(1789) (POSTQUAM MlRA SALVS.) ("après qu'un merveilleux
salut") Pierre et Jean, une fois renvoyés par les prêtres et les magistrats du
Temple, vinrent trouver les autres apôtres et croyants et, ainsi que le raconte
Luc, ils leur annoncèrent les menaces des anciens et des magistrats ; quand
ils les eurent entendus unanimement ils élevèrent leur voix vers le Seigneur et
comme ils avaient prié, le lieu dans lequel ils étaient rassemblés fut ébranlé, et
les croyants perçurent un signe que leur prière avait été exaucée par ce
tremblement de terre, afin qu'ils sachent que les entrailles de la terre cédaient
devant ceux sous les pieds desquels, avec la venue de l'Esprit, la terre fut
ébranlée de peur. |
(POSTQUAM MIRA
SALVS.) Dimissi petrus et
loannes a sacerdotibus
et magistratibus templi: uenerunt ad reliquos
apostolos et fideles: et ut narrat lucas annunciauerunt eis minas
seniorum et magistratuum. qui cum audissent: unanimiter leuauerant uocem suam ad dominum et cum
orassent: motus est locus in quo erant
congregati, perceperunt autem fideles indicium exauditæ orationis terræ
motu: ut scirent corda terrena sibi cessura: sub quorum pedibus spiritu adueniente: terra est concussa pauore. |
(1790) Voilà ce que contient la neuvième section du premier livre. |
et hoc habet. ix.
sectio primi libri.
|
(1791) (Postquam mira salus) ("après qu'un merveilleux salut")
nata ("né") évidemment par la parole de Pierre, de
corpore uetusto ("d'un corps vieilli") évidemment celui du boiteux de
quarante ans, audita discipulis ("entendu par les disciples")
évidemment les autres, liquet ("se manifeste") autrement dit fut
clair et évident, grâce au récit de Pierre et Jean ; de fait, ceux-ci
racontèrent aux autres disciples comment le boiteux avait été guéri et les menaces
des prêtres. |
(Postquam mira
salus) nata
scilicet per uerbum petri:
de corpore uetusto scilicet
claudi.xl. annos nati:
audita discipulis scilicet
aliis:
liquet id est
clara fuit et manifesta per narrationem petri et loannis: nam hi aliis discipulis
narrauerunt quomodo claudus sanatus fuisset: et
minas sacerdotum |
(1792) Et quand ils connurent minas gentis ("les menaces de la
nation") évidemment la nation juive, superbae ("orgueilleuse"),
autrement dit menaçant avec orgueil les apôtres pour qu'ils n'enseignent pas le
peuple au nom de Jésus, celebrant ("ils chantent"), évidemment tous
les croyants rassemblés hymnum his uocibus ("un hymne avec ces
mots"), évidemment ceux qui vont suivre. |
et postquam cognouerunt minas gentis scilicet iudaicæ.
superbae id est superbe
minantis apostolis: ne in nomine lesu populum docerent:
celebrant scilicet omnes
fideles congregati hymnum: his uocibus scilicet sequentibus.
|
(1793) (tu qui) ("toi qui") cette prière dirigée vers Dieu
chante d'abord son immense majesté, puis contient la cruauté de ceux qui
s'opposaient au Christ, et enfin demande à Dieu d'offrir sa faveur aux ouvriers de
la moisson divine, autrement dit aux disciples et aux autres hérauts de
l'Evangile. |
(tu qui.) oratio hæc ad deum habita celebrat
prius eius immensam maiestatem: postea crudelitatem
continet eorum qui christo aduersabantur: postremo
rogatur deus ut suum fauorem præstet operariis messis diuinæ: hoc est discipulis et cæteris Euangelii
buccinatoribus.
|
(1794) Le propre de cet hymne est qu'il s'agit d'un long hyperbate, car on y
discourt de l'admirable sagesse et puissance de Dieu dans la création du monde, on
mentionne la clémence incroyable de Dieu dans la rédemption de l'homme, tout comme
la cruauté et l'injustice de Pilate et des autres qui persécutèrent le
Christ ; et c'est à la fin que se trouve l'essentiel de la prière. |
est autem huius hymni longum hyperbaton:
propterea quia discurritur per admirabilem dei sapientiam ac potentiam in
rebus creandis. commemoratur clementia dei
incredibilis in redimendo homine: et crudelitas et
iniusticia Pilati
herodis aliorumque qui christum
persecuti sunt. in fine autem: summa precationis ponitur.
|
(1795) Ces éléments sont donc inclus avec grand art, en lieu et place d'un
exorde, dans le but d'attirer la faveur divine sur les disciples eux-mêmes contre
les persécuteurs du Christ ; Dieu veut en effet que nous demandions et
priions et que, souvent et sans nous lasser, nous frappions à la porte, si nous
voulons être admis dans la citadelle de la divine protection. |
Illa interponuntur artificiose tanquam loco exordii: ad diuinum fauorem captandum ipsis discipulis
contra persecutores christi. Vult enim deus ut
petamus et oremus: et crebro assidueque ostium
pulsemus: si uolumus admitti in arcem diuinæ
protectionis:
|
(1796) Voici l'ordre : tu deus qui facis cuncta animata
etc ("toi, Dieu qui fais tous les êtres animés etc.), puis comme je l'ai dit on
passe par une digression et da semina uerbi coli per tua dona
("fais que la semence de ton verbe soit honorée en tes dons"). |
Est autem ordo tu deus
qui facis cuncta animata etc per digressionem ut dixi:
da semina uerbi coli per tua
dona.
|
(1797) C'est en effet là qu'il faut nous transporter, 27 vers plus loin, car
le reste fait office de prologue pour concilier la faveur divine. |
Illuc enim nos transilire oportet ad xxvii. uersum reliqua prœmii uicem gerunt ad fauorem diuinum
conciliandum.
|
(1798) Mais avant de traverser ces flots, il est vrai, profonds, venons-en
immédiatement, pourvu que nous assiste la lumière du Ciel, à ces éléments. |
sed nos prius hos fluctus sane profundos transmittamus, mox ad
illa dummodo adsit lumen cœleste: ueniemus.
|
(1799) Au début de la prière, on loue la parole de Dieu qui a créé de manière
admirable tous les êtres animés, comme le raconte Moïse dans la Genèse. |
In principio orationis laudatur sermo dei: qui creauit cuncta animata mirabiliter :
ut in genesi narrat Moses.
|
(1800) De même, en effet, qu'un artisan, usant de divers outils et d'une
longue peine, et par les gestes variés de sa main, construit une maison ou une
statue, de même Dieu, en ne se servant que de sa parole, sans peine, ni aucun
mouvement, a produit les êtres animés selon leurs figures diverses. |
Vt enim artifex uariis instrumentis et longo labore: et manuum diuersis motibus domum facit uel
statuam: ita deus solo sermone usus: sine labore: sine ullo
motu produxit animata uariis figuris.
|
(1801) Comme en effet Dieu avait dit : "que la terre fasse germer
l'herbe verdoyante" et l'arbre fruitier qui produit du fruit selon son espèce,
cela se réalisa immédiatement. |
cum enim dixisset:
germinet terra herbam uirentem:Gn 1, 11 lignumque pomiferum faciens fructum iuxta
genus suum illico factum est ita.
|
(1802) Donc la parole de Dieu était créatrice des herbes et des arbres
fruitiers et des autres arbres qui possèdent une âme végétative et divers
aspects. |
ergo sermo dei erat fabricator herbarum et fruticum et arborum
animam uegetalem et uarias figuras habentium.
|
(1803) De même Dieu dit : "que les eaux produisent les reptiles dotés du
souffle de vie et les volatiles sur la terre", et "que la terre produise tout être
vivant dans son genre, les bêtes de somme, les reptiles, les bêtes de la terre
selon leur espèce". |
Item dixit deus:
producant aquæ reptile animæ uiuentis:
et uolatile super terram:Gn 1, 20
ac terra proferat animam uiuentem in genere suo: iumenta et reptilia et bestias terræ
secundum species suas.
Gn 1, 24
|
(1804) Là aussi, la parole de Dieu était l'artisan, et elle produisait les
grands cétacés et les poissons dans la mer et, sous le ciel, les oiseaux aux
formes diverses, et, sur la terre, les animaux, chacun avec sa forme propre, et,
pris dans ce sens, les mots d'Arator sont faciles à comprendre. |
Et hic dei sermo erat artifex:
producebatque cete grandia et pisces in mari: ac sub
cœlo aues uariis figuris: in terraque animalia
propriis formis: ac iuxta hunc sensum: facilia sunt uerba aratoris
|
(1805) (Tu deus) qui facis cuncta animata
("toi, Dieu Dieu qui fais tous les êtres animés") autrement dit qui l'as fait
immédiatement au commencement avec les semences primordiales, et qui maintenant le
fais par la nature agissant de son propre mouvement et opérant selon sa propre
loi, propriis figuris ("selon ses formes propres") et
qui ("qui") évidemment Dieu, cernens edita
("voyant ce qui est produit") autrement dit créé, ante ("avant")
évidement avant que cela n'ait été créé et ne soit créé, uides (tu
vois") autrement dit tu prévois, et creas ("et tu crées")
évidemment toi, Dieu, formas rerum ("les formes des choses")
autrement dit les choses que tu dotes d'une figure, per nomina
("par leur nom"), autrement dit en les nommant. |
(Tu deus) qui facis cuncta
animata id est fecisti in principio statim cum seminibus
primordialibus: et nunc facis natura motus suos
peragente: et more suo operante:
propriis figuris. et qui scilicet deus cernens edita id est creata:
ante scilicet quam creata
fuerint: et creentur:
uides id est præuides:
et creas scilicet deus.
formas rerum id est res
formatas:
per nomina id est eas
nominando.
|
(1806) Comme en effet Dieu avait dit : "que la lumière soit", et l'avait
ainsi nommée, et "qu'il y ait un firmament au milieu des eaux", et "qu'il y ait
des luminaires dans le firmament", tous ces êtres étaient immédiatement pourvus
d'une figure dès qu'ils étaient nommés par Dieu. |
cum enim dixisset deus fiat lux.
Gn 1, 3 eamque nominasset:
fiat firmamentum in medio aquarum:Gn 1, 6
fiant luminaria in firmamento:Gn 1, 14 protinus formabantur illæ res a deo
nominatæ:
|
(1807) Comme l'a également dit David : "il parla et ils furent faits, il
commanda et ils furent créés". |
sicut etiam dixit dauid:
ipse dixit et facta sunt: ipse mandauit
et creata sunt.
Ps 33, 9
|
(1808) (cum fierent) ("comme elles étaient faites") évidemment
les choses, uox ("la voix") autrement dit la parole de Dieu
erat semen ("était semence") autrement dit principe de
procréation, et natura ("la nature") autrement dit l'ensemble des
éléments naturels, sequens imperium ("suivant les ordres")
évidemment de Dieu, qui disait "que la lumière soit" etc., nec distulit
ortus ("et ne différa pas sa naissance"), autrement dit elles naquirent
immédiatement. |
(cum fierent)
scilicet res:
uox id est sermo dei:
erat semen id est
principium procreationis. et natura id est uniuersitas rerum
naturalium:
sequens imperium scilicet
dei dicentis fiat luxGn 1, 3 etc.
nec distulit ortus id est
statim nata est.
|
(1809) Les débutants expliquent aisément en ce sens les mots d'Arator, mais
ceux qui veulent comprendre plus profondément ces mystères, il convient de les
satisfaire en développant un peu. |
qui sunt tirones iuxta hunc sensum facilem: exponant uerba aratoris. at: qui altius mysteria
intelligere uoluerint: his nos paulo uerbosius
satisfacere conuenit.
|
(1810) Il faut donc savoir ce que dit l'évangéliste Jean au début de son
évangile qu'il écrivit en Grec : Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ Λόγος où le mot Λόγος se
traduit par 'Verbe'. |
Ergo scire oportet quae loannes euangelista in principio sui euangelii: quod græce scripsit:dixit
en arche en ho logosJn 1, 1 ubi logos interpretatur
uerbum:
|
(1811) Mais le mot λόγος (au témoignage de Jérôme) a de nombreux sens :
il désigne le discours, le mot, la raison, la cause, le calcul ; tout cela
c'est λόγος. |
At logos (teste hieronymo) multa significat. nam sermo: et uerbum: et ratio: et causa: et supputatio
logos dicitur:
|
(1812) Voilà pourquoi Arator de façon érudite nomme le mot divin parfois
discours, parfois voix. |
ideo arator erudite uerbum
dei modo sermonem nominat: modo uocem.
|
(1813) De fait comme le mot latin verbum vient du fait de
verberare (frapper) l'air, on nommera verbum la
voix qui nous parvient en frappant l'air, mais on emploiera aussi 'discours', car
un discours est un mot (verbum) présenté de façon parfaite. |
Nam cum dicatur a uerberato aere uerbum:
uerbum uox dicetur quia ictu aeris fit in nobis:
dicet sermo: quia sermo est uerbum perfectum.
|
(1814) Mais on va me dire : que l'on utilise discours, voix, mot ou
quelqu'autre expression, cela ne réalise jamais rien, car le mot passe, c'est
comme s'il était ailé et impossible à faire revenir en arrière ; il ne
produit rien ; pour quelle raison ou selon quelle métaphore peut-on attribuer
une voix ou un mot à Dieu ? |
sed dicet aliquis: quamuis sermo uel uox
uel uerbum uel quæcumque locutio sonet nihil tamen umquam efficit. transit enim uerbum quasi pinnatum et
irreuocabile: nihil producens. qua ergo ratione aut quo genere metaphorae: uox aut uerbum deo tribui potest?
|
(1815) Ce qui est certain, c'est que l'on attribue un certain nom à Dieu qui
convient en réalité à la créature, parce que c'est par les créatures que nous
venons à la connaissance de Dieu, et c'est par elles (comme le dit le divin
Thomas) que nous le nommons lui. |
sane acco[39v]modatur aliquod nomen deo: creaturæ competens: quia ex creaturis in
dei cognitionem uenimus: et ex ipsis (ut diuus thomas ait) eum nominamus.
|
(1816) Il est, de fait, en nous, une connaissance des créatures en un sens
connaturelle, parce que nous les voyons et les saisissons par nos sens. |
Est autem nobis creaturarum notio quodammodo connaturalis: quia eas uidemus: et sensu
comprehendimus.
|
(1817) Mais Dieu ne peut être vu par nous en cette vie ; il est connu
par nous à travers ces créatures qu'il a faites et créées lui-même. |
At deus in hac uita uideri a nobis non potest. sed cognoscitur a nobis per ea: quæ ipse
creauit et fecit.
|
(1818) Nous disons donc que nous parlons et que Dieu aussi parle, mais notre
élocution est volatile, humble et changeante ; elle s'évanouit en un
instant. |
Dicimus ergo nos loqui: et dicimus quoque
deum loqui. Sed nostra locutio uolatilis: et humilis: et mutabilis
est: atque ocyssime euanescens.
|
(1819) Au contraire pour Dieu, l'élocution, avant son acte, est à la fois
éternelle et sublime et jamais caduque, la raison qui préside à son acte lui-même
est immuable, elle n'a pas un son retentissant et temporaire, mais une puissance
qui demeure éternellement et dont les opérations ont lieu dans le temps. |
Contra dei et æterna: et sublimis: et nullo tempore labilis ante suum factum
locutio: ipsius sui facti est immutabilis
ratio: quæ non habet strepentem sonum atque
transeuntem: sed uim sempiterne manentem et
temporaliter operantem.
|
(1820) A chacun en effet son mode d'élocution. |
Suus enim cuique loquendi modus est.
|
(1821) L'homme, puisque il ne peut, ni par lui même signifier les choses, ni
les dire par les mouvements intérieurs de son esprit, possède des paroles vocales,
dont il se sert, comme d'une notation ou de symboles, pour signifier les choses,
selon qu'il les connaît et les comprend. |
Homo cum nec se ipso res significare: nec
interioribus animi motibus eas loqui et efferre possit: uoces habet: quibus quasi notis et
symbolis utitur ad res significandas: ut eas
cognoscit et intelligit.
|
(1822) Les paroles vocales sont en effet le moyen de noter les affects et les
conceptions de l'esprit, et les affects et conceptions de l'esprit sont par
rapport aux choses des simulacres qui sont à leur ressemblance. |
Sunt enim uoces notæ affectuum conceptionumque animi: affectus conceptionesque rerum simulachra ac
similitudines.
|
(1823) Mais Dieu, quand il prononce sa parole et parle, ne frappe pas l'air
d'un son quelconque qui résonnerait, et il ne lui est pas besoin du souffle de la
bouche, que, nous, nous inspirons et expirons alternativement dans la respiration,
il n'a besoin de nul outil ou organe créé pour exprimer sa parole, ni de la langue
qui se trouve placée au-dessus entre deux cavités et canaux, ni de trachée artère
qui reliée aux poumons, si elle est atteinte par le battement de l'air, à dessein
et selon ce qui a été pensé, émet une parole vocale par l'endroit par lequel passe
le souffle. |
At deus cum uerbum dicit et loquitur: nec
aerem uerberat sono aliquo strepente: nec ei
spiritus is oris opus est: quem alterno modo in
anhelitu reddimus et ducimus: nullis eget
machinamentis et opificiis ad edendam suam uocem :
non lingua ea quæ superne duobus foramentis et phistulis interposita est: non arteria: quæ ad
pulmones pertinens si aeris percussione offendatur consulto et de
composito: illac qua commeat spiritus: uocem facit.
|
(1824) Eloignons de notre esprit tout ce qui indique une nature corporelle,
quand nous nous élevons à la substance intellectuelle et toute noble de
Dieu. |
Facessant cuncta corpoream naturam indicantia: cum ad illam intellectualem ac nobilissimam dei substantiam
ascendimus.
|
(1825) De fait, les outils de la parole vocale, gorge, langue, palais, dents,
air intérieur, air extérieur, mouvement, office accompli par la respiration, coup
reçu par l'air quand il vient frapper la trachée artère, tout cela relève du
corps. |
Nam uocis instrumenta guttur lingua palatum dentes: aer internus: aer
externus: meatus:
officina spirandi: ictus aeris ad arteriam elisi: omnia ista corporum sunt.
|
(1826) Or partout où (comme le dit Jérôme) l'Ecriture sacrée au fil des
livres divins décrit en Dieu des mouvements, voire des membres, humains, il ne
faut pas prendre cela, si l'on veut comprendre comme il faut, charnellement, selon
la vérité historique, comme le font les hérétiques et les Juifs, qui sont d'avis
que Dieu est corporel et soumis à l'espace ; il faut au contraire prendre
toutes ces choses que l'on dit de lui au sens spirituel. |
Vbicunque autem (ut Hieronymus ait) sacra scriptura sparsim per diuinos libros
in deo motus: seu humana membra describit: non carnaliter iuxta historiam a recte
intelligentibus sumenda sunt: sicut ab hæreticis et
a iudeis: qui
deum corporeum ac localem opinantur: sed
spiritaliter omnia de eo contuenda sunt.
|
(1827) En effet, celui qui croit que de telles choses existent en Dieu à la
manière des hommes, il ne fait aucun doute que, dans son cœur, c'est une idole
qu'il fabrique ; voilà pourquoi, avec sagesse, Denys au premier chapitre du
Traité des noms divins affirme que Dieu n'a ni nom ni
opinion. |
Siquis enim talia more humano deo inesse credit: procul dubio in corde suo idola fabricat, ideo sapienter
dionysius
capite primo de diuinis
no. nec nomen dei:nec [nen,sic!] opinionem esse autumat.
|
(1828) Et dans les Proverbes nous lisons : "ce qu'est son nom, ce qu'est
le nom de son fils, le sais-tu ?". |
Et in prouerbiis legimus:
quod nomen eius: et quod nomen filii eius
si nosti?Pr 30, 4
|
(1829) Mais, maintenant que nous allons parler de la parole de Dieu, laissons
de côté le sens du texte, le temps de nous plonger dans le secret de cette
ineffable majesté, et, quand il nous plaira d'y revenir, nous en reprendrons
l'exposé. |
Sed iam locuturi de uerbo dei: sensus
tantisper deponamus: quandiu in arcano illius
maiestatis inefabilis uersati fuerimus. mox eos inde
recedentes cum libuerit: resumemus.
|
(1830) Remarquable est en effet la parole d'Augustin : "toute personne
qui peut concevoir une parole non seulement avant qu'elle ne résonne, mais même
avant que les images de sa sonorité future soient présentes dans l'intellect, peut
percevoir quelque ressemblance avec la parole dont il a été dit : 'Au
commencement était le Verbe'". |
Præclare enim Augustinus:
quisquis inquit potest intelligere uerbum: non solum antequam sonet: uerum
etiam antequam sonorum eius imagines cogitatione inuoluantur: potest uidere aliquam eius uerbi
similitudinem: De quo dictum est:
in principio erat uerbum.Jn 1, 1AVG. trin., 15, 19
|
(1831) De ce que je viens de dire, vous pouvez désormais déduire que la voix
de Dieu ici n'est pas prise par le poète au sens d'un son qui passe, ni le
discours de Dieu au sens d'une parole vocale. |
Ex quibus uerbis iam colligis: quod uox
dei hic non accipitur a poeta pro sono
transeunte: nec sermo pro uocali oratione:
|
(1832) En effet, ces derniers frappent les sens, et nous avons repoussé les
sens loin de la présente explication de la parole divine. |
lsta enim sensus feriunt: et sensus nos
ab hac uerbi diuini explanatione: longe
submouimus.
|
(1833) Mais la voix de Dieu est parole de Dieu intellectuelle, et non
sensible, sans imperfection, non transitoire, non temporaire, non soumise au
multiple, mais inaccessible aux sens, parce que, vu qu'elle est de nature
intellectuelle, elle est éloignée de toute perception par les sens, et
parfaite. |
Sed uox dei: est uerbum dei
intellectuale: non sensile: non imperfectum: non transiens: non temporarium: non
multiplicatum: sed insensile: quippe quod intellectualis naturæ cum sit: ab omnibus procul est sensibus remotum.
Sed perfectum.
|
(1834) De fait, selon l'opinion d'Augustin, "de même que nous, par
l'entremise de notre simple intelligence, formons un concept définitoire au sujet
de l'essence toute entière d'une chose, et que ce mot, dit-on, explique la
totalité de l'essence de la chose, de même Dieu, de la compréhension éternelle
qu'il a de lui-même dit une parole au sujet de la totalité de sa mémoire féconde,
autrement dit son essence, qui définit et embrasse la totalité de son essence, de
sa substance, de la plénitude de sa déité, et de l'océan de toutes ses
perfections ; de fait, comme cette parole est au sujet de la totalité de la
substance de celui qui la dit, en elle se manifestent toutes les perfections
divines, et les idées de tout ce qui existe ; en effet Dieu le Père se
définit par cette parole, et s'embrasse lui-même selon la totalité de sa divinité
et de sa perfection, et ainsi il s'embrasse et se définit lui-même de manière
infinie. |
Nam (ut Augustinus
sentit) ut nos per simplicem intelligentiam formamus conceptum
diffinitiuum de tota essentia rei: quod
uerbum dicitur explicare totam essentiam rei : ita deus ab æterno intelligendo se: dicit uerbum de tota memoria sua fœcunda: hoc est essentia:
diffiniens et comprehendens totam essentiam:
et substantiam suam: et plenitudinem suæ
deitatis: et pelagus omnium perfectionum
suarum. Nam cum illud uerbum sit de tota
substantia ipsius dicentis: in eo sunt et
apparent omnes diuinæ perfectiones: et ideæ
omnium rerum: Deus enim pater per illud
uerbum diffinit: et comprehendit se ipsum
secundum totam plenitudinem suæ diuinitatis perfectionisque: atque ita infinite se ipsum comprehendit
et diffinit:IACOB. VALENT. in ps., 9
|
(1835) C'est ce qui manifeste la perfection de la parole elle-même :
qu'est-ce d'autre, en effet, que définir, sinon enfermer, entourer et déterminer
un objet selon la totalité de sa nature. |
unde uerbi ipsius perfectio apparet. quod
enim est aliud diffinire quam rem secundum totam naturam suam concludere: ambire:ac terminare?
|
(1836) Voilà pourquoi le Stagirite dans les Analytiques
postérieurs, livre 2, nomme la définition 'borne' de l'objet, soit
ὅρος. |
Hinc stagyrita
philosophus in .ii. hysteron
analyticon: diffinitionem uocat terminum
rei scilicet horon.
|
(1837) Et Augustin dit : "tout ce qui est connu est embrassé par la
connaissance de celui qui connaît et borné par la compréhension de celui qui
connaît". |
Et Augustinus:
quicquid inquit scitur: scientis scientia
comprehenditur: et scientis
comprehensione finitur.AVG. civ., 12, 19
|
(1838) Ainsi donc, Dieu le Père dit une parole parfaite au sujet de la
totalité de sa substance, se définissant ainsi lui-même par elle, selon la
plénitude de sa déité. |
Deus ergo pater perfectum dicit uerbum de tota substantia sua: per id seipsum diffiniens secundum plenitudinem
suæ deitatis.
|
(1839) Mais, à cause de ce que nous sommes en train de dire, je ne voudrais
pas que vous estimiez que l'on trouve plus de plénitude de divinité en une
personne qu'en une autre, soit plus dans le Père que dans le Fils, soit plus dans
le Fils que dans l'Esprit saint, soit, en remontant à rebours en sens inverse, que
l'on attribue plus à l'un qu'à l'autre. |
Nec uero propter id quod dicimus: uelim
existimes: magis in una persona diuinitatis
plenitudinem quam in alia inueniri: aut plus patri
quam filio: aut plus filio quam spiritui sancto: aut e diuerso reciproca uicissitudine sursum
commeando: tribui plus uni quam alii.
|
(1840) De fait, comme unique est la nature des trois Personnes, dans cette
très bienheureuse Trinité, rien n'est avant ou après, rien n'est plus grand ou
plus petit, rien n'a plus ou moins de plénitude : voilà ce que dit la foi
orthodoxe. |
Nam cum sit una trium personarum natura:
in illa beatissima trinitate nihil prius aut posterius: nihil maius aut minus: nihil plenius aut
inanius dicit fides orthodoxa.
|
(1841) En effet, Dieu dit une parole qui concerne la totalité de sa
connaissance et de sa substance, et, par cette parole, il communique au Verbe la
totalité de sa substance et la plénitude de sa divinité. |
Deus enim pater dicit uerbum de tota sua scientia: et substantia: ac per hoc
communicat uerbo totam suam substantiam: ac
plenitudinem suæ diuinitatis.
|
(1842) De toute éternité, en effet, il se comprend et se connaît selon ses
perfections infinies et innombrables. |
Ab æterno enim intelligit se ac nouit:
secundum infinitas atque innumeras perfectiones suas.
|
(1843) En outre, de même que le Père se connaît lui-même dans le Fils, dans
un total débordement de sa divinité, de sa toute-puissance, de sa sagesse, de sa
miséricorde, de sa justice et de sa bonté, de même il s'aime lui-même dans le Fils
et aime le Fils en lui, et ainsi s'opère la spiration d'amour du Père avec le Fils
qui est l'Esprit-saint qui procède de l'un et de l'autre. |
Cæterum ut pater se nouit in filio:
secundum totam exuberantiam diuinitatis:
omnipotentiæ: sapientiæ:
misericordiæ: iusticiæ ac bonitatis: ita diligit se in filio:
ac filium in se: atque ita pater cum filio spirant
amorem: qui est spiritus sanctus ab utroque
procedens.
|
(1844) Et, de la même manière que le Père, en proférant une parole,
communique au Verbe la totalité de sa substance et la plénitude de sa divinité, de
même le Père et le Fils, dans leur spiration commune, communiquent à l'Esprit
saint toute cette même substance et plénitude de divinité, et ainsi il est évident
que la totalité de la plénitude la déité se trouve de manière égale dans les trois
Personnes. |
Et quemadmodum pater dicendo: communicat
uerbo totam suam substantiam ac diuinitatis plenitudinem: ita pater ac filius simul spirando:
communicant: spiritui sancto totam eandem
substantiam ac diuinitatis plenitudinem. atque ita
apertum est totam deitatis plenitudinem æqualiter in tribus personis
inueniri.
|
(1845) Et, à son tour, ce Verbe divin ne passe pas et n'est nullement
temporaire, puisqu'il est en lui-même la substance immuable de Dieu, et puisque le
Père n'a jamais été sans lui, comme l'atteste l'évangéliste : "au
commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu et il était au commencement
auprès de Dieu". |
Nec rursus uerbum illud diuinum aut transit: aut temporarium est: cum sit ipsamet dei
substantia incommutabilis: et cum pater nunquam sine
eo fuerit: ut testatur Euangeliographus:
ln principio Erat uerbum: Et deus erat
uerbum: hoc erat in principio apud
deum.Jn 1, 1
|
(1846) Mais celui qui est ce Verbe unique ne peut être multiple, ni se
diffuser dans des réalités plurielles à partir de la monade, unique engendré,
alors que cela nous arrive à nous qui formons de multiples concepts et concevons
par là de plus nombreuses paroles, (chose qui dévoile que nos esprits ont
déchu). |
At qui unicum est illud uerbum: non
multiplicatur: non ab unigeniti monade in plura
difun[40r]ditur. nobis id accidit qui
multos conceptus [conceputs,sic!] formamus: qui plura uerba (quod degeneres
animos arguit) concipimus.
|
(1847) Dieu, quant à lui (car sa perfection est au-delà de toute perfection),
en une unique parole se définit lui-même, en se comprenant de façon parfaitement
absolue et lui-même et toutes les autres réalités qui viennent de lui, en les
concevant, et en les embrassant de sa pensée. |
Deus autem (quæ sua perfectio perfectissima est) unico uerbo
seipsum diffinit: et se et omnia alia a se
absolutissime intelligendo: concipiendo: comprehendendo.
|
(1848) Mais, puisque la parole de Dieu, dont nous venons de parler, par
laquelle de toute éternité il profère son Verbe, est interne et qu'interne aussi
est la spiration par laquelle s'opère la spiration de toute éternité du Père et du
Fils dans leur amour mutuel, qui est l'Esprit saint, il faut du moins savoir qu'il
existe une autre profération et une autre spiration, qui n'est pas interne, mais
externe, qui n'est pas de toute éternité, mais inscrite dans le temps. |
Cum uero supradicta dei locutio: qua suum
ab æterno uerbum dixit: interna sit: et sit quoque interna spiratio: qua pater et uerbum se inuicem diligendo spiritum sanctum ab
æterno spirant: sciendum sane et aliam locutionem: et aliam spirationem non internam: sed extrariam esse: nec ab
æterno sed ex tempore.
|
(1849) De fait, le Père, parlant par son Verbe éternel, profère de manière
temporelle, ou si l'on veut dans le temps, toutes les créatures à l'extérieur de
lui-même, quand il dit "que la lumière soit" et qu'aussitôt la lumière est
créée ; ainsi si Dieu profère, il profère par l'intermédiaire d'un Verbe, et,
par l'intermédiaire de ce verbe même, avant même qu'il le profère dans le temps,
il avait déjà le verbe produit de toute éternité, par sa profération interne de
toute sa science et de toute sa substance, profération par laquelle le Père a
proféré, par l'intermédiaire du Verbe éternel, cette parole inscrite dans le
temps : "que la lumière soit", "qu'il y ait un firmament". |
Nam pater per suum uerbum æternum locutus dixit temporaliter: uel ex tempore omnes creaturas extra: cum dixit fiat lux:Gn 1, 3 et illico facta est lux. ergo si deus dixit per aliquod uerbum dixit: ac per hoc ipsum antequam illud diceret ex tempore: iam habebat uerbum interna locutione ab æterno
productum de tota scientia et substantia sua per quam uerbum æternum pater
ex tempore illud dixit:
fiat lux:Gn 1, 3
fiat firmamentum.Gn 1, 6
|
(1850) De même, le Père et le Verbe, dont la spiration interne produit, par
spiration de toute éternité, l'Esprit saint, ensuite dans le temps, opèrent la
spiration extérieure de ce qui est comme un unique principe par l'entremise de
l'Esprit saint, spiration qui fait exister et puissance opérative pour tout ce qui
est créé. |
Item pater ac uerbum qui interna spiratione spiritum sanctum ab
æterno spirant: postea ex tempore tanquam unum
principium per spiritum sanctum spirant extra:
existere: et uirtutem omnibus creatis ad
operandum.
|
(1851) Parler d''être' ou de 'puissance' dans les choses revient à dire
'vie', parce que pour les vivants être c'est vivre. |
Esse enim seu uirtus dicitur uita in rebus: quia uiuere uiuentibus est esse.
|
(1852) C'est ce qui fait que Moïse dit : "l'Esprit de Dieu planait sur
les eaux", autrement dit sur tout ce qui a été créé fluctuant et mobile, leur
accordant l'être par spiration et les vivifiant. |
Vnde moses:
spiritus inquit domini ferebatur super aquas:Gn 1, 2 hoc est super omnia fluxa ac mobilia
creata: ipsis esse spirando: et eas uiuificando.
|
(1853) Et ainsi, Moïse a bien noté la présence, lors de la Création, des
trois Personnes, le Père qui a dit, le Verbe par l'intermédiaire duquel il a dit,
et l'Esprit saint, par la spiration duquel l'être est venu aux choses créées, et
qui les a vivifiées. |
Et ita Moses tres in rerum
creatione personas notauit: patrem qui dixit: uerbum per quod dixit: et
spiritum sanctum qui esse rebus creatis spirauit:
atque eas uiuificauit.
|
(1854) Mais, quoiqu'il laisse entendre la présence des trois Personne, il
n'attribue qu'à un seul le nom de Créateur. |
Quamuis autem tres personas innuerit: non
nisi unum autumat creatorem.
|
(1855) C'est la même réalité que laisse entendre le saint roi et prophète,
quand il dit : "par le Verbe du Seigneur les cieux furent affermis, et
l'Esprit de sa bouche est toute leur puissance", et de même ailleurs : "il
parla et ils furent faits, il commanda et ils furent créés". |
ldem sacer rex et uates
innuit : cum ait:
Verbo domini coeli firmati sunt: et
spiritu oris eius omnis uirtus eorum:Ps 32, 6 et item alibi:
ipse dixit: et facta sunt: ipse mandauit: et
creata sunt.
