(147) (Qui meriti florem) Cette lettre composée en distiques
élégiaques est envoyée et écrite à l’attention de Florian, un érudit de ce
temps ; le poète l’exhorte à lui prêter une oreille favorable un moment
tandis qu’il peine sous la difficulté d’un si grand ouvrage. |
(Qui meriti florem) haec epistola
elegis conposita ad florianum uirum
illis temporibus doctissimum mittitur et scribitur:
in qua poeta hortatur ispum ut sibi faueat interdum in difficultate tanti
operis laboranti.
|
(148) Il exhorte également le même Florian à lire ce poème quelque bref qu’il
soit. |
hortatur etiam eundem ut legat hoc poema quamuis breue.
|
(149) De fait, il dit qu’il convient que la science de Florian, qui possède de
très grandes connaissances, ne méprise pas les petites. |
Nam dicit conuenire floriani doctrinæ qui maxima teneat:
non aspernari parua.
|
(150) De même en effet que la nature engendre les tigres et les lions sans
cependant négliger les abeilles ou les fourmis, de même il dit qu’il est
convenable pour un érudit de lire les très grands volumes des Anciens et de lire
aussi ces petits poèmes, et d’ouvrir non moins son cœur à ces ouvrages minuscules
qu’aux autres sublimes et élevés. |
Vt enim rerum natura gignit tigres et leones: nec tamen apes negligit aut formicas:
ita uiro doctissimo dicit congruere ut legat maxima uolumina ueterum: et legat quoque haec parua poemata: nec minus sinum aperiat his infimis quam illis
sublimibus et celsis.
|
(151) Et puisque, comme le dit Hermogène, le travail du commentateur doit
porter sur trois domaines, le sens, les mots et la construction, je vais
m’efforcer de parcourir brièvement ces trois éléments quand il en sera besoin, et
ce sans provoquer de lassitude. |
Et quoniam ut ait hermogenes: expositoris est
elaborare in tribus: in sensu: in dictione et constructione: dabo
operam ut haec tria ubi opus fuerit: breuiter
transigam: et citra fastidium.
|
(152) Nous emploierons une langue claire et sans apprêt pour que les savants
et les ignorants nous comprennent avec facilité. |
utemur autem perspicuo et illaborato sermone ut docti pariter et
indocti facile intelligant.
|
(153) Il fait allusion à Platon dans son dialogue sur la rectitude des noms où
il s’efforce de prouver que les noms n’ont pas été imposés aux hommes par hasard,
mais par un effet de la providence. |
Alludit autem ad illud platonis in dialogo de rectitudine nominum: ubi nititur probare nomina non indi temere hominibus sed quasi
prouidenter.
|
(154) Ainsi le nom de Priam provient de πρίαμαι (acheter) car la nature avait
prévu que Priam le fils de Laomédon serait capturé et ensuite racheté. |
Vt priamus ita fuit dictus
a priamai quod est emo: quia natura
prouidebat priamum
laomedontis filium captum iri et
post redemptum iri.
|
(155) En effet Troie fut prise deux fois. |
fuit enim troia bis
capta.
|
(156) Ainsi, dans ce passage, le poète indique que le nom de Florian vient de
flos (la fleur) ; ces fleurs délicatement parfumées de
sagesse et de science étaient révélées par l’esprit de Florian. |
ita hoc in loco innuit poeta florianum dictum a floribus: quos
prudentia et doctrina bene olentes mens floriani producebat.
|
(157) Et c’est ainsi que le nom de Florian est en accord avec la chose
désignée, car Florian possède les fleurs de la sagesse et d’un esprit mûr ;
ce que prévoyant, la nature a ainsi nommé le petit enfant. |
et ita floriani nomen
consonat rei nominatæ. quia florianus habet flores prudentiæ et
maturi sensus: quod prouidens natura futurum: ipsum infantem ita nominauit.
