Livre 1 section 4 (vv. 119-159)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(938) (SPIRITVS AETHEREA :) maintenant que le nombre total des apôtres est reconstitué, il était capable de recevoir l’Esprit saint ; et donc Dieu, dans sa bonté, lui accorda ce qu’il avait promis. (SPIRITVS AETHEREA:) lam numerus summae apostolicae reparatus spiritui sancto suscipiendo idoneus erat. ergo praestitit quod promisit benignus . deus.
(939) De fait, au jour de la Pentecôte, autrement dit le cinquantième après la résurrection du Christ, l’Esprit saint vint sur les apôtres, leur apparaissant sous la forme d’un feu ; les Juifs célébraient la Pentecôte, autrement dit le cinquantième jour après la Pâque, en souvenir du don de la Loi sur le Mont Sinaï. Nam in die pentecoste id est quinquagesima a christi resurrectione uenit spiritus sanctus in apostolos in igne eis apparens. celebrabant autem diem pentecosten iudaei id est quinquagesimum a paschate in memoria datae legis in monte sinai.
(940) Voilà pourquoi il semblait cohérent que ce fût le jour de cette fête que vînt le saint Esprit, afin qu’une puissance si grande eût beaucoup de témoins pour prouver les immenses présents de Dieu et être pleins d’admiration en reconnaissant les diverses langues. Quare uidebatur consentaneum ut in die solemni spiritus ueniret: ut tanta uirtus haberet multos qui probarent ingentia dei munera et uarias linguas cognoscentes mirarentur.
(941) Et il vint le cinquantième jour, parce que la cinquantième année on accordait l’indulgence dans le Jubilé, et le cinquantième jour, par l’action de l’Esprit les péchés sont remis ; de même qu’ils le sont dans le jubilé temporel, de même, dans ce jubilé spirituel, les coupables sont libérés et les dettes remises, les exilés reviennent dans leur patrie, et les héritages perdus sont rendus ; les esclaves, autrement dit les hommes tombés sous l’esclavage du péché sont libérés de leur joug de servitude. Venit et .L. die: quia .L. anno dabatur indulgentia in iubileo: et .L. die per spiritum sanctum remittuntur peccata. Vtque in illo temporario: ita in hoc spirituali iubilaeo rei soluuntur: debita dimittuntur: exules in patriam reuertuntur: hereditas amissa redditur: Serui id est homines pec[20r]cato uenundati: a iugo seruitutis liberantur.
(942) C’est également une comparaison, parce que l’ancienne loi avait été donnée dans le feu le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau ; dans le nouveau testament, le cinquantième jour après la résurrection du Christ, l’Esprit descendit sous forme de feu, là sur le Mont Sinaï, ici sur le Mont Sion, là il est donné sur le sommet d’une montagne, ici au Cénacle. Est etiam similitudo quia lex uetus .L. ab immolatione agni die data in igne: in nouo testamento. L. a pascha uel resurrectione christi die spiritus descendit in igne. illa in monte sina: hic in monte sion. Illa in sublimi montis loco: hic datur in coenaculo.
(943) Et, comme le dit Hraban, "les cinquante jours après la résurrection marquent la pénitence de l’Église et le cinquantième jour, celui où l’Esprit est donné exprime le denier de l’éternelle récompense". Atque ut ait Rab . xl. post resurrectionem dies poenitentem ecclesiam designant: at quinquagesimus: quo spiritus datur: denarium aeternae remunerationis exprimit.IAC. VOR. leg. aur., 73
(944) Arator montre donc, dans le quatrième section de son premier livre, comment l’Esprit saint descendit sur les apôtres et pourquoi à un pareil moment. Ostendit ergo Arator in hac quarta primi libri sectione quomodo spiritus sanctus descendit ad apostolos: et cur in specie ignis: et quamobrem in tali tempore.
(945) Il dit donc (Interea), évidemment le temps que vienne le jour de la Pentecôte, autrement dit le cinquantième, spiritus sanctus descendens ab aula aetherea ("en descendant de la cour éthérée, l’Esprit-Saint"), autrement dit du Ciel, irradiat locum fulgore ("irradie d’un éclair le lieu"), autrement dit le Cénacle, quo ("où"), autrement dit dans lequel erat stemma ("se trouvait la guirlande"), autrement dit la couronne, c’est à dire la réunion, beatum ("bienheureuse"), évidemment en raison des dons de l’Esprit saint, ecclesiae nascentis ("de l’Église naissante"), évidemment alors dans sa naissance et dans son premier âge. ait ergo (Interea) scilicet dum compleretur dies pentecoste id est quinquagesimus: spiritus sanctus descendens ab aula aetherea id est a coelo: irradiat locum fulgore : id est coenaculum: quo id est in quo: erat stemma id est corona hoc est conuentus: beatum scilicet propter dona spiritus sancti. ecclesiae nascentis scilicet tunc orientis et primigeniae.
(946) (Stemma) vient du verbe grec στέφω, autrement dit "couronner", d’où viennent les mots Στέφανος et στέμμα autrement dit couronne. (Stemma) a stepho uerbo graeco id est corono unde Stephanos et stemma id est corona.
(947) Et ici on ne peut comprendre ‘stemma’ ("guirlande") que de manière métaphorique pour désigner l’assemblée qui est comme une couronne, comme le dit Horace : ne spissae risum tollant impune coronae ("de peur d’exciter impunément le rire d’une épaisse couronne"). et hic Stemma non accipitur nisi metaphorice pro coetu qui est in modum coronae ut hora. ne spissae risum tollant impune coronaeHOR. ars, 381 .