Ps 33, 9
|
(1856) C'est le Père lui-même qui a parlé, évidemment par l'entremise du
Verbe, et c'est par l'Esprit saint qu'il a commandé. |
Ipse pater dixit. per uerbum scilicet Et
mandauit per spiritum sanctum.
|
(1857) Le Père, en effet, dit par l'intermédiaire de son intellect et de son
Verbe, mais il commande et fait être par son Esprit saint et sa volonté. |
Dicit enim pater per intellectum et uerbum: mandat uero: ac dat esse per spiritum
sanctum: et uoluntatem.
|
(1858) En effet, de même que 'dire' désigne un acte de l'intellect, de même
'commander' désigne un acte de la volonté. |
Vt enim dicere notat actum intellectus:
ita mandare actum uoluntatis.
|
(1859) Ce fait, si Francisco Filelfo avait mis plus de soin à l'examiner, cet
homme par ailleurs si éloquent, et magnifiquement savant, mais dont l'acribie dans
l'examen des lettres divines n'égalait pas celle qu'il avait dans celui des
profanes, n'aurait jamais dans une lettre à Barbarigo interprété l'évangile de
Jean en disant "au commencement était la raison". |
Quam rem si paulo attentius considerasset Franciscus philelphus Vir
alloquin disertissimus: et impense doctus: sed in diuinis litteris ut in prophanis haud æque
diligens: nunquam in quadam ad Barbadicum epistola:
Euangelium loannis ita fuisset
interpretatus : in principio erat ratio etc.
|
(1860) De fait, celui qui dit, le Père, dit le Verbe et c'est par
l'intermédiaire du verbe, plus facilement que par celui de la raison, que l'on
montre sa puissance opérative. |
Nam qui dicit pater: uerbum dicit. Et per uerbum operatiua potentia commodius
ostenditur: quam per rationem.
|
(1861) Dieu dit en effet : "que la lumière soit" et "qu'il y ait un
firmament" ; pourtant, il ne prononça pas cette parole par l'intermédiaire de
sa raison, mais plus facilement par celui de son Verbe. |
Dixit enim deus fiat lux:Gn 1, 3
fiat firmamentum.Gn 1, 6 Atqui non dixit per rationem sed commodius
per uerbum.
|
(1862) De là vient qu'Augustin dans le Livre des 83 questions
déclare : "ce qu'en grec on nomme λόγος, signifie en latin à la fois parole
et raison ; mais ici il vaut mieux comprendre parole, pour que le sens porte
non seulement sur le Père, mais aussi sur tout ce qui a été créé par
l'intermédiaire du Verbe, par sa puissance opérative ; or la raison, même si,
par son intermédiaire, rien n'est produit, reste nommée à bon droit raison. |
Vnde augustinus in
libro .lxiii. quaestionum:
Quod inquit græce logos dicitur: latine
et rationem: et uerbum significat. Sed hoc loco melius uerbum
interpretamur. ut significetur non solum
ad patrem respectus: sed ad illa etiam: quæ per uerbum facta sunt: operatiua potentia. Ratio autem: et si nihil per
illam fiat: recte ratio dicitur.AVG. divers. quaest., 63
|
(1863) J'ai dit cela brièvement pour que personne ne vienne prêter sans
réfléchir l'oreille à des gens trop peu exercés dans les choses sacrées. |
Hæc breuiter ne quis hominibus parum in sacris exercitis aures
protinus accommodet.
|
(1864) Mais, pour ce qui touche au fond, toutes les choses créées, de même
qu'elle sont semblables à des idées et de même qu'elle sont dites par
l'intermédiaire du Verbe, possèdent un aspect et une essence, et de même qu'elles
ont l'être par spiration, par l'intermédiaire de l'Esprit saint, elles possèdent
l'existence et sont faites, et ainsi tout ce qui est créé est marqué par les
traces de la Trinité, dans la mesure où il possède substance, puissance et
opération, ou encore nombre, poids et mesure, ou encore aspect, modalité et
ordre. |
Sed ad rem. omnes res creatæ ut similes
ideis sunt: et ut dicuntur per uerbum: speciem habent essentiamque. ut eis spiratur esse per spiritum sanctum: existere habent et operari. atque ita
omnia creata uestigio trinitatis insigniuntur:
quatenus habent substantiam uirtutem et operationem:
uel numerum pondus et mensuram: uel speciem modum et
ordinem.
|
(1865) Et cependant n'allez pas croire que l'ouvrage de la Trinité, quand
elle crée ou quand elle produit, soit divisé, alors que c'est bien la totalité de
la Trinité qui est créatrice et productrice de toutes les choses, selon la règle
que nous avons énoncée plus haut. |
Nec tamen propterea opera trinitatis in creando: uel efficiendo diuisa esse putes: cum
tota sit trinitas creatrix: et effectrix omnium
rerum: secundum regulam quam supra diximus.
|
(1866) Il en est donc véritablement ainsi que le démontre Jean Scot, qui dit
que les idées sont communes à n'importe laquelle des Personnes, bien qu'elles
soient appropriées au Verbe en raison de son mode propre d'émanation, car il
procède en tant que connaissance actuelle et déclarative de tout objet, qui est
cependant intellectuellement contenu dans la mémoire du Père. |
Adeo enim hoc uerum est: ut probet
loannes caledonius
:
ideas cuilibet personæ esse communes:
licet approprientur uerbo propter modum proprium emanationis. quia procedit ut noticia actualis
declaratiua omnis obiecti: quod quidem
intellectualiter continetur in memoria paterna:IOH. DUNS SCOT. quodlibet., 8, 56
|
(1867) Sur ce point, voyez les Questions quodlibetales, la
question 8. |
Vide id in miscellaneis . q.
viii. q.
|
(1868) Il convient aussi que nous n'ignorions pas ce fait, parce que, de même
que notre parole intérieure, ou si l'on préfère notre concept intellectuel, ne
signifie rien à l'extérieur et ne désigne aucune chose, à moins de devenir un nom
en endossant une expression vocale, ainsi Dieu le Père, pour désigner pour nous
son Verbe et son Fils, ainsi que sa volonté à toute la terre, a fait endosser la
chair au Verbe, et a fait de lui le nom par l'intérmédiaire duquel il nous a parlé
de manière sensible, et par lequel les mystères divins qui demeuraient jusque là
cachés, il les a rendus manifestes pour les hommes. |
Illud quoque non nescire nos conuenit:
quia quemadmodum uerbum nostrum interius: uel
conceptus intellectualis nihil extra significat nec rem notificat: nisi efficiat nomen induendo uocem: ita deus pater ut notificaret nobis uerbum ac
filium suum: suamque uoluntatem uniuerso orbi
terrarum: induit uerbum suum carne: ac fecit ipsum nomen : per
quod nobis sensibiliter locutus est: et per quod
diuina mysteria quæ illatenus latebant: hominibus
declarauit.
|
(1869) Voilà pourquoi Jean ajoute : "et le Verbe s'est fait chair, et il
a habité parmi nous". |
Ideo ioannes
subiecit:
Et uerbum caro factum est: et habitauit
in nobis.Jn 1, 14
|
(1870) C'est là, en effet, le nom de Dieu selon la parole d'Isaïe : "ce
que la bouche de Dieu a nommé", le Verbe, évidemment dans son incarnation. |
Hoc est illud dei nomen: ut Esaias ait:
quod os domini nominauit:Es 62, 2uerbum scilicet incarnatum.
|
(1871) En effet, c'est dans la temporalité que le Verbe a été nommé par le
Père, autrement dit fait chair : le Père nomme le Fils quand il l'envoie dans
la chair. |
Ex tempore enim est uerbum a patre nominatum id est caro
factum: et filium pater nominat : cum in carnem mittit.
|
(1872) C'est la raison pour laquelle, je l'avoue, j'aime beaucoup cette
phrase d'un théologien : "le nom du tétragramme, autrement dit celui qui
s'écrit des quatres lettres, YHWH, n'est pas un nom vocal, ni écrit, mais
l'hypostase du Christ incarnée dans le Verbe". |
Quare fateor mihi placere egregii illud Theologi: tetragrammaton nomen: hoc
est per quattuor literas scriptum iot.he.uau. he: non esse aliquod nomen uocale : non
scriptum: sed Christi hypostasin in uerbum
incarnatum.
|
(1873) Tel est en effet le nom que les patriarches, les prophètes, et tous
les fidèles de l'Ancien Testament désiraient savoir et voir, ce nom par lequel ils
espéraient être libérés, et non un nom vocal ou écrit. |
Hoc enim nomen: et patriarchæ: et prophetæ: et omnes
fideles ueteris testamenti: et scire: et uidere suspirabant : a
quo se sperabant liberatum iri: non uocale nomen aut
scriptum.
|
(1874) Mais on me dira : "pourtant le nom d'Adam aussi est
tétragramme". |
At dicet aliquis: atqui adam scripsit
tetragrammaton nomen:
|
(1875) Il a été écrit certes, mais pour signifier dans ces quatre lettres
quelque réalité qui se produirait dans le Christ, comme par exemple les sacrifices
et actes cultuels de l'ancienne Loi, qui, quand ils furent accomplis dans le
Christ, cessèrent, comme l'ombre quand survient la lumière. |
scripsit sane: sed ut significaret per. iiii. literas aliquid in
Christo futurum: sicut ueteris legis sacrificia et
sacramenta: quæ ubi in Christo completa sunt
cessauerunt: sicut umbra adueniente Luce.
|
(1876) Ainsi, les quatre lettres notaient la puissance souveraine du Christ,
quand il écrase le diable, quand il dépouille l'enfer et quand il fait des
miracles, sa sagesse souveraine quand il offre la loi évangélique, sa miséricorde
souveraine quand il opère la rédemption du genre humain, sa justice souveraine
quand il exerce le jugement dernier. |
quatuor autem literæ notabant summam Christi uirtutem in
opprimendo diabolo: diripiendo inferno: ac faciendis miraculis:
Summam sapientiam in præbitione legis Euangelicæ:
Summam misericordiam in generis humani redemptione:
summam iusticiam in extremo iudicio*
|
(1877) Voilà pourquoi ni le mot Adonaï ni le tétragramme ne doivent être
autre chose que ce nom de Jésus, "devant qui tout genou fléchit". |
Quare nec*
Adonay: nec
Tetragrammaton aliud esse debet : nisi hoc nomen
lesus:
in quo omne genu flectitur.Ph 2, 10
|
(1878) Tous les autres noms que les ignorants apposent sur ses épaules sont
l'indice d'une erreur manifeste et de leur sottise. |
Cætera nomina: quæ imperiti collo
suspendunt: manifesti erroris et stulticiæ
indicium sunt.
|
(1879) Et même la puissance de guérir ou de faire des miracles ne réside dans
le nom de Jésus, que si, de la même manière que dans un signe, de même dans ce qui
est signifié, autrement dit le Verbe incarné et la Trinité, se trouve la vraie et
propre puissance. |
Nec etiam uirtus sanandi aut faciendi miracula in illo nomine
iesus est:
nisi tanquam in signo: cum in significato id est in
uerbo incarnato: et trinitate: sit uera uirtus ac propria.
|
(1880) Ces développements sur le Père, le Fils et l'Esprit saint, je les ai
faits aussi brefs que possible, puisque, dans l'exorde de cette prière, Arator
semble unir les trois Personnes dans les symboles que nous avons rapportés plus
haut. |
Hæc dixi quam breuissime de patre ac uerbo et spiritu sancto: quoniam in huius orationis exordio uidetur
Arator has tres personas
comprehendere sub his symbolis : quæ supra
rettulimus |
(1881) J'ai ainsi parlé, en ayant posé petit à petit quelques données de
base, pour que le lecteur débutant ne soit pas ébloui d'un coup, comme si on
l'avait exposé à la totalité de la lumière. |
Dixi autem paulatim quibus[40v]dam quoque initiis
propositis: ne rudis lector toto lumine obiecto
caligaret.
|
(1882) Il existe, en effet, des personnes qui sont à ce point débutantes dans
les lettres divines, qu'en raison de la fragilité de leur estomac elles ne peuvent
en aucune manière être nourries d'aliments plus substantiels. |
Sunt enim quidam diuinarum Iiterarum adeo rudes : ut ob stomachi teneritudinem: uesci fortioribus nullo modo possint.
|
(1883) Ces personnes, comme de petits enfants, c'est avec du lait et des
aliments aisés à mâcher (puisqu'ils ne pouvaient tolérer la force d'un aliment
solide et roboratif) qu'il m'a fallu au début les nourrir. |
Qui mihi uelut infantes liquore lactis ac mollitudine (quoniam
solidi ac fortis cibi uim capere non poterant) alendi fuerunt in
principio.
|
(1884) Ensuite, à partir des réalités corporelles, petit à petit, je les ai
conduites aux réalités spirituelles. |
Mox ab illis corporeis: ad spiritalia
paulatim eos traduxi.
|
(1885) Il me faut maintenant agir de même, en montrant comment le Verbe de
Dieu et son discours sont l'artisan et le créateur de tout. |
ldem nunc mihi faciendum: dum ostendo: quo modo uerbum dei et sermo opifex rerum omnium
et fabricator est.
|
(1886) Et que personne ne soit troublé par le fait qu'Arator appelle le Verbe
de Dieu 'discours'. |
Nec quemquam moueat: quod uerbum dei
Arator uocet sermonem.
|
(1887) De fait, le mot λόγος veut aussi dire 'discours' et 'limite' autrement
dit 'définition', et Aristote, au livre 1 des Topiques, la nomme
'propos'. |
Nam logos etiam sermonem
significat: et terminus : hoc est diffinitio. ab Aristotele in primo topicorum:
oratio uocatur.
|
(1888) Mais le Verbe éternel est une définition d'une absolue perfection et
qui embrasse tout dans sa compréhension comme nous l'avons dit un peu plus
haut. |
At uerbum æternum diffinitio perfectissima est: et comprehensio: ut paulo ante
diximus.
|
(1889) Il y a là une comparaison : de même que l'homme dit un discours,
dit une parole, dit un énoncé vocal, de même le Père dit un Verbe, un discours, un
énoncé vocal, mais selon son mode propre et avec sa bouche, mais non de manière
corporelle, comme je l'ai montré. |
Est autem in hoc similitudo: quod sicut
homo dicit sermonem: dicit uerbum: dicit uocem: ita deus pater dicit
uerbum: dicit sermonem:
dicit uocem suo modo: et suo ore: non tamen corporeo ut ostendi.
|
(1890) De même, en nous, il y a une multitude de paroles, et notre discours
est fait de l'assemblage de-ci de-là de nombreux segments, parce que nous ne
pouvons pas en un seul acte, comme le peut le Dieu ineffable, exprimer notre Verbe
de manière parfaite au sujet de tout. |
item in nobis sunt plura uerba: et est
sermo multis segmentis hinc inde corrogatus: quia
non possumus uno actu: sicut deus inefabilis: nostrum uerbum loqui de omnibus perfecte.
|
(1891) Donc, le discours de Dieu est une profération par Dieu absolument
parfaite et contenue dans l'unique Verbe, comme nous l'avons expliqué plus haut,
quand nous avons traité de la profération interne de Dieu. |
Ergo sermo dei locutio dei est perfectissima unico uerbo
contenta: sicut supra enarrauimus de interna dei
locutione disserentes.
|
(1892) Cette profération interne de Dieu, parce qu'elle se fait à raison de
sa nature, fait que le Père dit le Fils de toute éternité en lui communiquant la
même substance que la sienne. |
Quæ locutio interna dei: quia per modum
naturæ fit: ideo deus pater dicit filium ab æterno
communicando ei substantiam eandem.
|
(1893) Mais il existe une autre profération de Dieu, extérieure, qui
multiplie les images à la ressemblance des idées qui sont dans le Verbe. |
Est alia dei locutio externa: qua
multiplicantur similitudines idearum: quæ sunt in
uerbo.
|
(1894) Cela, nous allons le rendre clair pas à pas, en prenant comme exemple
notre propre profération. |
Hoc autem nostræ locutionis exemplo pedetentim declaremus.
|
(1895) L'intellect et la volonté, deux puissances bien connues de notre âme,
s'unissent pour réaliser une profération, l'intellect pour qu'il fasse sortir et
exprime les images à la ressemblance du savoir et de la réflexion qu'il possédait
longtemps auparavant, la volonté pour qu'elle mette en mouvement la machinerie qui
va former la parole vocale dans laquelle va venir s'imprimer la réflexion de
l'intellect. |
Intellectus ac uoluntas duæ animæ notæ uires ad locutionem
efficiendam conueniunt: intellectus ut extra educat
atque similitudines exprimat scientiæ: et
cogitationis: quam diu ante habebat. Voluntas ut machinamenta moueat: quibus formatur uox: in qua imprimitur
cogitatio intellectus.
|
(1896) En effet, la parole vocale est ce qui indique et inscrit la réflexion
de l'intellect. |
Est enim uox intellectualis cogitationis indicium notaue.
|
(1897) Donc, de même qu'une parole vocale ou un discours écrit sont des
effets de l'intellect et de la volonté, et dépendent totalement d'eux, de même
tout objet créé est une profération extérieure de la part de Dieu qui dépend
directement du Verbe divin et de la volonté divine. |
Ergo quemadmodum uox uel scriptus sermo intellectus ac uoluntatis
sunt effecta: ab illis omnino dependentia: ita quæcumque res creata:
est locutio dei extraria: prorsus a diuino uerbo
diuinaque uoluntate dependens.
|
(1898) Mais, pour faire droit à l'idée des théologiens, qui séparent dans les
créatures existence et essence, de même que, dans la parole humaine, il y a deux
choses, le son et la signification, le son qui rapporte la signification de la
parole intellectuelle qui y est imprimée, et fait sortir la réflexion de l'esprit,
de même en tout objet créé, vous pourrez saisir (en les approchant) deux
réalités : l'essence qui est image de l'idée divine, et l'être qui est infus
par la divine volonté, car l'être fait passer l'essence elle-même en son hypostase
et son acte ; ainsi la profération extérieure de Dieu n'est rien d'autre que
l'extériorisation des images tirées des idées divines avec infusion de l'existence
en acte. |
Ac si uolumus eorum theologorum sententiam nunc tueri: qui existere ab essentia separant in creaturis: sicut in uerbo humano sunt duo: sonus et significatio: sonus impressam
referens uerbi intellectualis significationem: atque
foras mentis cogitationem efferens: ita quoque in
omni re creata duo (his accedens) deprehendes:
essentiam scilicet quæ est similitudo ideæ diuinæ:
et esse influxum a diuina uoluntate: quod esse ipsam
essentiam in hypostasin et actum suum traducit.
Atque ita dei locutio extraria nihil aliud est: quam
eductio similitudinum a diuinis ideis tractarum cum influxu actualis
existentiæ:
|
(1899) Cette profération, ou si l'on préfère expression des choses, on la
nomme d'un autre nom (bien que pour une autre raison) 'création'. |
quæ locutio uel expressio rerum alio nomine (licet alia ratione)
creatio appellatur.
|
(1900) Et il n'est pas de nécessité que Dieu, produisant par son seul Verbe
les créatures, leur communique sa propre substance. |
Nec est necesse ut deus solo uerbo creaturas producens: suam eis substantiam communicet.
|
(1901) De fait, de même que le charpentier édifie une maison par son art, et
non par sa substance, et de même que le maître communique à l'élève son savoir et
non sa substance, de même Dieu, en créant tout, communique au créé l'image de ses
perfections et de ses idées, sans leur communiquer sa substance. |
Nam quemadmodum faber lignarius domum ædificat ex sua arte: non ex sua substantia: et
sicut magister scientiam discipulo: non etiam
substantiam suam communicat: ita deus cuncta
creans: communicat creatis similitudinem [simimilitudinem,sic!] perfectionum et idearum: non communicando
substantiam.
|
(1902) La raison pour laquelle cela se produit, si vous voulez la savoir,
vous apparaîtra immédiatement, si vous considérez que les choses qui sont faites
par Dieu sont créées selon la même modalité que l'art quand il les exprime au
dehors. |
Quare id fiat si quæris: ipsa in promptu
causa tibi occurret: si consideres quæ a deo fiunt
per modum artis creari: cum foris loquitur.
|
(1903) Mais, quand il s'agit d'une parole intérieure du Père éternel cachée
dans le secret, celui-ci produit selon la modalité de la nature le Fils, son fils
unique, et c'est la même substance que la sienne, la même nature, la même essence
qu'il lui communique. |
At cum intus sermocinatur pater æternus in abdito illo arcano: per modum naturæ filium producit suum
unigenitum: eandem substantiam: eandem naturam: eandem essentiam ei
communicans.
|
(1904) Et on ne peut non plus dire ce qui a été l'avis de tel ou tel célèbre
philosophe : que le monde est éternel en vertu d'une certaine force de
nécessité ; en effet tout ce que produit l'art est soumis au temps. |
Nec illud quoque dici potest: quod
nonnulli celebres philosophi sunt opinati: mundum
æternum esse ui quadam necessaria. omnia enim quæ
ars efficit: sunt temporaria.
|
(1905) Mais c'est par art, et non par nature, que Dieu a fait et créé tout ce
qui existe, comme même Averroès l'Arabe, personnage à qui notre culture est
étrangère, dans le chapitre 12 de son commentaire de la
Métaphysique semble en convenir. |
At deus arte non natura cuncta fecit et creauit: ut etiam Arabs ille
auerois a musis auersus in .xii. primæ philosophiæ non
uidetur negare:
|
(1906) Donc tout ce qui est un produit de l'art est soumis au temps et non
éternel. |
Cuncta igitur quæ arte constant:
temporaria sunt et non æterna.
|
(1907) De même l'art qui donne forme, et la volonté qui donne effet précèdent
ordinairement toujours les produits de l'art ; donc l'art a précédé ce qui
repose sur l'art, de même que, bien que ce qui est réalisé par l'art puisse
changer et périr, l'art peut demeurer immuable, et il n'est pas de nécessité que
si périt un produit de l'art l'art aussi le suive dans la mort. |
Item ars formatrix: et uoluntas effectrix
semper artificialia præcedere solent: ergo ars arte
constantia antecessit: sicut etiam licet id quod
artificio fit: mutetur: et
pereat: ars potest immutabilis manere : nec est necesse ut rei artificialis interitum ars
quoque subsequatur.
|
(1908) Il en va de même qu'une maison réalisée en acte : elle change, et
périt, mais la maison demeure dans l'esprit de celui qui l'a construite, de sorte
que, de celle-ci, il peut en faire une autre et une autre encore, alors qu'a péri
la première qu'il a faite. |
Vt domus facta in opere mutatur: et
perit. At domus in mente artificis permanet
ita: ut ex ea alia: et
alia fieri possit: illa prius facta pereunte.
|
(1909) Donc, la créature n'est pas coéternelle à son Créateur, bien que
l'art, la raison et la sagesse qui l'ont produite soient quant à eux coéternels à
Dieu. |
Non igitur creatura est coæterna creatori: licet ars: et ratio: et sapientia: ex qua ea fit: sit coeterna deo.
|
(1910) Quand nous étions gamin, nous avons vu à Rome les deux statues de
chevaux et avec les deux jeunes gens de marbre, travail d'une admirable grandeur
et beauté. |
Vidimus adolescentuli romæ
duos illos equos marmoreos: et iuuenes item duos
factos e marmore: mira magnitudine atque
pulchritudine elaboratos.
|
(1911) Qui pourrait douter que cet artiste fameux, qui qu'il fût, avant de
produire extérieurement cette œuvre magnifique, en a possédé auparavant l'image
intérieure, et une idée parfaite à la fois des chevaux et des jeunes gens, et que
c'est en la contemplant qu'il a, avec un art admirable, façonné ces quatre formes
remarquables, qu'il aurait très bien pu soit commencer plus tôt, soit repousser
longuement à plus tard ? |
Quis dubitet quin opifex ille: quisquis
fuit: prius quam opera illa pulcherrima exterius
ederet: interius habuerit similitudinem: et perfectam quamdam idean et equorum et
iuuenum: quam ille contemplans mirabili effinxit
arte formas illas quattuor eximias: quas uel ante
incipere: uel in longum post tempus differre
potuit?
|
(1912) De même, qui pourrait douter que l'Artiste éternel aurait eu toute
liberté, soit de créer le monde plus tôt, soit de différer sa création au temps
qu'il lui plairait ? |
Et quis dubitet quin æterno opifici liberum fuerit: uel ante mundum creare:
uel post opificium suum differre cum ei libitum fuisset?
|
(1913) Le souverain Créateur a possédé des idées coéternelles à lui-même des
choses, comme un artiste parfait, mais, selon les modalités de son art et de sa
libre volonté, il a créé les choses dans le temps, quand il a plu à la majesté et
à la grandeur de la très bienheureuse Trinité de le faire. |
Habuit summus fabricator coeternas sibi rerum creandarum ideas ut
perfectus artifex: sed per modum artis liberaeque
uoluntatis res creauit ex tempore: cum libitum fuit
maiestati ac celsitudini beatissimæ trinitatis.
|
(1914) Le Père a donc proféré les choses créés dans le temps, parce qu'elles
ont été faites selon les modalités de l'art. |
Dixit ergo pater res creatas ex tempore.
quia per modum artis conditæ sunt :
|
(1915) Mais le Père a proféré son Verbe dans l'éternité, et non dans le
temps, car c'est selon les modalités de sa nature qu'il produit son Fils, à qui,
pour cette raison précise, il communique la même substance que la sienne. |
Dixit pater uerbum ab æterno: non ex
tempore: quoniam per modum naturæ filium
producit suum: cui propterea et eamdem substantiam [substanatiam,sic!] communicat.
|
(1916) Mais, pour les choses qui sont formées selon les modalités de l'art et
dans le temps, il ne leur a pas communiqué sa substance, mais l'image de son art,
de ses idées et de ses perfections. |
At rebus per modum artis conditis et ex tempore: non suam communicauit substantiam: Sed
suæ artis: et idearum: et
perfectionum similitudines.
|
(1917) En effet, ce monde sensible est une très fugace image du monde
éternel. |
iste enim sensilis mundus illius æterni est tenuissimma imago.
|
(1918) De fait le poète a remarquablement dit : "voilà pourquoi Dieu est
le monde sans corps, vivant toujours, et il a habité ici en lui-même depuis
l'éternité, mais à la différence d'ici, il n'y a là rien de vacillant, de
changeant, de mobile"... et toute la suite que ce grand génie a développée avec
non moins de savoir que d'éloquence. |
Nam praeclare uates ille:
propterea inquit Deus est mundus sine corpore uiuens semper: et aeternis in se hic habitauit ab
annis. Sed non ut hic: est illic quicquam titubans mutabile fluxum:SPAGNOL. Alph., 2 et reliqua quae ille non minus erudite quam
facunde exequitur:
|
(1919) Toutefois, ce mot du satiriste "rien ne naît de rien" rend beaucoup de
païens obstinés contre l'invincible vérité et pour ainsi dire rebelles à celle-ci,
en leur faisant mesurer la puissance de Dieu à l'aune des choses créées, ce qui
les fait nier que Dieu ait pu, par son seul Verbe, réaliser la totalité des
créatures visibles et invisibles, sans autre outil, et sans que préexiste la
moindre matière. |
Verumenimuero illud satyrographi:
Gigni de nihi[41r]lo nihil:PERS. 3, 84 multos ethnicorum contra insuperabilem
ueritatem facit contumaces et quasi rebellantes: qui
dei potentiam ex rebus creatis dimetientes: negant
deum potuisse solo uerbo efficere uniuersitatem creaturarum uisibilium
inuisibiliumque: absque alio machinamento: nullaque materia subiacente.
|
(1920) En effet personne, ni la nature, ni un artiste, ne produit par sa
seule parole : l'un, s'il ne préexiste pas de matière, ne représente rien
avec la figure qui lui revient, l'autre, si elle n'inscrit pas dans une forme des
matériaux préexistants et dénués de forme. |
Nec enim quicquam efficit aut natura aut artifex solo uerbo: nec hic nisi subsit materia: quicquam effigie propria figurat: nec
illa nisi subiacentes prius informesque materias insignit forma.
|
(1921) L'orfèvre ne fait pas naître une coupe d'or sans or, ni un homme un
autre homme sans matière, ni le feu du feu. |
Non aurifex poculum aureum sine auro: non
homo hominem generat sine materia: non ignis
ignem.
|
(1922) Un orfèvre pourrait bien dire cent fois : "qu'il y ait un vase à
boire en argent", il n'y en aura jamais sans marteau et enclume, sans métal ou
matière d'argent, sans adjonction de mouvement, de travail et de temps. |
Quanuis enim centies diceret aurifex:
fiat argenteus scyphus: nunquam fiet sine malleo et
incude: sine metallo uel argenti materia: adiuncto motu labore et tempore.
|
(1923) Car ceux qui parlent ainsi ne voient pas que, ce que donne l'art de
l'orfèvre, c'est la seule forme de la coupe à boire, non pas aussi la matière,
qu'il faut certes de toute nécessité qu'il tire d'autre part, qu'il adapte et
qu'il travaille. |
Sed enim qui hoc ita dicunt. non uident
arte aurificis: formam solam scypho dari: non etiam materiam: quam
quidem non ab arte: sed aliunde corroget aptetque et
conducat necesse est.
|
(1924) Il n'en va pas ainsi de l'art divin : sans aucun mouvement,
travail ou temps, dans l'espèce des causes, efficiente, formelle et finale, il a
attribué la totalité de l'être aux objets créés. |
At non ita diuina ars: quæ sine motu
labore ac tempore: in genere effectricis causæ: formalis et finis totum esse rebus creatis
tribuit.
|
(1925) En effet Dieu est le premier étant qui contient (si j'ose dire)
virtuellement, dans son Verbe et sa volonté, la totalité de l'être et toutes les
perfections de toutes les créatures. |
Est enim deus primum ens continens (ut ita dicam) uirtualiter: in suo uerbo et uoluntate:
totum esse atque omnes perfectiones omnium creaturarum.
|
(1926) En effet, tous les choses créées dépendent de Dieu sous l'espèce de la
cause formelle, en raison des idées, puisqu'il tire tout d'un exemple supérieur,
réalisant lui-même, dans sa beauté souveraine, par son intelligence, un monde
souverainement beau, et le formant selon une image semblable à cette idée. |
Res enim cunctæ creatæ : a deo pendent in
genere formæ: propter ideas:
cum cuncta superno ducat ab exemplo: pulchrum
pulcherrimus ipse mundum mente gerens. similique ab
imagine formans.
|
(1927) Mais c'est également sous l'espèce de la cause efficiente que tout
dépend de Dieu, puisque ce n'est pas sous l'impulsion de quelque cause extérieure
qu'il a créé toute cette admirable machine. |
At etiam in genere causæ agentis cuncta a deo pendent: cum non externa aliqua impulsus causa hanc
fabricam admirabilem creauerit.
|
(1928) Qu'il ait eu besoin d'une cause efficiente ou qu'il ait pu être
contraint par quelque force, cela est impossible pour lui, que rien ne dépasse en
puissance. |
Non causæ agentis necessitare: aut ui
cogi potuit is: quo nihil est potentius.
|
(1929) En effet il n'en va pas comme de la pierre que l'on fait se dresser
par quelque force : il n'est pas possible que Dieu, qui est tout puissant,
ait pu être contraint par quoi que ce soit, en tant que cela serait plus fort que
lui, qu'il ait même pu être poussé par quelque cause efficiente, qui lui aurait
conféré quelque qualité lui permettant de se mouvoir physiquement, comme il en va
de ce qui engendre le feu : il lui confère forme et légèreté en faisant se
dresser le feu par quelque nécessité de nature. |
Non enim sicut lapis sursum fertur alicuius ui: ita deus: qui omnipotens est: cogi potuit ab aliquo tanquam ualidiore. non etiam impelli potuit ab aliqua causa
efficiente: quicpiam ei conferente: quo physice moueretur:
quemadmodum id quod ignem gignit : formam ei
leuitatis confert: necessitate quadam naturali ignem
sursum mouens.
|
(1930) Mais cela, en Dieu qui ne reçoit rien d'un autre, comment cela
serait-il possible ? |
At hoc in deo: qui nihil ab alio
recipit: qui fieri potest?
|
(1931) Pour terminer, ce n'est pas la nécessité d'une fin extérieure qui l'a
poussé, mais la pure volonté de créer tout cet ouvrage de l'univers, puisque Dieu
ne saurait être rendu parfait par quelque réalité extérieure, alors qu'il est
intérieurement sous tous les aspects l'absolu parfait. |
postremo necessitas finis extranei non illum impulit: sed mera uoluntas opus hoc uniuersi condere: cum a nulla extranea re deus perficiatur: ipse interius undequaque absolutissimus.
|
(1932) En revanche, ce qui est poussé par un autre, comme par une finalité,
cela est imparfait, et tend vers cette finalité et se meut pour atteindre la
perfection, pour la raison que sa finalité est son bien et sa perfection, puisque
cet objet tend à cette fin. |
Atqui id quod ab alio tanquam a fine impellitur: imperfectum est: et ad illum finem
tendit moueturque ut perficiatur: propterea quia
finis est bonum et perfectio eius rei: quæ ad finem
tendit.
|
(1933) Or il n'existe pas de causes extérieures multiples par lesquelles Dieu
ait pu être poussé à imaginer son ouvrage de création. |
Non sunt autem causæ plures extrariæ: a
quibus deus impelli potuit ad hoc suum opificium fingendum.
|
(1934) C'est donc l'effet de sa pure volonté et, pour parler comme
Boèce : "ce ne sont pas des causes extérieures qui poussèrent Dieu à imaginer
un ouvrage fait de matière périssable, mais bien la forme du souverain bien qu'il
conservait en lui, sans l'ombre de la moindre malignité". |
Ergo mera uoluntas: et ut Boetii uerbis utar deum non externæ pepulerunt fingere causæ materiæ fluitantis
opus: uerum insita summi forma boni
liuore carens.BOETH. cons., 3, carm. 9, 4-6
|
(1935) De ces remarques, il appert que tout étant, toute réalité vraie,
dépend de ce premier étant vrai et s'appuie sur lui, que tout ce qui est parfait
et absolu est rendu absolu et parfait par ce principe d'absolue perfection, tout
ce qui se diffuse en se nombrant croît et se multiplie en se nombrant à partir de
cette unité première et de cette monade, tout ce qui se mesure se mesure à partir
de cet étalon et de cette mesure absolument simple. |
Ex his constat omnia entia ac uera: ab
illo primo ente ueroque pendere ac niti: omnia
perfecta absolutaque ab illo perfectissimo principio absolui ac perfici: omnia quæ numerose funduntur: ab illa prima unitate ac monade in numeros crescere et
multiplicari: omnia quæ metiuntur ab illo metro
atque mensura simplicissima metiri.
|
(1936) De fait, si vous voulez bien examiner avec plus d'attention soit
l'action de la nature, soit la manière dont travaille l'art, la différence
apparaîtra de façon transparente entre ce que j'ai dit et cette cause immobile qui
meut tout le reste, dont dépendent les créatures relativement à la totalité de
leur être et dans toutes les modalités qui les font être. |
Nam si attentius uel agentem naturam: uel
artem operantem uelis considerare: lucebit discrimen
inter hæc quæ dixi: et illam immotam causam omnia
mouentem: a qua pendent creaturæ secundum totum
esse suum: et per omnem modum quo sunt.
|
(1937) Et si l'artisan contenait en lui-même en puissance et virtuellement
tout le matériau de la maison, bois, pierres, mortier, toutes choses que la nature
lui fournit, comme Dieu, lui, les contient, il lui suffirait de sa seule parole
pour construire une maison, comme Dieu a fabriqué, grâce à son discours créateur,
la machine de l'univers. |
Quod si artifex in se potenter ac uirtualiter totam domus
materiam scilicet ligna lapides cementa: quæ omnia
illi natura subministrat: contineret: sicut deus continet: solo
uerbo domum construeret: sicut deus machinam
uniuersi artifici sermone fabricauit.
|
(1938) Mais, pas plus que la matière de la nature ne dépend de la nature qui
agit, alors qu'elle est prérequise par elle, l'or ne dépend de l'orfèvre, puisque
c'est la nature qui le lui fournit. |
Sed nec materia physica pendet a natura agente: cum ab ea præexigatur: nec aurum pendet
ab aurifice: cum id ei a natura suppeditetur.
|
(1939) Il ne faut donc pas s'étonner s'ils n'ont pas un discours créateur
comme Dieu qui dit "que la lumière soit" et aussitôt la lumière fut créée, et
ainsi de suite, dans le reste de sa divine création. |
Non igitur mirum est si non habent artificem sermonem sicut
deus: qui dixit fiat lux:Gn 1, 3 et protinus facta est lux: et ita in aliis diuinis operibus.
|
(1940) Donc, à partir de cette digression totalement indispensable, devient
parfaitement limpide la raison qui a fait dire à Arator : materiemque
operis sola est largita uoluntas ("quant à la matière de son ouvrage,
sa seule volonté la lui a fournie"). |
Ergo perspicuum est ex hac nostra omnino necessaria digressione
cur dixerit Arator:
materiemque operis sola est largita
uoluntas
:
|
(1941) Quant à savoir comment le discours de Dieu est créateur, il est
manifeste aussi que les Manichéens ont totalement déliré, quand ils ont affirmé
que Dieu, principe de lumière, avait créé les anges de sa propre substance, en
leur communiquant une part de sa propre substance, et qu'il avait fait de même
pour nos âmes ; mais, au contraire, que c'était le diable, prince des
ténèbres, qui avait créé les âmes sensibles et la totalité des corps de sa propre
substance. |
quomodo etiam sermo dei sit artifex.
constat quoque:
Manichæos prorsus insaniuisse qui
asseuerauerunt deum principem lucis: de sua
substantia creasse angelos: communicando eis
substantiæ suæ partem : idemque animis nostris
fecisse. Contra diabolum principem tenebrarum: Creasse animas sensibiles:
et uniuersa corpora de sua substantia.
|
(1942) Platon, de même, s'est trompé, s'il a pensé qu'il y avait trois
commencements pour les choses, Dieu, le modèle et la matière, de sorte qu'il a
considéré les trois comme coéternelles, et la matière incréée et sans principe, et
Dieu artisan et non créateur. |
Errauit quoque Plato: si tria esse rerum
initia sic putauit ut deum: exemplar: et materiam esse statuerit coæterna: et hanc increatam sine principio : et illum artificem existimauit non creatorem.
|
(1943) En effet, l'homme comme l'ange font des choses, autrement dit se
livrent à des opérations à partir de quelque chose. |
Homo enim et angelus aliqua faciunt :
idest de aliquo quæpiam operantur.
|
(1944) Mais seul Dieu est créateur, qui fait quelque chose de rien, et, selon
son bon plaisir, quelque chose de quelque chose. |
Solus deus creator est: qui de nihilo
aliquid: et cum libitum est: de aliquo aliquid facit.
|
(1945) L'arabe Avicenne, non plus, n'a pas pensé avec justesse, en prétendant
qu'une seconde intelligence (j'utilise leurs propres mots) en créait une
troisième, la troisième une quatrième, et ainsi de suite, et, pour finir, la
dernière intelligence procréait les âmes rationnelles et les formes
corruptibles. |
Nec Arabs Auicenna recte
sensit: quasi secunda intelligentia (ut ita
horum uerbis utar) creet tertiam : et tertia
quartam: et hac deinceps: postremoque ultima intelligentia animas rationales: et corruptibiles formas procreet.
|
(1946) En effet, aucune créature n'en contient une autre selon la totalité de
son être. Seul Dieu le fait. |
Nec enim aliqua creatura aliam continet secundum totum esse suum
: nisi deus.
|
(1947) Le Stagirite, non plus, n'a pas visé juste, ni lui, ni son
commentateur dont la langue n'est pas moins barbare que l'opinion, quand ils
affirment que le monde a été réalisé de toute éternité selon une nécessité de
nature. |
Nec stagyrita
philosophus scopum attigit cum suo illo commentatore non
minus lingua quam sensu barbaro: cum affirmant
mundum ab æterno necessitate quadam naturali effectum fuisse.
|
(1948) Ce n'est, en effet, pas par manière de nature, mais par manière d'art
et de volonté, que le monde a été produit par Dieu. |
Nec enim per modum naturæ : sed per modum
artis ac uoluntatis a deo mundus productus est.
|
(1949) De fait, bien que l'art du créateur soit éternel en ses idées et son
Verbe, cependant la production s'est faite dans le temps, sur un signe de la
volonté divine, quand cette profération extérieure produisit au dehors de lui-même
toute chose. |
nam licet ars creatoris sit æterna in ideis ac uerbo: tamen productio temporaria est facta ad nutum
diuinæ uoluntatis: cum illa externa locutio foras
cuncta protulit.
|
(1950) Mais quelqu'un va me dire : puisque Dieu fait beaucoup de choses
comme un artisan, quels outils utilise-t-il quand, après avoir créé la matière, il
transforme tous ces objets soumis à corruption en les divers aspects des
choses ? |
Sed dicet quispiam: cum multa deus agat
ut opifex aliquis: quibus utitur organis: cum post creatam materiam in uarias rerum effigies
cuncta hæc obnoxia corruptioni transformat?
|
(1951) Les Platoniciens répondent que, les instruments de Dieu, ce sont les
causes naturelles efficientes, qui, même si nous avons l'impression qu'elles sont
les seules à mouvoir les corps, les former, et les changer, ne sont cependant pas
les causes premières des choses qui sont faites, mais sont plutôt les outils de
l'art divin, à qui elles obéissent et qu'elles servent. |
Platonici respondent dei
instrumenta esse naturales agentes causas: quæ etsi
nobis appareant quasi solæ corpora agant: forment: et transmutent: haud tamen
primariæ sint causæ eorum quæ fiunt: cum sint organa
potius diuinæ artis: cui obediant: et famulentur.
|
(1952) De la même façon que les mains du charpentier, bien que ce soient
elles qui mettent en place tout le matériau de la maison, l'ordonnent et
l'organisent, et qu'il semble qu'à rien en dehors d'elles ne paraît pouvoir être
rapportée de façon satisfaisante la fabrication de la maison, nous savons
cependant que toutes les mains des artisans sont des outils au service de son art,
qui, fixé dans l'âme de l'architecte, réalise la maison extérieure à partir de cet
art intérieur dans un matériau sensible. |
Quemadmodum fabri lignarii manus:
quamquam ipsæ totam domus materiam componant :
ordinent : ac dispensent:
nihilque uideatur preter eas : cui domus fabrica
referatur accep[41v]ta tamen nouimus omnes fabri manus instrumentum
esse arti seruiens: quæ constituta in anima
architecti: domum externam ab illa interna
explicat in sensili materia.
|
(1953) Je ne laisserai pas sans en parler ce que dit le divin Jérôme :
"ceux qui veulent connaître les causes des choses, qu'ils se portent d'abord vers
l'auteur des choses lui-même". |
Illud non omittam: quod diuus hieronymus ait: eos qui rerum causas scire uolunt: prius
ad ipsum rerum authorem ire oportere.
|
(1954) De fait, si l'on trouve l'auteur des causes, nous trouverons aussi les
causes des choses. |
Nam reperto causarum creatore: rerum
quoque inuenimus et causas.
|
(1955) Il nous faut, en effet, enquêter d'abord sur le créateur des choses,
lequel nous introduira, une fois que nous l'aurons connu, vers les causes des
choses. |
Prius enim inquirendus est nobis rerum conditor: per quem ad rerum causas: si ipsum
didicerimus: intrabimus.
|
(1956) Voilà pourquoi même Virgile se fait reprendre par le même Jérôme,
parce qu'il a mis sens dessus dessous le devoir du sage en écrivant :
"heureux qui a pu connaître les causes des choses", et peu après "aimé de la
fortune est aussi celui qui connaît les dieux agrestes" etc. |
Quamobrem non iniuria et Maro reprehenditur ab eodem: quia
ordine præpostero sapientis uerterit officium: cum
scripsit:
foelix qui potuit rerum cognoscere causas:VERG. georg., 2, 490 ac mox:
fortunatus et ille deos qui nouit agrestesVERG. georg., 2, 493 et. c.
|
(1957) Même si l'on peut excuser ce très éminent poète, cependant, en suivant
l'opinion de Jérôme, c'est à bon droit qu'il est réprimandé. |
quamquam excusari possit Vates
eminentissimus: tamen in sensu
hieronymi iuste taxatur:
|
(1958) Mais commentons de nouveau les vers dont nous avons parlé plus haut,
puisque leur difficulté l'exige. |
Sed iterum uersus hos supradictos exponamus cum id eorum
difficultas exigat.
|
(1959) (Tu qui cuncta deus ("toi Dieu qui tout...") la très
sainte Trinité est invoquée par les apôtres en tant que créatrice de tout, comme
nous l'avons dit, et d'une certaine manière en tant que recréatrice, comme je le
montrerai bientôt. |
(Tu qui cuncta
deus:) inuocatur ab apostolis
sanctissima trinitas quæ est creatrix omnium rerum:
sicut diximus: et quodam modo recreatrix: ut mox ostendam.
|
(1960) Et bien que (comme l'assure Augustin) la totalité de la Trinité soit
créatrice, et que l'ouvrage de la Trinité soit indivis dans l'acte de création du
monde, cependant le mode de création est distinct. |
et quamuis (ut augustinus author est) tota trinitas sit creatrix. et opera trinitatis sint indiuisa in creatione
rerum: tamen modus est distinctus.
|
(1961) De fait, dans la création, d'une certaine façon, la fonction
d'instigation est accordée au Père, qui, par son Verbe, a dit toute chose, et le
Père et le Verbe, dont la spiration produit le souffle saint par le mode de la
volonté, par une spiration sur tout le créé, par l'action de l'Esprit saint, les
portent vers l'être. |
Nam in creatione aliquo modo attribuitur authoritas patri: quia per suum uerbum dixit omnia: et pater et uerbum: qui sanctum flamen
spirant per modum uoluntatis: spirando super omnia
creata per spiritum sanctum producunt ea in esse.