|
(158) Voici donc l’ordre et le sens : "ô Florian rallie-toi à mon poème",
autrement dit "cours avec moi en me prêtant une oreille favorable", "toi qui
possèdes déjà dans le son de ton nom ton mérite", autrement dit ce que tu as
mérité, florem ortum ("fleur épanouie") autrement dit 'né',
maturis sensibus ("avec une intelligence déjà mûre"), autrement
dit avec la sagesse mûre d’un vieil homme. |
est ergo ordo et sensus: O floriane concurre ad carmen meum id est
simul curre mecum mihi fauendo: qui tenes ore tui
nominis meriti id est quod meruisti:
florem ortum id est natum:
maturis sensibus id est matura et
senili prudentia.
|
(159) (Ore) autrement dit l’origine et l’accès que représentent
son nom, car la bouche est l’accès de la personne, parce que Florian est dérivé au
départ de flos (la fleur), évidemment en raison de sa bouche à la
douce éloquence et au doux parfum, en raison des paroles mûres et salutaires
qu’elle prononce. |
(Ore) id est principio nominis et
aditu ut os est aditus hominis. quia florianus in principio a flore deriuatur: uel
ore suauiloquo et bene olenti: propter uerba matura
et salubria.
|
(160) (Nam primæuus) Il fait l’éloge des merveilleuses fleurs
de la science de Florian, qui, encore jeune, était à ce point mûr qu’il pouvait
enseigner aux vieillards, alors que d’ordinaire c’est le contraire : un
vieillard enseigne les jeunes. |
(Nam primæuus) lau[4v]dat mirabiles
floriani doctrinae flores: qui iuuenis adhuc: erat
iam adeo maturus ut doceret senes: cum contra soleat
fieri: ut scilicet senex doceat iuuenes.
|
(161) De même, il enseignait aux jeunes non des choses qui plaisent aux jeunes
et qui sont profanes, mais des exemples sacrés et célestes par lesquels on va au
Ciel et on sert Dieu. |
Item docebat iuuenis non iuuenilia et prophana sed sacra et
coelestia documenta: quibus itur in celum et deo
seruitur.
|
(162) (Primæuus) autrement dit 'dans son premier âge' c’est à
dire dans la première partie de sa vie et jeune. |
(Primæuus) id est in primo aeuo
hoc est in prima ætate et iuuenis.
|
(163) (E quibus) autrement dit les préceptes et
enseignements ; (uita) évidemment celle des vieillards qui
t’écoutent ; pararet iter ("préparait le chemin") autrement
dit obtiendrait un chemin vers le Ciel et le paradis et le montrerait. |
(E quibus) id est a quibus
praeceptis et documentis (uita)
scilicet senum te audientium:
pararet iter id est compararet
iter et monstraret in celum: et ad paradisum.
|
(164) (Ad carmen concurre meum) et étends une main qui marque
ta bienveillante faveur ; mihi labanti pedibus ("pour moi dont
les pieds trébuchent") autrement dit qui titube comme dans un lieu glissant et où
il est facile de tomber et de glisser. |
(Ad carmen concurre meum) et
porrige manum de placido fauore scilicet tuo:
mihi labanti pedibus id est
titubantem tamquam in loco lubrico et ubi facilis est casus et lapsus.
|
(165) Cela, le poète le dit au sens propre et allégoriquement. |
hoc autem recte dicitur a poeta et allegorice.
|
(166) De même, en effet, que celui qui se déplace sur un terrain glissant
tombe facilement et est secouru par un ami qui lui tend la main pour éviter qu’il
ne tombe, de même celui qui compose des vers en variant les pieds, dactyle spondée
et autres de ce genre, achoppe facilement sur une syllabe dans un pied quand il
met un pied pour un autre ou une longue pour une brève ou l’inverse. |
Vt enim is qui per lubricum pedes mouet:
facile cadit: et subleuatur ab amico manum
porrigente ne cadat: ita qui pedibus uariis dactylo
spondeo et aliis huius modi uersus componit: facile
cadit in syllaba: in pede cum pes pro pede ponitur
uel syllaba longa pro breui uel contra.