(948) Je laisse de côté les autres significations de ce mot ; une foule de dictionnaires les explique abondamment. omitto reliquas significantias huius dictionis: quas lexicon caterua abunde explanant.
(949) Le mot stemma est neutre, comme dans l’expression Stemmata quid faciunt ("à quoi bon les arbres généalogiques ?"), ce qui fait que son épithète est neutre, évidemment beatum ("bienheureuse"). Stemma est neutri generis Vt Stemmata quid faciunt:PERS. 8, 1 unde habet epitheton neutrum scilicet beatum:
(950) (Quibus igne.) Le bienheureux Luc au chapitre 2 écrit : "il se fit soudain venant du ciel un son comme quand vient un fort souffle de vent, et il emplit toute la maison où ils se tenaient, et apparurent sur eux des langues comme de feu qui se divisèrent, et l’une d’elles vint se poser sur chacun d’entre eux, et ils furent remplis de l’Esprit saint et ils commencèrent à parler en langues variées selon les paroles que leur donnait l’Esprit saint". (Quibus igne.) Beatus Lucas capite. ii . factus est inquit repente de coelo sonus tanquam uehementis spiritus aduenientis : et repleuit totam domum: ubi erant sedentes: et apparuerunt illis dispartitae linguae tanquam ignis: seditque supra singulos eorum: et repleti sunt omnes spiritu sancto: et ceperunt loqui uariis linguis prout spiritus sanctus dabat eloqui illis.ac 2, 2-4
(951) Voici que le Seigneur a offert ce qu’il avait promis aux apôtres en leur disant : "je ne vous laisserai pas orphelins" mais je vous enverrai l’Esprit, le paraclet. Ecce praestitit dominus: quod apostolis pollicitus est: Non uos (dixit) reliquam orphanos:Jn 14, 18 sed mittam spiritum paracletum.
(952) Celui-ci est l’avocat qui parle en leur faveur et qui parle en toutes les langues ; il a apporté des langues en venant en lieu et place du Verbe. is eorum aduocatus pro eis: omnibus linguis locutus est. Linguas attulit qui pro uerbo uenit.
(953) En effet la langue présente une parenté avec le Verbe, de sorte qu’on ne peut les distinguer : de même le Verbe du Père et l’Esprit saint sont inséparables ; bien plus, ils sont d’une seule substance et de même d’une seule nature. cognationem enim habet lingua cum uerbo: ut quod disiungi inuicem non possunt: sic uerbum patris et spiritus sanctus inseparabiles sunt: immo et unius substantiae: uniusque prorsus naturae.
(954) Mais si quelqu’un cherche à savoir pourquoi l’Esprit saint était donné de manière cachée avant la glorification du Christ, alors qu’ensuite, au jour de la Pentecôte, il est descendu ouvertement sur les apôtres se montrant sous la forme extérieure de la chaleur d’un feu, et la forme intérieure d’une inspiration spirituelle, qu’il voie Augustin, Ep. 83, qui lui répond que c’est parce que, après la déclaration manifeste de la divinité du Christ, il était cohérent que l’Esprit saint fût donné de façon manifeste ; auparavant, en effet, jamais l’Esprit saint n’était apparu de manière à ce que les hommes confessent qu’il avait été donné, de même que le Seigneur n’avait pas encore été glorifié parmi les hommes, bien que sa glorification éternelle n’ait jamais eu de fin. Si autem quispiam quaerat cur spiritus sanctus latenter dabatur ante christi glorificationem: cum postea in die pentecoste palam in apostolos descenderit exterius igneo calore: interius spirituali inspiratione se ostendens Augustinus in.li.lxxxiii. quae respondet: quia post manifestam declarationem diuinitatis christi congruebat: ut spiritus sanctus daretur manifestus. Ante enim nunquam sic spiritus sanctus apparuerat: ut eum datum homines faterentur: sicut dominus nondum erat clarificatus inter homines: quamuis aeterna eius clarificatio nunquam destiterit.
(955) Mais pourquoi l’Esprit saint est-il apparu sous la forme du feu, d’une colombe ou d’une nuée, autrement dit dans une créature irrationnelle et non rationnelle ? At cur in specie ignis uel columbae uel nubis spiritus sanctus apparuit? hoc est in irrationali non rationali creatura?
(956) La raison se comprend d’elle-même : c’était pour éviter que l’on croie unie à Dieu la créature qui n’apparaissait que pour signifier les propriétés de celui-ci. De fait, bien que l’Esprit se montrât sous forme de feu, il parlait cependant par lui-même à l’intérieur des apôtres et le feu n’est pas Dieu, ni non plus le son, mais il exprima à l’intérieur des cœurs ce qu’il montrait extérieurement. Ipsa se ratio ingerit: ne forte crederetur unita deo illa creatura apparens tantum ad proprietates significandas ipsius. Nam licet In igne uisus sit spiritus scilicet: tamen per se ipsum loquebatur interius: neque ignis deus: nec ille sonus fuit: uerum intus expressit hoc quod extrinsecus exhibebat.
(957) C’est ainsi que les langues se divisèrent sous l’aspect d’un feu, autrement dit l’Esprit saint en apparaissant ainsi au-dessus des disciples leur donna la science de toutes les langues, indiquant par là que l’Église, remplie de l’Esprit saint, parlerait en toutes les langues et dans tous les dialectes. Siquidem linguae diuisae in specie ignis: hoc est spiritus sanctus ita super discipulos apparens: omnium linguarum eis scientiam dedit: designans etiam omnium linguarum sermone dialectoque locuturam ecclesiam spiritu sancto repletam.