|
(1962) De là vient que ce monde sensible conserve en lui, pour ainsi dire, en
toutes ses parties, une trace et une ressemblance avec l'autre monde, l'éternel,
et l'émanation des créatures semble dépendre de l'émanation des personnes divines,
en sorte qu'en elles une image très atténuée de la Trinité apparaisse
vraiment. |
Vnde mundus hic sensilis retinet in se quasi per omnia uestigium
ac similitudinem illius mundi æterni: ac uidetur
emanatio creaturarum ab emanatione diuinarum personarum ita pendere: ut trinitatis imago tenuissima in illis protinus
appareat.
|
(1963) De même, en effet, que le Père, en proférant de toute éternité sa
parole, produit intérieurement le Verbe, et que tous deux, par leur spiration,
produisent le souffle saint, de même, par une prise de parole dans le temps, en
parlant par l'intermédiaire de son Verbe, il a produit le monde que nous voyons et
l'a fait sortir à l'extérieur de lui. |
Sicut enim pater ab æterno loquendo interius producit uerbum: atque ambo inspirando producunt sanctum flamen: ita per temporaria sermocinatione per uerbum suum
loquendo hunc mundum foras protulit: et in exteriora
eduxit.
|
(1964) Pourtant, il y a une immense différence en cela, parce que, quand
d'abord il profère son Verbe, il lui communique une nature et une substance
identiques à la sienne, et tous deux, Père et Fils évidemment, en spirant le
souffle saint, lui communiquent pareillement une nature et une essence identique,
et, ainsi, il ne demeure, dans la substance, qu'un seul Dieu dans la Trinité des
personnes. |
Est tamen immensum in hoc discrimen quia praeloquendo uerbum suum
eandem ei substantiam ac naturam communicat: et ambo
scilicet pater ac filius sanctum flamen spirando simul eandem ei naturam
communicant et essentiam: atque ita unus manet deus
in substantia cum trinitate personarum.
|
(1965) Mais il en va tout autrement en effet, quand, par émanation, nous
comprenons la production des créatures, puisque la Trinité créatrice ne communique
pas aux choses créées sa substance, mais une ressemblance de ses
perfections. |
At multo aliter enim emanatione creaturarum productionem
accipimus: cum trinitas creatrix non substantiam
suam rebus creatis: sed similitudinem suarum
perfectionum communicet.
|
(1966) De fait, de même que le soleil transmet sa ressemblance à un objet
diaphane, autrement dit au travers duquel il luit et qu'il rend éclatant, et non
aussi son essence, de même que l'architecte ne fait pas don de lui-même à ce qu'il
construit, mais de la ressemblance issue de son art, de même Dieu, artisan de
cette immense construction, ne s'attribue pas lui-même aux créatures, mais une
certaine image des ses propres idées, en ne leur accordant rien de sa propre
substance divine. |
Nam quemadmodum sol diaphano id est interlucenti ac perspicuo
similitudinem suam communicat: non etiam
essentiam: ut architectus non se: sed artis similitudinem ædificato donat: Ita deus huius immensæ fabricæ opifex non se: sed idearum suarum quampiam imaginem tribuit
creaturis: nihil eis suæ diuinæ substantiæ
impartiendo.
|
(1967) Voilà pourquoi le céleste Denys a été sage, quand il a dit : "les
créatures émanent de Dieu comme les rayons et la lumière émanent du soleil". |
Quocirca coelestis dionysius sapienter: creaturæ inquit
emanant a deo sicut radii et lumen a sole.
|
(1968) Assurément c'est la trace de la nature créatrice imprimée dans les
choses crées que perçoit toute personne qui porte son regard sur chaque objet
créé. |
Impressum sane creatricis naturæ in rebus creatis uestigium
deprehendet: quisquis per singula oculos
circumtulerit.
|
(1969) Car, que l'on prenne de façon générale ou partie par partie dans
l'univers ce qui paraît imprimé, c'est le signe de ce premier nombre impair sous
l'espèce du nombre, du poids et de la mesure, sous l'espèce de la forme
extérieure, de la mesure, et de l'ordre. |
Nam et generatim et particulatim in uniuerso huius primi imparis
numeri signum elucet impressum: sub numero pondere
et mensura: sub specie modo et ordine.
|
(1970) De fait, tout le monde sait que le monde a une triple nature :
incorporelle et immortelle, comme la nature des anges, corporelle et
incorruptible, comme celle du ciel, corporelle et corruptible, comme celle de la
nature des éléments. |
Nam ipse mundus triplici constat natura:
incorporea immortalique: qualis angelorum: corporea incorruptibilique: cuiusmodi coeli est: corporea et
corruptibili: ut est natura elementorum.
|
(1971) De même, donc, qu'en Dieu est la Trinité des personnes sous une
essence unique et d'une parfaite simplicité, de même, dans l'univers des choses
crées, on trouve la trinité sous l'unité d'une seule machinerie. |
Sicut ergo in deo: est trinitas
personarum sub una simplicissima essentia: ita in
rerum uniuersitate trinitas inuenitur naturarum sub unius machinæ unitate.
|
(1972) Dans la nature angélique également, on trouve la Trinité dans leurs
hiérarchie, puisque la première, la supracéleste, contient les Séraphins, les
Chérubins et les Trônes, la deuxième, que l'on nomme céleste, les Dominations, les
Principautés et les Puissances, la troisième, la subcéleste, les Vertus, les
Archanges et les Anges. |
In natura quoque angelica trinitas repperitur hierarchiarum: cum prima illa supracoelestis seraphim: cherubim: et thronos
complectatur. secunda quæ coelestis dicitur: dominationes:
principatus: potestatesque. tertia subcelestis: uirtutes: archangelos: angelos.
|
(1973) Alors quoi ? n'est-il pas vrai qu'Augustin, dans chaque ange pris
individuellement, a noté trois éléments, la forme, le mode et l'ordre, ou la
substance, la vertu et l'opération ? |
Quid? nonne in singulo quoque angelo illa
tria notauit Augustinus: speciem: modum et ordinem? aut substantiam: uirtutem: et
operationem?
|
(1974) Si, en effet, on met de côté la substance première ineffable, aucune
substance n'est à elle-même sa propre action, ni le principe de sa propre
action. |
Excepta enim prima illa inefabili substantia: nulla substantia est sua actio: nec suæ
actionis principium.
|
(1975) Qui ne voit pas qu'il existe aussi trois ciels, le premier immobile,
l'empyrée, qui resplendit de sa propre lumière, le deuxième, qui met en branle les
premiers mouvements en direction des sommets du monde, que l'on appelle cristallin
et aqueux, le troisième, qui règle son cours sur les signes du Zodiaque, le ciel
porteur d'astres, que l'on appelle aussi firmament et qui contient les sept
planètes. |
Coelos tres quis non uidet: unum: empyreum immotum: ac luce
illa sua splendens. Alterum:
quod primos ciet motus ad mundi uertices quod crystallinum: et aqueum uocant: Tertium quod ad polos
Zodiaci cursus suos accommodat: coelum astrigerum: quod et firmamentum: et
planetarum vii orbes continet.
|
(1976) Qu'il existe aussi trois éléments, plusieurs philosophes qui ne sont
pas sans renom l'établissent : l'air, l'eau et la terre. |
Tria quoque elementa nonnulli philosophi haud ignobiles
statuunt: Aerem:
aquam: et terram.
|
(1977) De fait, bien que ces raisonnements sur les qualités premières
semblent réciproquement admettre le feu dans le nombre des autres, comme Aristote
l'affirme en plusieurs endroits, si l'on s'en tient désormais à la matière
cependant, il n'y a que trois éléments. |
Nam licet reciprocæ illæ rationes primarum qualitatum ignem
pariter in numerum reliquorum asciscere uideantur:
ut aristoteles plerisque in locis
asserit: tamen si materiam attendas: tria tantum elementa sunt.
|
(1978) Le feu en effet, par sa forme, semble se distinguer seul des autres
éléments, non seulement par la matière et le lieu, puisque, comme certains
l'affirment, il ne peut par lui-même prendre la forme sphérique, mais sa matière
et sa puissance sont répandues à travers tous les autres éléments. |
lgnis enim per formam solum ab aliis elementis distingui uidetur
: non etiam per materiam locumue: cum sphæram per se ut quidam autumant: non obtineat: sed ipsius
materia uirtusque per reliqua spargatur elementa.
|
(1979) Or puisque, comme l'a pensé Aristote, au livre 12 de la
Métaphysique, Dieu est la cause de tout dans un triple genre de
causalité, ce sont les dons de la Trinité que, si l'on veut regarder un peu
attentivement, on trouvera dans les créatures. |
Cum autem (ut putauit Aristoteles in xii ton
metaphysica) deus causa sit omnium in triplici genere causæ: trinitatis munera: si
paulo uolueris attentius speculari: inuenies in
creaturis.
|
(1980) Le premier don, nous l'appelons don de l'essence, par lequel chaque
créature est dite véritable et étant, dans la mesure où elle imite cette idée
éternelle qui se trouve dans le Verbe. |
Vnum uocamus essentiæ munus: quo
unaquaque creatura dicitur uera et ens: quatenus
illam æternam ideam: quæ in uerbo est: imitatur.
|
(1981) Le deuxième don est propre et individuel à la perfection physique, qui
suit toujours sa forme propre et spéciale ; c'est pour cette raison, en
effet, qu'une créature, quelle qu'elle soit, est dite naturellement bonne, dans la
mesure où elle possède en elle quelque propriété physique, imitant une perfection
divine ou participant d'elle, par laquelle elle obtient la fin qui lui est
destinée, et est ordonnée en Dieu son créateur. |
Alterum proprium ac peculiare physicæ perfectionis: quæ semper formam consequitur propriam ac
specialem. ob hoc enim quaelibet creatura
appellatur bona naturaliter: quatenus inditam habet
physicam aliquam proprietatem: imitatricem
participemue cuiuspiam diuinæ perfectionis: per quam
finem sibi destinatum nanciscitur: in deumque
ordinatur creatorem suum.
|
(1982) Mais les propriétés de ce genre, nous les ignorons tout à fait, je ne
le nie pas. |
At proprietates istiusmodi porsus ignoramus: Non nego.
|
(1983) Mais leurs effets, souvent nous les percevons par de certains
indices. |
Verum earum effectus sæpenumero quibusdam indiciis
deprehendimus.
|
(1984) De fait, nous voyons que, par l'aunone, la bile est attirée, et le fer
par l'aimant ; et, de même que dans d'autres créatures, il se produit
quelques faits particuliers, qui ne se produisent pas, sinon par quelque propriété
et perfection naturelle placée dans toute sa forme extérieur par le principe qui
les a créées. |
Nam uidemus ab abrotono bilem: et a
magnete ferrum trahi: ltemque in aliis quædam
peculiariter euenire: quæ non fiunt nisi ab illa
naturali proprietate ac perfectione toti speciei a principio creationis
indita.
|
(1985) De là vient que chaque élément, pris isolément dans la nature en
raison de sa perfection physique, qui est en lui par sa composition naturelle et
sa nature, est bon et désirable en raison de cette perfection même. |
Vnde singula quæque rerum ob physicam perfectionem insitamque
physice ac naturaliter bona sunt: ac propter eandem
appetenda.
|
(1986) En effet, nous ne recherchons pas l'aunone pour elle-même, mais pour
la perfection qu'elle porte en elle-même. |
non enim abrotonum propter se: uerum ob
perfectionem quam in se obtinet:appetimus.
|
(1987) Donc, les choses physiques sont dites avoir en elles le principe de
leur mouvement et de leur action, pour la bonne et simple raison que les
propriétés de ce genre accompagnent leurs formes extérieures, ce qui fait que
c'est à bon droit qu'on les appelle effets naturels. |
Res ergo physicæ principium sui motus et actionis habere dicuntur
propterea quia eiusmodi proprietates earum formas consequuntur unde effecta
naturalia merito uocantur.
|
(1988) Or, si chaque chose est marquée par une quelconque perfection que l'on
peut remarquer, elle sera en tous les cas naturellement bonne. |
si autem unaquaeque res aliqua perfectione notabili insignitur: bona utique erit naturaliter.
|
(1989) En effet, "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon", et
nous comprenons naturellement. |
uidit enim deus cuncta que fecerat: et
erant ualde bona:Gn 1, 31 intellegimus naturaliter.
|
(1990) Le troisième don de Dieu est l'être, ce qu'on appelle souvent
existence, sans laquelle aucune créature ne peut exister ou agir. |
Tertium est dei munus: es[42r]se
quod apellitant existentiæ: sine quo nulla creatura
existere: et operari potest.
|
(1991) Seul, en effet, Dieu, par sa propre essence, existe et opère en même
temps, car son opération est sa propre essence. |
solus enim deus per suam essentiam et existit: et operatur: cum sua operatio sit sua
essentia.
|
(1992) Mais, pour ce qui concerne les créatures (nous suivons en effet le
dogme de ceux qui font ces distinctions dans les êtres créés), si Dieu ne leur
insuffle pas l'être, pour que leur existence s'actualise et exerce les opérations
de la vie, il n'y a pas opération ; et il se peut bien que ce soit en ce sens
qu'Arator a dit : tu deus qui facis cuncta animata ("toi,
Dieu, Dieu qui fais tous les êtres animés), autrement dit douées de vie et
exerçant les opérations de la vie, parce que pour les vivants, vivre c'est être
propriis figuris ("selon leurs formes propres") etc. |
At in creaturis (sequimur enim dogma eorum: qui hæc distingunt in conditis) nisi deus inspiret esse: ut essentia existat in actu: et exerceat opera uitæ non operaretur.
et fortasse iuxta hunc sensum dixit arator:
tu deus qui facis cuncta
animata id est uiuificata et exercentia opera uitae: quia uiuere uiuentibus est esse:
propriis figuris etc. |
(1993) De fait, de même que le mouvement est l'acte de se mouvoir dans la
mesure où l'être mobile diffère de ce qui est mobile, de même être est l'acte de
l'étant dans l'acte dans la mesure même de l'acte. |
Nam quemadmodum motus: est actus mobilis
in quantum mobile a re mobili differens: ita esse: actus entis in actu in quantum in actu.
|
(1994) Voilà pourquoi il est désormais évident que Dieu a octroyé à ses
créatures un triple don. |
Itaque iam liquet deum suas donasse creaturas triplici munere.
|
(1995) Les choses créées reçoivent de Dieu l'être, en raison de son essence
et de son idée éternelle, comme de leur cause formelle, elles en reçoivent aussi
l'être, ou si l'on veut, l'influx de l'existence en acte, comme de leur cause
efficiente, et elles en reçoivent leur être naturel, autrement dit leur propriété
physique et la perfection de leur nature, comme de leur cause finale. |
Accipiunt: fabricata a deo esse
essentiæ: et illius ideae sempiternae ut a causa
formali: et esse uel influxum actualis
existentiae: ut ab efficiente: et esse naturale id est proprietatem physicam: perfectionemque naturalem ut a fine.
|
(1996) De fait, comme ces éléments sont ordonnés par propriété, en vue de
leur fin première qui est l'homme (tout en effet a été fait pour l'homme), et
tendent vers leur fin ultime qui est Dieu, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'elles
soient naturellement bonnes. |
De fait, comme ces choses Nam cum hæc per proprietatem in suum
finem primarium qul est homo: ordinentur (omnia enim
propter hominem facta sunt) et in ultimum finem qui est deus: tendant: omnia ni mirum
naturaliter bona sunt.
|
(1997) De fait, toutes les créatures, animées et inanimées, ont été faites
pour l'homme, et l'homme lui même a été fait pour Dieu. |
omnia namque animata: et inanima propter
hominem condita sunt: ipseque homo propter deum est
conditus.
|
(1998) Donc, toutes les créatures, pour finir, sont dirigées vers Dieu, et
ont été doté du bien physique, d'abord, dans la mesure où elles proviennent de
Dieu, ensuite parce que, par don de leur artisan éternel, elles possèdent quelque
perfection innée, en raison de laquelle elles sont désirables. |
omnia igitur in deum tandem diriguntur:
et physica bonitate praedita sunt. primum quatenus a
deo sunt. Deinde quia aeterni fabricatoris munere
perfectionem aliquam habent congenitam: ob quam
expetibilia sunt.
|
(1999) De même que tous les nombres sont dérivés de la monade, l'unité, de
même toutes les espèces dépendent de cette unité première, selon qu'elle
participent plus ou moins de sa perfection. |
Vt autem omnes numeri a monade atque unitate deriuantur: ita cunctæ species ab illa prima unitate
pendent: secundum id quo plus minusue
perfectionis communicant.
|
(2000) C'est en voyant de tels indices de la Trinité dans les choses, que les
Pythagoriciens ont atteint l'idée de leur triade en une admirable annonce. |
Talia trinitatis argumenta uidentes in rebus pythagorici:
triada suam miro sunt præconio insecuti.
|
(2001) Mais les apôtres de façon incomparablement plus exacte que ne pourrait
le rapporter nul discours, puisque la lumière du souffle sacré les avait
illuminés, contemplant les mystères de la Trinité, déclarèrent ;
tu ("toi") évidemment Dieu le Père, qui facis cuncta
animata propriis figuris ("Dieu qui fais tous les êtres animés selon
leurs figures propres"), parce que ton discours et ton Verbe forment toutes les
créatures animées avec un art admirable. |
Verum apostoli incomparabiliter exactius quam possit ullius
sermone enarrari: quippe quos sancti flaminis lumen
illustrauerat: mysteria trinitatis contemplantes
dixerunt:
Tu scilicet deus pater:
qui facis cuncta animata propriis
figuris sermone et uerbo tuo figurante omnia animata mira
arte.
|
(2002) Il nous est indispensable de remarquer la soigneuse succession dans ce
discours, dans lequel il commence par célébrer l'art de Dieu s'agissant de
façonner les créatures, quand il dit : artifici sermone facis cuncta
animata ("de ta parole créatrice, tu fais toutes les êtres
animés"). |
oportet nos animaduertere diligentem seriem huius orationis : in qua primum celebratur ars dei in condendis
creaturis: cum ait artifici sermone facis cuncta animata:
|
(2003) Ensuite, quand il ajoute quique edita cernens ante
uides (" et qui en regardant voit par avance les créatures produites"),
il fait l'éloge de la science et de la préscience de Dieu, de qui sont connus les
événements futurs exactement comme les présents. |
Deinde cum subiungit:
quique edita cernens: ante uides:
commendatur scientia dei et præscientia: cui futura
perinde cognoscuntur ac præsentia.
|
(2004) Il montre la divine rationalité dans la création, quand il ajoute
rerumque creas per nomina formas ("tu crées les formes des
choses par leur nom"). |
ostenditur ratio diuina in rebus creandis : cum subdit :
rerumque creas per nomina
formas
:
|
(2005) Et, quand il dit cum fierent uox semen erat
("lorsqu'elles étaient faites, ta parole était semence"), il montre la puissance
admirable du verbe divin et l'obéïssance qui convient à la nature. |
Et cum inquit:
cum fierent uox semen
erat. monstratur mirabilis uerbi diuini
potentia: et conueniens naturæ obedientia :
|
(2006)
Mox Spiritus oris aethera curuauit sola nexuit et aequora fudit materiemque
operis sola est largita uoluntas ("bientôt l'Esprit venu de sa bouche
courba l'éther, affermit le sol, fit couler les eaux et quant à la matière de son
ouvrage, sa seule volonté la lui a fournie") : dans ces vers, il montre la
distinction qui convient entre les éléments et le juste placement que Dieu a
attribué à ses créatures. |
Mox Spiritus oris aethera curuauit
: sola nexuit et aequora fudit materiemque
operis sola est largita uoluntas. ln his
monstratur distinctio conueniens et locatio apta:
quam deus tribuit creaturis.
|
(2007) Alors il montre la bonté du Créateur, qui a tout créé sans avoir
besoin de rien. |
Tum bonitas creatoris monstratur: qui
nulla indigentia cuncta condiderit.
|
(2008) Et, ainsi, c'est l'Esprit saint auquel il attribue volonté et bonté,
qui est ici indiqué avec le Père et le Fils. |
Et ita spiritus sanctus cui uoluntas attribuitur et bonitas : cum patre et fllio creator innuitur.
|
(2009) Ensuite, quand il dit : ne deforme iugum ("pour
éviter que ce soit un joug difforme"), il rappelle la clémence de Dieu, quand il
s'est agi de racheter l'homme et d'une certaine manière de le recréer. |
Porro cum ait:
ne deforme iugum: memoratur dei clementia in redimendo homine: et quodammodo in recreando.
|
(2010) Pour finir quand il dit : cum sua gentiles et
cetera ("quand les païens" et la suite), il rappelle la patience
miséricordieuse de Dieu pour supporter les hommes criminels et scélérats. |
postremo cum dicit:
cum sua gentiles et
cetera: refertur dei misericors patientia in
tolerandis facinorosis ac scelestis hominibus.
|
(2011) Mais, tous ces points si complexes que nous avons rapportés,
déroulons-les et exposons-les séparément. |
Sed hæc: quae ita complicata retulimus: replicemus : singulatimque
exponamus.
|
(2012) La première chose qui se présente est la raison pour laquelle Arator
commence par la création des êtres animés, plutôt que par la création du ciel et
de la terre, comme a commencé à le faire Moïse. |
Ac primum occurrit: cur Arator incipiat a creatione animatorum
potius quam a creatione cœli et terrae: ut incœpit
Moses:
|
(2013) Et, du moins, la raison pour laquelle il a commencé par la création
des êtres animés plutôt que par l'autre est de nous montrer plus clairement l'art
admirable de l'éternel artisan, soit que, par créatures animées, il embrasse
toutes les autres créatures, comme je le montrerai bientôt, quand je parlerai de
l'homme qui est image de Dieu, soit parce que les créatures animées, parce qu'elle
nous sont plus proches, sont pour nous plus faciles à observer, en sorte que cela
nous pousse à la louange du Créateur, soit parce que, si un observateur avisé
pouvait de quelque manière se mettre devant les yeux la totalité des créatures
animées, il ne fait aucun doute qu'il serait frappé d'étonnement devant la variété
de leurs mouvements, de leurs figures et de leurs formes si diverses. |
Et sane est ratio cur ab illis potius quam ab his exorsus
fuerit: ut clarius nobis appareat mirabilis
aeterni fabricatoris ars. Vel quia animata omnes
alias creaturas complectuntur: ut mox declarabo: cum de homine: qui est
imago dei: disseruero. Vel
quia animata: cum sint nobis uiciniora: facilius contemplamur : ut
in laudem creatoris inde concitemur. Vel quia si
quis prudens considerator aliquo modo posset ante oculos sibi cuncta animata
proponere: stuperet dubio procul uarietate motus
figurarum formarumque tam diuersarum.
|
(2014) De fait, si la figure de chaque animal, et (pour prendre un exemple)
la création du moucheron éveille en nous la louange ineffable du Créateur, que se
passerait-il si on les voyait toutes à la fois, en tendant la fine pointe de notre
esprit et en usant d'un jugement plus affuté que le nôtre ? |
Nam si animalis cuiuscunque figura: et
(exempli gratia) culicis opificium: inefabilem
laudem excitat creatori: quid si omnia simul acie
mentis intenta et acriori iudicio specularetur ?
|
(2015) En effet, il a été facile au Créateur tout puissant (que l'on me
permette en effet, pour bien m'expliquer, d'imaginer l'artisan éternel sous la
forme d'un artisan mortel), il était donc facile pour lui de courber le ciel,
d'affermir le sol, de faire couler les eaux et de disposer tous les autres corps,
aussi grands qu'ils soient, dans cette machinerie du monde, toutes créatures
auxquelles est dûe la louange de sa puissance, puisque la matière suivit sans
faire de difficulté le travail de fabrication du Tout-Puissant. |
omnipotenti etenim creatori facile fuit (liceat enim mihi: explicandi gratia: æternum
opificem ut mortalem aliquem imaginari.) facile ergo
fuit ei coelum curuare: solum nectere: æquor fundere: et reliqua
corpora quantumuis magna disponere in hac mundi machina: quibus debetur laus uirium simili materia omnipotentem officinam
artificis non difficulter sequente.
|
(2016) Mais, pour ce qui est des animata ("créatures
animées"), autrement dit celles qui sont pourvues d'une âme de nature variée, soit
végétale comme les arbres, les herbes, les broussailles, les arbres fruitiers,
soit sensible mais imparfaite et médiane entre l'animal dépourvu de raison et la
plante, ce que l'on nomme en grec ζῳόφυτα, soit sensible et parfaite, mais limitée
à une forme d'intelligence non-rationnelle, soit plus parfaite, comme celles qui
sont capables d'être dressées par l'homme, autrement dit d'une existence médiane
entre l'homme et la bête dépourvue de raison, mais inférieure à l'homme, toutes
ces créatures animées, dont l'homme a été établi maître et souverain par sa
raison, quelle immense louange méritent-elles pour la si grande variété du génie
de l'artisan qui les a faites ? |
At animata id est
multiplici anima prædita: uel uegetali ut arbores: herbae: phrygana: fructices uel sensuali imperfecta et media inter
brutum et plantam: quæ Zoophyta græci uocant: uel sensuali perfecta: sed
intra terminos irrationalis phantasiæ: uel
perfectiori: ut ea quae sunt humanae eruditionis
capacia: media scilicet inter hominem et brutum
sed infra hominem subsistentia : cuncta hæc animata
quorum homo omnium dominus et ratione princeps statuitur: quantam tam ingenii: uarietatis: opificii commendationem merentur?
|
(2017) Considérez d'abord la manière si diverse dont chaque espèce est
recouverte, combien elle est adaptée, combien diverse dans sa forme, au point que
l'on est porté vers des représentations innombrables pour la figure propre de
chaque créature animée, et que c'est à bon droit que le poète a dit :
animata propriis figuris (toutes les créatures animées selon
leurs figures propres). |
Respice primum tegumenta singulorum generum tam diuersa: tam apta: tam difformia: ut inde in effigies innumeras et proprias figuras
animatorum prouehare: ut iure dixerit hic poeta :
animata propriis figuris.
|
(2018) Les unes sont recouvertes d'écorces et de liber, d'autres n'ont ni
l'un ni l'autre, mais des soies, des poils, de la fourrure, d'autres des pennes et
des plumes, d'autres des écailles et des épines, d'autres des carapaces et des
coquilles. |
Alia corticibus librisque integuntur:
alia ullos habent: setas:
pilos: uellera. alia
pennas plumamque: alia squamas et spinas : alia crustas et testas:
|
(2019) Et puis, qui pourrait estimer à leur juste mesure tant de fruits sur
les arbres, tant de feuillages, de troncs, tant de coloris pour les plantes et les
fleurs, dans leur forme qu'elle soit conique, plate, ronde, triangulaire, carrée,
ou polygonale ? |
Denique quis digne aestimet tot arborum fructus: frondes. truncos. tot herbarum et florum colores in figuris uel turbinatis : uel latis : uel
rotundis: uel trigonis :
uel tetragonis : uel multiangulis?
|
(2020) Qui pourrait mentionner, dans un discours juste et adapté à son sujet,
les merveilles qui nagent dans la mer, issus de la profusion des eaux, et dont
l'accroissement délicat et fécond reçoit ce qui cause leur naissance en sorte
qu'ils se répandent partout sous des formes pratiquement infinies ? |
Quis iusta ac pari oratione commemoret monstra in mari natantia
humoris luxuria et molli ac fertili accremento accipiente causas genitales
ut in effigies pene infinitas spargantur?
|
(2021) Qui le pourrait pour les pennes des paons, et les teintes rutilantes
qui entourent le cou des autres oiseaux, et leurs crêtes, leurs aigrettes, leurs
queues multicolores, leurs ailes pourpres, où le bleu foncé, le rose, le blanc, le
rouge viennent tout tacheter ? |
Quis pennas pauonum et caeterarum auium aureos circa colla
fulgores: et facies cristatas: et plumeos apices: et caudas
uersicolores: et alas purpureas cæruleo roseo
albo puniceo cuncta distinguentibus?
|
(2022) Qui pourrait rendre compte pour finir des taches des tigres et des
panthères, des crinières des lions, des cornes des taureaux, du poitrail des
éléphants ou du corps de tous les autres animaux (qui sont marqués non d'un forme
commune et semblable, mais chacun d'une forme qui lui est propre) de manière à
expliquer la puissance, la majesté et la propriété de chaque forme avec ces
descriptions ineffables, à la mesure de l'excellence de chaque réalité
singulière ? |
Quis postremo tigrium pantherarumque maculas: aut[42v] iubas leonum: aut
taurorum capita: aut humeros elephantorum: aut reliquorum animalium corpora (quæ non
communi: non simili: sed
propria quadam speciatim forma insigniuntur) ita referat: ut uis ac maiestas et proprietas singularum formarum cum
picturis illis inefabilibus explicentur pro rei singulæ cuiusquam præstantia
ac ratione?
|
(2023) Voilà bien de fait de grandes et magnifiques preuves du génie divin
dans de grands corps. |
Magna sunt hæc profecto: et magnifica
diuini ingenii argumenta in magnis corporibus.
|
(2024) Mais quoi ! Voyez combien dans les créatures petites brille la
subtilité du céleste artisan, si nous observons les segments sur le corps des
abeilles et des fourmis, ou l'ouvrage extraordinairement délicat et remarquable
que constitue l'imbrication de leurs vertèbres ? |
Quid in paruis quantum elucet coelestis opificii subtilitas: si uel incisuras in apibus ac formicis: uel in imbricatis flexilium uertebris tenuissimum
spectatissimumque artificium contemplemur?
|
(2025) Pline en est plein d'admiration et en reste stupéfait; il écrit :
"dans ces êtres si petits, et pour ainsi dire inexistants, quelle
rationalité ! quelle puissance ! quelle perfection impossible à
décrire ! Dans un moustique, où a-t-il placé tant de sens ? Où a-t-il
déployé en lui le vision ? Où placé le sens du goût ? Où introduit
l'odorat ? Où a-t-il fait naître ce bruit redoutable et en proportion
gigantesque ? Quelle subtilité lui a-t-il fallu pour lui attacher des
ailes ? pour allonger ses pattes ? pour disposer une cavité vide qui lui
serve de ventre ? Par quel trait de génie a-t-il rendu pointu son dard pour
qu'il transperce le cuir ? et de même que, dans la contenance de cet espace,
alors même que l'on ne peut pas le voir en raison de sa finesse, il a fait naître
par son art des propriétés réciproques qui font qu'il est aussi acéré pour percer
qu'il est creux pour aspirer ?". |
Miratur Plinius
atque obstupescit in his tam paruis ac tam nullis quæ ratio? quanta uis? quam inextricabilis
existat perfectio. Vbi enim inquit tot
sensus collocauit in culice? ubi uisum in eo
prætendit? Vbi gustatum applicauit? ubi odoratum inseruit? ubi uero truculentam illam et proportione maximam uocem
ingenerauit? Qua subtilitate pennas
annexuit? prælongauit pedum crura? Disposuit ieiunam caueam uti aluum? Telum uero perfodiendo tergori quo
spiculauit ingenio? atque ut in capaci: cum cerni non possit exilitas: ita reciproca generauit arte: ut fodiendo acuminatum pariter : sorbendoque fistulosum esset?PLIN. nat., 11, 2
|
(2026) Mais je ne veux pas davantage, de peur de crouler sous l'abondance de
matière, discourir sur les figures variées des créatures animées, qui sont propres
à chaque animal selon son espèce. |
sed nolo iam: ne obruar copia rerum: per uarias animatorum figuras discurrere: quæ singulis animalium generibus quoque propriæ
sint:
|
(2027) Cependant, s'agissant d'un même genre, ces propriétés, par une sorte
de communauté, se rassemblent d'une certaine manière en une forme semblable. |
in eodem tamen genere communione quadam in similem formam
quodammodo confluunt.
|
(2028) Il y a, en effet, moins de différences dans toutes les autres
créatures animées que dans l'homme ; car la rapidité de sa pensée, la
prestesse de son esprit, la variété de son intelligence imprime en lui des
notations de formes diverses, alors que, pour les autres animaux, les mouvement
intérieurs de l'âme sont immuables et semblables pour tous et chacun dans son
propre genre. |
Pauciores enim in cæteris omnibus animalibus differentiæ quam in
homine: quia uelocitas cogitationum animique
celeritas et ingenii uarietas multiformes notas imprimit: cum cæteris animantibus immobiles sint motus animæ interni et
similes omnibus singulisque in suo cuique genere.
|
(2029) Bornons-nous à prendre une seule espèce, celle de l'homme, sans en
passer par la comparaison avec l'espèce des Cyclopes, des Lestrygons, des Pygmées,
des Troglodytes, ou encore des Sciopodes. |
Accipiamus unum genus tantum scilicet hominis nec ab hoc ad
relationem cyclopum: aut lestrigonum: aut pygmeorum: aut
troglodytarum: aut sciopodum transeamus.
|
(2030) De fait, même si l'on dit qu'ils ont un aspect qui leur est propre et
qui diffère beaucoup de la forme du reste des humains, on les rejette comme des
fictions, ou on ne croit pas à leur existence, car ils s'écartent trop de ce que
l'on admet comme possible. |
Nam licet hi proprias figuras habere:
multumque a cæterorum hominum forma dissentire dicantur: uel ut falsa reiiciuntur : uel ut
paradoxa non creduntur.
|
(2031) Parlons donc des hommes de chez nous, et non de tout leur corps, mais
disons un mot de la propriété indicible de l'aspect humain, en observant avec plus
d'attention la variété de l'art divin. |
Loquamur ergo de nostris hominibus: nec
de cunctis membris: sed de in enarrabili humanæ
faciei proprietate uerba faciamus: uarietatem artis
diuinæ attentius speculantes.
|
(2032) Qui n'admirerait dans notre aspect et notre visage, alors que nous
avons dix parties ou plus, qu'il ne saurait exister, dans tant de milliers
d'hommes, deux aspects et ensembles de traits absolument semblables et
indistincts, alors que nul peintre, nul artisan, en cherchant à atteindre ce but
et en s'y consacrant exprès, ne peut en donner que quelques traits vraiment
différents ? |
Quis non miretur in facie uultuque nostro: cum sint.x. aut
paulo plura membra: nullas duas in tot millibus
hominum omnino similes atque indiscretas facies atque effigies existeret cum
nullus pictor: nullusque artifex: affectando id atque id consulto agendo:
paucas numero omnino diuersas possit effingere?
|
(2033) Que dire ? Si je voulais détailler les organes et la machinerie
des créatures animées, dont l'âme utilise les services pour les fonctions de ses
diverses forces, quand viendrais-je à bout de cet exposé si jamais je
l'entreprenais ? |
Quid si enumerare uelim organa et machinamenta animatorum: quorum famulatione ad functionem uirium diuersarum
anima utitur: quando esset huius enarrationis modo
susceptæ finis?
|
(2034) De fait (à titre d'exemple), pour offrir la faculté de se nourrir,
voici les outils qui sont visibles dans les êtres animés et évidents : la
bouche, le gosier, l'estomac, le ventre, les veines et tout le reste, tous
éléments qu'ils possèdent pour l'usage de la nourriture. |
Nam (uerbi gratia) ad nutritionem præstandam: hæc instrumenta in animalibus perspicua manifestaque sunt os: gula: uentriculus: aluus : uenæ: et reliqua: quæ ad usum
alimoniæ comparata iis sunt.
|
(2035) Mais, pour les arbres fruitiers et les plantes, ce sont les racines
qui servent de bouche et en font office. |
At in fruticibus ac plantis radices ori æmulæ: et uicariæ habentur.
|
(2036) De même, en effet, qu'un animal par la bouche, c'est par la racine que
l'arbre fruitier prend ce qui le nourrit. |
Vt enim animal per os : ita frutex per
radicem succum trahit.
|
(2037) Ensuite, ce sont des canaux, des fibres et des nervures qui font
l'office de veines. |
Deinde meatus quidam staminaque: et
fibræ: uenarum uice funguntur.
|
(2038) L'aubier, le liber et le bois répondent proportionnellement à la peau,
la chair et le squelette. |
Alburnum liber et lignum cuti carni et ossi proportione
respondent.
|
(2039) Les feuilles s'ajoutent à la pulpe pour la recouvrir, la pulpe aux
fruits et aux semences pour les protéger. |
Folia pulpis ut operimentum: pulpæ
fructibus et genitali semini ut præsidium adiunguntur.
|
(2040) Si, donc, dans l'office de l'alimentation, il existe une si grande
différence entre les êtres animés, que dire si je voulais rapporter les moyens par
lesquels ils exercent le mouvement, la sensation et le reste des opérations
vitales ? |
Si igitur in opificiis alimoniæ: tanta
est diuersitas in animatis : quid si ea referrem
instrumenta: quibus motus: quibus sensus: quibus cætera opera
uitalia exercentur?
|
(2041) C'est donc avec sagesse qu'ici le poète admire une si grande variété
dans les créatures, puisque l'on perçoit et comprend les choses invisibles de Dieu
par celles qu'il a créées, et que les substances nous sont connues par leurs
accidents, leur figures, et tout autre part d'elles-mêmes qui s'offre à nos
sens. |
sapienter ergo poeta hic
admirans tantam rerum uarietatem cum inuisibilia dei: per ea quæ facta sunt intellecta conspiciantur: et substantiæ per accidentia: et figuras
et alia huiusmodi sensibus nostris obuia cognoscantur.
|
(2042)
Tu deus qui facis cuncta animata propriis figuris ("toi, Dieu, qui
fais tous les êtres animés selon leurs figures propres") (Facis
("tu fais")) il a mis ce verbe parce que pour Dieu tout temps est présent, comme
s'il disait fecisti ("tu as fait"), et maintenant
facis ("tu fais), mais maintenant les êtres animés sont
engendrés par Dieu selon des modalités différentes, parce que désormais connues de
tous à partir de ces semences premières, elles sont recréées pour éviter qu'elles
ne périssent. |
Tu deus: qui
facis cuncta animata propriis figuris.