|
(167) Dans ce cas où l’on chancelle, le véritable ami est utile pour avertir
le poète de son erreur, que ce soit dans les pieds ou dans les phrases. |
huic titubationi utilis est amicus uerus:
qui moneat poetam de errore uel in pedibus uel in sententiis.
|
(168) "L’homme de bien en effet (comme dit Horace) et sage corrigera les vers
sans nerf, il incriminera les vers durs" etc. |
Vir enim (ut ait horatius)
Bonus et prudens uersus reprehendet inertes: culpabit durosHOR. ars, 345 et caetera |
(169) (Ieiuno sermone) Le poète s’est attiré la bienveillance
en se fondant sur la personne de Florian, qu’il encourage à lire son
ouvrage ; une fois qu’il l’a loué de manière variée et qu’il a en se fondant
sur sa propre personne atténué ses forces et s’en est remis au jugement de
Florian, à partir de maintenant il s’attire la bienveillance à partir de sa propre
personne en exaltant la matière de l’histoire apostolique en soulignant qu’elle
dépasse ses forces. |
(Ieiuno sermone)
captauit beniuolentiam poeta a persona floriani quem hortatur ad legendum
opus suum: cum eum laudauit uarie: et a persona propria cum attenuat uires suas et se floriano subiicit: hinc et a re ipsa et iterum a persona propria captat
beniuolentiam cum extollit materiam historiae apostolicae maiorem suis
uiribus.
|
(170) Comme l’a en effet dit excellemment le divin Jérôme : "les grandes
matières ne supportent pas les petits talents : et, dans l’effort même, des
forces qui excèdent ce dont elles sont capables succombent". |
Vt enim praeclare diuus Hieronymus:
grandes materias in genia parua non sufferunt: et in ipso conatu ultra uires ausa succumbunt.HIER. epist., 60, 1
|
(171) Et plus ce que nous devons dire sera grand, plus tombera celui qui n’est
pas capable de traiter la grandeur de son sujet. |
Quantoque maius fuerit quod dicendum est:
tanto magis obruitur qui magnitudinem rerum non potest explicare.
|
(172) C’est ce que le poète montre qu’il éprouve maintenant, car il ne veut
pas ieiuno et arido sermone ("avec des mots de maigre éloquenceet
un style aride") expliquer pinguia ("une geste riche") et les Actes
des Apôtres. |
Id se nunc pati ostendit poeta qui noluerit ieiuno et arido sermone suo pinguia et grandia
gesta et actus
apostolorum explicare.
|
(173) Et de façon allégorique il veut indiquer qu’une goutte coule de la masse
de la mer : cela veut dire que son talent traite goutte à goutte les Actes
des Apôtres et avec un mince filet de talent, alors qu’il fallait que cela coule,
autrement dit traite, avec la masse et la richesse de la mer et l’abondance du
large, autrement dit avec des mots aussi riches et des phrases aussi abondantes
que la mer abonde en eaux. |
et allegorice uult significare guttam fluere pondere pelagi: hoc est
ingenium suum guttatim et tenuis ingenii uenam describere actus apostolorum: quos oportebat fluere id est describi pondere et
ubertate maris et abundantia pelagi: hoc est tam
uberibus uerbis ac tam abundantibus sententiis quam abundat aquis mare.
|
(174) (Gutta) Donc le mince filet de mon talent qui s’écoule
goutte à goutte. |
(Gutta) ergo id est tenuis uena
ingenii mei guttatim fluentis.
|
(175) (Fluit pondere pelagi) autrement dit traiter les Actes
des Apôtres avec la richesse et l’abondance de la mer. |
(Fluit pondere pelagi)id est
actibus
apostolorum ubertate et abundantia maris describendis.
|
(176) Il attire non seulement la bienveillance de son lecteur mais encore son
attention face à la grandeur de la matière qu’il s’est fixé comme objet. |
reddit autem non solum beniuolum lectorem:
sed etiam attentum proposita materiae magnitudine.
|
(177) Et ainsi il le rend "docile" selon le mot de Cicéron. |
et ita facit quoque docilem
ut ait Cicero.