(958) Ce sont aussi des langues de feu que possèdent les Docteurs qui, brûlés de ferveur et de zèle, enflamment le cœur de leurs auditeurs. Linguas quoque igneas doctores habent qui feruore et Zelo succensi auditorum corda inflammant.
(959) De même le feu brûle, purifie, réchauffe, éclaire ; de la même manière l’Esprit brûle les fautes, purifie le cœur, chasse le froid du corps et met en fuite les ténèbres de l’ignorance. Ignis item urit: purgat: calefacit: illuminat: simili ratione spiritus crimina exurit: corda mundat: frigus corporis excutit: tenebras fugat inscitiae.
(960) En outre, le feu est incorporel et par nature très peu palpable ; quand il trouve une matière qu’il peut brûler, il apparaît sous une couleur changeante ; de même l’Esprit, ne pourra nullement être vu sinon à travers les créatures dans lesquelles il révèle les œuvres de sa grandeur. Praeterea ignis incorporeus: inque sua natura minime sensilis: ubi materias apprehendit in quibus ardeat: diuersi coloris apparet: sic spiritus: nisi per creaturas in quibus suae maiestatis opera declarat: nullo uideri modo poterit.
(961) Donc les pharisiens demeuraient interdits face à Pierre et Jean, se demandant comment pouvaient connaître la Loi des gens qui n’avaient jamais appris les lettres. Ergo pharisaei stupebant in petro et loanne quomodo scirent legem: qui literas nunquam didicissent.
(962) En effet, tout ce que donne habituellement un exercice et une méditation quotidienne des réalités divines, le feu du Saint Esprit le leur avait apporté, ainsi que le Maître de vérité leur leur avait promis. Quicquid enim exercitatio et quottidiana in diuinis meditatio dare solet: ignis spiritus sancti illis suggerebat: quemadmodum doctor ueritatis illis promiserat.
(963) Il avait dit en effet : "l’Esprit que mon Père vous enverra en mon nom, lui, vous enseignera toute chose" ; je comprends évidemment tout ce qui est indispensable pour votre salut et celui de tous les mortels. dixerat enim spiritus quem mittet pater in nomine meo ille uos docebit omnia:Jn 14, 26 intelligo scilicet necessaria ad uestram et cunctorum mortalium salutem.
(964) Voilà déjà un miracle ; maintenant regardez le second que voici. Hoc unum est miraculum. Iam[20v] nunc illud alterum considera.
(965) Qui, je vous le demande, a affermi le cœur de Bariona qui était auparavant plein de crainte ? Qui lui donna cette assurance que nul fer, nulle menace, nul coup ne put ébranler ? Quis obsecro barionae pectus antea praetimidum stabiliuit: quis illi dedit munimen nullo ferro: nullis minis nullis ictibus quassabile?
(966) De fait celui qui, auparavant, portes fermées, se tenait dans le cénacle et dans le tout fond de la maison, avec les autres qui se cachaient sous l’effet de la même épouvante, celui-là, quand il eut reçu la force de feu et invincible de l’Esprit saint, sortit aussitôt en public, et celui qui auparavant dans un seul recoin de la Judée et dans la seule langue hébraïque n’osait pas prendre la défense de la vérité, celui-là, après avoir reçu en lui cet Esprit courageux et plein de véhémence, combattit bientôt dans toutes les nations et dans les langues variées de toutes les races pour la vérité qui est le Christ, et il en fit sa profession de foi. Nam qui antea ianuis clausis trepidus in coenaculo et in ultimo domus tabulato sedebat, cum caeteris pari formidine sese occultantibus: is posteaquam spiritus sancti robur igneum accepit et inuictum: protinus in publicum prodiit: et qui antea in uno iudeae angulo: et in una hebreorum lingua ueritatis patrocinium suscipere non audebat is recepto in praecordia forti ac uehementissimo illo spiritu in cunctis mox gentibus et in uariis cunctarum gentium linguis ueritatem: quae christus est propugnauit: et confessus est.
(967) Et il ne combattit pas pour elle seulement en paroles et par des miracles, mais, après avoir mené la plus irréprochable des vies, il s’opposa aux tyrans et aux princes de la terre, et dressa la masse de son courage indestructible contre ce monstre qu’était Néron en sorte qu’il punit son témoignage, mais plus encore, pour veiller plus jalousement sur elle pour la défense de laquelle tout homme en mourant obtient la vie, il méprise la mort et non seulement celle qui terrifie les mortels, mais celle de Néron, autrement dit les morsures, les dents et les tourments de la plus sauvage des bêtes. Nec solum pro ea uerbo et miraculis: ac uita innocentissime acta sese tyrannis et principibus orbis terrarum opposuit: molemque uirtutis infractae Neroni illi atrocissimo obiecit ut suum testimonium sanciret: uerum etiam ut eam acrius tueretur pro qua quisquis moritur uitam nanciscitur: contempsit mortem: nec tantum hanc terrificam mortalibus: sed neronis hoc est immanissimae belluae morsus dentes cruciatus.