(Facis:) ideo retulit: quia omne tempus deo est
præsens: ac si diceret fecisti: et nunc facis: sed nunc differenter
animata a deo gignuntur: quippe quæ ex
primordialibus illis seminibus iam cunctis nota sæpius ne pereant: reformentur.
|
(2043) En effet, dans la propagation et la substitution de la génération, est
contenu le fait que, puisque rien de ce qui caduc et destructible ne peut demeurer
toujours en nombre égal, on compense cette mortalité par le secours de la
naissance. |
In propagatione enim subrogationeque sobolis continetur: ut quando nullum caducum atque dissipabile idem
numero subsistere semper possit: huic mortaIitati
ortu uicario succurratur.
|
(2044) Mais, au commencement, ce n'est pas à partir de semences premières que
Dieu créa les êtres animés, mais avec elles, en sorte que, puisque les êtres
animés ne demeurent pas éternellement, ils puissent vivre et prolonger leur durée
de vie sous une forme semblable, en se substituant l'un à l'autre, et ainsi, en se
recréant, et en faisant que le sort qui en fait naître de nouveaux remplisse la
place laissée libre par ceux qui sont morts. |
At in principio non ex seminibus primordialibus animata deus
procreauit: sed cum illis: ut quoniam animata non ipsa perpetuo stant: uiuant ac prolongent æuum in simili tanquam subcenturiante
reficienteque aliud ex alio: et nascentium sorte
obitorum sedes explente.
|
(2045) Quant à celui qui est offensé par la laideur d'une de leurs parties,
ou par une contradiction en elles, ou par un manque d'adaptation, cela lui arrive
parce qu'il ne peut voir la totalité à laquelle se rattache cette partie, voire
parce qu'il ignore à quoi la rapporter. |
Qui autem alicuius partis deformitate:
aut repugnantia: aut ineptitate offenditur: id ei accidit quia cum totum perspicere non
possit: cui ea pars congruat: uel quo ea referatur: ignorat.
|
(2046) Dieu, en effet, comme le dit avec sagesse Augustin, "est le créateur
de tout, qui sait lui-même où et quand il faut ou il a fallu créer, car il connaît
la beauté de l'ensemble dont il tisse ensemble les parties dans leur ressemblance
ou leur diversité". |
Deus enim (ut sapienter Augustinus ait) creator est omnium rerum: qui ubi et
quando creare quid oporteat uel oportuerit:
ipse nouit: sciens uniuersitatis
pulchritudinem: quarum partium uel
similitudine uel diuersitate contexat.AVG. civ., 16, 8
|
(2047) Il sait donc ce qu'il a fait, lui dont l'oeuvre ne peut être avec
justesse comprise par personne ; mais que nul ne soit troublé par le fait que
certaines espèces d'êtres animés semblent se doter d'une part plus grande de
divinité et d'une vie plus longue, ce que montre par exemple la longévité des
corbeaux, des corneilles et des cerfs, tandis que d'autres n'arrivent qu'à une
durée plus réduite, comme ces espèces d'être animés, qui ne paraissent en des
temps fixés et déterminés que pour être pratiquement immédiatement détruits et qui
ensuite renaissent et réapparaissent. |
scit ergo ille quid ægerit: cuius opera
iuste nemo comprehendit, sed nec quemquam turbet:
quod animatorum quædam genera amplius diuinitatis et longioris uitæ
particulam sibi carpere uidentur: quod sane indicat
coruorum uiuacitas: et cornicis: et ceruorum: quædam uero parcius eam
attingunt: ut ea animalium genera: quæ statis et descriptis temporibus modo
comparent: modo penitus abolentur: rursusque renascuntur et prodeunt:
|
(2048) En effet, qui pourrait accéder en esprit ou exprimer en paroles le
compte des temps et les mesures des durées de vie que Dieu, comme le meilleur et
le plus savant des musiciens a fixés harmonieusement pour la nature de ce qui naît
et meurt, changeant l'ordre des époques sans changer sa propre nature ? |
Quis enim aut adeat animo: aut promat
eloquio: numeros temporum et ætatum mensuras: quas deus tanquam optimus atque eruditissimus
modulator nascentibus et occidentibus naturis harmonice constituit sine ulla
sui mutabilitate mutans ordinem sæculorum?
|
(2049) Et si un poète remarquable, en écrivant son poème, sait quelle durée
il accorde à chaque son, en sorte que son chant puisse se dérouler de façon
parfaitement rythmée par la succession et la disparaition des sons, comment est-il
possible que Dieu ce poète éternel qui, depuis le commencement du monde jusqu'à la
fin des temps, profère de façon parfaitement rythmée ce que l'on pourrait nommer
son poème grand et ineffable, ne sache pas arranger la durée de vie des êtres
vivants, qui sont comme les mots et les syllabes qui viennent concourir à son
poème, de façon assez cohérente pour que cela serve à la juste harmonie de
l'ensemble ? |
Quod si poeta aliquis egregius cum pangit carmen: nouit quas quibus moras uocibus tribuit: ut illud quod canitur succedentibus ac
decedentibus sonis numerose excurrat: quid æternus
ille cantor deus ab initio mundi ad finem usque sæculum tanquam grande
carmen et inefabile numerose proferens : nescit
spacia uiuentium: quæ tanquam uerba ac syllabæ ad
suum canticum per[43r]tinent: ita
accommodate adhibere: ut uniuersitatis moderamini
congruit:
|
(2050) Et cela, je le crois vrai non seulement de la naissance et de la mort
des êtres animés, mais aussi du feuillage des arbres, et du nombre des cheveux sur
notre tête. |
Hoc certe non tantum de ortu et occasu animatorum: Sed etiam de folio arboris: et de numero capillorum nostrorum uerum puto.
|
(2051) (Quique edita ("les créatures produites")), le poète
fait l'éloge de la science et de la préscience de Dieu. |
(Quique edita.) scientia dei commendatur et præscientia.
|
(2052) De fait, pour Dieu, tout est présent, bien que cela soit futur ou
passé, mais quand il dit ante uides ("tu vois par avance"), il
montre que la providence de Dieu existe avant la création des êtres, évidemment
pour réduire à néant l'erreur de ceux qui ont dit que le monde était éternel,
comme nous l'avons rappelé plus haut. |
Nam deo omnia sunt præsentia: quamquam
futura uel præterita sint. sed quod ait:
ante uides. ostendit dei prouidentiam ante rerum creationem: ut scilicet explodatur error eorum: qui mumdum dixere æternum:
ut supra meminimus.
|
(2053) Mais on me dira : comment Dieu "voit-il", autrement dit
connaît-il, edita ("les créatures produites"), autrement dit les
êtres créés ? C'est, comme le dit l'Apôtre, parce qu'"il pénètre jusqu'à
partager âme et esprit, jointures et moelles ; il juge les sentiments et les
pensées du coeur". |
At dices quo pacto deus:
uidet id est cognoscit:
edita id est creata? quia pertingit (ut ait apostolus) ad diuisionem spiritus et animæ:
compagum quoque et medullarum: et discretor
cogitationum et intentionum cordis.Hb 4, 12
|
(2054) En effet, Dieu voit et connaît tout, non seulement de manière globale
et générale, mais selon les moindres détails et les moindres propriétés. |
Videt enim deus et cognoscit omnia non solum communiter et
generatim: sed discretissime propriissimeque.
|
(2055) De fait, tout ce qui se rencontre de perfection dans chaque créature,
existe en totalité auparavant en Dieu, de manière incomparablement plus
excellente. |
Nam quicquid perfectionis in singulis quibusque inuenitur
creaturis: id totum existit ante in deo
incomparabiliter excellentius.
|
(2056) Il contient en effet l'être même par essence, être avec lequel il y a
une certaine forme de communion dans toutes les choses créées. |
Continet ipsum esse per essentiam: in quo
omnibus rebus conditis communio quædam est.
|
(2057) Il contient les perfections et les formes, mais à un degré plus haut
et plus noble, et, à leur tour, il en marque les être créés : vivre, sentir,
comprendre ; c'est ce qui fait la différence entre les êtres animés et les
inanimés, les êtres dotés de sensibilité et ceux qui n'en sont pas dotés, les
créatures brutes et les créatures non rationnelles. |
Continet eas perfectiones et formas: sed
altiore ac nobiliore nota: quibus inuicem creata
distinguntur: ut uiuere:
sentire: intelligere:
quibus animata ab inanimis: sensibilia ab
insensibilibus: bruta ab irrationalibus
differunt.
|
(2058) Voilà pourquoi il ne faut pas comparer l'essence de Dieu à l'essence
des autres créatures, comme le commun au particulier, l'unité au nombre, la
lumière aux couleurs, le centre aux lignes, bien qu'il y ait quelque forme de
ressemblance, mais plutôt un acte parfait aux actes imparfaits, l'homme à
l'animal, et le chiffre six au chiffres imparfaits qui y sont contenus. |
Quare non comparetur dei essentia ad aliarum rerum essentias ut
commune ad propria: ut unitas ad numeros: ut lux ad colores: ut
centrum ad lineas: quamquam sit aliqua similitudo: sed potius ut actus perfectus ad imperfectos: ut homo ad animal: ut
senarius ad numeros imperfectos sub se contentos.
|
(2059) Mais il est bien connu que celui qui connaît l'homme connaît aussi
l'animal d'une connaissance propre, et que celui qui connaît le chiffre six
connaît aussi le chiffre trois. |
At constat: eum qui hominem cognoscit: cognoscere quoque animal propria cognitione: et qui senarium etiam ternarium ipsum.
|
(2060) Donc, comme l'essence de Dieu a en pleine possession tout ce qui est
où que ce soit, et avec bien plus de perfection, elle peut voir en elle-même tout
ce qui est où que ce soit, avec la connaissance la plus propre qui soit. |
Cum igitur essentia dei: quicquid ubique
est: multoque amplius:
perfectionis obtineat: ln se ipso potest quicquid
ubique est: propriissima notione uidere.
|
(2061) En effet, la nature propre de chaque chose consiste en la mesure dans
laquelle la perfection divine se communique à elle jusqu'à un certain point. |
Propria enim natura uniuscuiusque rei consistit: quatenus diuinam perfectionem quadamtenus communicat:
|
(2062) Mais comment se connaîtrait-il lui-même, s'il ne voyait pas comment sa
propre perfection est partagée et communiquée aux autres ? |
At quomodo perfecte se ipsum cognosceret:
nisi uideret quomodo sua perfectio ab aliis participatur communicaturue?
|
(2063) Comment saurait-il la nature même de l'être, s'il ne savait
parfaitement de quelle manière chaque chose existe ? |
quomodo naturam ipsam existendi sciret:
nisi quo pacto singula quæque res existat: perfecte
sciret?
|
(2064) Donc Dieu edita cernit ("voit les créatures
produites"), comme le dit l'apôtre : "toute chose est nue est découverte à
ses yeux". |
Deus ergo edita
cernit: dicente apostolo:
omnia sunt nuda et aperta oculis eius.Hb 4, 13
|
(2065) Cependant Dieu se voit autrement qu'il ne voit les choses qui ne sont
pas lui. |
aliter tamen se: atque alia a se uidet
deus.
|
(2066) En effet, il se voit lui-même par son essence en lui-même ; mais
les choses qui ne sont pas lui, il les voit en elles-mêmes, et non en lui, dans la
mesure où son essence contient la ressemblance des choses qui ne sont pas
lui. |
Se ipsum enim per essentiam suam in se ipso uidet. Alia uero a se non in ipsis sed in se ipso uidet
: in quantum essentia sua continet similitudinem
aliorum ab ipso.
|
(2067) Le divin Augustin dit en effet que Dieu ne voit rien "à l'extérieur de
lui-même". |
Diuus enim Augustinus
ait deum extra se ipsum:AVG. gen. ad litt., 4, 6 nec quicquam intueri.
|
(2068) De même que la pierre n'est pas dans notre âme, mais bien l'aspect
extérieur de la pierre, de même les aspects extérieurs des choses sont selon leur
modalité propre en Dieu, et elles sont Dieu lui-même. |
Vt autem lapis non est in anima: sed
species lapidis: ita suo modo rerum species in deo
sunt: quæ quidem sunt ipsemet deus.
|
(2069) Mais comment Dieu voit-il le passé et le futur, alors que nous, nous
ne voyons que le présent ? |
Sed quomodo deus uidet præterita aut futura: cum nos tantum presentia cernamus?
|
(2070) En effet, nous ne pouvons pas voir les combats d'Ilion dans leur
succession, ni l'Atride, ni Priam, ni Achille qui se déchaîne contre eux deux,
puisque ces réalités sont éloignées de nous dans le temps. |
Non enim possumus uidere iliacas ex ordine pugnas: non
atridem
priamumque et sæuum ambobus achillem. quoniam
hæc ab instanti tempore remota sunt.
|
(2071) Mais Dieu voit tout, lui dont l'éternité surplombe tout temps. |
At deus cuncta uidet: cuius æternitas
supra omne tempus est.
|
(2072) Dieu atteint en effet tout temps, parce qu'il est lui-même la cause du
temps par son éternité, comme il est par sa bonté cause de tous les biens, et de
tout ce qui est par son être. |
Attingit enim deus omne tempus: quippe
qui sit ipse causa temporis: per suam æternitatem. ut est causa bonorum per suam bonitatem: et omnium quæ sunt per suum esse.
|
(2073) C'est ce qui fait écrire à Boèce : "c'est toi qui ordonnes au
temps d'aller dans son déroulement" et à Augustin que d'un seul coup de son esprit
Dieu embrasse du regard la totalité du temps. |
Vnde boetius:
qui tempus inquit ab æuo ire iubes:BOETH. cons., 3, carm. 9, 2-3 et augustinus ait:
uno ictu mentis omneBOETH. cons., 5, 4, 33 simul tempus deum intueri.
|
(2074) Les choses qui ne sont pas, mais ont été ou seront, Thomas écrit que
Dieu les sait par vision, alors celle que nous pensons ou maginons si elles n'ont
jamais existé, n'existent pas, ou n'existeront pas, lui Dieu les comprend par sa
simple intelligence. |
Ea autem quæ non sunt: sed fuerunt uel
erunt: scribit Thomas a deo sciri uisione: quæ uero opinamur uel imaginamur: si nunquam fuerunt: sunt: eruntue : simplici
intelligentia comprehendi.
|
(2075) En outre, nous nous ne voyons pas les choses séparées de nous par une
distance spatiale, comme ce qu'il y a en Inde. |
Præterea nos locorum iuteruallo distantia: ut ea quæ in india
sunt: non cernimus.
|
(2076) Mais Dieu, qui est partout par sa substance, sa vertu et son
opération, et dont la substance est présente à chaque chose, car il est la cause
de leur existence, n'est pas empêché par la proximité ou l'éloignement de voir
toute chose. |
At deus: qui ubique est per
substantiam: uirtutem:
et operationem: et cuius substantia ita adest
omnibus rebus: ut omnibus sit causa existendi: non propinquitate non intercapedine distrahitur: quo minus cuncta uideat.
|
(2077) C'est ce qui fait dire au prophète : "voici, Seigneur, toi tu
connais toute chose nouvelle et ancienne... ou irai-je loin de ton esprit ?
où m'enfuirai-je loin de ta face ? Si je monte au ciel, tu y es, si je
descend en enfer, te voici". |
Vnde propheta: Ecce (inquit) tu domine cognouisti omnia nouissima et antiqua. quo ibo a spiritu tuo: et quo a facie tua fugiam: si
ascendero in celum tu illic es. si
descendero in infernum:ades.Ps 138, 5 et 7-8
|
(2078) Ensuite notre vision ne porte pas, sinon à travers un corps
transparent ; elle ne pénètre pas les corps solides, ne voit pas au travers
des corps opaques, mais la lumière ineffable de Dieu, comme le soleil, dissipe
toutes les ténèbres par ses rayons. |
Deinde uisus noster non fertur nisi per corpus interlucens: nec solida penetrans: nec
opaca perspiciens: At dei lumen inenarrabile ut
sol: cunctas pellit tenebras radiis suis.
|
(2079) Bien plus, le soleil (selon les vers de Boèce) "n'a pas la force de
briser les profondes entrailles de la terre ou de la plaine marine, car sa lumière
est trop faible, mais il en va tout autrement du créateur du monde : lui,
quand il regarde tout d'en-haut, les terres et leur masse ne lui résistent
pas". |
Immo sol (ut boetius ait)
intima uiscera terræ non ualet: aut
pelagi: radiorum infirma perrumpere
luce: haud sic magni conditor orbis. huic ex alto cuncta tuenti nulla terræ
mole resistunt.
BOETH. cons., 5, carm. 2, 3-7
|
(2080) De même, un homme ou un ange ne peuvent connaître nos pensées, ni
comprendre nos affects, avant que nous ne les extériorisions, alors qu'ils sont
encore dans notre seule volonté, et qu'ils n'offrent aux sens humains aucun aspect
extérieur. |
ltem homo uel angelus cogitationes nostras haud potest: haud affectus comprehendere: anteaquam foras actum edant: cum maneant
in sola uoluntate: nec ullam speciem exteraneam
hominum sensui obiiciant.
|
(2081) Mais l'ange, qui n'a de connaissance que de ce dont il possède
l'aspect produit, autrement dit les créatures, ne peut pas par lui-même atteindre
les secrets de la volonté. |
At angelus qui non habet scientiam nisi eorum: quorum habet species concreatas:
scilicet rerum conditarum: non ipse arcana
uoluntatis potest attingere.
|
(2082) Il n'en va pas ainsi de Dieu qui "sonde les reins et les coeurs", qui
est le plus intime de toute chose, puisque tout dépend de lui, puisque, s'il
retirait son influence, toute chose disparaîtrait et s'en irait dans le
néant. |
Sed non ita deus: qui scrutatur corda et renes:Ps 7, 10 qui est intimus omnibus rebus: cum omnia ab eo pendeant:
cum (si influxum suum retraheret) omnia euanescerent: et in nihilum abirent.
|
(2083) Notre vision ne voit pas la substance des choses, comme on le sait
bien, ni la matière, ni la forme, ni l'âme, mais seulement leurs accidents. |
Visus noster non uidet substantias rerum:
ut notum est: non materiam:
non formam: non animam: nisi
accidentia.
|
(2084) Mais Dieu, lui, pénètre tout, intérieur et extérieur "jusqu'au coeur"
et connaît tout. |
At deus intima et extima penetrat: omnia
intus et in cutePERS. 3, 30 noscit.
|
(2085) Bien que nous parlions ici de la connaissance de Dieu, pour éviter que
notre explication ne devienne un volume démesuré, nous ne nous jetterons pas dans
les finesses d'Ockham, le plus minutieux des théologiens, qu'il expose dans le
Centiloquium quand il s'exprime ainsi : "Dieu sait le passé
et le futur" et précise : "Dieu est le savoir par lequel a procédé le savoir
du passé, et par lequel procèdera le savoir du futur, ou encore Dieu est cet acte
qui a été connaissance du passé et sera connaissance du futur", puisque le savoir
se rapporte à ce qui est su, et que les éléments mis en rapport en même temps se
complètent et s'annulent. |
Licet autem de scientia dei hic loquamur:
tamen ne in uolumen ingens nostra exeat explanatio:
nequaquam in angustias illas occami
argutissimi theologi nos coniiciemus:
quas ille dum subit: in centi. istiusmodi uerba:
deus scit præterita et futura: ita
declarat: deus est scientia: qua fuit scientia præteritorum. Et qua erit scientia futurorum. Vel deus est ille actus: qui fuit præteritorum cognitio:
et qui futurorum erit cognitio:GUIL. OCC. centil. theol., 83 cum scientia referatur ad id quod scitur: et relata se pariter et apponant: et tollant.
|
(2086) Mais nous ne donnons pas à l'adverbe ante ("avant") une
signification temporelle, comme ce défenseur rigide de la correction grammaticale
qui dit que Dieu n'existait pas "avant" la création du monde, car avant la
création du monde, il n'y avait pas de temps. |
Sed nec ante
aduerbium: lta astringimus significantia
temporis: ut ille ibi proprietatis grammaticæ
rigidus assertor: negat ante creationem mundi deum
fuisse: quia ante creationem mundi tempus non
fuit.
|
(2087)
Ante ("avant") est bien un adverbe de temps. |
Ante autem est aduerbium temporis.
|
(2088) Mais, pour ce qui est de nous, affranchissons maintenant ces mots de
ces liens de la correction, et il n'est plus besoin d'explication : Dieu sera
éternellement, autrement dit Dieu n'aura ni cause ni fin à son existence, puisque
l'usage des Anciens est bien plus simple et courant. |
Nos istis proprietatis uinculis nunc has uoces absoluamus. Nec opus est exponere:
deus in æternum erit: id est deus non habebit causam
uel finem suæ existentiæ: cum usus antiquiorum sit
multo planior et celebrior.
|
(2089) Il suffira largement de citer cette phrase d'Augustin pour expliquer
les mots suivants d'Arator ; Augustin écrit : "toutes les créatures,
spirituelles et corporelles, Dieu ne les connaît pas parce qu'elles sont, mais
elle sont parce que Dieu les connaît". |
Illud Augustini erit
multo satius huc adducere ut sequen[43v]tia Aratoris uerba explicentur.
uniuersas inquit creaturas et spirituales et corporales: non quia sunt ideo nouit deus sed ideo
sunt: quia nouit.AVG. trin., 15, 13
|
(2090) Donc, puisque Dieu, dont l'être même est intelligence, est par son
savoir la cause de toute chose, par l'adjonction de sa volonté, c'est en savant
qu'Arator, en parlant de la création, a évoqué le savoir de Dieu et a ajouté
materiemque operis sola est largita uoluntas ("quant à la
matière de son ouvrage, sa seule volonté la lui a fournie"). |
Cum ergo deus: cui esse est suum
intelligere: per suam scientiam sit causa omnium
rerum adiuncta uoluntate: docte arator de creatione loquens: scientiam dei nominauit:
et adiunxit:
materiemque operis sola est largita
uoluntas.
|
(2091) Comme, en effet, le savoir est connaissance des opposés, il ne
produirait aucun effet, s'il n'était poussé à l'unité par l'action d'un penchant
naturel. |
Cum enim scientia sit oppositorum: non
produceret effectum: nisi ad unum per appetitum
impelleretur.
|
(2092) Ensuite quand il précise Rerumque creas etc ("et des
choses tu crées etc), il faut comprendre la rationalité de la création divine
profonde et difficile à exposer, mais pour notre part, dans le but d'expliquer,
nous nous servirons de l'exemple des artisans. |
Deinde cum subiungit: (Rerumque creas etc. ) attendenda est ratio diuinæ fabricæ sane
profunda et enarratu difficilis. sed nos: explicandi gratia:
artificum exemplis utamur.
|
(2093) Le fameux Phidias, quand il faisait une forme de Jupiter ou de
Minerve, contemplait quelque forme d'où il tirait leur ressemblance, car il y
avait dans son esprit une certaine figure admirable de la beauté, qu'il regardait
et sur laquelle il se fixait et qui dirigeait à sa ressemblance son art et sa
main. |
Phidias ille:
cum iouis formam aut mineruæ faceret:
contemplabatur aliquam: e qua similitudinem
duceret: ipsius quia in mente insidebat species
pulchritudinis eximia quædam: quam intuens in eaque
defixus: ad illius similitudinem artem et manum
dirigebat.
|
(2094) Donc, de même que c'est en imitant une figure qu'il a dans sa pensée
et une idée, que l'artiste fabrique sa statue, de même l'artisan éternel, à partir
d'une idée du monde divin et éternel, a formé l'image de ce monde temporaire et
sensible. |
Vt ergo artifex excogitatam speciem et ideam imitando: statuam fabricatur: sic
æternus faber ex idea mundi illius diuini et æterni:
imaginem huius temporarii et sensilis expressit.
|
(2095) Mais, en aucune espèce, il n'est rien de si beau, que ne soit plus
beau encore ce dont en est tirée l'expression (de fait la vérité l'emporte sur
l'imitation), ce qui ne peut être perçu ni par l'œil, ni par aucun sens, et que
nous n'embrassons que par la pensée et l'esprit. |
Sed nihil est in ullo genere tam pulchrum : quo non pulchrius id sit unde illud exprimit (uincit enim
imitationem ueritas) quod nec oculis: nec ullo
sensu: percipi potest:
cogitatione tantum et mente complectimur.
|
(2096) Or puisque la forme, selon l'enseignement de Duns Scot, soit est celle
du tout, comme l'humanité, ce qui revient à dire la quidité même (pour ainsi
dire), soit est celle d'une substance formée par condensation, nous expliquerons
ainsi le poème d'Arator. |
Cum autem forma iuxta scoti dogma: uel sit totius: ut humanitas: quæ est ipsa
quiditas (ut ita loquar: ) uel forma sit pars
concretæ substantiæ: Carmen Aratoris ita explicabimus.
|
(2097)
qui deus creas formas ("Dieu qui crées les formes"), telle ou telle
forme pour telle ou telle chose : per nomina ("par leur nom")
autrement dit les idées intérieures à son esprit, comme l'artisan regarde l'idée
de la maison quand il fabrique une maison. |
qui deus creas formas et has
et illas rerum:
per nomina id est ideas
illas mentis internas: ut faber ideam domus
intuetur: cum domum fabricatur.
|
(2098) Pourquoi les idées sont-elles appelées nomina ("noms"),
voici ce que je vais expliquer maintenant. |
Cur ideæ nomina
dicantur: mox declarabo.
|
(2099) Ici je n'utilise pas le mot 'idée' comme les Stoïciens ou les
disciples de Zénon qui, selon Plutarque dans le livre 2 des Opinions des
Philosophes, dirent que les idées étient des notions anticipées dans
notre âme, ni comme Aristote qui conserva certes la notion d'aspect et d'idée,
mais en ne disjoignant ni l'une ni l'autre de la matière, ni non plus comme la
plupart des Platoniciens, dans le genre de Proclus ou de Plotin, qui reconnaissent
que l'on peut aussi nommer l'idée être, mais qui affirment que, de même que Dieu
est au-dessus des essences, de même il est au-dessus des idées. |
Ideas autem hic uoco: non ut stoici
zenoniique authore plutarcho in ii de placitis
philosophorum: ideas esse dixerunt
notiones anticipatas in animis nostris. non ut
Aristoteles: qui et ipse species quidem et ideas reliquit: sed neutique a materia disiunctas: non
ut plærique Platonici: cuiusmodi proclus ac plotinus
: qui ideam fatentur esse ens et dici: sed deum ut supra essentia: ita supra ideas esse contendunt.
|
(2100) Non, dis-je, je ne suivrai l'autorité ni des uns ni des autres, mais
le céleste Augustin, qui dit que les idées sont des formes principes ou la
rationalité stable et immuable des choses, qui elles-mêmes n'ont pas de forme,
mais se comportent toujours de la même manière et sont contenues dans
l'intelligence divine. |
non inquam hos uel illos sequimur: Sed
coelestem augustinum: qui ait ideas esse principales quasdam formas: uel rationes rerum stabiles atque
incommutabiles: quæ ipsæ formatæ non sunt: ac per hoc semper æternæ:
ac semper eodem modo sese habentes: quæ in diuina
intelligentia continentur.
|
(2101) Et, alors que ces idées ne naissent ni ne meurent, on dit cependant
qu'est formé conformément à elles, tout ce qui peut naître et mourir et tout ce
qui naît et meurt. |
Et cum ipsæ non oriantur nec intereant:
secundum eas tamen formari dicitur: omne quod oriri
et interire potest: et omne quod oritur et
interit.
|
(2102) Puisque cela a été fixé et admis par les savants, il reste que tout
est fondé selon une rationalité, et, dans son genre individuel, produit par une
certaine nature qui lui est propre, l'homme selon une rationalité différente de
celle du cheval, l'aigle différente de celle du lion, le dauphin différente de
celle de la baleine, mais marquées chacune par des signes différents et propres à
chaque espèce. |
Hoc constitutum et concessum cum sit prudentibus: restat ut omnia ratione sint condita: et in suo genere propria quadam natura producta. nec eadem ratione homo qua equus: nec eadem aquila qua leo: nec eadem
delphinus qua balena: sed differentibus inter se ac
propriis singulæ species insignuntur notis.
|
(2103) Donc chaque chose est créée selon sa propre rationalité, elle est de
toute éternité dans l'esprit même du Créateur. |
Singula igitur propriis sunt creata rationibus: quæ ab æterno in ipsa sunt mente creatoris.
|
(2104) En effet il ne voyait rien qui soit placé hors de lui-même, de sorte
qu'il créât selon cela ce qu'il créait. |
Non enim extra se positum quicumque intuebatur: ut secundum id constitueret: quod
constituebat.
|
(2105) Donc, les idées demeurent immuables dans le Verbe et c'est par la
participation à ces idées qu'il arrive que soit tout ce qui est, de quelque
manière que ce soit, marqué par sa propre rationalité. |
Ideæ ergo manent incommutabiles in uerbo:
quarum participatione fit: ut sit quicquid
quoquomodo est propria quadam ratione insignitum.
|
(2106) Ces considérations d'Augustin peuvent assez ouvertement s'appliquer au
vers d'Arator, et ainsi nous pouvons dire creas formas rerum ("tu
crées les formes des choses") évidemment celles par lesquelles les choses sont
achevées et définies, comme par quelques signes, per nomina ("par
leurs noms") autrement dit par ces rationalités stables qui représentent et
marquent les choses, de sorte que des noms, dans le langage ou dans l'intellect,
représentent ces choses comme des symboles et des signes. |
Hæc uerba Augustini
satis aperte uersui Aratoris possunt
accommodari: ut dicamus creas formas rerum.
scilicet eas per quas res perficiuntur et terminantur. quasi quibusdam notis:
per nomina id est per omnes
illas stabiles: quæ ita repræsentant res et
notant: ut nomina uel uocalia uel intellectualia
repræsentant res tanquam symbola et notæ rerum.
|
(2107) C'est selon les idées aussi que l'âme de l'homme connaît toute
chose. |
secundum ideas etiam anima hominis omnia cognoscit.
|
(2108) De fait, le bienheureux connaît toute chose dans sa rationalité
éternelle, quand il voit Dieu et tout ce qui est en lui, de même que celui qui
voit dans un miroir toutes les choses dont les images sont reflétées dans le
miroir. |
Nam beatus in rationibus æternis omnia cognoscit: cum deum uidet: et omnia
in eo: quemadmodum is qui in speculo uidet ea: quorum imagines in speculo resiliunt.
|
(2109) Mais, nous qui sommes encore en pèlerinage, nous ne connaissons en ces
idées que par ce qui participe d'elles, comme si nous disions que nous voyons dans
le soleil des choses que nous voyons par lui. |
Nos uero: qui pegrinamur: non cognoscimus in illis aliquid nisi per earum
participatum: ut si diceremus: nos in sole aliqua uidere: quæ per eum
uidentur.
|
(2110) En effet, notre lumière, qu'est-ce d'autre qu'une ressemblance qui
participe de la lumière incréée dans laquelle sont contenues les idées. |
Nostrum enim lumen quid est nisi quædam participata similitudo
luminis increati: in quo ideæ continentur?
|
(2111) De là vient la parole du prophète : "tu as marqué sur nous la
lumière de ton visage, Seigneur", ce qui revient à dire : tout est montré en
nous avec la marque du sceau même de l'éternelle lumière. |
Vnde uates:
signatum esse (inquit) super nos lumen uultus tui domine:Ps 4, 7 quod dicitur per ipsam sigillationem æterni luminis in nobis omnia
demonstrantur |
(2112) Mais cette vision n'est pas adaptée à n'importe quelle âme, l'esprit
d'un philosophe païen, mais à un saint homme (comme l'affirme Augustin). |
Sed earum uisioni non quælibet anima nostra philosophi ethnici
mens: sed sancti uiri (ut augustinus autumat) idonea est.
|
(2113) Donc (pour en revenir au point de départ de notre propos) la
détermination et la propriété des formes, dans laquelle consiste la distinction
des choses, revient aux idées du Verbe divin, qui sont dans la sagesse divine qui
pense l'ordre de l'univers. |
Ergo (ut regrediamur eo unde huc deflexit oratio) formarum
determinatio ac proprietas: in qua rerum consistit
distinctio: reducit ad ideas uerbi diuini: quæ in sapientia diuina sunt ordinem uniuersi
excogitante.
|
(2114) Or, puisque unique est la substance de Dieu, unique est l'idée, mais
elles se multiplient à raison des choses créées diverses, et participant de
manière diverse à la ressemblance de Dieu. |
cum autem una sit dei substantia: una est
idea: sed multiplicantur iuxta respectum ad res
creatas: et diuersas: et
modo diuerso dei similitudinem participantes.
|
(2115) Les formes créées atteignent la similitude avec les idées incréées non
pas par ressemblance d'aspect, comme l'homme engendré qui accède à la ressemblance
de son géniteur, mais par quelque représentation de la rationalité conçue
intellectuellement par Dieu, de la même manière que la maison qui est dans la
matière renvoie à la maison qui est dans l'esprit de l'architecte. |
Attingunt formæ creatæ similitudinem increatarum idearum non
similitudine speciei: ut homo genitus ad
similitudinem gignentis accedens: sed
repraesentatione quadam rationis a deo intellectæ:
ut domus quæ est in materia: domum refert eam: quæ in mente est architecti.
|
(2116)
Creas ("tu crées") donc évidemment au commencement du monde, en
raison de ce qui suit : cum fierent ("alors qu'elles étaient
faites"), évidemment les choses par Dieu au commencement du monde, uox erat
semen ("ta voix était semence"), voilà qui est dit finement et avec
propriété. |
(Creas) ergo
scilicet in principio mundi: propter id quod
sequitur: (cum) fierent scilicet a deo res in principio
mundi:
uox erat semen Acute et
proprie locutus est.
|
(2117) Maintenant, en effet, c'est de la semence de l'animal qu'est engendré
l'animal, et c'est de la semence et du grain de blé que sont engendrés le blé et
la moisson, mais alors ce n'était pas d'une semence précédente ou préexistante sur
terre que Dieu créa les êtres animés, mais c'est la parole de Dieu lorsqu'il la
prononça qui fit germer sur terre l'herbe verdoyante. |
Nunc enim ex semine animalis gignitur animal: et ex semine et grano tritici gignitur triticum et seges. at tunc non ex semine aliquo præcedente aut
praexistente in terra deus animata procreauit: sed
uerbum dei dicentis germinet terra herbam uirentemGn 1, 11:
|
(2118) Cette uox erat semen ("voix était semence") et principe engendrant les
êtres animés avec les semences primordiales. |
hæc uox erat
semen et principium generans animata cum seminibus
primordialibus.
|
(2119) De fait, comme le raconte Moïse dans le Genèse, Dieu faisait tout par
ses paroles, et produisait les formes de toutes choses, comme je l'ai abondamment
exposé plus haut, et pour ne pas m'attarder davantage. |
Nam ut in genesi narrat moses: deus per sua
uerba omnia faciebat: et formas cunctarum rerum
producebat: ut etiam supra abunde exposui: ne hic diutius morarer:
|
(2120) Le mot nomen est quasiment équivalent à
nouimen ou aussi notamen ou au grec ὄνομα. |
Dicitur autem nomen quasi
nouimen uel notamen uel ab onoma.
|
(2121) Le nom est ainsi le mot qui individualise et ce qui nous permet de
signifier la chose. |
Est autem nomen uocabulum singulorum: et
id quo res significamus.
|
(2122) Donc, comme le prophète le dit, Dieu créa toute chose en la
nommant ; il dit en effet "que le lumière soit et la lumière fut", et Dieu
dit : "qu'il y ait un firmament, que la terre fasse germer l'herbe verdoyante
et qui produit sa semence, et l'arbre fruitier qui produit du fruit selon son
espèce et il en fut ainsi" ; Dieu dit aussi : "qu'il y ait des
luminaires que les eaux produisent les reptiles vivants et les oiseaux sur la
terre" etc. |
Vt ergo propheta: ait: deus creauit omnes res ipsas nominando.
dixit enim fiat lux: et facta est lux.Gn 1, 2 dixit quoque deus.
fiat firmamentumGn 1, 6 et germinet terra herbam uirentem: et
facientem semen: et lignum pomiferum: et faciens fructum iuxta genus suum: et factum est ita.Gn 1, 11 dixit quoque deus:
fiant luminaria.Gn 1, 14
producant aquæ reptile animæ uiuentis: et
uolatile super terram Gn 1, 24etc.
|
(2123) Donc en voyant cela le poète dit : et creas ("et
tu crées"), évidemment toi Dieu, formas rerum ("les formes des
choses") évidemment animées et inanimées, per nomina ("par leur
nom") autrement dit par les mots et les désignations des choses créées
elles-mêmes. |
Hæc ergo inspiciens poeta
ait: (et
Creas) scilicet tu deus formas rerum scilicet animatarum et ianimarum per nomina id est per uerba et
uocabula ipsarum rerum creatarum.
|
(2124) De fait, quand Dieu les nomme, immédiatement les choses produites
obéissent à l'ordre de leur créateur selon la parole de Dieu. |
Nam nominante ipsas deo: statim
obediebant imperio creatoris sui res productæ.
secundum uerbum dei.
|
(2125) (Cum fierent ("comme elles étaient faites")) évidemment
les choses par Dieu, comme les étoiles, les luminaires, les formes et les espèces
des divers êtres animés ; uox ("la voix") autrement dit celle
de Dieu qui prononce la parole "que la lumière soit", "qu'il y ait un
firmament" ; donc uox ("la voix") autrement dit la prise de
parole de Dieu, erat semen ("était semence"), autrement dit
principe et cause des choses créées. |
(Cum fierent)
scilicet res a deo ut stellæ: luminaria: formæ et species uariorum animatorum:
uox id est uerbum dei
dicentis fiat lux:Gn 1, 2
fiat firmamentum.Gn 1, 6 ergo uox id est
locutio dei:
erat semen id est
principi[44r]um et causa rerum creatarum.
|
(2126) De fait, de même que c'est de la semence que naissent les moissons, de
même c'est de la parole de Dieu que naissait tout ce qu'il nommait par cette
parole. |
nam ut ex semine nascitur seges: ita ex
uerbo dei nascebatur quicquid nominabat per illud uerbum.
|
(2127) Mais on me dira : comment le Père parlait-il ? Vers quoi
était dirigé le son de cette parole, alors qu'il pouvait, sans parole articulée,
produire la totalité des êtres ? |
Sed dicet aliquis: quomodo deus pater
loquebatur: aut ad quid sonabat uerba illa: cum sine locutione strepente posset cuncta
producere.
|
(2128) Augustin résout ce nœud, et moi aussi, ci-dessus, j'ai exposé ce même
point. |
Augustinus nodum hunc explicat: et ego supra hoc ipsum enodaui.
|
(2129) En effet, Dieu le Père, quand au commencement il créait les choses,
n'a pas parlé de manière corporelle, comme il le fait selon le récit évangélique,
quand, pour de nombreux auditeurs, retentit cette parole : "tu es mon fils
bien-aimé dans lequel etc.". |
non enim deus pater: in principio cum res
crearet: corporaliter locutus est: sicut narrante Euangelio:
cum illa uox multis audientibus sonuit:
Tu es filius meus dilectus in quoMc 1, 11 etc.
|
(2130) En effet, dans quelle langue aurait-il fait retentir cela alors qu'il
n'existait encore aucune diversité de langues, et qu'il n'y avait aucune langue
qui fût parlée, ni quiconque qui doive entendre et comprendre, comme dans
l'évangile le Père apparut dans cette parole formée pour un temps, non pour
indiquer à son fils ce qu'il savait déjà, mais pour que cette parole diffuse pour
les auditeurs la connaissance de ce Fils qu'ils ignoraient ? |
qua enim lingua sonaret: cum linguarum
diuersitas nondum esset? nec lingua erat una et sola
quæ loqueretur: nec erat quem oporteret audire et
intelligere: ut in euangelio: pater in uoce illa ad tempus formata apparuit: non ut filio suo indicaret quod sciebat:
sed ut auditoribus proficeret in cognitionem eius qui ignorabatur.
|
(2131) C'est donc à bon droit que l'on entend ici par voix de Dieu la parole
qui est comprise dans le son de sa voix. |
Bene ergo accipitur uox dei: uerbum quod
in sono uocis intelligitur.
|
(2132) On dit, en effet, que cela même s'applique à la nature de la parole
par laquelle tout a été fait. |
Ad naturam enim uerbi: per quod omnia
facta sunt hoc ipsum pertinere dicitur.
|
(2133) Quand en effet Dieu dit : "que la lumière soit", nous comprenons
que ce qui est dans la parole, c'est qu'elle soit faite. |
Cum enim dixit deus:
fiat lux:Gn 1, 2 intelligimus in uerbo esse ut fieret.
|
(2134) Mais quand il ajoute : "et il en fut ainsi", nous comprenons que
la créature ainsi faite n'a pas dépassé les bornes fixées par avance dans la
parole pour son espèce. |
Cum uero addit:
et factum est ita:Gn 1, 9 intelligimus factam creaturam non excessisse præfixos in uerbo
terminos generis sui.
|
(2135) Voilà pourquoi il dit nec natura distulit ortus sequens
imperium (et la nature n'a pas différé leur naissance en suivant son
commandement) et la prescription de la parole divine ; mais aussitôt obéït à
Dieu natura ("la nature") autrement dit l'ensemble des choses
naturelles, ou alors natura ("la nature") évidemment de chaque
espèce, non distulit ("n'a pas différé") autrement dit n'a pas
repoussé à plus tard, ni renvoyé au lendemain, ni fait traîner en longueur leur
ortus ("naissance"), autrement dit le fait qu'ils naissent,
sequens ("suivant") évidemment la nature,
imperium ("le commandement") évidemment de Dieu qui prononçait
cette parole. |
ideo ait (nec natura)
distulit ortus sequens imperium et mandatum uerbi diuini: sed deo statim obtemperauit.
natura id est uniuersitas
rerum naturalium: uel natura scilicet singulorum generum:
non distulit id est non
procrastinauit: non comperendinauit: non traxit in longum: suos
ortus id est suam
natuitatem: sed statim nata est iuxta uerbum dei
sine dilatione temporis:
sequens scilicet natura:
imperium scilicet dei
dicentis.
|
(2136) Voilà, comme je l'ai dit plus haut, d'où vient que cette profération
extérieure de Dieu n'est rien d'autre que la création, et voilà pourquoi, autant
il y a de créatures, autant il y a de noms et de paroles prononcées par
Dieu. |
Vnde (ut supra dixi) hæc locutio dei extraria: nihil aliud est nisi creatio. ideoque: quot sunt creaturæ: tot
erant nomina et uerba dei dicentis.
|
(2137) Mais, dans la profération interne de Dieu, la parole est unique et en
tout absolument parfaite et absolue, comme je l'ai dit plus haut. |
At in locutione dei interna unicum est uerbum undequaque
perfectissimum absolutissimuque: ut supra dixi.
|
(2138) Mais quand Moïse ajoute : "et Dieu vit que cela était bon", nous
comprenons que, dans la bonté de son esprit, ce n'est pas comme si cela ne lui
avait plu parce qu'il ne l'aurait connu qu'une fois créé, mais ce qui lui a plu
dans cette même bonté, c'était que demeure créé ce qu'il lui a plu de créer. |
Cum uero addit moses:
et uidit deus quod esset bonum:Gn 1, 10 intelligimus in benignitate spiritus eius:
non quasi cognitum postquam factum est: placuisse: sed in eadem bonitate placuisse: ut factum maneret in qua placuit ut fieret.
|
(2139) Voilà pourquoi, en effet, Dieu aime sa créature, de sorte qu'il lui
donne l'existence, et lui donne de demeurer. |
Ideo enim diligit deus creaturam suam ut sit: et ut maneat.
|
(2140) De là vient qu'un peu plus haut le très éminent et sublime prophète a
dit : "et l'Esprit du Seigneur planait sur les eaux". |
Vnde paulo supra: idem eminentissimus ac
sublimis uates:
et spiritus inquit domini ferebatur super aquas.Gn 1, 2
|
(2141) Au témoignage de Jérôme, nous ne comprenons pas que Moïse a parlé de
l'esprit du monde, mais de l'Esprit saint, qui lui-même est celui qui vivifie
tout. |
non intelligimus teste hieronymo: de spiritu mundi
mosen locutum: sed de spiritu sancto: qui et ipse est
omnium uiuificator.
|
(2142) Mais s'il est celui qui vivifie et qui crée, si celui qui crée est
Dieu, comme en effet nous l'avons dit plus haut, tous les prédicats qui sont dits
de Dieu passent dans la substance et sont dits de manière conjointe, à l'exception
de la relation qui ne passe dans la substance qu'en raison du sujet dans lequel
elle se trouve. |
Si autem uiuificator et conditor. Si
conditor et deus. Vt enim supra diximus: omnia prædicamenta dicta de deo transeunt in
substantiam et comiter dicuntur: excepta
relatione: quæ ratione subiecti in quo est: transit in substantiam.
|
(2143) Mais, quand bien même le nom signifierait de manière distincte quelque
opération dans les personnes divines, il ne convient pas d'appliquer ce terme au
nom qui est commun aux trois personnes. |
Sed si nomen significaret distincte aliquam operationem in
diuinis: haud id conuenit dici de nomine communi
tribus personis.
|
(2144) Les noms qui signifient des opérations des trois personnes distinctes
sont du genre que voici : "engendrant face à engendré, spirant face à spiré,
procédant de l'un et l'autre, face à assumant pour lui la nature humaine dans
l'unité du support, et d'autres noms ou mots semblables, que l'on prend au sens
actif ou passif et qui ne peuvent s'appliquer à toutes les personnes
conjointement". |
nomina significantia distinctas operationes distinctarum
personarum sunt huiusmodi:
generans: generatum: spirans: spiratum: ab utroque procedens: assumens sibi naturam humanam in unitate suppositi: et similia nomina uel uocabula:actiue uel passiue accepta: quæ non possunt congruere cunctis personis
coniunctim:GUIL. OCC. centil. theol. 61
|
(2145) "Les noms communs sont : Dieu, essence divine, création active,
cause première, et autres noms semblables qui signifient les personnes divisées
séparément et conjointement". |
nomina communia sunt: deus: essentia diuina:
creatio actiua: prima causa: et similia significantia personas diuisas
diuisim et coniunctim.