|
(178) De fait est docile celui qui veut écouter avec attention. |
Nam docilis est ille qui
attente uult audire.
|
(179) On voit ainsi que cet exorde élégiaque est composé avec art pour rendre
dociles, attentifs et bienveillants ceux à qui il est adressé. |
Ex his perspicuum est esse hoc elegiacum exordium arte
compositum: quod dociles attentos et beniuolos
eos faciat ad quos scribitur.
|
(180) (Inter grandiloquos) A partir d’un exemple naturel il
défend l’idée que les petits poèmes et les opuscules ne doivent pas être rejetés
par Florian. |
(Inter grandiloquos) ab exemplo
naturae arguit parua poemata et opuscula non esse reiicienda a floriano.
|
(181) De fait il dit : de même que la nature en général, soit la terre
que Dieu a créée, ouvre son sein aux créatures grandes et petites comme les lions
et les fourmis et n’accueille pas moins l’abeille, un petit insecte, que les
tigres, animal redoutable, de même tu dois ouvrir le sein de ta bibliothèque non
seulement aux livres au style élevé et très grands, mais aussi aux petits livres,
comme mon opuscule que voici. |
Nam inquit: ut natura generalis uel terra
quam deus creauit: magnis et paruis: ut leonibus et formicis sinum aperit suum. nec minus recipit apes insectum exiguum quam
tigres horrendum animal: ita tu sinum tuæ
bibliothecæ non solum libris grandiloquis et maximis debes aperire: sed etiam paruis libris ut huic opusculo meo.
|
(182) Et de même que la nature ne renferme pas que de grandes créatures, mais
aussi des petites, de même toi, Florian, qui, en raison de ta science universelle,
est comme une seconde nature qui embrasse tout, tu dois embrasser par ton
intelligence universelle à la fois les grands et les petits ouvrages, lire les
deux catégories et te consacrer aux deux catégories, comme le fait la
nature. |
et ut natura non solum tenet magna sed et parua: ita tu floriane qui es
propter doctrinam uniuersalem quasi altera natura omnia complectens: debes comprehendere tuo ingenio uniuersali magna
simul et parua: et utraque legere: et utrisque te impertiri: ut natura
facit.
|
(183) Alors donc que tu as en main les plus grands libros grandiloquos
per mille uolumina ("des livres au style élevé qui occupent des
milliers de volumes"), lis etiam breuiora ("aussi de plus
modestes") et plus petites œuvres comme la nôtre que voici. |
Cum ergo teneas maxima inter libros grandiloquos
per mille uolumina:
etiam breuiora et minora opera
ut hæc nostra: lege.
|
(184) Et à la manière de la nature dont la beauté concordat
("s’accorde") et se montre non moins dans la masse des grandes créatures que dans
la finesse des petits animaux, aime l’étude des petits livres comme des grands qui
se répartissent en nombreux volumes. |
Et ad modum naturæ: cuius pulchritudo
concordat et apparet non
minus in mole magnorum quam in subtilitate paruorum animalium: ama studia paruorum librorum: et magnorum quoque: qui distinguuntur
per multa uolumina.
|
(185) Or il dit concordet studiis celsa uel ima tuis
("s’accordent à tes goûts le sublime et le vil") à la manière de la nature,
autrement dit selon l’ordre de la nature qui crée petits et grands et engendre
avec, pour ainsi dire, un admirable accord de ses parties. |
Dicit autem concordet studiis
celsa uel ima tuis ad modum naturæ id est secundum naturæ
ordinem: quae magna et parua creat et gignit
mirabili ut ita dixerim partium consensu.