(968) Pierre Bariona, je te le demande, d’où te vint soudain une si grande et si unique valeur ? Tu méprises les fouets de ceux qui s’avancent, toi qui peu auparavant avait eu peur des mots de ceux qui te questionnaient ? Et la bête, armée des forces de l’empire romain, ne te frappe pas de terreur par son rugissement, toi qu’avait fait trembler une servante dans la cour de sa voix de femme ? D’où te vient, je te prie, cette réponse si soudainement constante et si glorieuse qui te fait repousser les menaces des pharisiens et des chefs des prêtres, les fouler aux pieds, les leur renvoyer : "il faut obéïr à Dieu plutôt qu’aux hommes" ? Petre bariona unde obsecro tibi repente contigit tanta ac tam singularis uirtus? spernis flagella cedentium qui paulo ante expaueras uerba requirentium? teque iam bellua armata uiribus imperii romani suo fremitu haud terret: quem atriensis ancilla uoce feminea tremefecerat? unde tibi obsecro tam subito constans illud responsum ac tam gloriosum quo minas phariseorum ac principum sacerdotum repulisti: calcasti: repercussisti: obedire oportet deo magis quam hominibus.ac 5, 29
(969) En effet ce que le bienheureux Luc raconte que dirent les apôtres, il est extrêmement vraisemblable que tu l’as dit principalement puisque tu étais le principal apôtre. Hoc enim quod apostolos dixisse narrat beatus lucas: te praecipue qui praecipuus eras: retulisse uerisimillimum est.
(970) Que répondras-tu donc, admirable porte-étendard de l’armée chrétienne ? Absolument ce que, dans Jean, dit ton Maître éternel : "quand est venu l’Esprit de vérité, lui, nous a enseigné toute la vérité". Quid ergo respondebis christiani exercitus praestantissime aquilifer: Id nimirum quod apud loannem magister tuus dixit aeternus: Cum uenit spiritus ille ueritatis: ille nos docuit omnem ueritatem.Jn 16, 13
(971) Lui, dis-je, quand il fut descendu vers nous, il convainquit le monde de péché et porta témoignage de la justice, du jugement et de la vérité, lui dans les cœurs, nous dans les paroles. Ille inquam posteaquam ad nos descendit arguit mundum de peccato et de iusticia et de iudicio. de ueritate testimonium perhibuit ille in cordibus: nos in uocibus.
(972) Lui en inspirant, nous en faisant retentir ; enfin (comme le dit le Sage) "l’Esprit du seigneur a rempli l’univers", lui qui affermit notre cœur pour que nous osions aller contre les puissances du monde. Ille inspirando: nos insonando: ille denique (ut dixit sapiens) domini spiritus repleuit orbem terrarum:Sg 1, 7 qui nostra corda solidauit ut mundi potestatibus contra ire auderemus.
(973) Voilà ce que Pierre aurait pu répondre au sujet du deuxième miracle du Saint Esprit. Haec petrus de altero spiritus sancti miraculo potuit respondisse.
(974) Quel fut le troisième ? Ce fut le don, quand tous les apôtres, sous l’instruction de l’Esprit saint, reçurent une connaissance parfaite de chaque langue et dialecte, alors que maintenant tout le monde juge qu’il est plus facile de pouvoir maîtriser les arts libéraux que de connaître parfaitement une seule langue ; pour eux, en revanche, en un instant il ne leur manqua ni la douceur de la langue grecque, ni la gravité du latin, et pour finir tout ce qui fait la particularité de toutes les langues, eux qui avaient du mal à bien parler même dans leur propre langue. quid illud tertium? quale fuit donum cum omnes apostoli erudiente spiritu sancto singularum linguarum scientiam exactissimam et dialecton perceperunt: cum nunc facilius quiuis iudicet posse cunctas artes ingenuas se consequi quam unius linguae non admodum perfectam cognitionem: at illis in momento temporis nec suauitas linguae graecae: nec latinae grauitas: ac prostremo omnium linguarum idiomata non defuerunt: qui in sua lingua uix expedite loquebantur.
(975) Qui rendit agile d’une si grande éloquence la lanque de ce pêcheur, autrefois bien embarrassée, et brisa ses entraves ? Qui, dans une bouche bégayante et presque muette, mêla les sons si variés de toutes les nations et comme le concert des peuples ? Quis piscatoris linguam impeditam antea expediuit tanta facundia et discapedinauit? quis in ore prius balbutiente ac poene muto tam uarios sonos omnium gentium: ac populorum ueluti concentus miscuit?
(976) Qui rendit une langue hésitante comme une flûte aux multiples trous, et, bien qu’un seul Esprit soufflât dedans, résonnant sur tout la terre en tous les modes ? quis linguam hesitantem quasi tibiam fecit multiforatilem licet uno spiritu animatam: tamen omnibus modis omnibus in terris personantem?
(977) On loue Cicéron parce qu’il put partager la richesse de son abondance oratoire en deux langues, la romaine et la grecque, alors que l’Esprit saint, dans ces apôtres dont les gosiers étaient auparavant serrés, voulut qu’il n’y ait non pas une ou deux langues, non pas acquises en quelques mois ou années, mais en un seul instant toutes les langues à la fois comme un océan, source de toutes les eaux. Laudatur. M. Tullius quod suae ubertatis alueum in duas linguas graecam ac romanam diuidere potuerit: cum spiritus sanctus in illis apostolorum constrictis antea faucibus non unam aut duas: nec multis annis aut mensibus: sed uno momento omnes simul linguas quasi fontem omnium aquarum oceanum esse uoluerit.
(978) Que dire du quatrième, le fait que l’Esprit saint eut pour effet que non seulement les apôtres comprenaient parfaitement et parlaient chaque langue de toutes les nations, mais aussi que, parlant hébreu, ils fussent compris d’auditeurs de diverses nations, et que chacun pensât qu’ils parlaient en utilisant son propre idiome ? Quid illud quartum: quod spiritus sanctus efficiebat ut non tantum apostoli omnium gentium singulam quamque linguam absolute intelligerent uel eloquerentur: uerum etiam ut hebraice loquentes a diuersarum nationum auditoribus intelligerentur: et suo quisque ipsos uti idiomate putaret?