GUIL. OCC. centil. theol. 61
|
(2146) "De fait une personne, quelle qu'elle soit, est Dieu, et toutes les
trois personnes divines sont Dieu". |
nam quælibet persona est deus: et cunctæ
personæ tres diuinæ sunt deus.
GUIL. OCC. centil. theol. 61
|
(2147) Les premiers noms ne peuvent être employés pour ces réalités-là, parce
qu'on ne dit pas qu'engendrant est l'essence divine, sinon quelqu'un qui est Dieu
est celui qui engendre le Fils dans l'ordre divin. |
Illa priora non possunt dici de his posterioribus: quia non dicitur: generans
est essentia diuina: nisi:
aliquis qui est deus: est generans filium in
diuinis.
|
(2148) Dieu mourait sur la croix s'explique alors par le Fils qui est Dieu
mourait sur la croix. |
Deus moriebatur in cruce: exponitur id
est filius qui est deus: moriebatur in cruce.
|
(2149) Et on peut dire "le Père est Dieu" en disant vrai, et Père signifie
l'opération distincte qui établit la distinction de la personne, non cependant de
manière immédiate, comme "engendrant" signifie immédiatement et séparément
l'opération qui établit la distinction de la personne, comme le montre Ockham au
chapitre 61 du Centiloquium. |
Et licet pater est deus: uere dicitur: et pater significat distinctam operationem
distinctiuam personæ: non tamen immediate: ut generans immediate et distincte significat
operationem distinctiuam personæ: ut ostendit
occamus in centi.
con. Ixi.
|
(2150) Mais créer est une désignation commune et évidemment il convient aussi
à l'Esprit. |
At creare est nomen commune: et spiritui
quoque scilicet congruit.
|
(2151) De là vient que le prophète déclare : "envoie ton Esprit et ils
seront créés", et, ailleurs, le même saint poète et roi déclare : "par la
parole du Seigneur, les cieux ont été affermis et par l'Esprit de sa bouche toute
leur force". |
Vnde EmittePs 103, 30 (propheta ait)
spiritum tuum et creabuntur.Ps 103, 30 et alibi:
ldem poeta sacer et rex:
Verbo domini cœli firmati sunt: et
spiritu oris omnis uirtus eorum.
Ps 32, 6
|
(2152) Observant ces paroles avec un œil vigilant, Arator ajoute mox
spiritus oris ("bientôt l'Esprit de sa bouche") autrement dit de Dieu
le Père, qui émane du Père et du Fils, autrement dit l'Esprit saint ὁμοούσιος,
curuauit æthera ("courba l'éther") autrement dit le ciel,
nexuit ("affermit") autrement dit lia, sola ("le
sol") autrement dit la terre, évidemment dans sa forme solide, fudit
æquora ("fit couler les eaux") évidemment dans leur flux et leur nature
liquide, et sola uoluntas ("la seule volonté") évidemment de Dieu,
est largita ("lui a fourni) autrement dit a donné,
materiem operis ("la matière de son ouvrage") évidemment le
monde. |
quæ uerba uigilanti oculo spectans Arator subdit. ( Mox spiritus) oris id est dei patris a patre
filioque emanans id est spiritus sanctus homousios:
curuauit æthera id est
cœlum:
nexuit id est ligauit.
sola id est terram scilicet
sua firmitate:
fudit æquora scilicet suo
fluore et natura liquida: et sola uoluntas scilicet dei:
est largita id est dedit
materiem operis scilicet
mundani.
|
(2153) Il faut remarquer avec attention, avec quelle précision et quelle
science Arator a écrit ces vers sur la création du monde, dans lesquels on peut
voir qu'il n'a rien mis de vain ou à la légère, mais que tous ses mots fourmillent
des secrets du divin mystère. |
Est autem notandum mente uigili: quam
acute: et quam docte hos uersus scripserit
Arator de mundana fabrica: in quibus licet uidere:
nihil ab eo positum fuisse frustra aut temere: sed
cuncta scatere uerba eius diuini mysterii arcanis.
|
(2154) Et si quelqu'un mesure dans son esprit la difficulté et la grandeur de
ces matières, il jugera que je n'ai pas été long, mais excessivement bref dans mon
explication. |
Quod si quis metiatur animo rerum difficultatem ac
magnitudinem: me non longum sed breuissimum
fuisse in explicando iudicabit.
|
(2155) Qu'il se remette en mémoire ce mot de Pline dans ses lettres :
"pour ma part je pense que le devoir de l'écrivain est de lire son titre, et de
même de se demander ce qu'il a commencé à écrire, et de savoir que, s'il s'attarde
sur sa matière, il n'est jamais long, mais qu'il est excessivement long s'il va
sur quelque sujet connexe". |
Reuocet enim in memoriam illud plinii in epistulis:
ego inquit officium esse scriptoris existimo ut titulum suum
legat: et identidem interroget se: quid cœperit scribere: sciatque si materiæ immoratur:
non esse longum. Longissimum: si aliquid accersat atque attrahat.PLIN. epist., 5, 6, 42
|
(2156) Pour ma part donc, il me semble que je garde la mesure, et que je ne
fais pas d'excursus, si j'explique avec grand soin ces vers d'Arator, puisque
c'est là pour l'occasion notre travail. |
Ego igitur modum mihi seruare uideor. non
excurrere: si hos uersus Aratoris diligentius adhuc explicauero: cum hoc sit in præsentiarum opus nostrum:
|
(2157) Et il faut d'abord prendre conscience de la manière dont il fait de
Dieu, pour ainsi dire, l'architecte de cette maison qu'est le monde, de ce temple
très auguste. |
Ac primum oportet animaduertere quo pacto deum constituit quasi
architectum huius domus mundanæ: huius templi
augustissimi:
|
(2158) Mais aussitôt il montre l'immense différence qui existe entre Dieu
l'architecte et un artisan humain. |
Verum quantum inter deum architectum et hominem artificem
intersit: statim ostendit.
|
(2159) L'homme, en effet, n'est pas artisan par sa parole comme Dieu, mais
par divers outils, tantôt qui lui sont propres, tantôt que sa technique a inventés
et c'est au prix d'un long labeur, et avec une matière qu'il a tirée d'ailleurs
qu'il travaille, et réalise sa construction. |
Homo enim artifex non uerbo: ut deus: sed uariis organis tum suis: tum arte sua inuentis: longo labore: et materia aliunde corrogata operatur: et efficit suam fabricam.
|
(2160) Au contraire, Dieu a tout créé par sa parole créatrice, en laquelle il
a tout dit, par quoi tous les êtres individuels ont été faits en un instant sans
labeur, dans une matière créée à partir de rien, et non préexistante, comme je
l'ai très largement expliqué plus haut. |
Contra uero deus sermone artifice omnia creauit. in quo omnia dixit: per quod singula
facta sunt in momento sine Iabore: in materia de
nihilo creata: non aliunde accepta: nec præsupposita ut supra copiosius explanaui.
|
(2161) Puisque la parole se rapporte au Père qui la prononce, unique est la
parole dans laquelle Dieu a tout créé, mais l'Ecriture, se mettant au niveau des
plus petits, considère, dans chaque genre de créature, la rationalité éternelle
qui se trouve dans la parole de Dieu, comme je l'ai largement expliqué. |
Cum autem uerbum referatur ad dicentem patrem: unum est uerbum in quo omnia creauit deus: sed scriptura condescendens paruulis [paruulus,sic!]: in uno quoque creaturæ genere respicit in
uerbo dei æternam rationem: ut etiam latius
exposui.
|
(2162) Il y a cependant en cela une comparaison appropriée de Dieu artisan
avec un artisan humain, de manière bien évidemment à exclure l'erreur de ceux qui
ont dit que le monde avait été créé par Dieu selon des modalités naturelles, comme
si l'on disait que le soleil est la cause de sa propre lumière, alors cependant
que le soleil n'existe jamais sans lumière. |
Est tamen in hoc apta dei artificis ad hominem artificem
comparatio: ut scilicet excludatur error
eorum: qui dixere:
mundum per modum naturæ fuisse a deo conditum: ut
solem si diceres esse causam suæ lucis: cum tamen
sol nunquam sine luce existat.
|
(2163) Telle est l'erreur qu'il détruit avec une belle comparaison prise dans
l'art puisque toujours, une fois créé l'art, l'artisan précède librement, quand il
créé (selon sa volonté), l'ampleur et le lieu de sa création. |
Hic error explodit pulchra similitudine artis: cum semper arte condita artifex præcedat Iibere (quod libitum
est) et quantum: et ubi libitum est: efficiendo.
|
(2164) (Per nomina ("par leurs noms")) on peut dire ici que
per nomina veut dire par ses paroles comme je l'ai
expliqué ; on peut aussi dire que per nomina veut dire par ton
nom et ton Verbe, en utilisant le pluriel pour le singulier. |
(Per nomina.) potes dicere per nomina id est per uerba sicut
exposui. uel per nomina id est per nomen et uerbum
tuum: ut sit pro singulari pluralis nume[44v]rus.
|
(2165) De fait, le Verbe de Dieu est devenu un nom sensible quand il a revêtu
la chair, ou encore per nomina ("par leurs noms"), autrement dit
les idées dont j'ai parlé ci-dessus. |
Nam uerbum dei factum est nomen sensile cum induit carnem. uel per
nomina id est ideas: de quibus supra
dixi.
|
(2166) Cette explication me semble convenir, en raison de ce que le poète
ajoute : creas formas rerum ("tu crées les formes des choses")
autrement dit les espèces individuelles, oiseaux, reptiles, bêtes aquatiques, et
tous les autres êtres vivants, arbres, fruitiers et non vivants, or, argent,
pierres précieuses et tout le reste, per nomina ("par leurs noms"),
autrement dit par leurs idées et leur rationalités immuables. |
Et uidetur apta hæc expositio: propter ea
quæ adiunxit:
creas inquit formas rerum id
est singulorum generum: uolatilium: reptilium: aquatilium: ceterorum uiuentium: ut herbarum: fruticum: arborum. non uiuentium. ut auri: argenti: lapillorum: et reliquorum:
per nomina: per ideas et rationes illas incommutabiles:
|
(2167) C'est aussi une désignation parfaitement adaptée que de désigner les
idées comme des noms. |
Est autem aptissima appellatio: ut ideæ
nomina dicantur.
|
(2168) De fait, comme les noms représentent pour nous ce que nous comprenons,
les idées divines représentent les perfections de toutes les créatures. |
Nam sicut nomina repræsentant nobis omnia quæ intelligimus: ita diuinæ ideæ repræsentant perfectiones omnium
creaturarum.
|
(2169) Mais les noms, qu'ils soient dans l'esprit ou proférés, représentent
les choses en tant que symbole et notation de ces choses. |
Sed nomina siue intellectualia: seu
uocalia: repraesentant res tanquam symbola et
notæ quædam rerum.
|
(2170) Les rationalités divines, au contraire, représentent les choses comme
leurs formes exemplaires, comme la forme de la maison qui est dans l'esprit de
l'architecte représente la maison qui est ensuite faite avec des matériaux, en
pierre ou en bois par exemple. |
At rationes diuinæ repræsentant res: ut
formæ exemplares earum: sicut forma domus quæ est in
mente architecti: repræsentat domum quæ fit in
materia uel saxea: uel lignea.
|
(2171) En effet, Dieu, voyant par avance et comprenant les noms et les idées
des créatures, a imprimé en elles des formes diverses. |
Intuens enim deus ante: et intelligens
nomina: et ideas creaturarum diuersas in illis
formas impressit.
|
(2172) En effet l'essence de Dieu est idée et forme exemplaire de toutes les
créatures. |
Est enim dei essentia idea: et exemplar
omnium creatorum.
|
(2173) Nous pourrions même dire a contrario que toute créature
représente Dieu et lui est semblable, dans la mesure où elle possède quelque chose
de sa perfection. |
Possemus etiam e contrario dicere: quia
omnis creatura deum repræsentat: et est ei
similis: quatenus perfectionem eius aliquam
obtinet.
|
(2174) Mais elle dégénère de cette forme d'une parfaite noblesse et de cette
forme exemplaire divine, comme la chaleur du feu par rapport à la chaleur du
soleil, pour ainsi dire. |
Sed a forma illa nobllissima: et diuino
exemplari degenerat : ut calor ignis a calore
solis: ut sic dicamus.
|
(2175) C'est ce qui fait, du moins, qu'il arrive que, alors que notre
intellect connaît le créateur par des effets qui ne représentent pas pleinement le
créateur, (de fait, si les effets constituaient une image égale à Dieu et sans
nulle différence, il n'y aurait pas un seul Dieu), autant les créatures sont en
défaut par rapport à la représentation de leur créateur, autant même les noms (que
nous tirons des créatures et que nous saisissons d'elles comme de quelque chose de
tout proche) se tiennent bien en dessous de l'excellence de la majesté divine, ces
noms par lesquels nous tentons d'exposer et d'expliquer la substance de Dieu et sa
puissance. |
Hinc sane accidit: ut cum intellectus
noster ex effectis non plene opificem repræsentantibus opificem cognoscat: (nam si effecta pari imagine deum æquarent ac sine
ullo discrimine: non unus deus esset) quantum
creaturæ a repræsentatione sui creatoris deficiunt:
tantum etiam nomina (quæ a creaturis expiscamur: et
quasi e proximo arripimus) infra diuinæ maiestatis excellentiam
subsideant: ac subiaceant: quibus dei substantiam ac uires enarrare: et explicare contendimus.
|
(2176) C'est donc avec justesse que l'on peut dire que les idées de la
sagesse divine sont des noms parfaits, puisqu'elles représentent avec une absolue
perfection toutes les créatures de la manière que j'ai dite. |
Recte ergo ideæ sapientiæ diuinæ nomina perfecta dici possunt: cum perfectissime omnes creaturas eo modo quo
dixi: repræsentent.
|
(2177) Les idées sont, en effet, les formes d'autres choses, qui ne sont pas
les choses mêmes qui existent, comme le dit le divin Thomas, cette colonne ferme
et solide de la théologie moderne. |
Sunt enim ideæ formæ aliarum rerum:
præter ipsas res existentes: ut ait diuus thomas recentioris theologiæ
firmum ac solidum columen.
|
(2178) Ces idées, on peut soit les comprendre comme des formes exemplaires,
soit comme des principes de connaissance, qui ne sont rien d'autre que l'essence
même de Dieu, par laquelle elles sont contenues. |
Hæ autem uel intelliguntur ut exemplaria:
uel sicut principia cognitionis: quæ nihil aliud
sunt quam ipsa dei essentia: qua continentur.
|
(2179) En outre, on peut les dire formes exemplaires dans la mesure où elles
dénotent le principe des choses qui seront créées et touchent à la connaissance
pratique. |
Cæterum dicuntur exemplaria: quatenus
principium notant condendarum rerum: ad practicam
cognitionem attinentia.
|
(2180) On peut les dire rationalités et noms comme je l'ai dit, dans la
mesure où elles désignent tout ce qu'embrasse la divine intelligence et regardent
alors vers la connaissance spéculative. |
dicuntur rationes: et nomina ut dixi: quatenus signant omnia:
quæ diuina intelligentia comprehendunt: ad
theoreticam scientiam spectantia.
|
(2181) Mais elle ne sont pas des formes exemplaires, sinon de ce qui est créé
à un moment du temps. |
Sed exemplaria non sunt: nisi eorum quæ
fiunt in aliquo tempore.
|
(2182) Les rationalités s'étendent à tout ce que Dieu connaît. |
Rationes ad omnia protendunt: quæ deus
cognoscit.
|
(2183) Voilà pourquoi, pour ce qui n'a pas été, ne sera pas et n'est pas, il
n'existe pas d'idée qui en signifie la forme exemplaire, mais seulement une idée
qui en signifie la rationalité. |
Quare eorum quæ nec fuerunt: nec erunt: nec sunt: non est idea ut
significat exemplar: sed solum ut significat
rationem.
|
(2184) N'allez pas vous laisser troubler par le fait que nous mettions les
idées au pluriel. |
Nec te conturbet: quod in numero
multitudinis ideas uocamus.
|
(2185) En effet, cela n'est pas contradictoire avec la monade absolument
simple qu'est la substance divine. |
Hoc enim non repugnat monadi simplicissimæ diuinæ substantiæ.
|
(2186) Je veux dire que Dieu est unique, unique est sa sagesse, unique est
son art, bien que nous mettions ses idées au pluriel. |
Vnus inquam est deus: una sapientia: una dei ars: quamuis
plures ideas nominemus.
|
(2187) En effet, l'art et la sagesse de Dieu signifient ce par quoi Dieu
comprend, les idées ce qu'il comprend. |
Ars enim et sapientia dei significant ut id: quo deus intelligit. Sed idea: ut id quod intelligit.
|
(2188) Mais il comprend parfaitement sa propre essence selon toute les
modalités qui la font intelligible, cela veut dire non seulement selon ce qu'il
est en lui-même, mais aussi selon que chaque créature, obtenant sa propre espèce,
participe en quelque manière de la ressemblance avec l'essence divine. |
At essentiam suam perfecte intelligit secundum omnem modum quo
est intelligibilis: hoc est non solum secundum id
quod in se est: sed etiam secundum quod unaquæque
creatura propriam obtinens speciem aliquo modo diuinæ essentiæ similitudinem
participat.
|
(2189) Donc, puisqu'il comprend sa propre substance en tant qu'ainsi imitable
en de multiples effets, il comprend en un seul acte d'intellection de multiples
objets, non seulement selon ce qu'ils sont en eux-mêmes, mais aussi selon la
raison qu'ils sont compris par lui. |
Cum ergo suam substantiam: ut sic
imitabilem pluribus effectis: intelligat: plura uno intellectu intelligit: non solum secundum quae in seipsis sunt:
sed etiam secundum quia intellecta ab eo sunt.
|
(2190) En effet, le bâtisseur connaît la forme de la maison dans la matière,
et dans son esprit, comme il connaît qu'il connaît la forme de la maison telle
qu'intérieurement il la conçoit, il connaît l'idée ou la rationalité de la
maison. |
Aedificator enim cognoscit formam domus in materia: et in mente sua formam domus interius conceptam
cognoscens se cognoscere: ideam uel rationem domus
cognoscit.
|
(2191) Or Dieu, par sa propre essence, non seulement connaît la multiplicité
des rationalités et des idées des choses, mais il connaît également qu'il connaît
la pluralité des formes des choses. |
Deus autem per essentiam suam non solum cognoscit multas rationes
uel ideas rerum: sed etiam cognoscit se cognoscere
plures illas rerum formas.
|
(2192) Il y a donc pluralité des idées comprises dans l'intelligence
divine. |
Plures ergo ideæ in intelligentia diuina sunt ut intellectæ.
|
(2193) Mais vous allez m'objecter une autorité théologique de poids, en
affirmant que, dans les personnes divines, tout est un, sauf la non-génération, la
génération et la procession. |
At obiicis molem autoritatis theologicæ:
quia in diuinis omnia unum sunt: præter
ingenerationem: generationem et processionem.
|
(2194) Donc la multitude, sous quelque forme que ce soit, sauf dans la
pluralité des hypostases, doit être absolument exclue de Dieu. |
Ergo quæcunque multitudo: excepta
hypostaseon pluralitate: a deo procul abigenda
est.
|
(2195) Mais nous ne contredisons nullement cette affirmation en postulant la
multiplicité des idées. |
Sed nihil illi repugnamus multitudine posita idearum.
|
(2196) De fait, les considérations qui rendent multiples les idées n'émanent
pas des choses, mais de l'intelligence divine qui compare sa propre essence aux
choses. |
Nam respectus: quibus ideæ
multiplicantur: non emanant a rebus: sed a diuina intelligentia essentiam suam ad res
comparante.
|
(2197) Et même si elles ne sont pas dans les choses, mais en Dieu car
comprises par lui, elles n'en sont pas cependant distinctes, comme le sont les
considérations hypostatiques, dans le fait, mais en rationalité. |
Et licet non sint in rebus: sed in deo ab
eo intellecti: non tamen re distinguuntur
quemadmodum respectus hypostatici. sed ratione.
|
(2198) Ce qui serait contradictoire avec la simplicité absolument simple de
cette monade, ce serait si c'était par l'intermédiaire de plusieurs aspects
extérieurs que son intellection était formée. |
Repugnaret simplicitati monados illius simplicissimæ: si per plures species intellectus eius
formaretur.
|
(2199) Donc, il existe plusieurs idées et plusieurs noms, et plusieurs
rationalités dans l'intelligence de Dieu, en tant qu'elles sont l'objet de son
intellection. |
Plures ergo ideæ ac plura nomina: plures
rationes in dei intelligentia sunt: ut intellectæ ab
ipso.
|
(2200) C'est donc avec grande science qu'Arator écrit : rerumque
creas per nomina formas ("tu crées les formes des choses par leur nom")
et par 'formes' j'entends très exactement les formes substantielles. |
Erudite igitur Arator
(rerumque inquit creas per
nomina formas.) per formas maxime
intelligo formas substantiales.
|
(2201) De fait c'est par sa forme essentielle que la chose acquiert son
unité. |
Nam per essentialem formam res nanciscitur unitatem.
|
(2202) Rien en effet n'est simplement un, sinon par une forme unique, par
laquelle une chose possède la qualité d'étant, et la qualité d'unité. |
Nihil enim est simpliciter unum: nisi per
formam unam: a qua res habet ut sit ens: et ut sit una.
|
(2203) Mais les choses qui sont dénommées à partir de plusieurs formes ne
sont pas simplement unes comme par exemple un homme de couleur blanche. |
Quæ uero a pluribus formis denominantur:
non sunt unum simpliciter ut homo albus.
|
(2204) Et si quelqu'un disait qu'il existe une forme de l'homme, qui le fait
vivre, appelons-la végétative, une autre sensible qui lui donne la sensation et en
fait un être animé, une autre encore intellectuelle qui en fait un homme, alors
l'homme ne serait pas un simplement, mais il faudrait que, dans l'intelligence de
Dieu, il y ait plusieurs idées pour une seule espèce et une seule forme, comme
Aristote le démontre contre Platon au livre 2 de la
Métaphysique. |
Quod si quis diceret aliam esse hominis formam: qua uiuit scilicet uegetalem: aliam
sensibilem qua sentit: et animal est: aliam intellectualem qua homo est: tunc homo non esset unum simpliciter: sed oporteret in intelligentia diuina unius
speciei et formæ plures esse ideas: ut Aristoteles in ii. ton
metataphysica aduersus platonem disserit.
|
(2205) Il existe donc une différence entre la forme essentielle et la forme
accidentelle : l'une fait que la chose est telle ou telle, l'autre qu'elle
est absolument : ainsi une chose soumise à la chaleur est chaude, mais elle
n'en devient pas pour autant ceci ou cela, mettons un cheval ou un lion ;
elle se contente de se réchauffer en conservant son intégrité de chose. |
Hoc ergo essentialis forma: hoc
accidentalis interest: Hæc facit rem esse talem: illa facit rem esse absolute: ut res subdita calori calida est: non
hæc uel illa id est non equus uel leo efficitur: sed
tantum rei integritate manente calefit.
|
(2206) Voilà pourquoi la forme essentielle donne simplement l'être, et la
chose est simplement engendrée pour aller son cours, et simplement corrompue pour
disparaître. |
Quamobrem essentialis forma dat esse simpliciter: et ad itionem eius res simpliciter generatur: et ad abitionem simpliciter corrumpitur.
|
(2207) Or il y a divers degrés de perfection dans la matière : vivre,
sentir, comprendre par exemple. |
Sunt autem diuersi gradus perfectionum in materia: ut uiuere: sentire: et intelllgere.
|
(2208) Mais celui qui vient après un autre est toujours supérieur à celui qui
le précède. |
Semper autem perfectior priore posterior est superueniens.
|
(2209) Voilà pourquoi on considère comme des choses plus parfaites les êtres
animés par rapport aux inanimés, les animaux par rapport aux plantes, les humains
par rapport aux bêtes brutes. |
Vnde animata inanimis: animalia
plantis: homines brutis perfectiora censentur.
|
(2210) C'est ce qui fait que l'espèce et la forme des choses diffèrent selon
qu'ils sont parfaits ou plus parfaits. |
Quare species et formæ rerum secundum perfectum et perfectius
differunt.
|
(2211) De fait, quand on ajoute un degré de perfection, les espèces des
choses ne diffèrent pas moins que les nombres quand on leur ajoute ou leur
soustrait un. |
Nam addito aliquo gradu perfectionis:
rerum species non minus differunt quam numeri per additionem uel
detractionem unitatis.
|
(2212) De fait, si l'on ajoute un à trois, on obtient quatre, chiffre qui
diffère de trois, bien qu'il soit contenu en lui, et si l'on ajoute un angle à un
triangle on obtient un tétragone, bien que ce dernier comporte en lui tous les
angles du précédent. |
Nam ternario addita unitas constituit quaternarium numerum a
ternario differentem: licet hic ab illo
contineatur: et unus angulus trigono additus
tetragonum efficit: quamuis hic omnes illius angulos
com[45r]plectatur.
|
(2213) Donc l'âme intellectuelle comprend dans son pouvoir tout ce qui
appartient à l'âme sensible des bêtes brutes et à l'âme végétative des
plantes ; comme le tétragone n'est pas d'un côté un triangle et d'un autre un
tétragone, mais comme il n'est en tout et pour tout qu'un tétragone, de même
Socrate est par l'âme un humain et par la même âme aussi un animal. |
Comprehendit ergo intellectualis anima in sua potestate: quicquid obtinet sensibilis brutorum ac uegetalis
stirpium: ut figura tetragonos non per aliam est
trigonos per aliam tetragonos: sed per unam et
eandem tetragonos est: ita socrates per unam animam est homo: et per eandem animal.
|
(2214) Donc la forme qui attribue à la matière le premier degré de perfection
est la plus imparfaite. |
Forma igitur materiæ primum gradum perfectionis tribuens: imperfectissima est.
|
(2215) Mais celle qui attribue à la fois le premier, le second, le troisième
et ainsi de suite pour tous les autres degrés, celle-là est la plus
parfaite. |
At ea quæ primum: secundum:ac tertium: ac deinceps dat
sequentes: perfectissima.
|
(2216) En outre, quant à savoir si celle qui est la plus parfaite appartient
à la matière de façon immédiate, les philosophes en discutent et l'affaire est
encore en procès. |
Cæterum an sit ea quæ perfectissima est:
immediata materiæ: philosophi certant et adhuc sub
iudice lis est.
|
(2217) Mais revenons-en au point d'où est partie cette digression. |
Sed iam eo unde digressa est: nostra
reuertatur oratio.
|
(2218) Dieu qui crée formas per nomina ("les formes par leurs
noms"), comme nous l'avons dit, est le créateur de la matière comme de la forme,
et des accidents qui accompagnent les choses créées elles-mêmes ; c'est pour
cela que la matière a été créée par Dieu, mais non sans la forme, et qu'elle
possède dans l'intelligence divine une idée, mais qui n'est pas autre que l'idée
du composé. |
Deus qui creat formas per
nomina: ut diximus: opifex est et materiæ: et formæ: et accidentium ipsas res conditas consequentium: ideoque materia creata a deo: sed non sine forma: obtinet in diuina
intelligentia ideam: sed non aliam ab idea
compositi.
|
(2219) De fait, la matière ne peut posséder l'être selon elle-même et elle
n'est pas connaissable. |
Nam materia secundum se: nec esse
obtinet: nec cognobilis est.
|
(2220) Les idées des genres ne sont pas différentes des idées des espèces, si
nous prenons les idées au sens de formes exemplaires. |
Ideæ generum non sunt aliæ ab ideis specierum: si ideas accipimus ut sunt exemplaria.
|
(2221) En effet jamais un genre ne se réalise sinon dans une espèce, et cela
doit être dit également pour les accidents qui suivent leur sujet en lui étant
indissociablement collés. |
Nunquam enim genus nisi in aliqua specie efficitur. Idem quoque de accidentibus: quæ inseparabili glutino subiectum consequuntur: dicendum.
|
(2222) Mais les accidents qui surviennent à une substance déjà concrétisée et
constituée, ont dans l'esprit divin leur nom propre et leur idée propre. |
At accidentia: quæ superueniunt
substantiæ iam concretæ ac constitutæ: nomen suum
habent : suamque ideam in mente diuina.
|
(2223) De fait, de même qu'un architecte ne fixe pas seulement la forme de la
maison, mais également tous ses accidents qui, depuis le début, accompagnent la
forme de la maison, mais que, si pour une maison déjà constituée, il faut ajouter
de la peinture ou quelque autre élément de ce genre, il le réalise en usant d'une
autre forme et idée, ainsi l'artisan éternel, s'agissant de la constitution de sa
demeure qu'est le monde, règle par certaines idées les formes du premier type, et
par d'autres les formes du second. |
Nam quemadmodum architectus non tantum formam domus constituit: sed etiam omnia accidentia: quæ a principio formam domus consequuntur. Verum si qua domui iam constitutæ: ut
picturæ et alia id genus: accumulanda sunt: per aliam formam et ideam ea conficit: ita fabricator æternus in huius suæ domus mundanæ
constitutione per alias ideas has formas : per alias
illas dispensat.
|
(2224) Selon Platon, les individus n'avaient pas d'idée, sinon celle de leur
espèce conformément à leur sentiment, mais Thomas réfute cette opinion, puisque la
providence divine ne se contente pas de l'espèce, mais s'étend aussi aux éléments
insécables et aux atomes. |
Indiuidua secundum platonem
(thoma authore) non
habebant ideam nisi speciei ad suum sensum: sed hanc
confutat sententiam thomas: cum diuina prouidentia non tantum ad speciem: uerum etiam ad insectilia et atoma protendatur.
|
(2225) Il existe des formes corruptibles exactement comme les formes
imprimées par un orfèvre dans un anneau d'or : si l'on fond l'anneau, elles
sont fondues et disparaissent. |
Sunt autem formæ corruptibiles perinde ac formæ in auro anuli
aurei impressæ ab aurifice: quæ auro conflato
conflantur et intereunt.
|
(2226) Mais ainsi ne périt pas aussi la forme imprimée dans la pierre
précieuse qu'entoure l'anneau d'or. |
At non ita forma interit impressa in lapide precioso: quem anulus circumdat aureus:
|
(2227) De fait, même si on fond l'or et qu'il disparaisse, la forme qui n'est
pas tirée de la matière de l'or, elle, demeure. |
Nam tametsi aurum confletur et intereat:
forma illa de auri materia minime educta:
permanet.
|
(2228) Notre âme est une forme de ce dernier type. |
Nostra anima huiusmodi forma est.
|
(2229) L'âme des bêtes brutes et des végétaux est du premier type. |
Brutorum uero et stirpium animæ:
illiusmodi sunt formæ.
|
(2230) Dieu crée les deux catégories d'âmes, autrement dit dans un cas il les
produit à partir de rien, dans l'autre il les tire de quelque chose, en
réfléchissant non seulement de manière générale, mais aussi de manière
particulière sur chaque détail des plus petites choses. |
Vtrasque deus creat id est uel de nihilo producit: uel de aliquo educit: non
generatim solum: sed etiam particulatim singulis
minimorum consulens.
|
(2231) Et cela ne déroge pas à l'efficace des causes secondes, qui s'appuient
sur cette cause première comme sur une colonne, qui, si on l'enlevait ou la
supprimait, ferait s'effondrer tout. |
nec hoc derogat efficientiæ secundarum causarum: quæ et ipsæ illi primæ columnæ innituntur: quæ si se ipsam retraheret subduceretue:
omnia corruerent.
|
(2232) Mais le fait qu'il dise uox erat semen ("sa parole
était semence") doit être l'objet d'une explication plus attentive, car il y a
plus là-derrière qu'il n'en paraît de prime abord. |
Verum quod dixit (uox
erat semen) est attentius euoluendum:
cum plus habeat in recessu quam in fronte promittat.
|
(2233) Puissé-je ne pas me repentir de m'attarder quand nous pressent des
choses rapides et des écueils, et, de temps en temps, nous plongeons dans le
profond de l'abîme, pour que le reste de la navigation, au souffle de l'Esprit
saint, nous soit plus facile. |
Nec me poeniteat hic morari ubi breuia nos et syrtes urgent: ac interdum profundo gurgite pene mergimur: ut reliqua sit nobis facilior: sancto flante spiritu: nauigatio.
|
(2234) Lui-même, il ouvrira de vastes syrtes et il calmera la mer sans
limite, pour que, tiré de là, notre navire accomplisse avec bonheur sa
course. |
Ipse enim uastas syrtes aperiet: et
immensum æquor ita temperabit: ut hinc naui detrusa
prospere cursum peragat suum.
|
(2235) Il faut alors remarquer qu'Arator, en mettant en scène les apôtres qui
font l'éloge de l'acte divin de création, suit le prophète Moïse, quand il décrit
la genèse du monde dans le chapitre liminaire de son divin et très profond
ouvrage, dans lequel "les taureaux se noient alors que les pieds des agneaux en
sont à peine mouillés". |
Est autem aduertendum: quia Arator inducens apostolos dei fabricam
commendantes: sequitur mosem prophetam genesin rerum describentem
in capite liminari sui operis illius diuini: ac profundissimi: in quo tauri merguntur: et agni uix
pedes tinguntur.
|
(2236) Mais, passant sur la multitude pratiquement infinie des
interprétations, Arator semble adhérer à l'opinion de ceux qui disent que Dieu a
créé le ciel empyrée, lieu éclatant, immobile et apte à la contemplation (nous
n'allons pas disserter maintenant pour savoir si le ciel empyrée est corporel ou
incorporel) et la terre, autrement dit la matière de tous les corps qui sont sous
l'empyrée. |
Sed omissa infinita pene multitudine interpretationum: uidetur poeta adhærere eorum sententiæ: qui
aiunt deum creasse celum empyreum: locum
splendidum: immotum: et
contemplationi aptum (nec enim nunc utrum sit coelum empyreum corporeum an
incorporeum disserimus) et terram id est materiam omnium corporum: quæ sunt sub empyreo.
|
(2237) Cela est montré par les paroles mêmes du poète qui parle de
materiam operis ("matériau pour son ouvrage"), autrement dit
pour la création du monde dont je parle, sous un seul nom, et de même quand il dit
creas formas rerum per nomina ("tu crées les formes des choses
par leur nom"). |
Id ostenditur uerbis ipsius: qui appellat
materiam operis id est
huius fabricæ mundanæ: uno nomine. ltem cum ait:
creas formas rerum per
nomina.
|
(2238) Voilà pourquoi c'est selon cette opinion, qui a d'illustres promoteurs
et défenseurs, comme Bède évidemment et Strabon, qu'il y a eu une seule matière
unique créée au commencement à la fois pour les corps élémentaires et les corps
célestes, sous une seule forme commune dans le genre de la substance, comprendre
évidemment de la corporéité. |
Quocirca iuxta hanc sententiam: quæ habet
egregios assertores ac uindices:
Bedam scilicet et strabum:
una materia fuit in principio creata tam elementariorum quam cœlestium
corporum sub una forna communi : in genere
substantiæ: uidelicet corporeitatis.
|
(2239) Il y eut, dans les jours suivants, distinction par l'artisan éternel
du ciel et des éléments par leurs formes spécifiques, quand il dit par son
verbe : "que la lumière soit", et, le premier jour, à partir de la matière
commune, il créa la forme de la lumière, et l'établit. |
Fuit autem in diebus sequentibus et cœlorum: et elementorum: per formas specificas
facta ab æterno opifice distinctio: cum dixit per
uerbum suum:
fiat lux.Gn 1, 2 et in primo die de illa materia communi:
formam lucis creauit: et condidit.
|
(2240) Mais le deuxième jour, il dit : "qu'il y ait un firmament", et
ainsi, par cette parole et ce nom, dans une autre partie de la matière, il fixa
l'empreinte de la forme spécifique du ciel étoilé ; la partie extérieure de
la matière destinée à la construction du ciel renferme un globe cristallin, la
partie interne les cercles des sept planètes, et la partie médiane contient le
firmament lui-même, propre à recevoir les étoiles éclatantes. |
in secundo uero die: dixit.
fiat firmamentum:Gn 1, 6 atque ita per hoc uerbum et nomen in alia parte materiæ: cœli syderei formam specialem impressit. Extima pars materiæ ad coeli constitutionem
destinatæ: globum crystallinum comprehendit: intima orbes septem planetarum: media ipsum continet firmamentum stellis ardentibus aptum.