|
(186) De fait, comme dit le divin Augustin : "que la création de
n’importe quel être vivant trouve un admirateur pieux et prudent et qu’elle
éveille en lui une louange ineffable pour son Créateur". |
Nam ut inquit diuus Augustinus
animalis cuiusque creatio: habeat pium
prudentemque consideratorem: inefabilem
laudem creatori excitat.AVG. epist., 131, 15
|
(187) Et, bien plus, toute la terre qui consiste en une si grande ressemblance
et diversité de ses parties, en une si grande variété dans des êtres grands et
petits où, si naît une diversité plus grande, règnent un ordre, une proportion et
une harmonie admirables, où, pour reprendre les mots de l’Aigle d’Hippone, "il
sait ce qu’il a fait Celui dont personne ne comprend avec justesse
l’ouvrage". |
Multoque magis uniuersus orbis constans tanta partium uel
similitudine uel diuersitate: Tanta rerum uarietate
in magnis in paruis: ubi et si maior diuersitas
oriatur: est mirabilis ordo proportio et
consensus rerum: ubi (ut uerbi utar Aquilae hipponensis) scit ille quid
egerit cuius opera iuste nemo comprehendit.
|
(188) Mais suffit déjà largement ce que nous comprenons. |
sed satis est quae intelligitur.
|
(189) Suivons alors la décision du très bienheureux Grégoire : "combien
parfois négligeons-nous d’expliquer les mots évidents de l’histoire pour ne pas
trop tarder à en venir aux points obscurs". |
sequamur autem beatissimi Gregorii consilium:
quam aliquando (inquit) exponere aperta historiæ uerba
negligimus: ne tardius ad obscura
ueniamus.GREG. M. epist., 5
|
(190) (Et si respicias) Il apporte une preuve par un exemple
naturel : dans les petites créatures, il y a plus de subtilité d’intelligence
que dans les grandes. |
(Et si respicias) probat exemplo
naturæ: in parulis esse maiorem ingenii
subtilitatem quam in magnis.
|
(191) De fait les animaux terribles comme les tigres et les lions sont dotés
par la nature de forces plus grandes que les abeilles, les mouches et les fourmis
qui sont créées par la nature avec plus d’adresse que de force. |
Nam animalia truculenta ut tigres leones:
maioribus uiribus fiunt a natura quam apes muscæ formicæ: quae formantur a natura maiori artificio quam ui.
|
(192) De même en effet qu’un statuaire s’il fait une statue colossale ou celle
d’un géant utilise plus de force pour organiser son matériau que d’art et
d’intelligence, de même au contraire si quelqu’un veut représenter le corps,
disons d’une fourmi, il lui faut plus d’art pour façonner le corps minuscule de la
fourmi que de force et de matériau abondant. |
Vt enim statuarius si faciat colossum et statuam gigantis utitur
magis uiribus in materia disponenda quam arte et ingenio: ita contra siquis imaginem uel corpus formicæ uelit effigiare
magis opus est artificio in formando formicæ corpusculo quam ui et ampla
materia.
|
(193) Donc, comme la nature, quand elle a fait le lion terrible et a lié de si
grandes forces à ce terrible corps, a montré ses grandes forces, mais quand, dans
le corps minuscule d’une fourmi, elle a mis tant de sens et a façonné ses pattes
si fines, elle n’a pas montré ses forces dans une corps si petit et si faible,
mais bien son admirable adresse, de même dans les grands livres il n’y a pas lieu
de louer autant l’intelligence et la subtilité que les forces. |
Ergo sicut natura cum facit leonem trucem et tantas uires illi
annectit corpori truculento: ostendit uires suas
magnas: at cum in corpusculo formicæ tot sensus
apponit: et crura illa tenuissima affigit: non ostendit uires suas ibi natura in corpore tam
paruo et tam debili sed mirabile artificium: ita in
magnis libris non tanta est ingenii et subtilitatis laus quanta uirium.
|
(194) Mais les petits se recommandent grandement par leur finesse et leur
subtilité. |
At in paruis est magna acuminis et subtilitatis comendatio.
|
(195) C’est pourquoi Arator sans en avoir l’air loue son ouvrage dans sa
subtilité et sans faire montre d’arrogance, et, grâce à cette comparaison prise
dans la nature, dit que son ouvrage que voici est subtil et plein de finesse (ce
qu’il est réellement) et ainsi il prouve qu’il est digne de la lecture de
Florian. |
itaque latenter Arator
laudat opus suum a subtilitate sed citra arrongantiam: et per hanc similitudinem a natura sumptam opus hoc suum esse
subtile et plenum acuminum dicit: vt revera est
atque ita probat dignum esse qui a floriano legatur.
