Il est essentiel de ne pas ignorer ce fait : la raison qui fait
aimer est parfois ce qui, en raison de sa beauté, parce que c’est bon ou semble
bon, nous pousse à aimer. |
Illud conuenit non nescire: causam
diligendi nonnunquam id esse quod sua pulchritudine quia bonum est: uel uidetur bonum: nos
allicit ad diligendum.
|
(1391) Parfois, il est vrai, la raison de l’amour n’est pas ce qui, par sa
bonté, fait naître l’amour, mais une certaine route qui conduit à ce beau et ce
bien que l’on aime à raison de son mérite, comme voir quelqu’un conduit à l’aimer,
bien que le fait même de voir ne soit pas ce par quoi nous sommes emportés par
l’amour, mais une certaine route qui y conduit. |
Nonnunquam uero causa diligendi non est id quod sua bonitate
excitat amorem: sed uia quæpiam qua itur in illud
pulchrum bonumque merito sui diligendum: ut uidere
aliquem ducit ad amorem: quamuis ipsum uidere non
sit id quo dilectione ferimur: sed uia quæpiam qua
itur illuc.
|
(1392) Comme le dit en effet Grégoire dans une homélie : "à partir des
réalités que l’esprit connaît, il tend vers les réalités inconnues qu’il ne
connaît pas, en sorte que, par l’entremise de ce qu’il sait aimer, parce qu’il le
connaît, il apprenne aussi à aimer ce qu’il ne connaît pas". |
Vt enim gregorius
in quadam homilia dixit:
Ex his quæ animus nouit: surgit ad
incognita quæ non nouit: ut per hoc quod
scit notum diligere: discat et incognita
amare.GREG. M. in euang., 11, 1
|
(1393) Donc voir son prochain et l’aimer, ce n’est pas cela le beau absolu
que nulle beauté n’excède, mais c’est une sorte de route qui conduit à l’amour du
plus grand et plus beau des biens. |
Videre ergo proximum aut diligere: non
est illud summe pulchrum quo nihil pulchrius: sed
uia quædam: qua itur in dilectionem maximi
pulcherrimique boni.
|
(1394) Celui en effet qui n’aime pas son frère qu’il voit, et qui lui est
semblable (car tout être vivant aime ce qui lui est semblable), comment
aimera-t-il Dieu qu’il ne voit pas, qui est incorporel et dont il est tellement
éloigné ? |
Qui enim non diligit fratrem suum quem uidet: et qui est similis (omne enim animal diligit sibi simile) deum
quem nom uidet: qui est incorporeus: a quo tantopere distat:
quomodo diliget?
|
(1395) Toute personne qui est arrivée à cet âge (selon ce que dit Jérôme) que
l’on nomme puberté "aime quelque chose, soit de manière absolument pas droite
quand il aime ce qu’il ne faut pas, soit de manière droite et utile quand il aime
ce qu’il faut". |
omnis autem qui ad id aetatis uenerit (ut author est hieronymus ) quam pubertatem uocant:
amat aliquid seu minus recte: cum amat
quæ non oportet: Seu recte et utiliter: cum amat quæ oportetRVFIN. Orig. in cant., prol.
.
|
(1396) Il existe bien un amour charnel que les poètes appellent aussi
désir ; il en est aussi un spirituel qui s’acquiert par l’amour sincère du
prochain comme par une voie intermédiaire. |
Est autem quidam amor carnalis: quem et
cupidinem appellauerunt poetæ: est et spiritalis: qui per dilectionem proximi sinceram comparatur
quasi per uiam intercedentem.
|
(1397) Donc lorsque l’âme est poussé par cet amour sublime et ce désir
céleste, quand elle a vu la beauté et la gloire du Verbe, elle s’éprend de son
aspect et de cette beauté au-dessus de toute beauté et par là elle en reçoit une
sorte de zèle et une blessure d’amour. |
Illo igitur amore sublimi et coelesti cupidine cum agitur
anima: perspecta pulchritudine et decore
uerbi: speciem eius et pulchritudinem
pulcherrimam adamat: et ex ipso Zelum quemdam et
uulnus amoris accipit.
|
(1398) Voici en effet ce qu’est le Verbe : l’image et la splendeur du
Dieu invisible en qui tout a été créé, les choses du ciel et celle de la terre,
celles qui viennent au-devant de nos sens et celles qui les fuient. |
Est enim uerbum hoc: imago et splendor
dei inuisibilis: in quo creata sunt omnia: quæ in coelis sunt: et quæ
in terris uel sensibus obuia nostris uel eos fugientia.
|
(1399) Si donc quelqu’un pouvait séparer son esprit des sens au point que,
mis largement à distance d’eux, il puisse, dans la capacité de son esprit,
envisager la gloire et la beauté de tout ce qui a été créé, frappé de l’agrément
de ces choses et comme transpercé d'un trait par la magnificence de leur
splendeur, il recevrait de cette source même de salut une blessure et brûlerait du
feu bienheureux de cet amour. |
Si quis ergo posset ita seuocare animum a sensibus: ut ab eis procul seiunctus capaci mente
coniiceret: omnium quæ in ipso creata sunt. decus et speciem: rerum
uenustate percussus: et splendoris magnificentia ceu
iaculo terebratus salutare ab ipso uulnus acciperet:
et beato igne amoris eius arderet.
|
(1400) En outre, le Maître au livre 3 dit que, dans cette vie mortelle, il
est impossible que cette blessure soit totalement comblée. |
Cæterum magister
in.iii. negat in hac uita mortali
illud uulnus ex toto posse impleri.
|
(1401) En effet Dieu ici n’est pas aimé de toute notre âme. |
Non enim hic ex tota anima diligitur deus.