|
(2241) Voici ce qu'indique le discours divin, quand il est dit : "il
sépara les eaux qui étaient sous le firmament, de celles qui étaient au-dessus du
firmament". |
Id uero notat diuinum eloquium cum dicitur:
diuisit aquas quæ erant sub firmamento:
ab his quæ erant super firmamentum.Gn 1, 6
|
(2242) De fait, les eaux au-dessus du firmament signifient le ciel cristallin
en raison de leur nature. |
nam aquæ super firmamentum: significant
cœlum crystallinum propter similem naturam.
|
(2243) Mais, sous cette courbure du monde lunaire, demeura la matière commune
des quatre éléments, par lesquels Dieu, au troisième jour, donna leurs formes
propres par ces noms, quand il dit : "que se rassemblent les eaux qui sont
sous le ciel en un lieu unique, et qu'apparaisse la terre ferme etc.". |
At sub conuexitate orbis lunaris:
remansit communis quattuor elementorum materia:
quibus deus tertio die suas formas dedit per illa nomina: cum dixit:
congregent aquæ: quæ sub cœIo sunt in
locum unum: et appareat arida:Gn 1, 9 etc.
|
(2244) Or, bien qu'il semble s'être produit ce jour-là seulement la
séparation des deux éléments, cependant on peut comprendre cela aussi de la
formation de l'air et du feu (s'il possède une sphère), parce qu'alors, pour la
première fois, ils reçurent des formes distinctes, quand l'eau, qui avait occupé
l'espace du feu et de l'air, se retira en une seule partie de la terre. |
Quamuis autem in hoc die factum uidetur:
ut duo tantum elementa secernerentur: tamen de aeris
quoque et ignis (si sphæram habet) formatione intelligi potest: quia tunc primum distinctas formas acceperunt: cum aqua: quæ ignis et
aeris spacium occuparat: in unam terræ partem
secessit.
|
(2245) Et ainsi, comme le dit Augustin, aux deuxième et troisième jours, les
quatre élément semblent avoir été distincts pour donner des formes propres. |
Atque ita (ut augustinus ait) in secundo et tertio die iiii elementa in
proprias formas uidentur esse distincta.
|
(2246) Mais puisque la forme de l'air est subtile, et qu'elle n'a pas été
ainsi connue et saisissable, pour un peuple ignorant et qui certes ne percevait
que des choses épaisses, le prophète, parlant devant des gens pleins de
faiblesses, de l'air et du feu qui est dans sa sphère plus invisible et plus
subtil que l'air, n'a fait aucune mention de cela, pour ne pas sembler insérer des
éléments inconnus. |
Quoniam uero aeris forma tenuis: non ita
populo est nota et tractabilis: rudi scilicet et
crassa dumtaxat percipienti:
propheta apud infirmos uerba
faciens: de aere ac de igne: qui aere est in sua sphæra inconspicabilior ac magis tenuis: nullam fecit mentionem: ne
incognita uideretur inserere.
|
(2247) De même qu'il n'a pas parlé ouvertement de la nature angélique, il dit
que Dieu a créé le ciel et la terre, évidemment les deux en même temps, même s'il
ne dit pas les deux en même temps. |
sicut de angelica natura non aperte locutus: dixit deum creasse cœlum et terram.
utrumque scilicet simul: quamuis utrumque simul non
dicat.
|
(2248) En outre, par ciel, les savants entendent la créature spirituelle et
angélique créée, par terre, ils entendent la substance corporée, soit supérieure
en-deça de l'empyrée, soit inférieure, touchant le centre de la terre. |
Cæterum per cœlum: doctiores etiam spiritualem et angelicam creaturam
intelligunt conditam: per terram: corporatam substantiam: siue superiorem
citra empyreum: siue inferiorem ad centrum terræ
pertingentem.
|
(2249) Donc Dieu a fait deux choses avant le temps, la nature angélique et la
matière corporée. |
Proinde duas res fecit deus ante omne tempus: angelicam naturam: et corporatam
materiam.
|
(2250) De fait, bien que Ben Sira le sage dise : "celui qui vit dans
l'éternité a créé toute chose ensemble", et qu'Augustin explique les six jours non
selon la succession temporelle, mais selon la connaissance angélique relative aux
six générations de choses créées, qui, tenues dans un genre qui leur est propre,
sont dites vespérales, parce que toute créature est reliée à la lumière éternelle,
mais la nuit est ombre, de sorte que ce n'est pas sans se montrer savant que le
poète de Cordoue a dit : "il vit sous quelle nuit gisait notre jour" et que
cette connaissance des anges dans la parole et la lumière divine qui est la plus
vraie et s'opère par l'essence, est dite matinale. |
Nam licet dicat sapiens:
qui uiuit in æternum creauit omnia simul:Si 18, 1 et augustinus sex dies
exponat: non secundum successionem temporis: sed secundum cognitionem angelicam relatam ad sex
genera rerum conditarum: quæ in genere proprio
habita uespertina dicitur: quia omnis creatura luci
æternæ composita: nox est et caligo: ut non inerudite dixerit cordubensis poeta:
uidit quanta sub nocte iaceret nostra diesLVCAN. 9, 13-14 quæ rursus cognitio angelorum in uerbo et in diuina luce: quæ est uerissima et per essentiam: dicatur matutina.
|
(2251) Cependant le Grec Origène, un grand homme, avec une opinion
qu'approuvèrent Bède et Walafrid Strabon, affirme qu'avant tout temps ces deux
éléments, soit le ciel autrement dit la créature spirituelle, et la terre
autrement dit la matière corporée, qu'il appelle lui-même ὕλη ἄμορφος ("matière
sans forme"), ont été créés de rien, et ainsi le ciel, soit le monde intellectuel
et incorporel, soit le monde corporel et empyréen mais empli par les anges, et la
matière sans forme. |
tamen Græcus origenes homo magnus: approbantibus
eandem sententiam Beda et
strabo: affirmat ante omne tempus
illa duo scilicet caelum id est spiritualem creaturam: et terram id est corporatam materiam:
quam ipse uocat hylen amorphon: de nihilo fuisse conditam:
atque ita cœlum uel intellectuale: et incorporeum
uel corporeum empyreumque: sed angelis repletum. et informem materiam.
|
(2252) Il affirme que ces deux créatures ont précédé toutes les autres. |
hæc duo omnes alias creaturas antecessisse autumat.
|
(2253) Mais si Dieu a fait les anges et la matière corporée à partir de rien,
il fait aussi l'âme rationnelle à partir de personne. |
Verum angelos et corporatam materiam de nihilo fecit deus. animam quoque rationalem de nullo facit.
|
(2254) Quant à toutes les autres formes et créatures, il dit que ce n'est pas
de rien qu'elles ont été fabriquées, ni ensemble, mais à partir de cette matière
déjà créée, au fil du déroulement du temps. |
Cæteras rerum formas et creaturas: ait
non de nihilo: non simul:
sed de illa materia iam creata: per successionem
temporis fuisse fabricatas.
|
(2255) Et c'est parce qu'il a suivi cette idée avec la plus grande attention
qu'Arator a dit : Mox spiritus oris æthera curuauit ("bientôt
l'Esprit venu de sa bouche courba l'éther"). |
At quia hoc attentissime secutus Arator dixit: (Mox spiritus oris.) æthera curuauit.
|
(2256) De fait, "bientôt", puisqu'il s'agit d'un adverbe de temps, ne désigne
pas la simultanéité, mais qu'après la création de la matière, au fil du
déroulement du temps, les formes des choses furent produites à partir de cette
matière par leurs noms et les paroles de Dieu. |
Nam mox: cum sit aduerbium temporis: notat non
simul: sed post creatam materiam: per successionem temporis formas rerum de illa
materia fuisse productas: per nomina et uerba dei.
|
(2257) Mais on me dira : pourquoi le poète n'a-t-il pas mis en scène des
apôtres qui parlaient de la création de la substance spirituelle (alors que
celle-ci est bien préférable à la corporelle et meilleure dans ses
caractéristiques) et qui en faisaient mention. |
At dicet aliquis: cur apostolos uere
sapientes non inducit poeta de
substantiæ spiritualis creatione (cum sit hæc multo potior corporea ac
melioris notæ) dicentes ac memorantes.
|
(2258) Pour ma part, j'affirme que le poète n'a rien laissé de côté,
puisqu'il dit : rerumque creas per nomina formas ("tu crées
les formes des choses par leur nom"), puisque par formes, nous pouvons comprendre
aussi les substances intellectuelles et angéliques et celles des choses y compris
invisibles. |
Ego uero poetam nihil omisisse affirmo:
cum dicat rerumque creas per nomina
formas. Cum per formas substantias
intellectuales: et angelicas quoque intelligere
possimus: rerumque etiam inuisibilium.
|
(2259) Maintenant, la succession temporelle (puisque l'œuvre de la création
est décrite avant tout jour et que la construction de la distinction dans les
trois premiers jours, et, dans les trois suivants, la beauté et l'ornement du
monde sont rapportés par le prophète) ne cause à la majesté créatrice nulle
meurtrissure. |
Nec uero successio temporis (cum ante omnem diem opus creationis
describitur: et primis tribus diebus fabrica
distinctionis: et tribus aliis sequentibus
pulchritudo ornatusque mundi referuntur a propheta) ullam affert creatrici maiestati sugillationem.
|
(2260) De fait, le divin Moïse, qui dit que la nature créatrice au
commencement des temps a créé le monde, et déclare qu'il a fondé le ciel et la
terre avec une telle rapidité d'exécution, indique sans aucun doute que cette
substance divine existait aussi avant le temps, de toute éternité, et il montre le
Tout-Puissant, à qui il appartient sans aucune contestation ni exception dans son
activité, d'avoir voulu créer. |
Nam diuinus moses: qui conditricem naturam in principio temporum
mundum creasse ait: ac cœlum terrramque tanta
celeritate operationis condidisse declarat: eamdem
proculdubio diuinam substantiam: et ante tempora
æternaliter significat extitisse: et monstrat
omnipotentem: sine ulla controuersia: reiue gerendæ exceptione:
cui uoluisse facere fuerit.
|
(2261) Donc, cette lente séparation des choses et cet embellissement différé
qui est presque semblable à la génération naturelle, qui d'ordinaire va de
l'imparfait au parfait, ne traduit pas un défaut de la puissance infinie, mais
l'ordre ineffable de la sagesse divine. |
arguit ergo illa rerum lenta discretio:
et comperendinata exornatio generationi naturali prope similis (quæ ab
imperfecto ad perfectum progredi solet) non defectum infinitæ potestatis: sed inenarrabilem diuinæ sapientiæ ordinem.
|
(2262) Mais quand, le troisième jour, la terre, qui se ramassait en un espace
creux, eut reçu les eaux qui coulaient, alors la lumière éclata avec plus de
clarté dans l'air pur et les éléments, dans leurs formes substantielles propres et
les propriétés qui les accompagnent, furent distingués et séparés. |
cum uero die tertio terra subsidens in caua loca fluitantes aquas
recepisset: tum lux in puro aere clarior
efulsit: atque elementa in suis formis
substantialibus: proprietaribusque eas
consequentibus distincta ac discreta fuerunt.
|
(2263) Le même jour, comme la terre ferme était apparue, Dieu dit : "que
la terre fasse germer l'herbe verdoyante, et qui produit sa semence, et l'arbre
fruitier qui produit du fruit selon son espèce, dont la semence est en lui-même
sur la terre; et il en fut ainsi". |
Eodem die cum apparuisset arida: dixit
deus:
Germinet terra herbam uirentem: et
facientem semen: et lignum pomiferum faciens
fructum iuxta genus suum: cuius semen in
semet ipso sit super terram. Et factum est
ita.Gn 1, 11
|
(2264) Cela Arator l'a remarqué quand il écrit : cum
fierent ("quand elles étaient faites") évidemment les choses,
uox ("la voix") évidemment de Dieu qui disait : "que la
terre fasse germer" erat semen ("était semence"), autrement dit
faisant tout et donnant à la terre la puissance de germination. |
Hoc arator aduertit cum
scripsit: (Cum fierent scilicet) res:
uox scilicet dei dicentis
germinet terra:
Gn 1, 11
erat semenid est cuncta
agens et dans terræ uirtutem germinandi.
|
(2265) Il faut toujours tirer l'oreille du lecteur qui ne connaît pas les
choses sacrées, pour qu'il comprenne que Dieu parle de la manière que j'ai dite
plus haut. |
Semper uellenda est auris lectori sacrorum inscio: ut deum loquentem ita accipiat quemadmodum supra
exposui.
|
(2266) En Dieu, de fait, l'intellection est pure et se fait sans le son de la
parole. |
Apud deum namque purus est intellectus sine linguæ strepitu.
|
(2267) Donc Dieu dit les choses par sa parole, parce qu'il les a séparées à
l'extérieur telles qu'elles étaient en lui, et ainsi les a distinguées pour
qu'elles puissent être saisies et nommées. |
Dixit ergo res per uerbum suum: quia
foris distinxit ut in eo erant. et ita discreuit ut
discerni possent ac nominari.
|
(2268) Quant au fait qu'il dise erat semen, il faut l'examiner avec
soin. |
Quod autem dicitur ( erat
semen) diligenter notandum est.
|
(2269) De fait, maintenant, après ces semences primordiales, de la semence du
blé ou d'une légumineuse, il naît du blé et une légumineuse. |
Nam nunc post semina illa primordialia:
ex semine tritici ac leguminis triticum legumenque nascitur.
|
(2270) Dieu, en effet, au témoignage d'Augustin, administre les choses qu'il
crée, de manière à leur permettre de mener leur propre mouvement. |
Deus enim (teste augustino) res quas condidit sic administrat: ut eas proprios motus agere sinat.
|
(2271) Ensuite, les choses qui naissent à un moment d'une semence ne
deviennent pas adultes d'un coup, mais peu à peu croissent, se dressent,
s'affermissent et murissent. |
Deinde ea quæ ex semine modo nascuntur:
non repente proficiunt: sed paulatim crescunt: surgunt: roborantur: ac maturescunt.
|
(2272) De fait la nature va de l'imparfait au parfait, et de là vient que le
foetus dans l'utérus, que les Grecs appellent ἔμϐρυον, vit d'abord la vie d'une
plante, puis celle d'un animal, et enfin celle d'un homme, si nous nous fions à
Aristote. |
Nam ab imperfecto ad perfectum natura progreditur. unde fœtus in utero: qui
græce embryon dicitur: primo ut planta: mox ut
animal: postremoque ut homo uiuit: si Aristoteli credimus.
|
(2273) Donc, après la création de la nature, c'est de la semence de
Sophroniscos que naît Socrate, avec également l'appui de la cause
fondatrice. |
Ergo post naturæ creationem: ex semine
sophronisci nascitur
socrates: concurrente etiam causa conditrice.
|
(2274) Comme, en effet, le dit ingénieusement Ockham dans le
Centiloquium : Dieu est (pour ainsi dire) davantage le père de Socrate que
Sophroniscos, puisque, sans Dieu, celui-ci n'aurait rien pu faire. |
Vt enim in centiloquio ingeniosus ait occamus: magis est (ut ita dicam)
deus pater socratis quam sophroniscus:
cum hic sine illo nihil facere potuisset.
|
(2275) Ainsi, en effet, la Vérité dit dans l'Evangile : "sans moi vous
ne pouvez rien faire", et le physicien de Stagyre, dans la
Physique, affirme que rien ne peut être fait de manière
particulière sans l'action principale de la cause première. |
Ita enim in Euangelio dicit ueritas:
sine me nihil potestis facere:Jn 15, 5 et physicus stagyrita in
naturalibus auscultationibus: nihil particulatim fieri asserit nisi prima causa
praecipue agente.
|
(2276) En effet, puisque les natures créées sont comme l'instrument de la
nature créatrice, si celle-ci retirait son action, celles-là ne feraient plus
rien, comme les rabots ne coupent rien, si les mains du menuisier cessent leur
activité. |
Cum enim sint naturæ conditæ uelut instrumentum naturæ
conditricis: si hæc uim suam retraheret: illæ nihil agerent:
quemadmodum nihil secant runcinæ: si artificis
lignarii manus cessant.
|
(2277) Donc maintenant c'est avec le concours de la nature créatrice que la
nature créée engendre de la semence d'un pois un pois, de celle d'un poisson un
poisson, de celle d'un lion un lion et de celle de l'humain un humain. |
Ergo nunc concurrente natura conditrice natura condita ex semine
ciceris cicer [circer,sic!] gignit: et piscis piscem: et leonis leonem: et hominis hominem.
|
(2278) Mais, lors de cette formation première des choses, ce n'est point de
semences que parurent les premiers germes des arbres fruitiers et des herbes, ni
les espèces aquatiques, terrestres ou volantes, mais c'est à la voix et sur
l'ordre de leur Créateur que, dans l'air, apparurent des oiseaux, dans la mer, des
poissons et, sur la terre, des animaux et des plantes. |
At in primordiali illa rerum formatione:
non prima arborum fruticum: herbarumue germina: non aquatilium:
terrestrium aut uolatilium animalium genera de semine prodierunt: sed ad uocem iussionemque conditoris uolucres in
aere: in mari pisces: in
terra animalia stirpesque apparuerunt.
|
(2279) C'est donc de manière fort savante que notre poète a dit cum
fierent ("quand elles étaient faites") évidemment les choses variées,
lors de cette création originelle, uox erat semen ("sa voix était
semence") puisque Dieu disait : "que la terre fasse germer l'herbe verte qui
porte sa semence", "que les eaux produisent le reptile à l'âme vivante". |
Erudite ergo poeta:
cum fierent inquit scilicet
res uariæ in originali illa procreatione:
uox erat semen: dicente deo:
Germinet terra herbam uirentem: et
facientem semen.Gn 1, 11
Producant aquæ reptile animæ uiuentisGn 1, 20 etc.
|
(2280) Cependant voici une différence : aux animaux Dieu dit :
"croissez et multipliez vous", car c'est par l'union du mâle et de la femelle que
les individus dans les espèces se multiplient. |
Hoc tamen interest: quia animalibus dixit
deus crescite et multiplicamini:Gn 1, 22 quia per coitionem maris et foeminæ: generum
indiuidua multiplicantur.
|
(2281) C'est ainsi, en effet, que le très sage ordonnateur a disposé les
choses : les choses indistinctes se conservent par alimentation, les espèces
par génération. |
Ita enim ordinator sapientissimus disposuit res: ut per alimoniam insectilia: per
generationem species seruarentur.
|
(2282) Mais il n'a pas dit aux plantes : "croissez et multipliez vous",
parce que les plantes, comme on le sait bien, sont procréées bien autrement. |
At non dicit plantis:
crescite et multiplicamini:Gn 1, 22 quia multo aliter: ut notum est
procreantur.
|
(2283) Ainsi la nature fondatrice en un seul moment au début a fait naître
des choses parfaites. |
item natura conditrix ab initio res perfectas in momento
protulit.
|
(2284) De fait, les plantes parurent avec leur semence, les arbres avec leurs
fruits, l'humain dans la fleur de l'âge et les animaux ayant déjà obtenu la
capacité de se reproduire, autrement dit absolument achevés et capables de se
reproduire semblables à eux-mêmes. |
Nam et plantæ cum semine: et arbores cum
fructibus: et homo in ætate iuuenili: et animalia facultatem gignendi iam consecuta: hoc est absoluta: et sibi
simile generandi potentia uerbo dei prodierunt.
|
(2285) Voilà pourquoi les exégètes juifs, qui lisent dans l'Ecriture divine
"que la terre fasse germer l'herbe verdoyante", en tirent l'idée que le monde a
été créé au mois de mars, quand la terre commence à verdir et germer. |
Quare interpretes
hebrei: qui in diuina scriptura
legunt:
germinet terra herbam uirentem:Gn 1, 11 hinc arguunt conditum fuisse mundum martio mense: cum terra uirere ac germinare incipit.
|
(2286) C'est de là que vient que dans l'Exode le prophète dit de mars qu'il
est le premier des mois. |
Vnde in exodo
propheta:
martius (inquit) uocatur primus mensis.
|
(2287) Suivant cette idée, Bède écrit : "c'est au temps du printemps que
le monde a été achevé et orné, car les herbes verdoyantes ordinairement
apparaissent alors". |
Quam sententiam secutus Beda:
Verno inquit tempore mundus perfectus est et ornatus: in quo solent herbæ uirentes apparere.BED. in Gen. adn., 1, 1
|
(2288) Il est vrai que Virgile dit la même chose dans les Géorgiques :
"il n'y eut pas d'autres jours à briller lors de la première naissance du monde,
ni une autre suite de temps, je serais enclin à le croire : c'était le
printemps, le vaste monde connaissait le printemps". |
Certe Maro in geor. idem ait:
non alios prima crescentis origine mundi illuxisse dies: aliumue habuisse tenorem crediderim. uer illud erat:
uer magnus agebat orbis VERG. georg., 2, 336-339 etc.
|
(2289) En outre, d'autres exégètes juifs affirment que le monde a été fait en
septembre, parce qu'ils lisent "arbre porteur de fruit", ce qui n'est pas le cas
au printemps mais bien en automne. |
Cæterum alii
hebreorum mense septembri factum arguunt mundum: ex eo quod legunt: lignum
pomiferum: quod non uer sed Autumnus habet.
|
(2290) Ils allèguent aussi ce passage du Deutéronome : "les œuvres de
Dieu sont parfaites". |
Allegant etiam illud deuteronomii.
dei perfecta sunt opera.Dt 32, 4
|
(2291) Mais que le monde ait été créé pendant un mois ou l'autre, les
créatures dans leur ensemble sont parfaites, l'homme est parfait dans son âge, et
les arbres avec leurs feuilles et leur fruit. |
Siue ergo hoc mense siue illo mundus conditus fuerit: omnia creata sunt perfecta: et homo perfectus aetate et arbores cum foliis et fructu.
|
(2292) Mais maintenant la nature créée est très différente, elle reporte
longuement la perfection de ses éléments, comme nous le voyons dans les céréales
qui d'abord sont en herbe, puis en épis et se dressent en blondes moissons. |
At nunc natura[46r] condita iam multo aliter: quæ differt in longum perfectionem rerum: ut uidemus in segete: quæ
in herba prius est: quam in calamos et flauentes
surgat aristas.
|
(2293) C'est donc de manière savante qu'Arator écrit uox erat
semen ("sa voix était semence"), autrement dit la parole de Dieu et son
ordre, Dieu qui alors fait par lui-même et de façon immédiate ce que la nature
créée fait maintenant par l'entremise de la semence, et au fil du temps, la nature
créatrice coopérant avec lui comme je l'ai déjà dit. |
docte ergo Arator ( uox inquit erat semen) id est
uerbum dei et imperium: tunc id ægit per se et in
momento: quod nunc agit per semen natura
condita: et per temporum successionem: natura conditrice cooperante: ut dixi.
|
(2294) Pour que l'on ne rapporte pas ce retard naturel à la nature créatrice,
le poète ajoute Nec distulit ortus imperium natura sequens ("la
nature suivant son ordre ne différa pas leur naissance") autrement dit la nature
créée par Dieu ne différa pas et ne procrastina pas leur ortus
("naissance"), autrement dit leur venue à l'existence et leur formation, comme
nous voyons à présent que, une fois jetée la semence, les céréales ne lèvent pas
tout de suite, mais qu'avant qu'elles ne viennent à l'être et ne naissent, leur
venue à l'existence et leur naissance est longuement différée, et ensuite
seulement vient leur achèvement. |
Vt autem hanc naturalem tarditatem a natura creatrice remoueret
poeta subiicit. (Nec distulit ortus
imperium natura) sequens id est natura condita a deo: non distulit et procrastinauit (ortus) id est natiuitates et
formationes suas: sicut nunc uidemus: quod iacto semine: non
protinus prodit seges: sed prius quam oriatur aut
nascatur: in longum tempus differtur ipsius
natiuitas et ortus: ac postea perfectio.
|
(2295) Ce n'est pas ainsi qu'au commencement a agi la force du Dieu
tout-puissant : au moment où il commandait "que la terre fasse germer l'herbe
verdoyante", cette parole et ce commandement mit soudain en mouvement la nature
créée sans aucun retard, et la poussa à l'achèvement de la procrétation pour les
germes. |
Non ita in principio egit uis dei omnipotentis: quæ simul ac imperauit:
germinet terra herbam uirentemGn 1, 11
: illa uox et illud imperium: repente nulla expectata mora naturam conditam mouit: et ad perfectam germinis procreationem impulit.
|
(2296) Ainsi, il se peut bien qu'il ait fait soudain l'homme dans la fleur de
son âge, et produit les autres êtres animés dans leur état achevé, non pas en
composant l'esquisse de leur membres dans le ventre de la femelle (car il n'y en
avait pas) et en achevant ensuite les petits par étapes une fois nés, et en les
faisant grandir en âge, comme ils les forme à présent en préservant durées et
intervalles. |
Ita et fortassis hominem in ætate iuuenili fecit repente: ita cætera animalia perfecta protulit: non in foeminæ utero (quæ nulla adhuc erat)
membrorum liniamemta componendo: ac post editum
foetum paulatim proficiendo: et ætates augendo: sicut nunc format per intercapedines
interuallaque.
|
(2297) Mais, en agissant dans un cas avec sagesse et dans l'autre avec
toute-puissance, en tout ce qu'il fit alors, et tout ce qu'il fait maintenant
d'une autre manière, il agit et il fait comme il convient à sa nature créatrice,
toute-puissante, et sage. |
Sed et hoc sapienter: et illud
omnipotenter agens: quicquid tunc: quicquid alio modo nunc agit: lta agit
facitque ut naturam conditricem: et omnipotentem: et sapientem decet.
|
(2298) A Dieu appartient en effet tout ce que fait la nature, la terre
soudain parée de plantes, et vêtue de bois, les bois habités de bêtes, la mer de
poissons, les airs d'oiseaux, et tout le reste soudainement orné de ce qui fait sa
beauté propre, et non petit à petit et dans la longue durée. |
Deo enim est natura quicquid facit.
repente tellus herbis compta: et nemoribus
uestita: nemora feris inhabitata: mare piscibus: aer
uolatilibus: ac cætera proprio rerum decore
ornata subito: non pedetemtim ac per moras
temporum:
|
(2299) Pour nous, ces choses semblent advenir contre nature, parce que, pour
nous, le cours de la nature apparaît tout autre. |
hæc nobis contra naturam fieri uidentur:
quia naturæ cursus aliter nobis innotuit.
|
(2300) Nous, en effet, dans ce qui est né dans le temps, nous savons quelle
est la nature de chacun par ce que nous en apprenons d'expérience. |
Nos enim in rebus temporarie exortis:
scimus quid cuiusque natura sit: per id quod
experimento accipimus.
|
(2301) Mais, pour la nature créée, Dieu créateur assigna des lois fixes de
temps et de qualité, ainsi il assigna à la créature des nombres fixes et qui ne
varient que rarement, mais de sorte que lui-même ne se lie jamais à ces lois, et
que sa volonté soit toujours au-dessus de tout. |
At naturæ conditæ ita certas temporum qualitatumque leges
distribuit conditor deus: ita statos ac raro
euariantes creaturæ numeros diuisit: ut tamen eis se
nunquam alligauerit: ut uoluntas sua super omnia
semper fuerit.
|
(2302) C'est sans loi que cette volonté, éternelle, toute puissante, qui met
tout en mouvement, agit sans être agie. |
sine lege uoluntas illa æterna: illa
omnipotens: illa omnia uersans: non agitur sed agit:
|
(2303) Tout ce qu'il décide est équitable dans un être jeune, et c'est par
une loi naturelle qu'adviendra la vieillesse selon des causes moins élevées. |
quicquid deliberat: æquum est in
iuuene: naturali lege futura senectus est
secundum inferiores causas.
|
(2304) Il est emporté par la mort cruelle sans vieillir. |
Rapitur acerbo funere: non senescit.
|
(2305) Donc beaucoup de choses vont advenir selon des causes moins élevées,
qui n'adviendront pas quand Dieu, qui ne peut se tromper et qui a pouvoir sur
tout, l'a voulu. |
Multa ergo secundum inferiores causas furura sunt: quæ cum deus: qui non
potest falli: cui super omnia facultas est: uoluit: non sunt futura.
|
(2306) Voilà pourquoi aussin quand il eut créé la nature, on n'attendit pas
des jours pour voir le bâton de Moïse se transformer en serpent, et on n'attendit
pas dix mois de longues peines de sa mère jusqu'à ce qu'Adam fût formé dans le
sein de sa mère ; au contraire il fut créé immédiatement dans son âge
d'homme, dans la mesure où la volonté éternelle en avait décidé ainsi lors de la
création des causes premières. |
Ideo etiam post conditam naturam: non
sunt expectati dies ut uirga moysi
uerteretur [uertereretur,sic!] in draconem: non sunt.x. menses expectati: non longa matris fastidia tantisper dum Adam in matris utero formaretur: sed
continuo in ætate uirili conditus: prout in prima
causarum conditione æterna uoluntas instituerat.
|
(2307) Le poète a donc eu raison d'écrire natura ("la nature")
créée par Dieu, sequens imperium ("suivant son ordre") autrement
dit le commandement et la parole de son créateur, nec distulit ("ne
différa pas"), ne fit pas traîner en longueur, ortus ("leur
naissance"), mais obéït aussitôt à son créateur. |
Recte ergo scripsit poeta:
natura a deo condita:
sequens imperium id est
mandatum et uerbum sui creatoris:
nec distulit: non in longum traxit:
ortus suos: sed statim obediuit conditori.
|
(2308) (Mox spiritus oris("bientôt l'Esprit venu de sa
bouche")) j'ai dit que mox est un adverbe qui signifie 'ensuite',
ou 'peu après', puisque Arator semble s'accorder avec ceux qui établissent, dans
la séparation et l'ornement des créatures, un ordre de succession qui aurait été
conservé par le Créateur, en sorte qu'ils considèrent ces intervalles non comme
une limite, mais comme un ordonnancement ineffable de la sagesse divine. |
(Mox spiritus
oris.) dixi mox aduerbium significare postea: uel paulo post: quoniam
uidetur sentire arator cum his: qui successionem in distictione atque ornatu rerum
statuunt seruatam a conditore: ita ut illa
interualla non defectum: sed inefabilem sapientiæ
diuinæ ordinem arguant.
|
(2309) Ainsi donc, c'est au quatrième jour que Dieu orna le ciel de ses
luminaires, et mit autour de lui ce qui l'entoure ; c'est au cinquième qu'il
peupla d'êtres vivants l'air et la mer, et au sixième qu'il en peupla la
terre. |
Ergo in quarto die cœlum ornauit deus suis luminibus: et suis cingulis circumdedit: in quinto aera et fretum: in sexto
terram suis animalibus compleuit.
|
(2310) Il faut, en outre, prêter attention à ce que le prophète a écrit dans
la Genèse : "et l'Esprit de Dieu planait sur les eaux" autrement dit sur
cette masse et cette matière ductile, fluide et aisément manipulable, d'où Dieu et
spiritus oris ("le souffle de sa bouche") divine parce qu'il
donne aux choses vie, mouvement, être et opération, curuauit
aethera ("courba l'éther") autrement dit rendit courbe le ciel, qu'il
fit s'incliner vers le bas dans toutes ses limites et rendit convexe, ainsi que le
dit le Poète admirable : "regarde le monde qui s'incline sous le poids de la
masse convexe". |
Cæterum considerandum est id quod in genesi propheta scripsit:
Et spiritus dei ferebatur super aquasGn 1, 2 id est super illam ductilem ac fluidam tractabilemque congeriem ac
materiam: unde deus et spiritus oris diuini: quia dat rebus uitam: motum: et esse: atque
operationem:
curuauit æthera id est cœlum
curuum fecit: et ex omni parte deorsum
inclinantem: et conuexum: quemadmodum et Vates
egregius descripsit:
aspice (inquit) conuexo nutantem pondere mundum.VERG. ecl., 4, 50
|
(2311) La forme du ciel est courbe et (selon l'autorité de Pline) il est dans
sa totalité réuni en sept cercles. |
Forma cœli curua est: et (ut author est
plinius) in septem orbis
absoluti globata.
|
(2312) Une telle forme convenait parfaitement au ciel, car tout est recouvert
par sa courbure. |
Talis figura maxime congruebat coelo:
cuius circumflexu teguntur cuncta.
|
(2313) En effet, en toutes ses parties, il incline vers lui-même, s'enferme
lui-même et se contient, sans avoir besoin de rien pour étayer sa structure, et
n'éprouvant ni commencement ni fin en aucune de ses parties. |
omnibus enim sui partibus uergit in sese:
seque includit: et continet:
nullarum egens compagum: nec finem aut initium ullis
sui partibus sentiens.
|
(2314) C'est également au mouvement, par lequel il tourne sans cesse, qu'une
telle figure est particulièrement adaptée, et elle n'est pas moins connaissable
par l'expérience de nos yeux, parce que le ciel se montre dans toutes les
directions convexe et médian, alors que cela ne serait pas possible avec une autre
figure. |
ad motum quoque: quo subinde uertitur: talis figura aptissima est: nec minus oculorum probatione notabilis:
quia conuexum cœlum mediumque: quacumque cernatur: appareat : cum id accidere
in alia non possit figura.
|
(2315) Ainsi les astronomes disent qu'au commencement, quand le monde a été
créé par Dieu, le soleil se trouvait à l'entrée du bélier et Ibn Ali el Ridjal,
dont l'autorité parmi les spécialistes des horoscopes ne doit pas être méprisée,
affirme dans la première partie du Kitab al Bāri que Jupiter était
dans une maison ascendante le jour où Dieu commença à créer le monde. |
Ita astronomi aiunt in principio: cum
mundus a deo conditus est: solem fuisse in arietis
initio: et Haly Abenragel non temnendæ inter genethliacos
authoritatis: affirmat in prima parte iudiciorum: iouem in
domo ascendente fuisse ea die: qua coepit deus
creare mundum.
|
(2316) Mais ces mêmes astrologues soutiennent qu'il a été créé à l'image d'un
monde archétypal. |
At creatum iidem mathematici asseuerant ad imaginem mundi
archetypi.
|
(2317) Le monde archétypal, c'est Dieu lui-même qui est infini en force, en
perfection et en durée. |
Est autem mundus archetypus ipsemet deus:
qui infinitus est uigore perfectione ac duratione.
|
(2318) Donc, alors que ce monde sensible doit par quelque ressemblance imiter
son créateur, ce n'est pas par sa durée qu'il est infini, puisqu'il a un
commencement et a été créé, ni par sa force, puisqu'il est corporel. |
Ergo cum mundus hic sensilis suum authorem aliqua debeat
similitudine imitari: non est infinitus duratione. cum habeat initium: et
fuerit conditus. non uigore:
cum sit corporeus.
|
(2319) Donc, il était cohérent qu'il fût doté d'une figure infinie, en
quelque sorte aussi ronde, en sorte qu'il fût (à l'image du monde divin) à sa
manière rendu infini par quelque ἀπειρία (absence de limite). |
Igitur fuit consentaneum ut esset præditus infinita figura: cuiusmodi etiam rotunda:
ut aliqua esset (instar diuini mundi) apiria suo modo infinitus.
|
(2320) De fait, dans une figure ronde, il n'y a nul angle, nul commencement,
nulle fin. |
Nam in figura rotunda nullus est angulus : non initium: non finis.
|
(2321) Ensuite, comme le ciel contient tout, une figure d'une absolue
capacité lui convenait bien en sorte qu'en contenant tout, il embrasse tout. |
Deinde: cum coelum omnia contineat: ei conueniebat figura capacissima: ut omnia continens omnia caperet.
|
(2322) De fait, aucune figure n'a plus de perfection et de capacité que la
sphère. |
At figura sphærica nulla est perfectior capaciorue.
|
(2323) En effet il n'est pas vrai (comme le dit Quintilien) que "des espaces
dont les périmètres présentent la même mesure enferment à l'intérieur de ce
périmètre" une surface égale. |
Nec enim uerum est (ut fabius ait) quorum locorum extremæ lineæ eandem mensuram colligunt: eorum spatium quoque quod iis lineis
continetur:QVINT. inst., 1, 10, 39 par esse.
|
(2324) De fait, "tout dépend de la forme de la figure définie par ces
lignes" : "si elle est circulaire, sa surface est supérieure à si dans le
même périmètre c'est un carré ; de même le carré en contient plus que le
triangle, et le triangle équilatéral plus que le scalène". |
Nam plurimum refert: cuius sit formæ ille
circuitus:QVINT. inst., 1, 10, 40 qui si efficit orbem amplius spatium
complectitur: quam si quadratum paribus oris
efficiat. Rursus quadrata triangulis: triangula ipsa plus æquis lateribus quam
inæqualibus.QVINT. inst., 1, 10, 41
|
(2325) Un argument de nécessité est également employé par Al Farghani :
si le monde avait une autre figure que celle d'un globe, avec son mouvement, il se
produirait un vide voire un corps sans espace, deux idées que la nature réfute et
repousse, comme, dans le livre 4 de sa Physique, le Stagirite le
démontre. |
Necessitatis ratio ab Alphagrano etiam perhibetur: si
mundus esset alterius figurae quam globatæ: cum eo
moto: uel inane: uel
corpus sine loco esset dandum. quorum utrumque
natura reformidat refugitque: ut in .
iiii. physices
acroaseos probat stagyrita.
|
(2326) C'est donc avec justesse que le poète écrit curuauit
æthera ("il a courbé l'éther) autrement dit il en a fait un globe et il
a rendu le ciel sphérique, figure qui est parfaitement cohérente avec le fait
qu'il contient et embrasse tout. |
Recte ergo poeta ait:
curuauit æthera id est
globauit sphæricumque reddidit coelum: quæ figura
omnia continenti complectentique congruetissima est.
|
(2327) (Aethera ("l'éther")) autrement dit le ciel, et c'est
un accusatif grec de la cinquième déclinaison περισσοσύλλαϐος
("imparisyllabique"). |
(Aethera). id est coelum : est
accusatiuus græcus quintæ declinationis perittosyllabon |
(2328) Varron, le plus savant des porteurs de toge, a divisé le ciel en éther
et air, la terre en eau et terre, et écrit que, pour ces éléments, le plus élevé
est l'éther, le second l'air, le troisième l'eau, et le plus bas la terre. |
Cœlum diuisit.
M. Varro
doctissimus togatorum: in æthera et aera. Terram in aquam et humum:
et quibus summum esse æthera: secundum aera: tertiam aquam: infimum
humum esse scribit.
|
(2329) De là vient qu'Augustin, au livre 8 de la Cité de Dieu
écrit : " L'éther est suspendu loin de la terre et en hauteur, mais l'air est
contigu à la fois à l'éther et à la terre". |
Vnde augustinus li. de ciui . dei .viii.
Aether longe a terra alteque suspensus.