(979) D’où vient aussi que les auditeurs frappés de stupeur devant cela disaient : "est-ce que ces gens qui parlent ne sont pas tous Galiléens ? Comment les entendons-nous parler la langue maternelle de chacun de nous ?". unde etiam auditores hoc obstupescentes dicebant: nonne hi omnes qui loquuntur galilaei sunt: et quomodo nos audiuimus uinusquisque linguam nostram in qua nati sumus?ac 2, 7
(980) Quoi de plus miraculeux que ce miracle ? Il faisait que les apôtres entendaient et parlaient les langues de tous et que leur paroles, quelle que soit la langue dans laquelle ils les prononçaient, étaient comprises également par tous les auditeurs, bien qu’ils fussent de langues différentes et ne se comprissent pas entre eux ? Quid hoc miraculo mirabilius? quo fiebat ut omnium uoces et perciperent et pronunciarent apostoli utque uerba eorum quocunque idiomate ederentur ab omnibus audientibus licet sermone distantibus seque inuicem minus intelligentibus aeque intelligerentur?
(981) Que dirai-je du cinquième ? Et du centième ? Et du millième ? Quid loquar de quinto? quid de centesimo? quid de milesimo?
(982) Ils se présentent en foule dans la troupe infinie des prodiges du Saint Esprit, que la faible pointe de l’intelligence humaine ne voit que comme dans une nuée épaisse briller par moments d’un éclat très fugace. Ingerunt se agminatim infinita caterua uirtutum sancti spiritus: quas uelut in crassa nebula uidet mentis humanae acies inualida rapidissimo coruscamine intermicare.
(983) Combien sera grande la foule de ceux que nous ignorons, puisque si grande est la foule de ceux que notre faiblesse atteint et peut toucher ? Quanta igitur multitudo eorum erit quae ignoramus: cum tanta sit eorum quae imbecillitas attingit nostra et assequitur?
(984) Bien que je semble avoir dévié de la route que je m’étais fixée, celui cependant qui jettera un œil attentif sur le contenu de cette section d’Arator verra que je n’ai rien dit qui soit hors-sujet. Quanuis a uia proposita uidear diuertisse: siquis tamen quae in hac sectione Aratoris continentur attente inspexerit: nihil me extra rem dixisse inueniet.
(985) (Quibus évidemment les apôtres), calor (" l’ardeur"), autrement dit le feu, effet pour la cause, imbuit ("imprègne") autrement dit rend savante, ora ("la bouche"), évidemment pour parler aisément et abondamment dans toutes les langues, igne magistro ("par un feu qui les enseigne"), c’est à dire un feu qui leur apprend tout ce qui nécessaire pour le salut du genre humain et le gouvernement de l’Église catholique comme nous l’avons dit. (Quibus scilicet apostolis:) calor id est ignis effectus pro causa: imbuit id est erudiit ora scilicet ad loquendum omnibus linguis expedite et copiose: igne magistro id est igne docente omnia necessaria ad salutem humani generis catholicaeque ecclesiae regimen ut diximus.
(986) En effet, dans la signification obvie, leurs corps perçurent un feu et un son, mais c’est par un feu invisible et une voix sans son que les cœurs des apôtres ont été instruits. In significatione enim ignem senserunt corpora cum sonitu: Verum igne inuisibili et uoce sine sonitu apostolorum docta sunt corda.
(987) Et n’allez pas croire qu’un feu de cette sorte avait une ardeur qui les pût brûler ; calor ("l’ardeur") fut douce, suave et agréable. Nec putes ignem illum eiusmodi habuisse calorem ut cremaret. calor ille mitis fuit suauis et amoenus.
(988) De là vient ce qu’écrit Augustin dans le sermon sur les plaies : " ce feu purifia plus qu’il ne brûla, et sur les langues il vint se placer avec le rafraîchissement de la sanctification, parce que lui-même éteignit ses flammes dans la fournaise. L’Esprit saint sait en effet rendre le feu agréable, lui qui rendit agréable la fournaise en y versant une rosée de flammes et qui sanctifie nos pères et fait pour nous parler des biens célestes des pêcheurs" et un peu plus loin "c’est un plaisir de voir toutes les nations se rassembler du monde entier pour prêter attention aux langues des apôtres et reconnaître tous leur langue sur leurs lèvres, parce que l’Esprit saint sait rendre l’unité à ce qui était divers, lui qui a fait que le concert apostolique soit en accord avec le monde entier. Hinc in sermone de plagis Augus. Ipse ignis purgauit potius quam cremauit: et super linguas refrigerio sanctificationis insedit: quia ipse flammas in camino restinxit. Nouit enim spiritus sanctus ignem facere amoenum qui reddidit amoenatum rorante flamma caminum: quique sanctificat patres: et nobis facit loqui coelestia piscatores et paulo postidem Delectat inquit conuenientes ex omni saeculo nationes apostolorum linguas attendere: et omnes sua labia recognoscere quia spiritus sanctus de diuersis nouit facere unitatem qui apostolos fecit toti saeculo concordantes.
(989) Il fallait en effet que ceux qui allaient annoncer à tous le royaume des cieux fassent se réjouir les langues de toutes les nations. Oportebat enim ut qui omnibus erant praedicaturi regnum coelorum: omnium linguas gaudere facerent nationum.