|
(1402) "Nous aimons en effet partiellement comme nous connaissons
partiellement". |
Ex parte enim diligimus: sicut ex parte
cognoscimus.PET. LOMB. sent., 3, 27, 6, 1
|
(1403) "Quand sera venu ce qui est parfait ; en sorte que sera détruit
ce qui est partiel, autrement dit pour que ce ne soit plus partiel mais total, la
charité ne nous sera pas enlevée mais elle sera augmentée, et ce précepte sera
alors accompli : 'tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur' etc. dans
la plénitude de la charité", quand tu seras devenu juste sans péché et quand il
n’y aura nulle loi qui répugnera à ton esprit. |
Cum uenerit quod perfectum est: ut
destruatur quod ex parte est id est ut iam non ex parte sit sed ex
toto: charitas non auferetur sed
augebitur: et implebitur illud
præceptum: diliges dominum deum tuum ex
toto corde et cetera in plenitudine charitatis:
PET. LOMB. sent., 3, 27, 6, 1 cum fueris sine peccato iustus: cum nulla
erit lex menti repugnans.
|
(1404) Mais pourquoi est-il prescrit quelque chose que l’on ne peut
avoir ? |
Sed cur præcipitur: quod haberi non
potest?
|
(1405) Bien au contraire, c’est ce qu’il est possible de posséder qui est
prescrit, en partie évidemment et selon la perfection de sa vie. |
imo quod haberi possunt præcipitur: ex
parte scilicet et secundum perfectionem uiae.
|
(1406) Autre est en effet la perfection du coureur et autre celle du
vainqueur. |
Alia est enim perfectio cursoris: alia
uictoris.
|
(1407) Ici il suffit que tu aimes ton prochain comme toi même, autrement dit
en vue de la même béatitude que celle vers laquelle tu tends, et que tu aimes Dieu
de manière à ne rien lui préférer. |
Hic sat est ut diligas proximum sicut te ipsum id est ad eamdem
beatitatem: ad quam tu tendis: et ita deum diligas: ut nihil illi
anteferas.
|
(1408) Autrement il n’y a pas de vrai amour. |
Aliter non est uera dilectio.
|
(1409) En effet il n’aime pas le roi celui qui n’aime pas la loi du roi, et
c’est par amour du roi qu’il faut accomplir sa loi. |
Non enim diligit regem: qui eius legem
non diligit. ex amore regis:
lex eius debet impleri.
|
(1410) Par ces mots, si je ne m’abuse, nous avons abondamment éclairé ce que
dit Arator : (Sic forma ("ainsi la formule") autrement dit la
phrase canonique de Jean comme nous l’avons dit, docet ("enseigne")
évidemment dans la première lettre canonique chapitre 4 ;
inquit ("dit") autrement dit la phrase de Jean :
nisi diligis fratrem ("si tu n’aimes pas ton frère") autrement
dit ton prochain quem ("que") évidemment ton frère ;
potis es ("tu es capable") autrement dit tu peux,
cernere ("apercevoir") autrement dit voir, nescis amare
deum quem ("tu ne sais pas aimer Dieu que") évidemment Dieu ;
non es ("tu n’es pas") autrement dit que tu ne peux pas,
cernere ("apercevoir"), parce qu’il est esprit et parce que
"personne n’a jamais vu Dieu" comme le dit l’Evangile. |
His ni fallor abunde patefecimus uerba Aratoris dicentis. (Sic forma) id est sententia
canonica Ioannis ut
diximus:
docet scilicet in prima epistola canonica cap.
quarto
inquit id est sententia
Ioannis:
nisi diligis fratrem id est
proximum:
quem scilicet fratrem:
potis es id est potes:
cernere id est uidere:
nescis amare deum
quem scilicet deum:
non es scilicet potis id
est non potes cernere: quia est spiritus: et quia
deum nemo uidit unquam1 Jn 4, 12 ut ait Euangelista.
|
(1411)
Ergo concordia nexa ("donc la concorde liée") autrement dit
attachée par le lien de l’amour, calescat ("s’échauffe") autrement
dit brûle évidemment dans les croyants ; uoto ("par un vœu")
autrement dit un zèle, pari ("pareil") et amor
fratris ("que l’amour du frère") autrement dit du prochain,
condat ("installe") autrement dit cache, dominum
("le Seigneur") Dieu évidemment dans notre coeur, et évidemment sit
("que soit") l’amour du frère et du prochain substantia ("la
substance") autrement dit la raison, causæ geminæ ("d’une cause
jumelle") autrement dit du double amour de Dieu et du prochain. |
Ergo
concordia nexa id est
uincta uinculo dilectionis:
calescat id es ardeat
scilicet in fidelibus:
uoto id est studio pari.
et amor fratris id est
proximi:
condat id est abscondat:
dominum deum scilicet in
pectore nostro scilicet sit
amor fratris et proximi:
substantia id est ratio:
causæ geminæ id est
duplicis dilectionis dei et proximi.
|
(1412) De fait, celui qui aime son prochain tend vers une parfaite charité
pour une double cause jumelle : parce qu’il aime son prochain et parce que,
par l’intermédiaire de son prochain, il aime Dieu ; et ainsi, l’amour du
frère est la substance et la raison de deux amours : l’amour du prochain est
sa propre cause et la cause, autrement dit la voie qui conduit à l’amour de Dieu,
ce que nous avons déjà noté. |
Nam qui diligit proximum : gemina et
duplici causa tendit in perfectam charitatem. et
quia diligit proximum: et quia per proximum diligit
deum: et ita fratris amor est substantia et ratio duarum
dilectionum: dum proximi dilectio est causa
sui: et causa id est uia dilectionis dei: quod iam supra notauimus.