Aer uero aetheri terræque contiguus.AVG. civ., 8, 21
|
(2330) Ovide également au livre 1 de son illustre ouvrage écrit :
haec super imposuit liquidum et grauitate carente Aethera nec quicquam
terrenae faecis habentem ("au-dessus de cela, il a placé l'éther
diaphane et dépourvu de pods, et qui ne contient aucun résidu terrestre"). |
ouidius quoque in primo præclari operis:
haec super imposuit liquidum et grauitate carente Aethera: nec quicquam terrenae faecis haben[46v]tem.OV. met., 1, 67-68
|
(2331) En outre, les auteurs ont usé de façon diverses du sens de ce mot. |
Cæterum authores uarie significatione huius nominis usi sunt.
|
(2332) De fait æther signifie 'feu' et vient d'αἴθω
('embraser') autrement dit être brûlant, ou brûler, et parfois désigne le
ciel ; Ovide : sic habites terras ut te desideret aether
("puisses-tu habiter les terres et manquer à l'éther"). |
Nam æther significat ignem ab aetho
id est ardeo uel
uro descendens.
nonnunquam cœlum . oui.
sic habites terras:
ut te desideret aether.OV. trist., 5, 2, 51
|
(2333) Et c'est en ce sens qu'Arator appelle ici éther tout le ciel qui
s'étend et se meut depuis la courbure du globe lunaire jusqu'à l'empyrée ;
sous ce nom il embrasse les sept cercles des planètes, et le firmament marqué par
les divers signes, les diverses ceintures et les diverses étoiles, et le ciel
cristallin. |
Et in hoc sensu:
aethera hic uocat Arator [:]
quicquid a conuexitate globi lunaris usque in empyreum coelum protenditur moueturque:
quo nomine orbes septem planetarum:
et firmamentum uariis signis:
cingulis: stellisque distinctum.
et cœlum crystallinum comprehenduntur.
|
(2334) Pour autant, Aristote dans le premier livre du Traité du
Ciel prend évidemment éther au sens de ciel, et il critique Anaxagore
en disant qu'il n'a pas bien pris en compte l'étymologie de ce mot. |
Sane Aristoteles
in primo peri uranu:
ita accipit æthera scilicet pro cœlo.
reprehenditque anaxagoram:
quod non recte etymon huius dictionis notauerit
|
(2335) De fait, Anaxagore fait dériver le mot aether d'αἴθω
('embraser') autrement dit être brûlant. |
nam anaxagoras
ab aetho
id est ardeo
æthera deriuat.
|
(2336) A l'inverse, le Stagirite le fait venir de ἀεί, autrement dit
'toujours' et θέω, 'courir', comme si le mot était *αειθηρ. |
E diuerso stagyrita:
ab aii
id est semper:
et theo:
curro: quasi aiither
|
(2337) Voici en effet ce qu'il écrit : Διόπερ ὡς ἑτέρου τινὸς ὄντος τοῦ
πρώτου σώματος παρὰ γῆν καὶ πῦρ καὶ ἀέρα καὶ ὕδωρ, αἰθέρα προσωνόμασαν τὸν ἀνωτάτω
τόπον, ἀπὸ τοῦ θεῖν ἀεὶ τὸν ἀΐδιον χρόνον θέμενοι τὴν ἐπωνυμίαν αὐτῷ. Ἀναξαγόρας
δὲ καταχρῆται τῷ ὀνόματι τούτῳ οὐ καλῶς· ὀνομάζει γὰρ αἰθέρα ἀντὶ πυρός. |
Ita enim scribit:
dioper hos hetera tinos ontos tu protu somatos para gen:
cai pyr: cai aera: cai hydor:
æthera prosonomasan ton anatato topon apo tu thein aii
ton aidion chronon themenoi ten eponymian auto.
Anaxagoras de catacechretai to onomati tuto u calos.
onomazein gar aethera anti tu pyros.ARIST. Cael., 270b
|
(2338) Traduction : voilà pourquoi en tant que le premier corps est
différent de la terre, du feu, de l'air et de l'eau, ils ont appelé le lieu le
plus élevé 'éther', car perpétuellement il court sans cesse dans un mouvement sans
repos ; Mais Anaxagore emploie à tort ce mot et de manière inexacte ; en
effet il parle d'éther pour désigner le feu. |
id est Quamobrem tamquam primum corpus diuersum est a terra:
igne: aere:
atque aqua.
aethera supremum locum apellauerunt:
a semper currendo.
quia perpetuo tempore semper currat inrequieto motu.
Anaxagoras
uero hoc nomine abutitur: non recte.
pro igne enim aethera nuncupat.
|
(2339) Si je ne m'abuse, le Stagirite examine et explique l'origine du mot
avec plus de justesse qu'Anaxagore, puisque, depuis tant de milliers d'années que
le monde a été créé, les levers et couchers du soleil ne laissent aucun doute sur
le fait que l'éther, autrement dit le ciel, dans un mouvement sans repos, et avec
une ineffable rapidité, réalise sa révolution en l'espace de vingt-quatre heures.
|
Rectius (nisi fallor) stagyrita
quam anaxagoras
originationem uocis trutinauit:
et expendit:
cum a tot millibus annorum:
quibus mundus fabricatus est:
irrequieto ambitu aethera id est caelum inenarrabili celeritate
. xxiiii.
horarum spatio circumagi solis exortus et occasus haud dubium reliquant.
|
(2340) Qui ne louerait la finesse d'Aristote, quand il a évalué la nature
d'une telle masse qui tourne avec une incroyable vitesse et un mouvement
circulaire sans repos ? |
Quis non acuminis Aristotelem laudet:
ubi tantæ molis incredibilli pernicitate:
et infatigabili uertigine rotatæ naturam ponderauerit?
|
(2341) Qui ne jugerait que le nom d'éther est donné avec une parfaite vérité
tant parce qu'il court, que parce qu'il le fait toujours et avec une constance
extrême et ineffable ? |
quis non uerissime aethera quasi semper:
et inefabiliter constantissimeque currentem nuncupatum iudicet?
|
(2342) En outre il ne me semble pas qu'il faille oublier que par le mot
d'éther on entend aussi le cercle cristallin, le cercle porteur d'étoiles et les
sept globes des planètes. |
Coeterum illud non uidetur omittendum ætheris uocabulo orbem intelligi crystallinum:
et orbem stelliferum:
septemque errantium syderum globos.
|
(2343) Au-delà du ciel cristallin se trouve l'empyrée, immobile, en tant que
répondant en tout au repos béatifique des esprits des saints. |
Vltra crystallinum est coelum empyreum:
immotum quidem utpote sanctorum spirituum beatificæ quieti undecunque respondens.
|
(2344) En dessous de ce cercle, le premier cristallin provoque les premiers
mouvements, le plus rapide de tous les cercles inférieurs qu'il entoure, puisque,
au-dessus des pôles du monde, avec une admirable rapidité, autrement dit dans
l'espace de vingt-quatre heures, il revient d'où il était parti, et, entraînant
avec lui les sphères inférieures et plus petites, en un temps égal il décrit une
ligne d'autant plus grande qu'elle l'emporte sur les corps intérieurs qu'elle
entoure et embrasse, par sa vaste masse. |
Citra hunc orbem primus crystallinus primos ciet motus :
omnium orbium inferiorum quos ambit:
rapidissimus:
cum super polos mundi celeritate mirabili:
hoc est . xxiiii. horarum spatio eo:
unde discessit regrediens:
ac secum inferiores minoresque sphæras trahens:
In tempore æquali tanto maiorem lineam describat:
quanto interioribus: quæ ambit et circumplectitur:
corporibus uasta mole antecellit.
|
(2345) On l'appelle communément premier mobile, et aqueux, en raison de la
mobilité de l'eau qu'il est facile de mettre en mouvement, parce qu'il se meut
avec une rapidité extrême alors que l'air est en repos. |
Primum mobile uulgo dicitur:
et aqueum ob mobilitatem aquæ quæ facillime impellitur :
ocyssime quia mouetur: cum aer quietus sit.
|
(2346) Quand au partage des eaux de ce cercle d'avec les eaux élémentaires,
je l'ai démontré plus haut. |
Diuisas aquas huius orbis ab aquis elementariis supra ostendi.
|
(2347) Mais le firmament tourne par son propre mouvement au-dessus des pôles
qui portent les astres, dans le sens du coucher au lever du soleil, alors que,
dans le mouvement diurne du cristallin, il est emporté au contraire du lever au
coucher. |
At firmamentum motu proprio super polos signiferi circumagitur ab occasu ad exortum
solis:
cum motu crystallini diurno contra rapiatur ab exortu in occasum.
|
(2348) Ce sont donc là les cercles qu'Arator appelle d'un seul nom, éther,
pour la raison que j'ai dite. |
Hos ergo orbes Arator
uocat aethera uno uocabulo ob eam causam quam dixi.
|
(2349) (Sola nexuit ("il affermit le sol")) et évidemment
spiritus oris ("l'Esprit venu de la bouche") divine, autrement
dit le saint Esprit, ou encore la volonté de Dieu, nexuit
("affermit") autrement dit attacha, fixa, rendit immobile sola ("le
sol"), autrement dit la terre, selon ce mot du divin prophète "toi qui as fondé la
terre sur sa stabilité, et elle ne vacillera pas dans les siècles des siècles". |
(Sola nexuit.) et scilicet
spiritus oris diuini id est spiritus sanctus:
uel uoluntas dei:
nexuit.
id est ligauit: stabilliuit:
immota reddidit:
sola
id est solum et terras.
secundum illud prophetæ diuinique uatis:
qui fundasti terram super stabilitatem suam:
non inclinabitur in sæculum sæculi.Ps 103, 5
|
(2350) Comment Dieu, va t'on me dire, nexuit ("affermit") la
terre au milieu du monde, de sorte que son centre soit le même que le centre du
monde ? Par quel lien, avec quelle colle il fit un globe de la terre au
milieu de l'univers pour lui donner l'aspect d'un grand cercle, de crainte qu'elle
ne soit égale de tout côté, autrement dit par quel moyen plaça-t-il et
stabilisa-t-il la terre, qui, d'une part, est contigue de l'air, et, de l'autre,
couverte par la mer, au milieu de l'univers, en sorte qu'elle soit à égale
distance de toute partie du ciel et demeure au milieu toujours immobile, sans
jamais pencher de l'un ou l'autre côté ? |
Quomodo deus:
dicet quispiam:
nexuit
terras in medio mundi:
ita ut idem communeque centrum habeat cum centro mundi:
quo uinculo quoue glutino terram in medio uniuersi:
magni speciem glomerauit in orbis:
ne non æqualis ab omni parte foret:
hoc est:
quo pacto terram una ex parte aeri contiguam:
altera ex parte mari coopertam in medio uniuersi ita collocauit et stabiliuit:
ut ab omni parte coeli æqualiter distaret:
nec magis in hanc quam in illam partem inclinans in medio semper immobilis maneret.
|
(2351) Comment (ainsi que le dit un poète talentueux) circumfuso in
aere ("dans l'air dont elle est entourée") et dans la mer est suspendue
tellus ponderibus librata suis ("la terre équilibrée par son
propre poids") ? |
Quomodo (ut dixit ingeniosus poeta)
circumfuso in aereOV. met., 1, 12
atque mari pendet
tellus ponderibus librata suisOV. met., 1, 12.
|
(2352) D'ailleurs avec les mots que je viens de citer, Ovide a, de manière
extrêmement savante, atteint son but et révélé la raison de cela. |
Cæterum his uerbis:quæ nunc allegaui:
doctissime ouidius
scopon attigit: et causam aperuit.
|
(2353) En effet, puisque que centre de la terre se situe à égale distance du
bord recourbé du ciel, Dieu a assigné ce lieu à tous les corps lourds, de la même
manière qu'à l'inverse il a donné la circonférence aux corps légers ; en
effet tous les corps lourds fuient la circonférence, en raison de la contradiction
des qualités, et, si j'ose dire, de leur inconvenance, et tendent vers le centre
du monde, où se trouve la terre, de la même manière qu'au contraire les corps
légers, en raison de la concorde et de l'harmonie des qualités, se dirigent vers
le bord recourbé du ciel, et fuient le centre, comme si c'était un ennemi doté de
qualités opposées et discordantes, et très différentes. |
Cum enim centrum terræ æqualiter distet a circumflexu coeli:
hunc locum cunctis grauibus deus constituit:
sicut e diuerso leuibus corporibus circumferentiam dedit.
omnia. enim grauia fugiunt circumferentiam:
propter repugnantiam qualitatum:
et ut sic dixerim:
disconuenientiam:
tenduntque ad centrum mundi:
ubi terra est, quemadmodum e contrario:
leuia propter concordiam symphoniamque qualitatum:
petunt circumflexum coeli:
et a centro fugiunt quasi inimico et diuersarum ac discordium qualitatum:
multumque differentium.
|
(2354) Or, puisque le centre est dû à ce dont la nature est la plus lourde,
et que ceux dont la nature est la plus proche mais moins lourde à leur tour, selon
la mesure de leur poids, soit viennent s'ajouter au centre, soit s'éloignent de ce
centre, c'est de manière érudite qu'Ovide a dit que la terre, équilibrée par son
propre poids est suspendue au milieu, étant donné que, de tous les éléments, elle
est la plus lourde. |
Cum autem grauissimæ naturæ centrum debeatur:
minus graui proxima:
ac deinceps pro mensura ponderis uel ad centron accedatur:
uel a centro recedatur:
erudite ouidius tellurem suis ponderibus libratam:
in medio dixit pendere:
cum sit elementorum grauissima.
|
(2355) Or elle est attachée est liée à ce centre du monde par sa gravité et
son poids que le Dieu créateur à assigné au corps terrestre plus grand qu'à tous
les autres. |
Nectitur autem et uincitur huic centro mundi sua grauitate suisque ponderibus:
quæ deus artifex terreno corpori præter cætera indidit.
|
(2356) Cela est très largement expliqué par Aristote au livre 4 du
Traité du Ciel. |
Id in iiii peri uranu latissime exponit
Aristoteles.
|
(2357) Et si la terre se mouvait en direction du ciel, et ne se tenait pas
stable au centre du monde, elle dépouillerait la nature de son propre être, elle
ne serait plus lourde, et elle combattrait contre la nature de l'univers, et
tendrait contre elle ses efforts. |
Quod si terra cœlum uersus moueretur:
nec teneretur in centro mundi stabiliter:
sui naturam exueret: iam non esset grauis:
contraque uniuersi naturam pugnaret ac niteretur.
|
(2358) Tout à côté de la terre se trouve jointe la mer, qui est plus lourde
que l'air. |
Huic proximum mare grauius aere:
coniungitur.
|
(2359) C'est donc savamment qu'Arator écrit nexuit sola ("il
affermit le sol") autrement dit il l'attacha, évidemment au centre du monde, qui
est immobile et stable, sola ("le sol") autrement dit la terre,
nexuit ("il affermit"), dit-il, évidemment par le lien de sa
nature lourde et de son poids que l'Esprit venu de la bouche divine assigna à la
terre elle-même. |
docte ergo Arator
(nexuit sola)
id est ligauit scilicet centro mumdi:
quod est immobile et stabile:
sola
id est terram:
nexuit
inquit scilicet uinculo naturæ grauis et ponderum:
quæ ipsi terræ indidit diuini oris spiritus.
|
(2360) En effet c'est en raison de ce poids et de cette gravité que la terre
est liée au milieu du centre de la terre, de telle sorte qu'elle ne puisse dévier
en aucune direction. |
Illis enim ponderibus et illa grauitate:
ita est tellus uicta medio centro mundi:
ut in nullam possit partem inclinare.
|
(2361) De fait, si elle montait ou descendait vers quelque partie du ciel, ou
si elle déviait de quelque manière, elle abandonnerait la position que lui a fixée
le maître et le gouverneur du monde entier, dépouillerait sa propre nature et en
prendrait une nouvelle, celle des corps légers, dont le propre est de fuir le
centre et de tendre vers la circonférence et le haut. |
Nam si in quamlibet coeli partem aut ascenderet:
aut descenderet:
aut quoquomodo flecteretur:
suam stationem desereret sibi a rectore uniuersique mundi præside mandatam:
naturamque propriam exueret:
ac nouam et leuiorum corporum indueret:
quorum est proprium centrum fugere:
ac circumferentiam et alta petere.
|
(2362) En effet tout ce qui est tourné vers le ciel, tend vers le haut. |
Quicquid enim in coelum uergit:
altum petit.
|
(2363) De plus, l'immobilité de la terre a été parfaitement adaptée aux
germes des créatures qui en naissent. |
Deinde terræ immobilitas nascentium germinibus congruentissima fuit.
|
(2364) C'est en effet en cela que le gouverneur de l'univers a montré le
comble de sa sagesse et de sa providence, en liant de manière stable le sol. |
Hoc enim sapientissime Præses uniuersi prouidit:
solum uinciens stabiliter.
|
(2365) De fait, s'il tanguait ou se mouvait, de quelle manière tant de
parfums et de goûts, tant de sucs et de textures, tant de couleurs et tant de
fruits, tant de germes, elle pourrait en toute bonne foi les soutenir et les
rendre avec l'intérêt qui est dû ? |
nam si flueret aut moueretur:
quonam pacto tot odores saporesque?
tot succos? tot tactus?
tot colores? tot fruges?
tot germina bona fide sustinere: et cum debito foenore posset reddere?
|
(2366) La mer se déchaîne en tempêtes et la plupart du temps elle enveloppe
les hommes qui ont osé y entrer de ses tourbillons impétueux et de ses flots
redoutables. |
Furit procellis mare:
hominesque ingredi se ausos plerumque rapida tempestate:
ac tremendis fluctibus conuoluit.
|
(2367) Mais la terre, comme une mère bienveillante, douce, indulgente, et
toujours prête à servir l'usage des mortels, ne s'irrite jamais contre l'homme, ne
s'emporte jamais, mais, soit engendre quelque chose spontanément, et produit les
herbes médicinales, et fait naître des plantes nouvelles, soit endure la
contrainte pour engendrer tout ce qui nous est utile, et qu'on extrait de ses
entrailles en creusant dans sa profondeur cavités et galeries pour la faire servir
à nos plaisirs et à notre convoitise. |
at terra ipsa quasi mater benigna: mitis:
indul[47r]gens: ususque mortalium semper ancilla:
nunquam homini irascitur:
nunquam excandescit:
sed uel sponte aliquid gignit:
medicasque fundit herbas:
et noua parturit:
uel se cogi patitur ut utile quicpiam generet:
et extrahi uiscera scrobibus cuniculisque in profundum actis ut nostris deliciis et
auaritiæ famuletur.
|
(2368) Et, pour tout dire, on la creuse, on la recreuse, on la retourne, on
la brûle, de toutes les façons possibles à toute heure on la blesse, non seulement
sur la surface de sa peau, mais même dans sa profondeur, avec des eaux, du fer, du
bois, du feu, de la pierre, des productions agricoles. |
Denique foditur: refoditur:
eruitur: crematur:
omnigenisque modis: omnibusque horis uexatur
non summa tantum atque extrema in cute:
sed etiam in profundo aquis: ferro:
ligno: igne: lapide:
fruge.
|
(2369) Ces tortures, elle les endure avec une extrême patience, et supporte
avec une extrême douceur nos folies, pour ne pas s'écarter d'un cheveu de ce que
son Créateur lui a prescrit, alors que nous, dont le visage est marqué de la
lumière divine, nous dépouillons notre nature, nous devenons comme des bêtes, et,
sans plus honorer la majesté de notre Créateur, nous manquons en tout à son
précepte. |
Hos illa cruciatus patientissime perfert:
nostrasque insanias mansuetissime tolerat:
ne a creatoris sui præscripto ungue latius discedat:
cum nos lumine diuini uultus signati naturam nostram exuamus:
beluinam induentes:
nec maiestatem nostri conditoris reueriti:
passim ab illius præseripto recedamus.
|
(2370) Donc, la terre est aussi immobile que le ciel est mobile. |
Est ergo terra immobilis ut coelum mobile.
|
(2371) Mais la courbe creuse du ciel s'incline sur elle-même, et s'appuie de
tous côtés sur son axe, autrement dit la terre. |
Verum coeli caua in se conuexitas uergit:
et cardini suo:
hoc est terræ undique incumbit.
|
(2372) Celle-ci, en tant qu'elle est solide et compacte, se dresse comme si
elle jaillissait, et s'étend dans toutes les directions, faisant obstacle au ciel
par le tracé pratiquement égal des lignes qui la limitent soit par elle-même, soit
par la mer qui l'entoure. |
Hæc:
ut solida atque conferta:
assurgit intumescenti similis.
extraque praetenditur undequaque:
uel seipsa.
uel mari circumfluo pari ferme linearum ductu obiecta coelo.
|
(2373) Or le monde incline vers son centre, autrement dit vers la terre, en
conduisant, avec un mouvement continu et infatigable, sa vaste masse autour du sol
immobile. |
Mundus uero in centron hoc est in terram uergit assidua uolubilitate et inlassabili
circa immobile solum uastam molem circumducens.
|
(2374) Mais voilà qui semble incroyable à la foule qui ne veut pas apprendre,
et qui est contre l'opinion du vulgaire : que les hommes puissent être
entourés de tous côtés de terre ou de mer, et alors même qu'ils sont aux antipodes
se tenir debout et, où qu'on aille, que pour tous la distance au ciel soit égale.
|
At hoc turbæ indocili incredibile uidetur:
contraque uulgi sensum est:
posse homines terræ:
uel mari undique circumfundi:
conuersisque inter se pedibus stare: et qua cuique eatur:
cunctis coelum æqualiter distare.
|
(2375) De fait on demande immédiatement: pourquoi ceux qui sont placés à
l'opposé de nous ne tombent pas, pourquoi restent-ils suspendus ? |
Nam statim quæritur:
cur non cadant contra siti:
cur pendeant.
|
(2376) Mais l'explication est à portée de main, et elle peut satisfaire le
vulgaire si ignorant soit-il. |
Sed ratio præsto est:
quæ populo quamlibet rudi queat satisfacere.
|
(2377) En effet on ne parlerait pas de tomber s'ils étaient emportés dans le
ciel, mais de voler, la nature s'opposant à cela et leur refusant de tomber. |
Non enim id esset cadere si in coelum ferrentur:
sed uolare:
natura repugnante:
et quo cadant negante.
|
(2378) De même qu'en effet que l'on attribuerait à un miracle le fait que
quelqu'un chez nous, fait d'un corps terrestre et pesant, s'en aille dans le ciel,
soit aussi tombe, de même, si les hommes qui sont placés à l'opposé étaient
emportés vers le ciel où tendent les corps légers, ils seraient de nature ignée et
extrêmement légère, non lourde, glébeuse et pesante. |
Vt enim hic miraculo tribueretur:
siquis apud nos graui de terreno corpore in coelum iret:
uel caderet:
lta si homines contra positi:
in coelum:
quo leuia tendunt:
ferrentur:
igneæ essent naturæ ac leuissimæ:
non grauis non glebulentæ: non ponderosæ.
|
(2379) En effet, le lieu dévolu aux corps lourds est le centre du monde,
autrement dit la terre, et non la circonférence du monde. |
situs enim grauium corporum centrum mundi est id est terra non mundi circumflexus:
hoc est cœlum.
|
(2380) Donc, ceux qui sont placés à l'opposé ou sur la surface de la mer ne
demeurent pas suspendus, mais ils sont à leur place, et en leur séjour naturel. |
Non ergo pendent qui in opposita terrarum uel maris superficie siti sunt:
sed in suo loco sunt:
et sede naturali.
|
(2381) lls ne tombent pas car ils ne volent pas non plus. |
Non cadunt: quia non uolant.
|
(2382) En effet, ce n'est pas d'un corps léger ou igné qu'ils sont entourés,
mais lourd et terrestre. |
non enim leui aut igneo:
sed graui et terrestri corpore circumdantur.
|
(2383) Or ce que nous avons dit ne me semble pas devoir désormais être prouvé
par des arguments, alors que cela est connu par l'expérience et la navigation de
nos contemporains. |
Id autem quod diximus:
non iam argumentis probandum uidetur:
cum sit nostrorum hominum experimentis et nauigatione cognitum.
|
(2384) (Aequora fudit
. ("fit couler les eaux")) imitation d'Ovide qui dans le
livre 1 de son illustre ouvrage écrit : Tum freta diffudit rapidisque
tumescere uentis iussit et ambitæ circumdare littora terræ ("alors ils
fit couler de part et d'autre les eaux des mers et lui ordonna de se gonfler sous
l'impétuosité des vents et d'entourer les côtes des terres") et évidemment
spiritus oris (l'Esprit venu de la bouche) divine
fudit ("fit couler") autrement dit répandit,
æquora ("les eaux"), autrement dit les eaux des mers. |
(Aequora fudit.)
lmitatio est ouidiana:
qui in primo præclari operis:
Tum fretaOV. met., 1, 35_36 inquit
diffudit:
rapidisque tumescere uentis iussit:
et ambitæ circumdare littora terræ.
OV. met., 1, 35_36
et scilicet spiritus oris diuini:
fudit id est sparsit:
æquora id est aquas et maria.
|
(2385) C'est bien au sens propre qu'il a dit fudit æquora
("fit couler les eaux") en faisant allusion à la nature mobile, fluide et souple
des eaux. |
proprie autem dixit:
fudit æquora:
alludens ad naturam aquarum mobilem: fluidam:
tractabilemque.
|
(2386) De fait, le flux et le reflux incessant des eaux qui tantôt se
retirent tantôt revenant passe sur tout, se répand sur tout, pénètre tous les
passages de la terre, quand celle-ci s'ouvre comme un golfe, où les eaux peuvent
se frayer un chemin à l'intérieur d'elle, en ressortir, la recouvrir, les flots
courant en tous sens, et même bondissant par-dessus les crêtes. |
Nam undarum fluxus refluxusque indesinens:
modo abeuntium:
modo aduentantium omnia peruagatur:
per omnia funditur:
omnes terræ meatus penetrat:
hac uelut sinus pandente:
aquis uero permeantibus totam intra:
extra:
supra.
uenis undequaque discurrentibus:
atque etiam per summa iuga erumpentibus.
|
(2387) Je ne comprends pas seulement que les eaux se répandent parce que sur
tout son globe la terre placée au milieu serait entourée par une ceinture de mer,
mais parce que l'Océan qui se glisse dans de nombreux golfes vient aboyer auprès
des mers intérieures en un accès si proche que le golfe arabique n'est distant que
de 115 milles de la mer d'Egypte, tandis que le golfe caspien ne l'est que de 375
du Pont. |
Non intelligo solum fundi æquora:
quia in toto suo globo tellus medio ambitu præcincta circumfluo mari sit:
et quia oceanus infusus in multos sinus adeo uicino accessu interna maria allatrat:
ut . cxv. millibus passuum
arabicus sinus distet
ab ægyptio mari.
caspius
uero . ccclxxv. milibus a pontico.
|
(2388) Le même océan se glisse et entre à travers tant de mers, par
lesquelles il sépare l'Afrique, l'Europe et l'Asie, d'où nous concluons que l'eau
se répand sur la majeure partie de la superficie de la terre. |
Idem interfusus intrat per tot maria:
quibus africam
europam
asiamque dispertit:
unde colligimus fundi æquora maiore ex parte per terræ superficiem.
|
(2389) De fait, par les navigations, il est devenu évident que la moitié de
l'hémisphère septentrional est recouverte de l'eau de la mer, et l'autre moitié,
dans laquelle se trouve le monde que nous connaissons, dépasse des eaux comme le
font les îles, et, outre l'Océan indien et la Mer d'Ethiopie qui la baigne au
Midi, et la Mer Noire, la Mer Baltique et la Manche qui la baigne au Nord, la
moitié même de notre hémisphère reçoit en elle quatre grands golfes, deux du côté
de l'Océan Indien, le golfe persique, le golfe arabique (ou érythréen), et, du
côté de la Mer Noire, un seul, le golfe Caspien, autrement dit Hircanien, et, à
l'ouest, un bien plus grand que les trois précédents que l'on appelle "notre mer",
ou "mer intérieure", mais que les incultes nomment Méditerranée. |
Nam satis constat nauigationibus :
dimidium hemisphærii septentrionalis aqua maris obrutum esse:
reliquum dimidium:
in quo est orbis terrarum nobis cognitus:
insulæ instar aquis eminere:
ac præter mare indicum
atque æthiopicum:
quibus a meridie:
et scythicum
cymbricum
ac britannicum:
quibus a septentrione abluitur:
hoc ipsum nostri hemisphærii dimidium quattuor ingentes sinus intra se recipit:
ex mari indico duos
persicum et
arabicum uel erythreum.
ex scythico aquilonio mari:
unum scilicet caspium:
hoc est hircanum.
ab occasu uero tribus superioribus multo maiorem:
qui tum mare nostrum: tum
interius dicitur.
Inculti mediterraneum uocant.
|
(2390) L'Océan Indien, bien que Ptolémée soit d'un autre avis, est une partie
de l'Océan, et cela a été prouvé non seulement par l'autorité de Pomponius Méla et
de Pline, mais encore par la navigation de nos contemporains, qui partant de
l'Océan Atlantique, et passant par la mer d'Ethiopie, sont arrivés sur les rivages
de l'Arabie, de la Perse et de l'Inde, et de leur flotte victorieuse ont longé
toutes les terres qui s'y trouvent. |
Indicum mare:
quamquam aliter sentit ptolemæus :
portionem esse oceani:
non solum melæ ac
plinii
authoritate sed etiam nauigatlone nostrorum hominum compertum est:
qui ex atlantico mari
per æthiopicum
in arabiæ:
persidis:
Indiæque oras peruenerunt:
ac uictrici classe: cuncta illic lustrauerumt.
|
(2391) Certains pensent que le golfe caspien est joint à l'Océan, alors que
Ptolémée et Hérodote soutiennent que cette mer est de tous côtés entourée de
terre. |
Caspium iungi oceano nonnulli arbitrantur:
cum ptolemaeus atque
herodotus autument esse mare undique terra cinctum.
|
(2392) Que notre mer en passant par la Propontide et le Pont-Euxin se termine
dans le Palus Méotide, c'est une chose manifeste dont personne ne doute. |
Nostrum mare per propontidem et
pontum euxinum
in mæotidas paludes desinere:
ut in re confessa nemo dubitat.
|
(2393) Mais quant à savoir si ce marais lui-même se mêle à l'océan du côté de
l'Aquilon, il y a un débat dans les sources littéraires. |
Sed an ipsæ paludes oceano aquilonio misceantur:
pugna litterarum est.
|
(2394) Du moins, Lucain ne dit pas le contraire, au livre 3 de la
Pharsale, où il dit : quaque fretum torrens maeotidas
egerit undas pontus et herculeis auferertur gloria metis oceanumque negat solas
admittere gades ("la où, flot torrentueux, la mer chasse les ondes
méotides, où leur gloire est enlevée aux colonnes d'Hercule, et où elle refuse à
la seule Gadès l'honneur de recevoir l'Océan"). |
Certe lucanus non id negat:
qui in .iii. pharsaliæ
:
quaqueLVCAN. 3, 277-279 inquit fretum torrens
maeotidas egerit undas
pontus:
et herculeis auferertur gloria metis:
oceanumque negat solas admittere gades.
LVCAN. 3, 277-279
|
(2395) Donc, je ne comprends pas seulement que æquora ("les
eaux"), autrement dit la mer, ont été répandues, mais aussi qu'ont été versées, à
travers toutes les parties des terres, les eaux des fleuves, des marais, des lacs,
des étangs, des sources. |
Non solum ergo intelligo fusa esse æquora
id est maria:
sed etiam fusas esse per uniuersas terrarum partes aquas fluminum:
paludium: lacuum:
stagnorum:
fontium.
|
(2396) En effet, la sagesse créatrice de Dieu en a disposé ainsi, afin que,
alors que la terre aride et sèche par elle-même ne pouvait germer sans élément
liquide, et qu'en revanche l'eau ne pouvait se tenir ferme ou procréer des
récoltes, si la terre ne la soutenait pas, cette sagesse unisse dans une étreinte
mutuelle l'élément liquide à la terre, en sorte que, par des filons et des canaux
de circulation secrets et cachés, elle verse et répande de partout l'élément
liquide prolifique. |
Hoc enim artifex dei sapientia prouidit:
ut cum terra arida et sicca per se sine humore germinare non posset:
nec rursus stare aquam:
aut fruges procreare:
nisi sustinente posset terra:
mutuo complexu ita liquorem terræ maritauit:
ut per uenas et occultos latentesque meatus prolificum humorem undequaque fuderit
et sparserit.
|
(2397) D'où, en effet, l'eau jaillit-elle au sommet des montagnes, quels
canaux elle possède, ou quelles conduites cachées, pour que, "comme mue par un
souffle, et exprimée par le poids de la terre, elle jaillisse comme quand elle
sort d'un siphon", comme le dit Pline, "et soit si loin du risque de tomber
qu'elle jaillit sur les sommets et les lieux les plus élevés ? et c'est là la
raison qui semble évidente, pour laquelle, par l'adjonction de tant de fleuves,
les mers ne montent pas". |
Vnde enim in summis montium cacuminibus erumpit unda:
quos habet canales:
quasue latentes phistulas:
ut quasi spiritu acta:
et terræ pondere expressa siphonum modo emicet:
tantumquePLIN. nat., 2, 166 ut ait plinius:
a periculo decidendi absit:
ut in summa quæque et altissima exiliat?
qua etiam ratione uidetur constare:
cur tot fluminum quottidiano accessu maria non crescant.PLIN. nat., 2, 166
|
(2398) Et puisque l'Ecriture nomme mers des amas d'eau aussi bien salée que
douce, comme la Mer de Galilée, la Mer de Tibériade, alors que ce sont des lacs,
il ne doit absolument pas sembler étonnant que notre poète sacré ait appelé
æquora ("eaux") n'importe quelles eaux. |
Et quoniam scriptura congregationes aquarum siue salsarum:
siue dulcium maria appellat:
ut mare galileæ :
mare tyberiadis cum lacus sit:
minime debet mirum uideri si poeta sacer:
æquora uocauit quascumque aquas.
|
(2399) Il a donc vu juste quand il a dit spiritus oris fudit
æquora ("l'esprit qui sort de sa bouche fit couler les eaux") bien
qu'il ne m'échappe pas qu'un commentateur remarquable et éloquent de la parole
divine ait dit que spiritus oris ("l'esprit qui sort de la bouche")
est la force de la cause efficiente, outil et instrument du Seigneur, puisqu'elle
n'atteint pas son sujet, sinon par l'intermédiaire des qualités médianes, et,
c'est en les maniant et les faisant agir, que naît la beauté et la forme de la
chose, qui est ainsi dite faite par la voix du commandement de Dieu, parce que les
causes naturelles ne font rien que l'ordre de l'art divin ne leur a pas prescrit.
|
Recte ergo dixit spiritus oris fudit æquora:
quamquam non me fallit quendam eximium ac facundum diuini eloquii interpretem:
dicere spiritum oris uim causæ efficientis:
domini organum et instrumentum:
cum non attingat subiectum:
aut permeet:
nisi intercedentibus mediis qualitatibus:
quas dum uersat et agit:
oritur decor formaque rei:
quæ dei uoce sic imperantis fieri dicitur:
quia nil agant causæ naturales:
quod non diuinæ artis ordo præceperit.
|
(2400) Cependant spiritum oris ("l'Esprit qui sort de la
bouche"), je pense qu'il faut le rapporter à l'ensemble de la Trinité créatrice et
à l'Esprit saint qui vivifie et crée les choses, à l'imitation de la manière de
parler de David et de Moïse. |
tamen spiritum oris hic:
ad summam trinitatem rerum conditricem:
et ad spiritum sanctum rerum uiuificatorem creatoremque dauidicæ locutionis:
ac mosaicæ imitatione (ut supra exposui) puto [47v] referendum.
|
(2401) Il ne m'échappe pas qu'il y a eu des gens pour écrire que la plus
grande surface de la terre est de tous côtés entourée d'eau, exactement comme si
la terre dépassait de l'eau océanique, comme une balle qui sort à peine de l'eau.
|
Non me latet quoque fuisse quosdam:
qui scriberent maximam terræ superficiem aquis undique cingi:
perinde ac si ex aqua oceanitide tellus emineat:
ut pila uix ex aqua emergens.
|
(2402) De fait, ils disent qu'au commencement, quand la terre était de tous
côtés recouverte par la mer, Dieu en découvrit une petite partie, qu'il donna à
l'homme pour qu'il l'habite. |
Nam inquiunt ab initio cum esset terra undique mari obruta:
quamdam portiunculam detegit deus:
quam homini tradidit habitandam.
|
(2403) Mais à cette difficulté, ils en ajoutent une autre. |
Huic incommodo aliud accumulant.
|
(2404) Ils disent en effet, que, pour éviter que les eaux ne coulent sur
cette petite partie découverte, la terre s'éloigne un peu du centre du monde, et
incline vers la circonférence du monde par le côté où elle est aride, et ils
affirment que cela s'opère par l'attraction de certaines étoiles, ce qui rend le
centre du monde différent du centre de la terre. |
Dicunt enim ne aquæ in illam portiunculam detectam fluant:
a centro mundi terram paululum recedere:
atque in mundi circumflexum ex illa parte:
qua arida est: uergere:
idque attractu quarumdam stellarum fieri aiunt:
quo sit centrum mundi a centro terræ diuersum.
|
(2405) D'ailleurs quelles difficultés poursuivent ces auteurs, ce n'est pas
un long travail que de le montrer ; la première raison est que cela est
contraire à l'autorité de la vénérable Ecriture et du poème de David qui
dit : "tu as fondé la terre sur sa stabilité, et elle ne vacillera pas dans
les siècles des siècles". |
Cæterum quanta incommoda hos scriptores sequantur:
non est longi negocii ostendere.
Primum quia uenerandæ scripturæ et carminis dauidici
authoritas repugnat:
qui inquit fundasti terram super stabllitatem suam :
non inclinabitur in sæculum sæculiPs 103, 5.
|
(2406) Si donc la terre était stabilisée par quelque attraction d'écoulement
ou d'influx éthéré, ce ne serait pas sa propre stabilité qu'il la rendrait ferme
et solide, mais celle d'autre chose. |
Si ergo tellus esset stabilita aliquo attractu defluuii æthereique influxus :
non sua sed aliena stabilitate firmaretur roborareturque.
|
(2407) Ensuite, puisque les étoiles font leurs révolutions selon le mouvement
de leurs orbes, l'attraction des mouvements stellaires ferait que la terre ferait
aussi une révolution, ce que personne n'a jamais constaté jusqu'ici. |
Deinde cum stellæ motu suorum orbium circumagantur :
attractu stellarum motarum circumageretur tellus:
quod nullius sensus adhuc uidit.
|
(2408) Or le choeur entier des philosophes démontre que la stabilité de la
terre du globe terrestre consiste en son propre poids qui tend vers le centre de
la terre, et c'est cela, semble-t-il, que le prophète nomme stabilité de la
terre ; pour finir les mathématiciens montrent, par des arguments
indubitables et d'une extrême clarté, que la terre est au milieu de l'ensemble du
monde, évidemment en se servant de l'égalité horaire de l'équinoxe. |
Probat autem uniuersus philosophorum chorus:
stabilitatem terreni globi pondere suo centrum mundi petente:
consistere:
ldque uidetur propheta terræ stabilitatem nominare.
Postremoque mathematici mediam esse totius mundi terram
haud dubiis argumentis sed clarissimis ostendunt.
scilicet æquinoctii paribus horis.
|
(2409) De fait, si elle n'était pas au milieu, elle ne pourrait avoir des
jours et des nuits de même durée, c'est ce qu'on constate avec les dioptres qui
confirment absolument cela, puisqu'on voit au temps de l'équinoxe sur la même
ligne le lever et le coucher du soleil, tandis qu'au solstice d'été on ne voit par
sa propre ligne que le lever, et au solstice d'hiver que le coucher, ce qui ne
pourrait en aucun cas arriver, si la terre n'était pas placée au centre. |
Nam nisi in medio esset:
æquales dies noctesque habere non posse deprehenderunt et dioptræ:
quæ uel maxime id confirmant:
cum æquinoctiali tempore ex eadem linea ortus occasusque cernatur:
et solstitialis exortus per suam lineam̃:
brumalisque occasus, quæ accidere nullo modo possent :
nisi in centro sita esset.
|
(2410) Voilà pourquoi tout véritable savant peut à bon droit détruire cette
opinion. |
Quare iure a doctissimo quoque istius modi opinio explosa est.
|
(2411) D'autres ont imaginé que la terre était comme scrofuleuse et gonflée
comme d'un ventre ou d'une bosse, ce qui, selon leurs dires, a été fait par Dieu,
pour qu'elle domine la hauteur des eaux, dont elle était recouverte au
commencement du monde. |
Alii terram strumosam:
atque utero pariter gibboque tumentem somniant:
quod a deo factum dicunt:
ut superaret aquarum altitudinem:
quibus in initio mundi operiebatur.
|
(2412) Mais pour se tirer de la dfficulté des auteurs que j'ai cités plus
haut, ils attribuent au monde et à la terre le même centre, et se montrent pour
ainsi dire plus prudents que ceux dont nous avons parlé un peu plus haut. |
Sed ut euadant superiorum offensacula:
et mundo et terræ idem centrum tribuunt:
quasi cautiores iis quos paulo ante rettulimus.
|
(2413) Et ces gens-là ne sont pas accablés de difficultés moindres que les
précédents, d'abord parce que les voyages des marins n'ont saisi nulle portion
ainsi séparée, et se dressant, en étant arrachée à toutes les eaux ; ensuite
parce que le globe de la terre périrait si cette excroissance se dressait comme
une pyramide par là où elle se dresse et se trouve emportée vers le haut. |
At nec isti minoribus opprimuntur incommodis quam illi superiores.