(990) Mais si quelqu’un veut savoir si ce fut un vrai feu naturel ou un semblant de feu, préparé pour cette occasion dans quelque matériau, ou si ce fut une vraie colombe qui apparut au-dessus du Christ au moment de son baptême, ou si ce fut une vraie nuée dans la transfiguration, qu’il n’ignore pas que le divin Thomas n’est pas toujours sans se contredire sur le sujet, pour ne rien dire des autres théologiens. Mais, pour dire mon sentiment, l’avis que lui et avec lui un certain nombre de docteurs suivent dans la Prima, distinction 16, me semble préférable et meilleur que celui, qui lui est contraire, qu’il approuve dans la Tertia, œuvre plus tardive. Siquis autem scire uelit utrum ille fuerit uerus ignis et naturalis: an similitudo ignis in aliqua materia ad hoc parati: et utrum fuerit uera columba apparens supra[21r] christum baptizatum: et an fuerit uera nubis in tansfiguratione: is non ignoret diuum thomam super ea quando ne sibi non constare: ut alios theologos omittam. sed ut quod sentio dicam: potior mihi ueriorque ea uidetur sententia quam ille: et cum illo complusculi doctores in primo senten. dis. xvi. sequuntur: quam huic contraria in tertia parte comprobata ab eodem in opere maturiore.
(991) De fait, le bienheureux Luc déclare : "l’Esprit saint descendit sur lui comme une colombe", par le mot ‘comme’ évidemment l’évangéliste veut indiquer non pas une vérité de nature, mais une comparaison. Nam beatus lucas descendit inquit spiritus sanctus sicut columba in ipsum.Lc 3, 22 Qua dictione scilicet sicut: non naturae ueritatem sed similitudinem uidetur notare Euangeliographus.
(992) Et cela n’entraîne ni fausseté ni fiction, puisqu’est maintenue la vérité de la figure à défaut de celle de la nature. nec ibi propterea falsitas fictioue fuit: cum non naturae sed figurae ueritas tamen extiterit.
(993) Donc, ce feu ou la colombe, quand ils furent pourvus du commandement de Dieu, soit se retirèrent dans un matériau préexistant, soit allèrent où leur créateur leur demanda d’aller. Ille ergo ignis columbaue ubi domini imperio functa sunt aut in praeiacentem materiam abierunt: aut quo ea suus opifex ire imperauit.
(994) En effet quel mortel doté d’autant d’intelligence que l’on voudra pourrait jeter sur la plus petite œuvre du divin créateur un regard digne d’elle ? Quis enim mortalis quantumuis ingenii laude pollens queat minimum diuini opificii opus digne contemplari?
(995) Le feu du Saint Esprit verse sa septuple grâce dans le cœur des apôtres, marquant ses sept charismes d’une manière qui d’une certaine façon convient à la nature du feu. Ignis autem spiritus sancti semptemplicem gratiam in corda apostolorum infudit ipsius septem charismata signans ignis naturae quodammodo congruentia.
(996) De fait la crainte rabaisse les superbes, la piété adoucit les rigides, la science illumine ceux qui sont dans les ténèbres, le conseil ramène à eux ceux qui se dispersent, la force affermit les craintifs, l’intelligence clarifie l’esprit des intelligences rouillées, et la sagesse remet dans le droit chemin ceux qui regardent de travers ; toutes ces qualités, je montrerais qu’elle conviennent chacune à la nature du feu, si ce doux amour ne me menait pas trop loin du commentaire que je me suis proposé de faire. Nam timor superbos deiicit: emollit rigidos pietas: caligantes scientia illuminat: Restringit diffluentes consilium: consolidat timidos fortitudo: clarificat eruginosos intellectus: et deorsum spectantes sursum erigit sapientia: quae omnia ignis naturae singulatim conuenire ostenderem: ni me longius a proposita interpraetatione dulcis hic amor abduceret.
(997) Je passerai même sous silence ce que rapporte Bernard : "la raison pour laquelle l’Esprit saint est venu sous la forme de langue de feu est que les apôtres disent des paroles enflammées dans les langues de toutes les nations, et prêchent une loi de feu, autrement dit l’amour". Illud etiam dicere omittam quod Bernardus refert: ideo spiritum sanctum in linguis igneis uenisse ut linguis ominum gentium uerba ignea loquerentur: et legem igneam hoc est amor praedicarent.BERNARD. CLAR. serm. Pentec. 1, 2
(998) (Imbuit calor) autrement dit les rendit savants, les instruisit. (Imbuit calor) id est erudiit docuit.
(999) (Dictis.) et seges populosa ("une abondante moisson"), autrement dit une abondance de manière métaphorique, car 'abondant' et 'moisson' portent l’idée d’abondance, linguarum ("de langues"), évidemment variées, exit ("en sortit") évidemment à travers la bouche des apôtres, dictis ("des paroles"), évidemment des mots, fluentibus ("coulant en flots"), évidemment abondamment et en grande quantité. De fait, les apôtres commencèrent à parler en langues variées ce qui était le signe de la plénitude, car le vase plein se brise et le feu ne peut demeurer caché dans leur sein. (Dictis.) et seges populosa id est copia abundans metaphorice. nam in populo et segete abudantia est. Linguarum scilicet diuersarum: exit scilicet per os apostolorum: dictis scilicet uerbis: fluentibus scilicet ubertim et copiose. Nam ceperunt apostoli loqui uariis linguis: quod signum erat plenitudinis. plenum enim uas erumpit: et ignis in sinu non potest occultari.