|
(1413) Mais voici que se précipite sur nous un clown amoureux de prosodie,
dirais-je un syllabâtre, qui vient m’accuser comme si, par dissimulation, je
n’avais rien dit de cette syllabe qui répugne au mètre héroïque. |
Verum occurret nobis hic aliquis: momus
syllabarius dicam an syllabaster: qui me incuset
quasi dissimulanter syllabam illam uersui heroico repugnantem pene
præterierim.
|
(1414)
Nescis amare deum ("tu ne sais pas aimer Dieu") : on va me
dire ; il y a une difficulté de prosodie dans ce mot nescis,
car la dernière syllabe est longue et elle devrait être brève, car elle est en
deuxième position dans le dactyle. |
Nescis amare deum inquiet
: repugnat syllaba in illo uerbo nescis: cum sit
ultima longa: de breuis esse debeat: quia est secunda in dactylo.
|
(1415) Et pourtant on allonge à la quatrième conjugaison les secondes
personnes du singulier en -is : Martial : Nescīs
heu nescīs dominæ fastidia Romæ. |
Atqui secundæ personæ singulares.
in-is. quartæ coniugationis producuntur.
Martialis.
Nescis heu nescis dominæ fastidia romæ MART. 1, 3, 3
.
|
(1416) Cela est bien connu et évident si l’on passe à la première personne du
pluriel nescīmus où la pénultième longue est marquée dans la
prosodie par le circonflexe, et de même nescītis. |
Id etiam constat perspicuumque est: si
transitur in primam personam pluralem nescimus: ubi penultima natura
longa circunflexa prosodia notatur: et item
nescitis.
|
(1417) Je veux, une fois pour toutes, répondre à ces littérateurs casse-pieds
et à ces censeurs qui examinent avec tant de soin et tant d’inquiétude pauses et
quantités syllabiques, afin qu’ils ne me harcèlent plus quand je commenterai le
reste. |
Volo semel istis fastidiosis literatoribus: et censoribus tam sollicite tamque anxie moras et spatia
syllabarum examinantibus respondere: ne posthac mihi
reliquam interpretanti negocium facessant.
|
(1418) Et en premier lieu je peux excuser la quantité de cette syllabe par
l’autorité de Properce ; si vous, illustres critiques, lui accordez votre
pardon, il vous sera bien plus facile de le donner à Arator qui traite de sujets
d’une extrême difficulté. |
Ac primum omnium possem excusare syllabam authoritate propertii. cui
uos egregii critici si ueniam datis: multo facilius
Aratori difficillima tractanti
concedetis.
|
(1419) "Le poète" (comme l’atteste Marcus Tullius) "est le plus proche de
l’orateur en ce qu’il est un peu plus contraint par les rythmes, mais plus libre
par les licences qu’il peut se permettre sur les mots". |
Est poetaCIC. de orat., 1, 70 (ut . M.
tullius author est) oratori finitimus numeris astrictior paulo: uerborum autem licentia liberior.CIC. de orat., 1, 70
|
(1420) Mais pourquoi plus libre ? Car il est plus contraint par les
rythmes. |
At cur liberior? quia numeris
astrictior.
|
(1421) Si donc le poète est plus libre que l’orateur car il est confiné dans
l’étroite règle des rythmes, le poète chrétien sera encore plus libre que le poète
païen, confiné qu’il est dans les mystères de la loi divine qu’il est difficile et
presque ἀδύνατον (impossible) en raison de sa nouveauté d’expliquer sans aller
jusqu’à parler de vers, même en prose. |
Si ergo poeta liberior quam orator quia in angustiis positus
numerorum: multo liberior poeta christianus quam
ethnicus in an[32v]gustiis positus mysteriorum diuinæ legis: quæ explanare non dico uersu sed prosa arduum
est: ac pene adynaton:
propter rerum nouitatem.
|
(1422) Combien est grande la difficulté qu’il y a à énoncer des choses
nouvelles en termes raffinés et élégants, Evangélus chez Marcobe le montre bien
quand il affirme que Marcus Tullius, quand il a disserté sur la nature des dieux,
ou sur le destin, ou sur la divination, a diminué, en rapportant ces sujets de
manière peu travaillée, la gloire qu’il s’était acquise par son talent
d’orateur. |
Quanta sit difficultas in rebus nouis culte atque eleganter
enunciandis ostendit Euangelus apud
Macrobium: affirmans . M.
Tullium
aut de natura deorum: aut de fato: aut de diuinatione disputantem: gloriam: quam
oratione conflauerat: incondita rerum
relatione minuisse.MACR. sat., 1, 24, 4
|
(1423) Si donc Cicéron, qui avait tant acquis de capacités oratoires que son
nom est passé à la postérité comme synonyme d’éloquence, alors qu’il n’utilisait
pas le vers qui est plus contraint par les pieds, mais la prose libre, a eu de la
peine à rapporter avec élégance des sujets philosophiques et éloignés du sens
commun en raison de leur seule nouveauté, quelle indulgence ou pour mieux dire
quelle licence devra-t-on donner au poète chrétien qui n’écrit pas en prose, mais
en vers, et traite non de choses humaines ou de philosophie, mais de choses
divines et de la sublimité de la théologie ? |
Si ergo cicero tantum
dicendi facultate adeptus ut pro eloquentia eius sit nomen receptum: non uersu: qui pedibus
astrictus est: sed libera ac soluta oratione uix
condite res philosophicas et a communi usu remotas propter unam nouitatem
referre potuit: quid ueniæ uel potius licentiæ
dandum est poetæ christiano non prosa sed uersu: non
res humanas aut philosophiam: sed diuinas et
sublimem theologiam tractanti?