Primum quia peragrationes nautarum nullam portionem ita seiunctam:
sursumque turgentem:
et ab omnibus aquis auulsam deprehendunt.
Deinde quia terræ globus ista struma periret quasi pyramide surgente inde:
qua erigitur in altum: sursumque tollitur.
|
(2414) Il y a largement assez d'explications, et je ne manquerai pas de
choses à dire, et le temps me fera défaut plus vite que les mots, si je veux dire
toutes les raisons qui s'opposent à cette idée. |
suppetunt rationes: non deest oratio:
ac citius mihi tempus quam uerba deficient:
si cuncta: quæ aduersus hanc sententiam occurrunt:
dicere uoluero.
|
(2415) Ptolémée donc me semble avoir parlé avec une extrême vraisemblance de
la forme de la terre et de la mer, quand je réfléchis à ce que notre époque a
acquis comme connaissance de l'expérience des marins qui ont sillonné toutes les
mers et des golfes aux nombreuses anses. |
Ptolemæus igitur mihi uidetur ueri quam simillime locutus de forma terrarum ac maris:
cum ea repeto animo:
quæ nostra ætas nautarum omnia maria de multifidos sinus circum euntium experimentis
cognita habet.
|
(2416) A la vérité de fait l'ensemble du globe terrestre est fait de
montagnes élevées et des zones plates de vallées, et toujours, que ce soit des
flancs des montagnes ou de leur pied, ou que soit du sommet de leurs crêtes, les
eaux se déversent en suivant la pente dans les zones planes, et affluent et se
rassemblent dans les vallées. |
Verum enimuero uniuersus terræ orbis excelsitate montium ac uallium planis constat:
semperque uel a lateribus montium aut radicibus:
uel a summis iugis per decliuia in campos aquæ funduntur:
et in ualles coeunt atque congregantur.
|
(2417) En effet, l'eau est, comme le prouve Aristote dans le Traité du
ciel, par nature portée à couler dans les pentes à moins qu'on ne l'en
empêche ; or comme le corps de l'eau est homogène, autrement dt de même
nature, propriété et dénomination dans ses parties, de la même façon que dans le
corps entier (de fait tout ce qui est partie de l'eau est eau et s'appelle eau),
les savants d'ordinaire font, par les accidents qui affectent les parties, la
démonstration des propriétés de l'eau dans sa totalité. |
Est enim aqua: ut in
.i. peri uranu
probat Aristoteles:
nata in decliuiora fluere: nisi impediatur.
Cum autem aquæ corpus sit homogeneum:
hoc est eiusdem naturæ proprietatis ac denominationis in partibus:
quemadmodum in toto corpore (nam quælibet aquæ pars aqua est et aqua dicitur:)
solent eruditi ab accidentibus partium totius aquæ proprietates monstrare.
|
(2418) De fait, en se fondant sur le fait que "les gouttes qui tombent
forment, en se ramassant, de petits globes, et, quand on les met dans la poussière
et qu'on les place sur le duvet de feuilles, elles apparaissent d'une absolue
rotondité et dans les coupes remplies, elles sont plus hautes au milieu ", ils
soutiennent que la totalité de l'eau est de forme orbiculaire, ainsi moi, si par
ce raisonnement s'ouvre à moi un accès, en me fondant sur les récipients et
vallées qui contiennent les eaux de taille moindre, soit les marais, les fleuves,
les torrents, je pourrais montrer que sont semblables à des sortes de lits les
vallées qui contiennent les eaux les plus grandes, de l'océan, de la Méditerranée,
des golfes persiques et arabiques. |
Nam ex eo quod dependentes ubique guttæ paruis globantur orbibus:
et pulueri illatæ:
frondiumque lanugini impositæ absoluta rotunditate cernuntur et in poculis repletis
media maxime tument:PLIN. nat., 2, 163
arguunt figuræ orbicularis totam esse aquam:
ita ego nunc si hac datur aditus:
a conceptaculis ac uallibus minorum aquarum scilicet paludium:
fluuiorum: torrentiumque:
maioris aquæ ualles et oceani:
et nostri maris:
et persici:
et arabici quasi alueos ostenderem.
|
(2419) De même en effet que, dans le cas des eaux de taille moindre, il existe
des fleuves impétueux, et d'autres paisibles, des grands et qui produisent des
îles en les entourant de leurs eaux, et beaucoup de petits, et qui s'écoulent sans
aucune brisure du lit qui les contient, de même dans les eaux de grande taille, la
Méditerranée occupe une immense vallée, remplie d'îles illustres, et elle est d'abord
étroite
entre Calpè et Abyla, puis, s'étendant en longueur et en largeur, elle chasse
largement les côtes qui cèdent devant elle, et crée, si j'ose dire, des plaines
ouvertes, et, quand ces mêmes côtes se rassemblent presque de tous côtés, elle est
à ce point réduite vers le Nord que son étendue finit par faire moins d'un mille,
et, pour finir, à l'endroit où elle arrive et à l'endroit où elle se disperse,
tantôt se laissant aller, tantôt se retenant, elle se joint en outre à un marais
par une étroite bouche. |
Vt enim in aquis minoribus sunt amnes rapidi alii:
lenti alii: quidam magni:
et qui aquarum circumductu insulas efficiunt:
multi parui: et qui sine ulla aluei scissione labuntur:
ita in aquis maioribus mare nostrum ingentem occupat uallem præclaris refertam insulis:
angustum primo inter calpen
abylamque:
tum longe lateque diffusum abigit uaste cædentia littora:
camposque ut sic dixerim patentes efficit:
iisdemque ex diuerso prope coeuntibus adeo in arctum agitur:
ut minus mille passibus pateat:
postremoque qua uenit quaque dispergitur se interdum laxans:
interdum contrahens: paludi:
cæterum exiguo ore coniungitur.
|
(2420)
Ce que j'ai dit de la Méditerranée, je pourrais le dire aussi de l'océan lui-même
qui occupe de loin la vallée la plus vaste,
si est vrai ce que rapportent les propos de nos contemporains qui l'ont traversé
et qui ont trouvé de l'autre côté de l'océan d'autres terres.
|
Quod dixi de interiore mari:
de ipso oceano multo maximam uallem occupante dicerem:
si uera sunt quæ nostrorum hominum sermonibus ipsum transmittentium:
et ultra oceanum terras alias inuenientium:memorant.
|
(2421)
Masi si sont vrais les arguments que, partant de là, nous avons exposés rapidement,
il est évident que les montagnes constituent de vastes vallées
dans lesquelles comme les mers sont contenues, comme les fleuves dans leur lit.
|
si ergo hæc uera sunt:
quæ hinc alio tendentes:
breuiter exponimus:
manifestum est uastas a montibus ualles constitui:
quibus maria sicut in suis alueis flumina continentur.
|
(2422)
En effet, Dieu dit : "que se rassemblent en un seul lieu les eaux qui sont sous le
ciel,
et qu'apparaisse la terre ferme".
|
dixit enim deus
congregentur aquæ quæ sub coelo sunt in locum unum:
et appareat arida.
Gn 1, 9
|
(2423)
Les masses d'eaux vinrent en effet en un lieu unique,
quand, comme le dit Bède,
par l'aide du Ciel et la force divine il arriva
que la terre en se plaçant en dessous offrît aux fleuves de petites vallées,
mais d'immenses aux eaux de la mer.
|
In unum enim locum congregationes aquarum deuenerunt:
cum authore beda:
coelesti ope ac diuina ui factum est:
ut terra subsidens ualles exiguas fluminibus:
ingentes marinis aquis præbuerit.
|
(2424)
En effet les eaux gagnent les endroits creux et bas, et,
c'est quand elles abandonnent les lieux plus élevés
que la terre est rendue habitable pour les hommes.
|
Caua enim Ioca et humiliora aquæ petunt:
quibus altiora deserentibus.
tellus hominum habitationi apta redditur.
|
(2425)
De fait, la sagesse de Dieu tout-puissant a opposé à la mer
comme des limites et des verrous invincibles
pour éviter qu'elle n'engloutisse la terre.
|
Nam colles et prærupta montium omnipotens dei sapientia
uelut terminos et inuictos obices mari opposuit ne terram obruat:
|
(2426)
ll semble en effet que le flot impétueux de l'océan, quand il s'enfle, soit emporté
contre les terres,
mais, comme s'il était averti par la férule d'un maître d'école,
il fait demi-tour et s'éloigne d'elles,
et n'avance pas plus que le lui accordent la sauvergarde des êtres vivants
et la limite que Dieu lui a d'avance assignée.
|
Videtur enim oceani tumentis impetus in terras ferri:
a quibus quasi uirga pædagogi admonitus:
pedem refert:
nec se ulterius profert quam salus animantium:
et præscriptus a deo terminus concedit.
|
(2427)
De fait, une montagne abrupte d'eau peut bien se dresser autant que l'on voudra,
et le flot de la mer violente et tempétueuse se lever,
dès qu'ils ont jeté leur assaut contre le rivage,
ils se résolvent en écume,
et, retenus par la poudre sans aucune force d'un vil sable,
comme par des serrures voulues par ordre du Ciel,
ils se brisent et se fendent en se réduisant en rigoles, et sont rappelés en arrière.
|
nam quantumuis præruptus aquæ mons insurgat:
et uiolenti atque undabundi aequoris fluctus eleuetur:
ubi impetum suum ad littus illiserit:
in spumas resoluitur:
et infirmissimo uilis sabuli puluere uelut quibusdam cœlestis imperii repagulis cohibitus:
in sese frangitur et in reductos sinus scinditur et reuocatur.
|
(2428)
Voilà pourquoi il semble parfaitement cohérent avec ces faits
que le centre de la terre et celui du monde soient identiques.
|
Quamobrem maxime uidetur consentaneum:
terrae centrum ac mundi non diuersum sed idem esse.
|
(2429)
Il semble en effet que les cimes les plus hautes
contiennent et enferment l'océan et les golfes des eaux aux mulitples branches
comme dans des lits plus étendus et, pour ainsi dire, comme dans des vases.
|
Videntur summa iuga undique oceanum:
et sinus aquarum multifidos:
uelut amplioribus quibusdam alueis et quasi uasis continere at concludere.
|
(2430)
Comme l'a également chanté le roi prophète :
"tu amasses les eaux de la mer comme dans des outres, et tu mets les abîmes dans des
coffres".
|
Sicut etiam rex uates
cecinit:
congregas sicut in utres aquas maris:
ponens in thesauris abyssos.Ps 32, 7
|
(2431)
Mais un sage roi a dit :
"quand il entourait l'abîme d'une loi bien définie et d'un enclos, quand il affermissait
en haut l'éther
et équilibrait les sources des eaux".
|
rex uero sapiens:
quandoPr 8, 27-28 inquit
certa lege et gyro uallabat abyssos:
quando aethe[48r]ra firmabat sursum:
et librabat fontes aquarum.Pr 8, 27-28
|
(2432)
En effet, ce n'est pas, comme l'a pensé le physicien de Stagire au livre 2 des
Météorologiques,
des vapeurs des montagnes qui s'élèvent quand elles s'humidifient que coulent les
sources,
pas plus que c'est de l'air enfermé dans les cavernes des entrailles terrestres et
changé en eaux,
qu'au pied ou au flanc des montagnes quand coule un liquide que ce liquide rassemblé
de partout
et mulitipliant sa masse, finit, comme il l'a affirmé, en fleuves coulant vers la
mer.
|
Non enim ut physicus stagyrita
putauit in .ii. meteorologicon:
ex uaporibus montanis:
qui sursum tolluntur:
humescentibus emanant fontes:
nec ex aere incluso in uisceribus terræ cauernosis:
ac uerso in aquas:
a radicibus montiumue lateribus humor fluens:
atque undique collectus liquore multiplicato:
amnes statuit in mare decurrentes.
|
(2433)
En effet, la contradiction lui vient aussitôt de la part des experts dans les lettres
divines ;
comment donc par l'ajout de si nombreuses eaux fluviales la mer ne monte-t-elle pas
et n'inonde-t-elle pas les terres ?
|
statim enim illi occurritur a scientibus diuinarum literarum:
quomodo igitur tot aquarum fluuialium accessu mare non crescit:
non inundat terras?
|
(2434)
Mais il dit que la mer s'évapore sous les rayons du soleil, et qu'ainsi,
par une conversion massive en air, elle se trouve diminuée par ce fait,
au point de ne jamais être augmentée par l'autre fait.
|
At dicit solis radiis resolui mare:
crebrisque in aerem conuersionibus ita minui hinc:
ut nunquam augeatur illinc.
|
(2435)
Aristote, physicien trop physicien, combien tu te serais montré plus sage,
si tu avais pris conseil des écrivains inspirés par le saint Esprit !
|
o physice aristoteles:
nimiumque physice:
quanto euasisses sapientior:
si afflatos sancto spiritu scriptores consuluisses.
|
(2436)
De fait, s'il faut dix portions d'air pour produire une portion d'eau,
comment ta proposition tient-elle,
comment, à partir de l'air enfermé dans les cavités de la terre,
ou des vapeurs qui montent des montagnes,
l'Araxe peut-il sortir avec un tel débit de la montagne d'Arménie,
ou le Timave des montagnes de Padoue ?
|
Nam si ex pugnis .x.
aeris uix unus aquæ gignitur:
quomodo tibi constat propositum:
quomodo ex aere concauis terrae locis clauso:
uel ex erectis sursum fumis montium:
tam exit copiosus e monte armenio
araxes:
aut e patauino timauus?
|
(2437)
D'où vient que, par neuf bouches, avec un grand fracas de la montagne,
s'en va une mer impétueuse et vient accabler les terres d'une étendue d'eau sonore,
de quelle manière, lui l'Eridan, se déverse-t-il si grand,
sans que plutôt la terre ne se résolve en fleuve,
lui l'Eridan non moindre que le Nil ou le Danube, comme le dit Lucain ?
|
unde per ora nouem uasto cum murmure montis it mare præruptum:
et pelago premit arua sonanti.
quo pacto ille tam magnus efunditur:
quo magis nullum tellus se soluit in amnem:
Eridanus?
non minor aut nilo aut
histro:
ut lucanus ait?
|
(2438)
Ce qu'alors il ajoute à titre de solution,
alors que la chaleur, à moins d'être celle d'un jour d'été, ne pourrait le faire s'évaporer,
alors qu'elle est tout à fait courte, et que c'est autour des tropiques
que se porte une chaleur d'une telle violence,
ne suffit pas à le prouver si l'on ne compense pas en égale proportion.
|
lam uero quod de solutione
subiungit:
cum nisi diei æstiuae calor possit resoluere admodum breuis:
et circa tropicos illa caloris uis ingruat:
non satis probabile uidetur nulla pari compensatione data.
|
(2439)
Mais désormais laissons le et allons consulter ceux que la sainte flamme a rendu savants.
|
Sed iam hunc mittamus:
et eos quos sanctum flamen erudiit:
consulamus.
|
(2440)
Le sage roi déclare : "tout les fleuves entrent dans la mer et la mer ne déborde pas ;
les fleuves reviennent là où ils ont pris leur source et ils recommencent à couler".
|
Rex sapiens
omniaQo 1, 7 inquit
flumina intrant mare:
et mare non redundat.
Ad locum:
unde exeunt flumina reuertunt:
ut iterum fluant.Qo 1, 7
|
(2441)
Voilà bien une sentence d'une extrême vérité et vraiment digne d'un sage.
|
Hæc sane uerissima sententia:
et uero sapiente digna.
|
(2442)
Nous voyons en effet que l'intérieur de la terre a été disposé par le céleste architecte
de manière à ce que ses entrailles soient non moins pleines de canaux d'humdité
que les veines de l'homme que les Grecs appellent 'microcosme'.
|
Videmus enim ita esse telluris interiora ab architecto coelesti disposita
ut uiscera eius non minus plena sint uenis humentibus.
quam uenæ hominis:
qui microcosmos dicitur a græcis.
|
(2443)
Cela saute aux yeux de ceux qui font des forages de puits,
puisqu'ils voient et observent partout,
non seulement à travers les lieux terreux,mais aussi à travers les rochers,
des canaux dont le cours les traverse,
et qui pénètrent l'intérieur de la terre et des rochers.
|
Id uero puteos fodientibus palam est:
cum uideant et passim intueantur non solum per loca glebulenta:
uerum etiam per rupes intercurrentes uenas:
et interiora terræ ac rupium penetrantes.
|
(2444)
Ce sont bien là pour ainsi dire les aqueducs que la sagesse créatrice de Dieu
a placés dans les entrailles de la terre,
puisqu'elle a voulu que, depuis la mer, l'eau serpente par quelques conduits cachés
et glisse par les lois de l'équilibre,
avant de rejaillir sur les cimes et les crêtes des montagnes.
|
Hos enim quasi aquæ ductus:
terræ uisceribus inseruit artifex dei sapientia:
cum a mari per quosdam meatus latentes humorem uoluerit serpere
ac labi per æquilibrium in iuga et supercilia montium erumpentem.
|
(2445)
De fait nous avons appris de l'expérience que la quantité de liquide qui descend est
égale à celle qui remonte.
|
Nam experimemto didicimus:
quantum humor descenderit:
tantum rursus ascendere.
|
(2446)
En effet,
ce n'est pas seulement dans les canaux artificiels que la quantité d'eau ainsi dérivée
et qui descend égale celle qui remonte,
c'est aussi par le génie de la nature qu'elle déborde des zones inférieures,
quand les entrailles de la terre, depuis leur plus profond, vomissent de l'eau,
en sorte évidemment que la quantité d'eau qui, coulant depuis la mer, est descendue
dans les régions les plus basses
soit égale à celle qui se dresse et se porte dans les régions les plus hautes.
|
Nec enim solum canalibus artificis aqua deriuata quantum descenderit:
tantum rursus ascendit:
sed etiam naturæ ingenio ex inferioribus scaturit:
imis terræ uisceribus undam uomentibus:
scilicet ut quantum in ima a mari defluens descenderit:
tantum in superiora se subrigat et attollat.
|
(2447)
C'est en voyant le merveilleux travail de création de la sagesse divine dont je viens
de parler que Salomon a dit :
"quand il équilibrait les sources des eaux", évidemment l'art et la sagesse du Dieu
créateur.
|
Hoc mirabile diuinæ sapientiæ opificium suspiciens
solomon:
quandoPr 8, 28 inquit
librabat fontes aquarum:Pr 8, 28
ars scilicet et sapientia dei artificis.
|
(2448)
Et ne va pas te troubler du fait que les eaux de la mer soient salées
alors que, lors de leur voyage vers la région opposée, dans leur longue descente et
montée,
elle s'adoucissent en raison du froid.
|
Nec te moueat:
quod aquæ maris salsæ sint:
cum longo descensu ascensuque in oppositam regionem meantes:
per frigiditatem dulcescant.
|
(2449)
Donc, du rassemblement et de la collecte des canaux naissent les sources,
des sources les cours d'eau et des cours d'eau la mer,
et, du flux et reflux varié des eaux qui voyagent en l'un et l'autre sens,
il n'apparaît aucun accroissement, ni non plus aucune décroissance dans la masse du
liquide.
|
Ex congregatione igitur uenarumque collectu fontes:
ex fontibus amnes:
ex amnibus maria constituuntur:
atque e diuerso fluxu ac refluxu aquarum ultro citroque commeantium:
nullum incrementum:
sed nec decrementum in humore apparet:
|
(2450)
Mais, de même que dans le corps humain il y a certaines veines plus grandes,
et d'autres plus petites, ou, pour mieux dire, des ramifications de vaisseaux qui
débordent de liquide sanguin,
ainsi aussi les canaux de la terre avec leur liquide coulent toujours en une forme
de cercle.
|
Ac uelut in hominis corpore sunt quædam uenæ maiores:
quædam minores uel potius uenarum ramusculi sanguineo humore redundantes:
ita etiam telluris uenæ suo humore semper fluunt quodammodo in circulum.
|
(2451)
De fait, une part des eaux, enfouie dans les entrailles de la terre,
tend vers le pied et le flanc des montagnes,
ainsi que vers les sommets par où elle sort,
et c'est là le premier demi-cercle,
l'autre partie du liquide, coulant à découvert sur les terres, coule vers la mer,
et c'est l'autre demi-cercle.
|
Nam pars aquarum terræ uisceribus mersa:
petit radices ac latera montium.
et cacumina qua exiliat.
hic unus est hemicyclus:
altera pars humoris detecta super terras means fluit in mare:
atque hic alter est.
|
(2452)
C'est donc avec sagesse que le Sage a dit: "tous les fleuves entrent dans la mer,
et la mer ne déborde pas ; ils retournent au lieu dont ils sont sortis et coulent
de nouveau".
|
sapienter ergo dixit sapiens:
omnia flumina intrant mare:
et mare non redundat.
et ad locum unde exeunt reuertuntur:
ut iterum fluant.Qo 1, 7
|
(2453)
Et si quelqu'un dit qu'il arrive que les sources se tarissent, cela ne doit absolument
pas sembler étonnant,
si les plus petits canaux des eaux qui jaillissent sont ainsi faits qu'ils viennent
à manquer d'eau sous les ardeurs du soleil.
|
Quod si quis dicat fontes interdum siccari:
id minime debet mirum uideri:
si uenæ tenuiores aquarum scaturientium sint eius modi:
ut solis ardoribus deficiant.
|
(2454)
Quant au fait que des eaux naissent de la vapeur, nous l'accordons au Stagirite ;
cependant ce ne sont pas les eaux de sources qui rejaillissent d'une eau intarissable,
ni les eaux des fleuves qui s'enflent et débordent,
et qui, même si elles reçoivent l'appoint des vapeurs humides,
coulent de leur propre source.
|
Aquas autem gigni ex uaporibus stagyritae concedimus :
non tamen fontanas perenni humore scaturientes:
non fluuiales maiori auctu restagnantes:
quæ tametsi a uaporibus humescentibus adiuuentur:
tamen a mari uelut a capite:
de proprio fonte deriuantur.
|
(2455)
Mais concernant tout ce que nous avons écrit ci-dessus,
et écrirons ci-dessous, ce n'est pas le lieu ici d'en traiter par le menu et en abondance,
puisque, si je voulais rassembler en un seul livre chaque élément pris séparément,
je me trouverais bien dans l'embarras.
|
Sed his omnibus quæ uel supra scripsimus:
uel in sequentibus scribemus:
subtiliter copioseque tractandis hic locus non est:
cum si uellem in unum librum separatim singula congerere:
tamen in angustiis uersarer.
|
(2456)
Contentons-nous donc ce que j'ai dit et qui nous aide à comprendre qu'Arator a fait
preuve d'érudition
en écrivant Sola nexuit ("il affermit le sol"), évidemment l'Esprit de Dieu,
et fudit æquora ("il fit couler les eaux"), autrement dit l'eau ; le sol est affermi et lié dans
le centre
par son propre poids, en sorte qu'il est stable, fixe et immobile.
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sit ergo hæc dixisse satis:
quibus intelligimus Aratorem erudite scripsisse:
(Sola nexuit
scilicet) spiritus dei:
et fudit æquora id est aquas:
nectitur solum et uincitur in centro suis ponderibus:
ut sit stabile et fixum et immobile.
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(2457)
Mais il fait couler l'eau, parce qu'elle est labile, fluide, mobile, et, la voix de
Dieu lui donnant une nature de cette sorte,
toujours elle va et revient.
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Aquam uero fundit:
quia labilis: fluxa:
et mobilis uoce dei conferente ei naturam huiusmodi: it semper ac redit.
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(2458)
En effet elle prit ce pli par la loi de Dieu lors de sa première création qui ensuite
transmit cette forme à la suite des temps.
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Vsum enim:
fecit ex lege dei in prima constitutione derelinquente formam in posteros.
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(2459)
(Materiemque operis ("la matière de son ouvrage"),
sola uoluntas ("sa seule volonté"), évidemment celle de Dieu,
est largita ("lui a fournie") autrement dit donna
materiem ("la matière") mis pour materiam
operis ("de son ouvrage") autrement dit de la totalité de la fabrique du monde.
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(Materiemque operis:
sola uoluntas.
scilicet dei:
est largita id est dedit:
materiem
id est materiam:
operis id est totius fabricæ mundanæ.
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(2460)
Par ces mots les erreurs d'un grand nombre sont rejetées.
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his uerbis excluduntur multorum errores.
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(2461)
De fait, comme je l'ai montré ci-dessus par le témoignage de Boèce,
"Dieu, ce ne sont pas des causes extérieures qui le poussèrent à façonner son ouvrage
de matière fuyante,
mais la forme du souverain bien qu'il portait en lui, sans aucune forme de malignité".
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Nam ut supra Boetii testimonio probaui:
deum non externæ pepulerunt fingere causæ materiæ fluitantis opus :
uerum insita summi forma boni:
liuore carens.BOETH. cons., 3, carm. 9, 4-6
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(2462)
Ensuite, quand il dit que la matière a été donnée, selon la volonté de Dieu,
il montre que Dieu a librement créé la matière à partir de laquelle il a tout fait,
autrement dit par la mesure de l'art
qui même dans l'homme dépend de la volonté au point que, selon son libre arbitre,
celui-ci peut se servir de son art ou ne pas s'en servir, et non par la mesure de
la nature,
car elle n'emporte par l'impulsion de l'instinct que vers un seul but.
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Deinde cum ait materiam fuisse datam uolente deo:
ostendit deum libere materiam creasse:
ex qua omnia condidit:
hoc est per modum artis:
quæ in homine adeo sui iuris est:
ut possit pro arbitrio arte uti uel non uti.
non autem per modum naturæ:
quæ ad unum tantum suo impulsu fert.
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(2463)
Or si une cause agissante n'agissait pas en vue de quelque fin,
il ne résulterait pas de l'action de l'agent ceci plutôt que cela, sinon par le fait
du hasard.
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si autem causa agens propter aliquem finem non ageret:
non magis hoc quam illud ex actione agentis sequeretur:
nisi casu.
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(2464)
Donc à la cause agissante il est proposé une certaine fin qui appartient aussi à l'objet
patient
en proportion avec cette cause, bien que dans les deux cas ce soit de façon différente.
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Ergo causæ agenti aliquis finis proponitur:
qui et patientis est inquantum huiusmodi:
licet aliter atque aliter.
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(2465)
En effet, c'est une seule et même chose que l'agent tend à imprimer et le patient
à recevoir.
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Vnum enim est idemque:
quod agens imprimere patiensque intendit recipere.
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(2466)
Or il existe des causes agissantes qui, en raison de leur imperfection,
sont à la fois agentes et patientes, car il leur arrive, y compris quand elles agissent,
d'acquérir quelque chose.
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Sunt autem quædam agentes causæ:
quæ ob imperfectionem simul agunt ac patiuntur:
quibus euenit ut etiam in agendo aliquid acquirant.
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(2467)
Mais pour la cause première, qui est seulement agissante,
il ne lui échoit nulle acquisition ou quelque fin que ce soit,
puisque elle ne tend qu'à communiquer sa perfection, qui est sa bonté,
et puisque la créature tend à recevoir sa perfection du Créateur,
qui est la ressemblance de la perfection et de la bonté de Dieu.
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Cæterum primæ causæ:
quæ est tantum agens:
non contingit aliquid acquirere:
aut finem aliquem nancisci:
cum intendat soIum communicare suam perfectionem:
quæ est eius bonitas.
et creatura intendat suam perfectionem a conditore recipere:
quæ est similitudo perfectionis ac bonitatis diuinæ.
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(2468)
Donc Dieu n'agit pas parce qu'il lui manque quelque chose,
puisqu'en tout bienheureux et parfait, il n'a besoin de rien,
ni pour se procurer quelque avantage ou perfection ;
il agit donc par pure libéralité, puisqu'il n'agit qu'en raison de sa propre bonté.
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Non igitur deus agit propter indigentiam:
cum undecunque beatus ac perfectus nullius egeat.
non propter utilitatem sibi comparandam:
perfectionemue.
solus ergo liberalis: qui propter suam bonitatem solum agat.
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(2469)
Or puisque sa bonté c'est sa volonté,
le poète a eu raison de dire
materiemque operis sola est largita uoluntas
("la matière de son ouvrage, c'est sa seule volonté qui la lui a fournie"),
comme si un architecte construisait une maison remarquable et de toute beauté, non
pour sa propre utilité,
mais seulement pour communiquer aux autres sa perfection.
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Cum autem sua bonitas sit sua uoluntas:
recte poeta
materiemque inquit
operis sola est largita uoluntas.
Vt si quispiam architectus non ob suam utilitatem sed ob suam tantum aliis perfectio[48v]nem communicandam:
constitueret egregiam ac pulcherrimam domum.
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(2470)
Il y a cependant (comme je l'ai dit ci-dessus) une différence extrême entre l'homme
créateur et Dieu Créateur ;
l'artisan humain ne fait pas naître sur un signe de sa volonté pierres, bois, moellons,
il les arrache et les découpe dans la nature au prix de bien de la sueur,
et ne met pas moins de peine à les mettre en forme et à les polir, avant enfin de
les disposer pour fabriquer la maison ;
il n'en va pas ainsi de l'ouvrier et artisan éternel, Dieu,
qui, par son seul verbe et par sa seule volonté,
au commencement, en un instant, crée le ciel et la terre, autrement dit la matière
corporelle,
d'où ensuite il sépara les diverses formes des choses,
ce qui fait que l'on dit que la terre, autrement dit la matière, apparaît
quand elle est revêtue d'une forme.
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Est tamen (ut supra dixi) maximum inter hominem et deum artificem:
discrimen:
quia homo artifex non procreat ad nutum suæ uoluntatis lapides ligna cementa:
sed a natura multo sudore auulsa abscissaque:
nec minori labore formata politaque:
tandem in domo fabricanda collocat.
non ita æternus faber atque artifex deus:
qui solo uerbo et sola uoluntate in principio cœlum:
et terram id est materiam corporatam:
unde postea uarias rerum formas distinxit: in momento creauit.
Vnde etiam dicitur apparere terra id est materia:
cum aliquam formam induitur.
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(2471)
C'est ainsi en effet que Moïse déclare : "qu'apparaisse la terre ferme" ;
de fait, la matière si elle ne revêt pas l'apparence d'une forme n'est pas visible,
et elle n'apparaît pas même quand elle a revêtu la forme d'un élément,
puisqu'un élément pur, simple et sans mélange ne peut être ni vu, ni touché, ni tomber
sous aucun sens,
ainsi que le montrent les philosophes.
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Ita enim ait moses:
et appareat aridaGn 1, 9.
nam materia: nisi formarum speciem induatur:
inconspicabilis est:
sed nec apparet induta formam elementi:
cum elementum purum: simplex:
atque inmixtum:
nec uideri:
nec tangi:
nec sub ullum omnino sensum cadere possit:
ut philosophi ostendunt.
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(2472)
Voilà pourquoi cette terre qu'ici nous touchons, cette mer que maintenant nous voyons,
sont un mixte qui a cru à partir d'un amas de matière sublunaire passé en la forme
que nous voyons maintenant.
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Quare ea terra quam hic tangimus:
id mare quod nunc conspicimus:
mixtum est:
et coaluit ex colluuione materiæ sublunaris in eam formam:
quam nunc uidemus.
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(2473)
Ni l'un ni l'autre ne sont de purs éléments.
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neutrum uero purum est hic elementum.
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(2474)
Quand donc Arator dit que la matière de ce corps du monde a été le résultat de la
largesse et d'un don de la volonté divine,
il rejette l'erreur de ceux qui disent que la matière est co-éternelle à Dieu.
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Cum ergo ait Arator
materiam huius corporis mundani:
largitam et datam fuisse uoluntate diuina:
excludit eorum errorem:
qui eam deo coeternam esse dixerunt.
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(2475)
De fait les écrivains païens, et leurs philosophes,
qui au début contemplaient le monde avec les yeux d'une grossière Minerve,
n'accordaient le nom d'étant qu'aux corps sensibles,
et ne percevaient d'autres mouvements que celui de la raréfaction ou de la densification,
de la conjonction ou de la disjonction avec conflit ou par attirance,
ou par l'intellect comme si c'étaient les causes qui opéraient ces mouvements.
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nam ethnici scriptores:
et philosophi a principio crassiore minerua
res contemplantes:
tantum corpora sensilia entis nomine donabant:
nec alios motus quam raritatis aut densitatis:
coniunctionis aut disiunctionis cum lite uel amicitia:
aut intellectu:
quasi causis illos motus agitantibus:
percipiebant.
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(2476)
Mais ceux qui on spéculé sur la nature du monde avec plus de pénétration
ont distingué la forme substantielle de la matière,
comprenant que la transmutation s'opère selon les formes essentielles tandis que le
sujet lui demeure.
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Qui uero acutius naturam rerum speculati sunt:
distinxerunt formam substantialem a materia:
secundum formas essentiales subiecto manente transmutationem fieri intelligentes.
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(2477)
Pour cette métamorphose qui ainsi s'opère dans les corps,
Aristote donne comme cause universelle le cercle oblique, Platon, quant à lui, les
idées. |
cuius metamorphoseos in corporibus ita euenientis:
causam uniuersalem dixit circulum obliquum Aristoteles:
plato uero ideas.
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(2478)
Quant à la matière brute, bien qu'exempte de forme,
ils ont compris qu'elle était propre à recevoir toutes les formes, mais cependant
puisqu'ils établissent que, par sa nature propre, elle privée de toute forme,
c'est même du principe de privation qu'ils firent celui des choses naturelles.
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Materiam rudem:
quamuis formarum expertem:
idoneamque omnibus formis suscipiendis cognouerunt:
tamen sua natura omnibus priuatam cum statuant:
priuationis etiam principium fecerunt rerum naturalium.
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(2479)
Certains lui ajoutèrent une étendue infinie en longueur, largeur et profondeur
afin que les choses corporelles ne soient pas dites créées à partir d'un sujet incorporel.
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Addiderunt nonnulli ei infinitam longitudinis latitudinis altitudinisque protensionem:
ne scilicet res corporeæ de incorporeo subiecto fieri dicerentur.
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(2480)
Ils ajoutèrent aux précédentes notions la cause efficiente,
par la force de laquelle la matière est façonnée et fait ainsi advenir en acte ce
qui est en puissance,
comme la cire molle par la manipulation est transformée en diverses figures selon
le bon vouloir de celui qui la façonne.
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Adiecerunt efficientem causam superioribus:
cuius ui tractata materia:
quod est potentia:
actu fit:
sicut mollis cera ductu manus in diuersas figuras protractantis arbitrio transformatur.
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(2481)
Ils ajoutèrent alors la cause finale,
puisque la nature ne fait rien à la légère, mais uniquement en vue d'acquérir un bien,
et puisque la fin est très proche de la forme de l'agent,
qu'il tire du sein de la matière,
ce troisième principe, ils le fixèrent dans la forme.
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Tum attulerunt causam finalem:
cum nihil natura temere:
sed boni alicuius consequendi gratia agat.
et cum proximus quidem finis agentis forma sit:
quam de materiæ sinu eruit:
tertium principium forma statuitur.
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(2482)
Mais la forme n'est pas tirée du giron de la matière
si elle n'est pas d'abord affectée, traitée et préparée selon les qualités qui conviennent.
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At hæc de gremio materiae non educitur:
nisi ea ipsa prius afficiatur: uerseturque:
atque congruis qualitatibus præparetur.
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(2483)
Et certains Anciens élevèrent si haut leur pensée,
qu'ils affirment que toutes les causes agissantes
qui nous apparaissent à travers la nature
comme si elles étaient les seules à mouvoir les corps, les former,
les transmettre, les traiter et les modifier,
ne sont pas pour autant les causes premières des choses qui existent,
mais bien plutôt des instruments au service de l'art divin,
et non seulement ils connurent que les choses, quand elles sont ceci ou cela,
le sont par leurs formes essentielles, voire quand elles sont telles,
elles le sont par accident,
mais encore, s'efforçant de s'élever jusqu'à l'étant en soi subsistant,
ils découvrirent que tout ce qui est
est par participation à ce qui est par soi et par essence,
de même que tout ce qui prend feu ne peut tenir que du feu de se comporter de la sorte.
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Adeoque nonnulli ueterum se erexerunt in sublime:
ut affirment omnes causas agentes:
quæ nobis apparent per naturam:
quasi solæ corpora agitent:
forment: traducant:
uersent: ac transmutent.
haud primarias esse causas eorum quæ fiunt:
sed instrumenta potius diuinæ arti famulantia.
nec tantum res: ut sunt hæ uel illæ:
per essentiales formas:
uel ut sunt tales per accidentia cognouerunt:
sed etiam ad ens per se subsistens assurgere nitentes:
compererunt omne quod est:
participatu eius esse:
quod per se ac per suam essentiam est:
ut quodcumque ignescit:
non nisi ab igni habet ut sit huiusmodi.
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(2484)
Voilà pourquoi Platon, ce divin philosophe, a placé la monade avant toute forme de
multiple,
et Aristote, dans le livre 2 de la Métaphysique,
dit que ce qui est le premier étant, et premier vrai, est la cause de tout étant et
de tout vrai,
de même que la cause de tout chaud est ce qui est premier parfaitement chaud.
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Quare plato ille diuinus
ante omnem multitudinem monada constituit:
atque aristoteles
in .ii. ton meta ta physica:
id quod est primarie ens:
uerumque primarie: causam esse ait omnis entis omnisque ueri:
ut causa est omnis calidi id: quod est primarie maximeque calidum.
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(2485)
En outre, pour ce qui concerne la création de la matière,
comment elle a été fondée par Dieu à partir de rien,
comment à partir du Dieu artisan a émané, selon toutes ses modalités, tout
ce en quoi consistent les choses depuis le commencement soit dans le sujet soit dans
la perfection,
il n'en dirent pas un mot.
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Cæterum de materiæ creatione:
quomodo de nihilo a deo condita fuerit:
aut quo pacto a deo artifice omne illud emanauerit secundum omnem modum:
quo res uel subiecto:uel perfectione ab initio consistunt:
uerbum nullum fecerunt.
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(2486)
Bien plus le premier principe agissant, éternel et inengendré, et le premier principe
patient,
autrement dit la matière, ils ont cru qu'elle aussi était inengendrée et éternelle
comme si à partir du principe absolument parfait cet autre principe, lui imparfait,
mais cependant capable de perfection,
n'avait pu être fondé,
ou, en lui-même, sans aucune forme, être créé par Dieu.
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Quin immo primum principium agens:
æternum ingenitumque:
ac primum principium patiens:
hoc est materiam: et ipsam ingenitam æternamque esse crediderunt:
quasi a perfectissimo principio illud alterum imperfectum principium:
quod tamen perfectionis est capax:
condi non potuerit:
aut illud ipsum sine omni forma creatum a deo fuerit.
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(2487)
Mais pour la création,
au sens où nous, croyants, nous la comprenons,
aucun écrivain païen (du moins que je sache) n'en a fait mention.
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Sed de creatione:
ut nos fideles intelligimus nullus ethnicorum (quod equidem sciam)
scriptorum mentionem fecit.
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(2488)
C'est donc à la fois avec piété et savoir qu'Arator dit :
sola uoluntas ("la seule volonté") évidemment de Dieu,
et non une nécessité de nature
largita est ("a fourni")
évidemment à partir de rien
materiem ("la matière") évidemment de l'operis ("son ouvrage")
et de la création des corps.
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Pie igitur simul ac docte Arator ait:
sola uoluntas scilicet dei:
non naturalis necessitas:
largita est
scilicet de nihilo.
materiem scilicet
operis et fabricæ corporeæ.
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(2489)
Ce qui fait dire à Augustin au livre 12 des Confessions :
"tu as fait deux choses, Seigneur, l'une près de toi", autrement la nature angélique,
"et l'autre près du rien",
autrement dit la matière dans laquelle sont reçues les formes des choses.
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Vnde augustinus in .xii [ii,sic!]. confessi
.
duoAVG. conf., 12, 7 inquit
fecisti domine:
unum prope te [prope,sic!]AVG. conf., 12, 7 scilicet naturam angelicam:
et aliud prope nihilAVG. conf., 12, 7
id est materiam:
in quam rerum formæ recipiuntur.
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(2490)
Mais ici apparaît un nœud dont la résolution n'est certes pas sans difficulté.
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Sed hic occurrit nodus certe solutu difficilis.
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