(1000) (Non litera.) Les apôtres ne reçurent pas un enseignement dans toutes les langues, comme celui qui, avec de la technique, apprend une langue ; de fait, il apprend d’abord à reconnaître l’écriture de la langue qu’il veut apprendre, ensuite il lit, il comprend et pour finir il parle et s’exprime. (Non litera.) Non fuerunt apostoli docti omnes linguas: sicut is qui arte linguam aliquam discit. Nam prius cognoscit literas eius linguae quam uult discere: postea legit: intelligit: ac postremo loquitur et sonat.
(1001) Il n’en alla pas ainsi des apôtres qui, par leur seule foi, en un instant apprirent de la plénitude du Saint Esprit toutes les langues. non ita apostoli qui sola fide in momento ex plenitudine spiritus sancti omnes linguas didicerunt.
(1002) C’est ce qu’il dit : Non littera gessit officium ("ce n’est pas l’écriture qui a produit cet office"), autrement dit a fourni de l’aide, évidemment aux apôtres, pour qu’ils sachent toutes les langues, comme c’est le cas pour nous quand nous apprenons une langue, non uena ("l’inspiration"), évidemment l’abondance oratoire des apôtres comme s’écoulant d’une source d’inspiration, stillauit ("n’est pas tombée goutte à goutte") autrement dit ne s’est pas écoulée, ab ore ingenii (" de la bouche d’un génie naturel") évidemment qui les enseigne, autrement dit l’éloquence de la bouche apostolique ne vient pas de la bouche d’une intelligence magistrale, nec cera ("et la cire") autrement dit livre et papier, car les Anciens écrivaient sur des tablettes de cire, signauit ("n’a pas marqué") autrement dit n’a pas montré, évidemment aux apôtres, loquelas ("des paroles"), autrement dit les idiomes et ces langues remarquables, sola fides ("la foi seule") évidemment des apôtres fuit doctrina ("fut leur enseignement") autrement dit la science pour les apôtres. Hoc ergo ait. Non litera gessit officium id est praebuit ministerium scilicet apostolis omnes linguas cognoscendi: sicut nos cum linguam aliquam discimus: non uena scilicet illa copia loquendi apostolorum quasi uena fluens: stillauit id est fluxit ab ore ingenii scilicet docentis: hoc est ubertas oris apstolici non processit ab ore ingenii magistralis: nec cera id est liber et charta quia ueteres in ceratis tabulis scribebant: signauit id est monstrauit scilicet apsotolis: loquelas id est idiomata et linguas egregias. sola fides scilicet apostolorum fuit doctrina id est scientia apostolis.
(1003) Autrement dit : par la seule foi, ils obtinrent du Saint Esprit toutes les langues et eurent de la science, non pas en lisant des livres ou en travaillant comme, nous, nous apprenons, nous qui pensons avoir bien avancé si nous acquérons dans toute notre vie deux langues, comme le grec et le latin. hoc est sola fide a spiritu sancto omnes linguas consecuti sunt: et scientiam habuerunt: non legendo libros aut laborando ut nos discimus qui longius promouisse credimus si duas linguas per aetatem integram nanciscamur graecam scilicet ac latinam.
(1004) En effet nous apprenons le latin pensant qu’il est honteux d’ignorer cette langue qui unit dans une communauté des langues divisées, et fait sonner dans une même voix le monde chrétien, et il arrive, par la participation à la langue latine, que la confusion de Babylone cesse et qu’il n’y ait qu’une langue pour toutes les races chrétiennes. Et enim latinam discimus: quia turpe putamus eam linguam ignorare: cuius communione diuisae linguae orbis christiani concorditer sonant: fitque latinitatis participatu ut babylonica cesset confusio: et omnium christianarum gentium unum sit labium.
(1005) Puisqu’en effet, dans les gens de notre religion, il existe tant de langues de races variées et une telle diversité de parlers qu’un étranger pour autrui est à peine regardé comme un homme, le son concordant de la langue latine enlève la discorde de leurs voix et fait que des gens nés dans des régions lointaines paraissent citoyens de la même ville. Cum enim in nostrae religionis hominibus: tot sint uariarum gentium sermones: et tanta loquendi diuersitas: ut externus alieno pene non sit hominis uice: linguae latinae concors sonus discordiam uocum tollit: efficitque ut in longinquis nati regionibus eiusdem ciues urbis uideantur.
(1006) Mais nous joignons le grec au latin, parce que nous voyons qu’il ne peut en aucune manière se faire qu’un homme soit assez parfaitement savant dans les lettres latines, quand il ignore les grecques, et personne ne pourra posséder sans faiblesse les arts libéraux ni pleinement comprendre la philosophie (qui appartient aux Grecs) s’il est totalement ignorant du grec. At graecam latinae iungimus: quod uidemus nullo pacto fieri posse quenquam satis excultum latinis literis: ubi graecas ignorauerit. Sed nec disciplinas liberales absolute tenere: nec philosophiam (quae graecorum est) plene intelligere sermonis graeci rudis onnino quisquam poterit.
(1007) Ce que dit en effet Vitruve que l’harmonique repose sur une littérature obscure et difficile et en particulier pour qui ignore la littérature grecque, car il est nécessaire à celui qui l’explique d’utiliser des mots grecs, parce que certains des mots dont se compose la musique n’ont pas d’équivalent latin, que cela est vrai de l’Astronomie et des autres sciences, il affirmera qu’il faut le dire tout homme qui considèrera que l’on utilise de termes grecs pour κύκλος, πόλος, ἄρκτος et le vocabulaire de toutes les autres sciences. Quod enim Vitruuius dixit harmoniam esse musicam litteratura obscura et difficili: maxime quidem quibus graecae litterae non sunt notae: quod necesse sit eam explicanti graecis uerbis uti: quod nonnulla eorum quibus musica constat: latinas non sunt appellationes: id profecto de Astronomia ac de caeteris dici debere affirmabit quisquis Cyclos polos arctos et caeterarum artium uocabula graecis dictionibus enunciari considerarit.