|
(1424) A qui faut-il laisser d’autant plus la bride sur le cou qu’à celui
qu’un plus grande difficulté met dans un plus grand embarras ? |
cui eo liberius laxandæ habenæ sunt: quo
maior difficultas in arctius discrimen illum impigit?
|
(1425) Ici j’appelle choses nouvelles celles qui n’ont pas été traitées
auparavant par d’autres auteurs, auxquelles il est extrêmement facile d’ajouter
quelque chose, ce qui fait que ces objets petit à petit parviennent en se
raffinant à des sommets de qualité. |
Res nouas hic uoco ab aliis authoribus non ante tratactas: quibus addere perfacile est: quo fit ut res paulatim expolite in summum apicem perueniant.
|
(1426) Rien en effet, comme le dit Cicéron dans le Brutus n’a
été en même temps à la fois découvert et porté à sa perfection, et ce modèle
d’éloquence a tellement cru en la vérité de cette maxime qu’il pense qu’"il ne
faut pas douter de l’existence de poètes avant Homère, ce que l’on peut comprendre
à la lecture de ces poèmes qui dans son œuvre sont chantés dans les banquets des
Phéaciens ou des prétendants". Autrement, d’où Homère aurait-il pu tirer une telle
perfection ? |
Nihil est enim ut in bruto
refert cicero:
simul et inuentum et perfectum adeoque id uerum esse credidit summus
orator: ut putet non dubitandum quin fuerint ante homerum poetæ, quod ex eis
carminibus intelligi potest: quæ apud illum
et in pheacum et in
procorum epulis canuntur:CIC. Brut., 71 alioquin unde tam perfectus esse poeta potuit homerus?
|
(1427) Et il n’est rien au monde qui puisse atteindre la perfection dans ses
débuts, mais en tout ou presque, pour utiliser les mots de l’homme de Madaure, "il
y a l’ébauche d’une espérance avant l’expérience d’une réalité". |
Nec enim quicquam omnium est: quod possit
in primordio sui perfici: sed in omnibus ferme (ut
utar uerbis madaurensis) ante est spei rudimementum quam rei experimentum.APVL. flor., 3, 3
|
(1428) De nombreux poètes épiques avaient précédé Virgile ; ce poète
admirable leur ajouta ce qui leur manquait. |
Multi epici Maronem
præcesserant: quibus quod deerat addidit uates
egregius.
|
(1429) De nombreux orateurs avaient précédé Marcus Tullius mais, parce qu’il
n’y avait pas eu beaucoup de philosophe romains qui avaient précédé Marcus Tullius
dans l’écriture d’ouvrages philosophiques, il ne put dans l’énoncé de ces
nouveautés briller de son éloquence d’or, mais le fleuve de l’éloquence
cicéronienne est tellement retardé par les obstacles de l’âpreté et de la
confusion qu’il semble avoir encouru non sans quelque raison la censure
d’Evangélus. |
Multi oratores . M.
tullium. at
quia non multi philosophi romani M .
tullium philosophica scribentem
antecesserant : non iam in illis nouis enunciandis
suo illo aureo eloquentiæ genere nitescere potuit:
sed adeo scabris turbulentisque retardatur obiicibus tulliani flumen illud eloqui ut in Euangeli censuram non sine quapiam
ratione incidisse uideatur.
|
(1430) Et lorsque, dans son talent, nous reprochons ces détails, sommes-nous
des juges iniques contre les poètes chrétiens, et des censeurs plus sévères qu’il
n’est juste de l’être ? |
Et hæc cum in ingenio illo deprehendamus:
sumus in poetas christianos iniqui iudices: et
seueriores quam æquum est censores?
|
(1431) Et nous nous étonnons de voir notre poète dire
carnaliter ("charnellement"), car cet adverbe paraît peu
élégant ; même s’il abrège en usant d’une licence une syllabe longue par
nature ou en allonge une brève, quelqu’un peut bien être accusé faussement, bien
que totalement parfait, par des critiques malveillants, il ne peut cependant être
convaincu de culpabilité s’il n’est pas fautif. |
et miramur si dixit poeta
noster
carnaliter: quod aduerbium uidetur esse minus elegans: etsi productam syllabam natura per licentiam
contrahit: uel contractam producit: insimulari quiuis:
quamquam absolutissimus a carptoribus potest:
reuinci nisi uitiosus sit: non potest.
|
(1432) Et que daignerai-je répondre à ces Zoïles, dont le palais est si
délicat que dans le premier chant de l’Iliade ils accusent de trois
fautes le plus éminent des poètes, qu’il y ait un iambe en troisième position,
qu’en cinquième position il ne fasse pas une synalèphe pourtant tout à fait
triviale en grec, ce qui provoque une synérèse bien rude, et que dans le mot
Ἀχιλῆος il ait utilisé avec trop de licence l’abrègement d’une syllabe longue par
nature ? |
Et quid ego istos Zoilos
digner responsione: qui adeo delicato sunt palato: ut in primo iliados
carmine tres errores eminentissimi
uatis accusent: et quod in tertia
sede sit iambus: et quod in quinta non sit
synaloepha græcis familiarissima: unde aspera
resultet in scansione synæresis: et quod in illa
dictione achileos systole nimis
licenter usus fuerit.