|
(196) Et si respicias ("Et si tu considères"), dit-il, Florian,
comment le maître de l’univers et son créateur, Dieu, répartit et ordonne tout,
les animaux truces ("terribles") meruere uim ("ont
obtenu la force"), autrement dit de se recommander de leur force, mais les
mites ("inoffensifs") et petits comme l’abeille et le moucheron
ont obtenu ingenium ("le talent"), autrement dit la louange de leur
talent et de leur adresse. |
Et si respicias (inquit) o
floriane vt rector vniuersi et
artifex deus omnia dispenset et ordinet:
truces animantes meruere uim id est commendationem
uirium: At mites et
paruae vt apes culices meruere ingenium id est
laudem ingenii et artificii.
|
(197) C’est d’ailleurs ce que démontre Pline au livre XI de son Histoire
Naturelle avec son style magnifique et si agréable, en s’exprimant
ainsi : |
Id uero plinius libro
naturalis historiæ .xi.
pulcherrimo dicendi genere ac iucundissimo demonstrat his uerbis.
|
(198) "Nulle part ailleurs que vraiment dans ces tout petits animaux la nature
est admirable pour sa plus remarquable habileté. En effet, dans les corps grands
ou au moins assez grands elle a aisément fait son office avec un matériau qui
suivait ses ordres, mais dans ces créatures si petites et si insignifiantes, je le
demande, avec quelle force ! Avec quelle inexplicable perfection ? Où
a-t-elle placé tant de sens dans un moucheron ?" etc, car il continue avec
cette même éloquence fleurie. |
Nusquam alibi spectatiore artificio quam scilicet in his parulis
animalibus natura mirabilis est. In magnis
siquidem corporibus aut certe maioribus facilis officina sequaci
materia fuit: In his vero tam paruis ac tam
nullis quæro? quanta uis? quam inextricabilis perfectio?
Vbi tot sensus collocauit in culice?
PLIN. nat., 11, 2 et cætera quæ ille florentissimo[5r] dicendi charactere prosequitur.
|
(199) (Ipsaque continuum virtus) Une autre raison par laquelle
il prouve que son petit ouvrage doit être lu par Florian est non seulement, comme
nous l’avons dit il y a peu, qu’il est plein de finesse, mais bien pour qu’en lui
il repose son esprit fatigué par la lecture de plus grands livres. |
(Ipsaque continuum virtus) Alia
ratio qua probat opusculum suum legi debere a floriano. non solum ut paulo ante
diximus quia acutum est: sed ut in eo animum recreet
fatigatum lectione maiorum librorum.
|
(200) Parce que, comme le dit Fabius, "il n’est rien qui puisse endurer une
peine continuelle, et même les choses, qui sont déprouvues de sens et d’âme, pour
qu’elles puissent conserver leur force ou quand cette force est retenue par une
alternance de repos et d’action, mais cela vaut bien plus pour le talent si toi,
poète, ‘tu devais imiter l’arc et les armes de ta chère Diane, si jamais tu ne
cesses de le tendre, il deviendra sans force’". |
Quia (ut ait fabius)
nulla res est quae perferre possit continuum laborem: atque ea quoque quae sensu et anima
carent: ut seruare uim suam possint uel
ut quiete alterna retinentur: Sed magis
illud ingenio si poetæ Arcus et arma tuae tibi sint imitanda
dianæ: si numquam cesses tendere mollis
erit.QVINT. inst., 1, 3, 8
|
(201) Arator dit donc : comme la valeur du soldat, qui n’est jamais
brisée et demeure inflexible, abandonne l’entraînement continuel et repose ses
membres fatigués, quand, au gymnase, il s’exerce avec des armes factices ou
regarde les autres s’exercer, ou encore quand il passe son loisir à la chasse et
blesse des bêtes inoffensives comme des cerfs ou des lièvres, ainsi, toi, Florian,
si tu es las de lire des livres plus grands, délasse ton esprit fatigué en lisant
notre poème, car la poésie est née et a été inventée pour plaire à notre esprit et
parce que tu trouveras du plaisir à lire nos petits livres que voici, comme tu es
fatigué de te pencher sur ces plus grands. |
Dicit ergo Arator Vt uirtus
militis quæ numquam frangitur et infracta est:
deserit continuum laborem et fessa membra nouat: uel
cum gymnasio armis ludicris se exercet uel se exercentes spectat: uel cum uenationi uacat et feras imbelles ut
ceruos lepores uulnerat: ita tu floriane qui in libris maioribus legendis
lassaris: repara animum tuum lassatum in carmine
nostro. quia est animis natum inuentumque poema
iuuandis et quia his nostris paruis legendis delectaberis: ut illis maioribus uersandis fatigaris.