|
(1433) Qui pourra supporter l’arrogance de ces personnages aux yeux de qui,
même dans le premier vers de son si illustre poème, Homère ne trouve pas grâce,
ces gens pour qui les roses et les lys et les très précieux baumes des vers sacrés
ne sont que puanteur, qui n’approuvent ni ne sentent le très délicat parfum de
nard épicé contenu dans ce vase, autrement dit l’esprit divin de la loi
évangélique enfermé dans des rythmes poétiques ? |
Quis istorum feret supercilium: quibus in
primo tam clari operis uersu
homerus non satisfacit? quibus rosæ et lilia: et
preciosissima unguenta sacrorum uersuum putere uidentur: quibus nardi spicati fragrantissimus odor alabastro contentus: hoc est legis euangelicæ diuinus spiritus numeris
poeticis comprehensus nec placet: nec sentitur?
|
(1434) Il sera donc préférable de nommer des juges plus équitables auprès
desquels la cause d’Arator et des autres poètes chrétiens (de fait cette calomnie
est étendue par ces aboyeurs de critiques à tous nos poètes), après un juste
examen du cas, sera traitée et défendue. |
satius igitur fuerit alios æquiores iudices nuncupare: apud quos iusto Examine aratoris causa: et cæterorum
christianorum uatum: (nam in omnes nostros uates hæc
calumnia ab istis latratoribus et criticis produci solet) et tractetur et
defendat.
|
(1435) Donc maintenant que j’ai rejeté ceux-là, je vais maintenant m’adresser
à ceux qui, je pense, seront plus équitables. |
istis ergo reiectis: illos: quos fore æquiores arbitror: nunc alloquar.
|
(1436) J’ai montré, il y a peu, combien est grande la difficulté de la
nouveauté ; Jérôme s’en étonne au sujet de notre cher Juvencus qui a raconté
en vers l’histoire du Seigneur en disant "il n’a pas craint de mettre sous les
lois du vers la vérité de l’évangile". |
ostendi paulo ante quanta sit nouitatis difficultas: ob quam miratur hieronymus
luuencum nostrum: qui historiam domini uersibus explicauerit: nec pertimuerit Euangelii ueritatem sub metri leges mittere:HIER. epist., 70, 5
|
(1437) Mais je me retire à moi-même ce moyen de défense et affirme que les
poètes païens n’abusent pas moins de la quantité des syllabes que les
chrétiens. |
Sed ego hoc patrocinium mihi adimo:
affirmoque non minus ethnicos poetas abuti syllabis quam christianos :
|
(1438) Et en premier lieu si tu m’objectes ce vers d’Arator nescis
amare deum, moi je te répondrai avec ce vers de Properce Et
soror et cum qua dormĭs amica simul où, dans le verbe
dormis, le i doit être scandé long, et non
bref. |
ac primum: si mihi obiciis hoc aratoris
carmen nescis amare deum: ego contra tibi propertii uersum oppono:
Et soror et cum qua dormis amica simul.PROP. 2, 6, 12 ubi in dormis uerbo: est producta pro
breui.
|
(1439) Ovide également dans les Héroïdes : Nescĭs
an exciderint mecum loca uenimus illuc ; ici cependant certains
lisent nescio, mais comment ils appuient cette lecture, je ne le
vois nullement. |
Ouidius quoque in heroidibus:
Nescis an exciderint mecum loca uenimus illuc.OV. epist., 12, 71 hoc tamen legunt quidam:
nescio: sed
quomodo ita legendum probent non uideo.
|
(1440) Tu me diras aussi qu’Arator et d’autres comme lui ne prêtent aucune
attention au fait que dans un mot grec il y ait un η ou un ω, puisqu’ils disent
idŏla avec o bref et ecclĕsia en
abrégeant le second e, alors que le premier mot prend un ω en grec
et le second un η. |
Tu dices et Aratorem et
item alios: non attendere ubi in græcis dictionibus
sit eta uel omega: cum dicant idola secunda breui:
et ecclesia item secunda correpta: cum alterum per omega:
alterum per eta scribant græci.
|
(1441) Je ne dis pas le contraire, mais, alors que tu es chassieux pour
inspecter tes propres défauts avec des yeux couverts de pommade, pourquoi
jettes-tu sur les défauts de tes amis un regard aussi acéré que celui de l’aigle
ou du serpent d’Epidaure ? Alors que tu veilles pour débusquer les licences
poétiques des poètes sacrés, pourquoi dors-tu ou fais-tu preuve de complaisance
envers les poètes profanes les plus adeptes de licences poétiques ? |
Non diffiteor: uerum cum tua peruideas
oculis mala lippus inunctis: cur in amicorum uitiis
tam cernis acutum quam aut aquila aut serpens epidaurius? cum uigiles in
deprehendenda licentia sacrorum uatum: cur dormitas
aut conniues in prophanorum poetarum carminibus licentissimis?
|
(1442) De fait si Arator abrège des η, Juvénal ne fait-il pas de même en
écrivant et longe calpĕ relicta où l’on écrit ordinairement κάλπη
comme Πενελόπη et Virgile cum subito assurgens fluctu nimbosus
ŏrion, alors que le mot prend un ω chez Musée οὐ θρασὺν Ὠρίωνα καὶ
ἄβροχον ὁλκὸν Ἁμάξης ; et Perse non hic qui in crĕpĭdas graiorum
ludere gestit donne les deux voyelles brèves alors que l’on écrit
κρηπῖδα et que le i est long, voir Musée πλῶε βαθυκρήπιδος ἐπ’
εὐρέα δῆμον Ἀβύδου, et de même λύχνου σβεννυμένοιο. παρὰ κρηπῖδα δὲ πύργου ;
et dans ne mihi pōlydamas, il fait de po l’initiale
(longue) d’un dactyle, alors qu’on écrit Πολυδάμας et c’est ce qu’il fait qu’ils
lisent Πουλυδάμας en ajoutant un υ. |
Nam si eta corripuit Arator: nonne Idem quoque fecit
iuuenalis
et longe calpe relicta:IVV. 14, 279 ubi calpe per eta sicut penelope scribitur: et Vergilius
cum subito assurgens fluctu nimbosus orion:VERG. Aen., 1, 535 cum scribatur per omega apud Musæum:
cai thrasyn oriona cai abrochon olcon amaxes.ps. MUS. Her. 214 Et persius:
non hic qui in crepidas graiorum ludere gestit:PERS. 1, 127 utramque breuem protulit: cum prima per eta scribatur: et iota
longa sit.
Musæus.
ploe uathy crepidos epeurea dem abydu.ps. MUS. Her. 229 et item lychnu sbennymenoio: para crepida de
pyrgu.ps. MUS. Her. 338 Et ne mihi polydamas:PERS. 1, 4 po: prima in
dactylo: cum scribatur per omicron: ideoque legunt pulydamas addita.y.
|
(1443) Et chez Virgile prima syracŭsio où il abrège la
dipthongue grecque ου, raison pour laquelle ils pensent qu’il faut lire à la
dorienne syracosio. |
Et apud uergilium:
prima syracusio ubi dipthongus.VERG. ecl., 6, 1 u. græca
corripitur: atque ideo censent dorice legendum
syracosio.
|
(1444) Martial également : coenat prōpinat poscit negat innuit
una est où propino qui vient de la préposition grecque
πρό avec omicron est compté long. |
Martialis quoque:
coenat propinat poscit negat innuit una est MART. 1, 68, 3 ubi propino a pro græca praepositione scripta per
omicron: prima longa ponitur.
|
(1445) Et Claudien : haec centumgemini strictos aegaeŏnis
enses compte brève la troisième syllabe o dans
aegaeŏnis alors que le mot en grec prend ici un ω ; Homère
dans l’Iliade : Αἰγαίων’, ὃ γὰρ αὖτε βίην οὗ πατρὸς ἀμείνων. |
Et claudianus
:
haec centumgemini strictos aegaeonis enses:CLAVD. rapt. Pros., 3, 345 posuit. o. tertiam syllabam correptam: cum scribatur per omega apud graecos.
homerus in iliade:
aigaion hogar aute bie hu patros ameinon.HOM. Il., 1, 404
|
(1446) Et Ovide aut elicen iubeo : nitidumque oriŏnis
ensem où le o de la troisième syllabe
d’Orionis est bref, alors que le mot prend ici un ω. |
Et oui.
aut elicen iubeo:nitidumque orionis
ensem:OV. met., 8, 207 ubi. o. tertia syllaba in orionis est breuis cum scribatur per omega.
|
(1447) Et Virgile dans ionioque mari malĕaeque sequacibus
undis donne la seconde syllabe comme brève, alors que les Grecs font de
ei dans maleia une diphtongue, voir Homère,
Odyssée, ἐν νηυσὶ γλαφυρῇσι Μαλειάων ὄρος αἰπὺ. |
Et maro:
ionioque mari maleaeque sequacibus undis VERG. Aen., 5, 193
: secundam breuem protulit:
cum maleia per diphtongum a graecis
scribatur.
homerus in odyssea:
en neusi glaphyresei maleiaon oros ai[33r]py HOM. Od., 3, 287
.
|
(1448) Si je voulais faire un catalogue de tous les passages qui sont écrits
par les poètes païens en usant de licences, je ferais de longues digressions et je
ne reviendrais pas de sitôt à l’ouvrage que je me suis fixé. |
Si uellem cuncta colligere: quæ licenter
ab ethnicis uatibus dicuntur: profecto longas
conderem digressiones: nec tam cito ad opus
destinatum regrederer.
|
(1449) Si maintenant je les citais tous, quand en aurions-nous
fini ? |
Iam uero si allegarem illa: quando esset
finis?
|
(1450)
matri longa.x. tulerunt fastidia menses : liminaque
laurusque dei totusque moueri : Troas relliquias danaum
atque immitis achilli. Et d’innombrables autres sur lesquels je passe
pour que l’abondance d’exemple n’engendre pas l’ennui des lecteurs. |
matri longa.x.
tulerunt fastidia menses:VERG. ecl., 4, 61
liminaque laurusque dei totusque moueri:
VERG. Aen., 3, 91
Troas relliquias danaum atque immitis achilli VERG. Aen., 1, 30
. etc. innumera: quæ omitto ne legentibus copia fastidium pariat.
|
(1451) Ce qui donc a été permis aux auteurs profanes dans un matériau
extrêmement pratiqué, celui qui estimera ces sujets avec équité jugera que cela a
été bien plus justement permis à nos poètes dans une matière nouvelle, jamais
pratiquée ni traitée par aucun poète antérieur. |
Quod ergo licuit prophanis scriptoribus in materia nimis culta: id nostris multo iustius licuisse iudicabit æquus
rerum æstimator in materia noua et inculta id est a nullis antea poetis
tractata.
|
(1452) De fait, tous les poètes chrétiens que nos clowns amateurs de prosodie
réprimandent au nom d’un excès de licence poétique ont fleuri à peu près à la même
époque et Arator est le plus récent d’entre eux. |
Nam omnes illi uates christiani: qui
istius licentiæ nimiæ titulo a momis syllabariis insimulantur: iisdem ferme sæculis floruerunt: quorum recentissimus Arator est.
|
(1453) En effet je ne mets pas au nombre de ceux-ci quelques poètes
remarquables de notre temps. |
Nec enim in illis: poetas quosdam
nostrorum temporum egregios Numero.