|
(202) Or, puisque ce qui manque d’alterner repos et activité n’est pas
durable, il faut rechercher une alternance entre la peine et le jeu. |
cum autem illud quod caret alterna requie non sit durabile: sunt uices quærendæ in laborando et iocando.
|
(203) (Loricam) nous entendons par là toute espèce d’arme que
dépose le soldat quand il entre dans le gymnase. |
(Loricam)per hanc intelligmus
quaecumque arma: quæ exuit miles cum ingreditur
gymnasium.
|
(204) Gymnasium est de fait un mot grec, et il est parfois pris
au sens de l’entraînement lui-même et fréquemment pour le lieu. Jadis les
pratiquants à la palestre s’exerçaient nus et oints d’huile ; le mot vient de
γυμνός (nu). |
est autem gymnasium graeca
dictio et aliquando accipitur pro ipsa exercitatione: frequenter pro loco uerbum palæstritæ olim nudi et oleo uncti
exercebantur a gymnos id est
nudus.
|
(205) Mais de nos jours le mot s’entend de n’importe quel lieu où on l’on
exerce les belles-lettres, ou encore où les jeunes exercent leur force au lancer,
à la lutte et autres disciplines de ce genre. |
At nunc pro quocumque loco ubi uel litteræ exercentur: uel iuuenum uires in iaculando luctando et
similibus.
|
(206) J’ai trouvé un grammairien de trois sous pour dire qu’ici Arator s’est
trompé dans la seconde syllabe de ce mot, en affirmant qu’elle est longue et non
brève comme l’a scandée Arator. |
Inueni quemdam triobolarem grammatistam qui hic diceret aratorem errasse in secunda syllaba huius
dictionis quasi longa sit natura non breuis ut arator posuit.
|
(207) Mais pour confondre l’ignorance de ce petit audacieux si impudent, voici
ce vers de Juvénal Gymnasia atque audi ("écoute aussi les
gymnases"), et cet autre de Philolaos ou peut-être Pythagore : ἀλλὰ ποτοῦ τε
μέτρον καὶ σίτου γυμνασίων τε ("mais de la mesure en boisson, en nourriture et en
exercices") où c’est la seconde syllabe du dactyle, comme aussi dans notre
passage. |
Sed confutatur hominis audaculi et plane impudentis imperitia
Versu illo Iuuenalis:
Gymnasia atque audi.IVV. 3, 15 et philolai vel pythagoræ:
alla potu te metron cai situ gymnasion tePYTHAG. Vers. aur., 33 ubi secunda syllaba est secunda in dactylo:
ut hic quoque.
|
(208) (Et qui) Et les soldats évidemment frappent des bêtes
inoffensives avec leurs traits, eux qui triomphent d’acies ferratas
("bataillons bardés de fer"), autrement dit armés et couverts de fer, et
d’agmina ("des armées"), autrement dit des escadrons et des
troupes ennemies. |
(Et qui) et milites scilicet
feriunt imbelles feras per sua tela qui uincunt acies ferratas id est armata et ferro tectas: et agmina id est turmas et copias hostium.