|
(1454) Mais Arator est séparé de ces poètes par pratiquement mille ans, d’où
nous concluons que Juvencus, Sédulius et Prudence ne l’emportent pas de beaucoup
chronologiquement sur notre auteur. |
At arator ab hinc annos
circiter mille floruit: unde colligimus: et luuencum et sedulium
et prudentium superare hunc
nostrum non longo æuo.
|
(1455) Mais, parce qu’il ne manquera pas de gens pour me dire qu’il faudrait
chercher mes exemples dans les poèmes d’un seul auteur et non de plusieurs, afin
qu’apparaisse avec plus d’évidence si sont fort nombreuses chez un seul auteur les
licences poétiques, je veux éloigner toute critique pour éviter que quelque
syllabastre hésitant ne me casse les oreilles et ne vienne dire qu’il n’a pas été
pleinement satisfait. |
Verum quia non deerit: qui dicat ab uno
carmina esse petenda: non a multis: ut unius si plurima sint: euidentius
appareat licentia: uolo ne quis syllabaster
cunctabundus caput quasset: nec sibi plene
satisfactum dicat: omnia amoliri.
|
(1456) Je n’invoquerai ici que les vers du seul Lucrèce qui montrent beaucoup
plus de licences que n’importe lequel des poèmes de poètes chrétiens, puisque
celui-ci se fait une gloire (comme nos auteurs aussi l’ont affrontée) d’avoir
affronté une incroyable difficulté dans son explication en raison de la nouveauté
de sa matière. |
Adducam autem unius lucretii uersus multo licentiores quibuscunque carminibus
christianorum uatum: quoniam hic gloriatur se (ut
nostri quoque habuerunt ) miram difficultatem propter rerum nouitatem in
explicando habuisse.
|
(1457) Voici ce qu’il dit dans le premier livre : nec me animi
fallit graiorum obscura reperta / Difficile illustrare latinis uersibus esse /
Multa nouis uerbis præsertim cum sit agendum / propter egestatem linguæ et
rerum nouitatem ("et il ne m’échappe pas qu’il est difficile
d’illustrer en vers latins les obscures découvertes des Grecs, en particulier
s’agissant de traiter de nombreux sujets avec des mots nouveaux, tant en raison de
la pauvreté de notre langue qu’en raison de la nouveauté de notre matière"). |
Ita enim canit in primo:
nec me animi fallit: graiorum obscura
reperta Difficile illustrare latinis uersibus esse: Multa nouis uerbis præsertim cum sit agendum: propter egestatem linguæ et rerum
nouitatem.LVCR. 1, 136-139
|
(1458) Il va donc valoir la peine de citer principalement ses vers, lui que
ces critiques triviaux révèrent comme un dieu, à la fois parce qu’il est profane
puisqu’il est païen, et que, tout profane qu’il soit, il est en plus absolument
hostile à toute forme de religion. |
Erit ergo operæ precium eius præcipue uersus allegare: quem isti triuiales critici uelut numen colunt: et quia prophanus est cum ethnicus sit: et quia prophanus hoc est ab omni religione
alienissimus.
|
(1459) Et je ne vais pas rassembler tous les exemples, car ce serait
pratiquement infini, mais, comme si je cueillais les feuilles de l’Ida ou l’eau à
la surface de la mer de Libye, je vais sur ce nombre infini en rapporter
quelques-uns que l’on trouve chez cet auteur, à titre d’échantillon et de modèle,
et comme une sorte d’avant-goût. |
Nec ego cuncta colligam: id enim esset
prope infinitum: sed frondes ut siquis ab ida: aut summam libyco de mare carpat aquam: paucula uelut specimen deigmaque: et quasi gustum proponam ex innumeris:
quæ apud illum repperiuntur.
|
(1460) Donc, nous trouvons chez Lucrèce livre 3 ce vers : Naturā
cuiusque animi uestigia prima dans lequel natura a un
a final long au nominatif alors qu’il est bref au
nominatif ; ici on ne peut excuser ce fait par la règle des syllabes
communes, car ainsi il n’existerait rien qui ne puisse être excusé ; au livre
4, il y a quelque chose de semblable : Corpore tum plagas in nostro
tanquam aliquā res où la dernière syllabe du dernier mot
aliqua est brève au nominatif ; et on ne peut pas lire
autrement si on se soucie du sens avec attention ; et livre 6 :
Temporĕ eo sĭ odorast quo menstrua soluit et livre 2
Viuam progeniem quĭ in oras luminis edant : dans ces deux
cas la voyelle devant voyelle ne s’élide pas et qui et
si sont abrégés contre nature. |
Est ergo apud lucretium
in tertio hic uersus.
Natura cuiusque animi uestigia prima:LVCR. 3, 309 ubi natura in recto producitur cum sit ultima breuis in recto
nec hic per modos communium syllabarum excusandus est sic enim nil non
excusabile est. et in quarto simile quiddam est:
Corpore tum plagas in nostro tanquam aliqua res:LVCR. 4, 263 ubi ultima illius dictionis aliqua. in casu nominandi breuis est. nec aliter recte legitur: si sensum
diligenter attendas. et in vi.
Tempore eo si odorast quo menstrua soluit:LVCR. 6, 796 et in secundo:
Viuam progeniem qui in oras luminis edant:LVCR. 2, 617 in his duobus nec sequente uocali remouetur
uocalis: et qui et si: corripiuntur contra naturam.
|
(1461) Mais cela se produit à l’exemple des Grecs. |
At id fit exemplo græcorum.
|
(1462) Certes c’est pour cette raison que cela se produit, mais pour eux rien
n’est interdit ; mais il ne nous est pas permis d’être aussi diserts, nous
qui cultivons des muses plus austères. |
Fit sane: sed illis nil est negatum: nobis non licet esse tam disertis: qui musas colimus seueriores.
|
(1463) De même, livre 5 : nec iacere indu manus uia quam munita
fidēi et livre 3 siue aliud quid uis potius coniunctius
ēi, dans les deux mots fidei et ei, soit
la voyelle en hiatus est longue, alors même que ce sont des mots latins, soit il y
a un iambe en fin de l’hexamètre dactylique. |
Item in quinto
nec iacere indu manus uia quam munita fidei.LVCR. 5, 102 et in tertio
siue aliud quid uis potius coniunctius ei:LVCR. 3, 556 in his quoque duobus ei et fidei: uocalis ante uocalem longa
est: cum sint dictiones latinæ : uel iambus est in heroico.
|
(1464) En outre livre 3 : Preter enim quam quod morbis cum corpus
ægrotat : soit il retire le a de
praeter à la diphtongue, soit s’il ne retire par le
a de la diphtongue, bien que les Grecs fassent souvent cela, ce
n’en est pas moins une licence pour un poète latin que quand Properce le fait pour
le mot aerumnas. |
Præterea in tertio.
Preter enim quam quod morbis cum corpus ægrotat:LVCR. 3, 824 uel dipthongi. a. remouetur : uel si non
amouetur a. a dipthongo:
quamuis id græci sæpe faciant: poetæ latino. licentiosum est non minus:
quam in illa uoce ærumnasPROP. 2, 34, 53 apud propertium.
|
(1465) Et de même livre 5 : rēcidere assidue : quoniam
fluere omnia constat et livre 1 : nam siue est aliquid quod
prōhibeat efficiatque, vers où il allonge re et fait que
prohibeo dans la succession des voyelles a la première syllabe
longue, ce contre quoi s’insurge l’usage des autres poètes, et l’aspiration ici
n’y fait rien puisque, un peu plus haut, le même dit An prŏhibere aliquid
censes. |
Et item in.
v.
recidere assidue: quoniam fluere omnia
constat:LVCR. 5, 280 et in primo
nam siue est aliquid quod prohibeat efficiatque:LVCR. 1, 997 in quibus uersibus :
re producitur: et prohibeo sequente uocali habet primam longam reclamante usu
aliorum poetarum : nec aspirato quicquam facit: cum paulo supra dicat ldem:
An prohibere aliquid censes.LVCR. 1, 973
|
(1466) Si l’on veut considérer avec équité ces détails et d’autres que je
passe pour ne pas être trop bavard, on avouera sans aucun doute que les poètes
païens ont usé de bien plus de licences que nos poètes chrétiens, et ont eu un
usage bien plus audacieusement abusif que le leur de la quantité des
syllabes. |
Si quis hæc et alia: quæ ne prolixior sim
prætereo: æquis animis uelit considerare: procul dubio fatebitur :
multo licentiores christianis nostris poetas ethnicos extitisse : multoque audacius illis hos abusos syllabis
fuisse.
|
(1467) Sur le reste, pour éviter donc que quelqu’un ne vienne me chercher
noise, j’ai voulu les réduire à néant non par morceaux mais tous d’un coup, ceux
qui reprochent à Arator et aux autres Anciens comme aux modernes et aux poètes
plus récents de négliger la quantité des syllabes, non tant au motif qu’ils
seraient négligents, puisque le même phénomène se produit chez des auteurs
profanes, que parce qu’ils écrivent aujourd’hui comme hier de manière chrétienne,
pieuse et religieuse. |
Ne igitur de cætero quisquam molestus mihi sit: uolui non per partes sed uno impetu omnes simul profligare: qui uel Aratori et cæteris antiquioribus :
uel neotericis ac recentioribus poetis: syllabarum
obiiciunt negligentiam: non tam quod negligentes
sint: cum prophanis quoque idem contigerit: quam uel christiane et pie religioseque scribant
: uel scripserunt.
|
(1468) Quel Démosthène, quel Cicéron pourra les défendre de l’accusation
d’impiété, alors qu’ils sont devenus les traîtres de la religion à laquelle ils
avaient donné leur assentiment et de la foi dont ils ont revêtu le sacrement, et
qui sont tellement loin de favoriser sa prédication qu’ils s’y opposent même avec
la dernière violence, je ne saurais dire si c’est plus par ignorance que par
impudence ? Il est bon qu’ils soient néanmoins lus par les gens pieux et la
situation n’est pas si terrible qu’il manque de gens partisans de la droite raison
auxquels plaisent les auteurs sacrés ; quant à ces fous, ils sont bien
malheureux : la plupart d’entre eux a reçu une admirable intelligence comme
une coupe d’or, et ne la consacrent pas au Dieu très grand, mais au Pluton
infernal et s’en servent pour s’offrir eux-mêmes en boisson au démon et à leurs
désirs. |
Quis ergo Demosthenes: quis cicero poterit ab impietate eos defendere: qui religionis: cui
fuerunt assensi: et fidei cuius sacramentum
induerunt: proditores facti: tantum abest ut eius præconibus faueant : ut etiam accerrime eos oppugnent:
ignorantius dicam an impudentius? bene qui
nihilominus leguntur a piis: nec in tam malo statu
res est : ut desint fauissores sanæ mentis: quibus authores sacri placent. Insani illi prorsus infoelices: quorum
plerique ingenium nacti egregium quasi poculum aureum: non id deo summo: sed infimo plutoni dicant: se
ipsos dæmoni et libidinibus in illo propinantes.
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(1469) Assez parlé sur ce
sujet. |
Hæc hactenus.
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