|
(209) (Ergo gradum) Il conclut : puisque donc, Florian, tu
ne peux toujours travailler et continuer le cours de tes lectures de plus grands
livres, retine gradum ("retiens donc ton pas"), autrement dit ta
marche ce qui veut dire : ne cours pas sans cesse car la nature ne peut le
supporter, elle demande des alternances d’action et de repos. |
(Ergo gradum) concludit cum ergo
floriane non possis laborare
semper et cursum continuare in lectione librorum maiorum:
retine gradum id est passum hoc
est. noli semper currere quod natura ferre non
potest: quae requirit alterna quiete.
|
(210) Et laisse prisca uolumina ("tes anciens volumes"). Le
cours des lectures de Florian en effet était évidemment les auteurs anciens ;
et repose-toi en lisant mon opuscule. |
Et linque prisca
uolumina. hic enim erat cursus floriani scilicet in legendis libris
priscorum authorum: et quiesce opusculum legendo
meum.
|
(211) Ainsi qu’il y ait le cours de ta lecture et de ta peine dans les uns,
mais dans le mien que voici du repos et une récréation dans ton labeur. |
ita sit cursus et labor in illis: in hoc
meo quies et a labore recreatio.
|
(212) De fait dans les grandes choses nous avons du labeur, dans les
distractions et les petites choses, nous avons une récréation. |
nam in magnis laboramus: in ludicris et
paruis recreamur.
|
(213) L’ordre est : donc, Florian retinens gradum
("retenant ton pas"), autrement dit linquens prisca uolumina, cede
dies ("laissant tes anciens volume, cède ces jours") autrement dit
"accorde des jours", évidemment quelques uns, à celui qui sera pour toi une
récréation, évidemment, mon ouvrage que voici, parce qu’évidemment mon ouvrage
iuuat pia causa ("se recommande par une cause pieuse"),
autrement dit nous apporte un soutien et rassemble des matières pieuses et
religieuses, celle de l’histoire apostolique. |
est autem ordo. ergo floriane
retinens gradum et id est linquens prisca uolumina:
cede dies id est concede dies
scilicet aliquos recreationis ei: operi scilicet meo
huic: quod scilicet opus meum iuuat pia causa id est adiuuat et
accumulat materia pia et religiosa historiæ apostolicæ.
|
(214) Quoi en effet de plus religieux et de meilleur que d’expliquer les Actes
des Apôtres qui sont source d’imitation pour les gens de bien ? On peut
construire autrement même si cela me convient moins, en faisant une
apostrophe : "ô jour" qui qui est occupé et consumé par Florian dans une
lecture continue, "retenant" donc évidemment le cours de sa lecture et "laissant
les anciens volumes, accorde à une œuvre", autrement dit fais place à un labeur,
ce qui veut dire évidemment mettre dans l’intervalle quelque chose qui en effet
"se recommande" autrement dit orne "par une cause pieuse", à savoir juste. |
Quid enim religiosius et melius quam actus apostolorum enarrare bonis
imitabiles: potest et aliter construi quamuis
non ita placat: ut sit apostrope: o dies qui a floriano impenderis et consumeris
lectione assidua retinens scilicet cursum
lectionis et linquens prisca uolumina cede operi
id est da locum labori: quod id est quam rem
scilicet interponere qui etenim iuuat id est ornat pia
causa hoc est iusta.
|
(215) Il est juste en effet que les gens se reposent parfois pour avoir plus
de courage pour s’attaquer aux choses bonnes et plus grandes. |
iustum est enim homines interdum quiescere ut fortius bonis rebus
ac maioribus intendant.
|
(216) Les théologiens et les philosophes s’accordent pour considérer que c’est
la vertu d’εὐτραπελία ("enjouement"). |
unum a theologis et philosophis Eutrapelia uirtus habetur.
|
(217) Ici Augustin : "je veux pour finir que tu te ménages. Car il
convient que le sage parfois repose son esprit toujours tendu vers
l’action". |
hic augus.
Volo tandem tibi parcas. nam sapientem
decet interdum remittere aciem rebus agendis intentam.AVG. mus., 2, 12, 22
|