(1008) Mais les ignorants nous disent "nous avons tout en traduction latine, nous avons des commentateurs qui nous expliquent tout Aristote". Sed dicunt opici omnia habemus in latinum sermonem uersa. habemus commentatores: qui nobis cuncta Aristotelis explanant.
(1009) Et donc de cette façon (pour proposer cela comme exemple), le divin Thomas n’a pas compris, ni Osma, ni les autres commentateurs ce passage du livre 2 de l’Ethique à Nicomaque où il est dit : "voilà pourquoi il est inévitable que quand quelqu’un veut tenir le milieu, il commence par aller plus loin possible de ce qui lui est plus contraire, comme Calypso qui donnait cet avertissement 'mène ton navire en dehors de la fumée et du courant'". Quo igitur pacto (ut hoc uelut specimen proponam) non intellexit diuus Thomas: non osma: non caeteri interpretes, illud in.ii.Ethicorum: Quo circa (inquit) oportet: cum quis medium assequi uult: ante omnia longius abire a magis contrario. Vt calypso monebat dicens: Extra fumum et fluctum nauem adige.ARIST. Eth. Nic., 2, 9, 3
(1010) Mais ces mots, Calypso ne les dit pas dans Homère, et les commentateurs latins ne disent rien de vrai, alors que le plus grand des philosophes a utilisé une image proverbiale qui n’est pas inconnue des Grecs, plutôt qu’Homère, Odyssée 8 qui, décrivant en un long discours le danger de Scylla l’italienne et Charybde la sicilienne, nous montre Circé prévenant Ulysse d’avoir à plutôt mettre le cap sur Scylla que sur Charybde, parce qu’il est plus expédient de regretter six compagnons morts sur le rocher de Scylla que de voir d’un coup tout le monde périr avalé par les eaux fumantes que Charybde fait naître en frottant l’un contre l’autre de flots aux courants inverses. at id calypso non dicit apud homerum: nec commentatores latini quicquam ueri dicunt: cum summus philosophus usus fuerit imagine prouerbiali non ignota graecis: quam homerus odyss. Vii. scyllae italicae et charybdis siculae periculum multis uerbis describens. facit circem monentem Vlyxem: ut ad scyllam potius inflectat cursum quam ad charybdim propterea quod praestet sex e sociis desiderari extinctos in scyllae scopulo quam pariter omnes interire globis undarum fumigantibus absorptos: quos excitet charybdis fluctuum elisione ultro citroque concurrentium.
(1011) De même donc qu’Ulysse reçoit le conseil de naviguer entre Charybde et Scylla, de même entre deux périls il lui faut choisir le moindre et se diriger vers celui dans laquelle la perte est moindre ; de même, Aristote nous conseille de fuir le vice qui est le plus opposé au milieu lui-même, puisque, dans ces extrêmes, on commet une plus grande faute dans l’un que dans l’autre, et qu’il y a plus de perte à redouter dans l’un que dans l’autre. Vt ergo ulyxes monetur inter scyllam et charybdi nauigare ita ut e duobus periclis: id quod est leuius: eligat: et magis in eam uergat partem: ubi minus sit iacturae: ita aristoteles monet. ut magis id uitium fugiamus: quod ipsi medio magis sit oppositum: cum extremorum altero magis: altero minus peccetur: maiorque in uno quam in altero sit iactura.
(1012) Et il n’y a pas lieu de se troubler du fait que le vers que cite Aristote, Circé ne le prononce pas chez Homère, puisque Ulysse s’adressant au pilote du navire, en homme que Circé vient d’avertir, utilise précisément ce vers τούτου μεν καπνού καὶ κύματος ἐκτὸς ἔεργε νῆα ("loin de cette vapeur et de ce flot, éloigne ta nef"). Donc Argyropylos a bien raison d’écrire non pas Calypso mais Circé, puisque ce n’est pas Calypso qui le dit et que ne peut relever d’elle le conseil d’éviter des dangers dont Ulysse s’est déjà tiré, comme il saute aux yeux de celui qui a consulté Homère. Nec te conturbet: quod eum uersum: quem citat Aristoteles: apud homerum non dicat circe: cum eo mox ad nauis gubernatorem Vlyxes utpote a circe admonitus: utatur. tutu men capnu caicymatos ectos eerge nea.HOM. Od., 12, 219 recte ergo non calypso sed circe scripsit Argyropylus: cum nec calypso id dixerit: nec ad eam attinere eorum periculorum admonitio potuerit: quae iam Vlysses euasisset: ut planum est ei quae homerum uidit.
(1013) Donc, soit le manuscrit qui porte Calypso se trompe, soit la mémoire du philosophe lui a joué un tour. Aut ergo codex: ubi est calypso: mendosus est: aut philosophi memoria uacillauit.
(1014) Mais (même si notre digression à mon sens n’est pas inutile) si nous allions plus loin nous n’en finirions jamais. sed (quanquam non inutiliter ut arbitror: diuertimus) si hac excederemus: numquam esset finis.
(1015) Revenons à notre sujet. propositum repetamus.
(1016) Il ajoute donc et materies opulenta ("la riche matière") autrement dit abondante, uerbi ("de leur discours") autrement dit quand ils parlent, évidemment, fuit datum (fut donnée) autrement dit fut un don coeleste ("céleste) autrement dit de l’Esprit saint. igitur subdit: et materies opulenta id est abundans: uerbi: id est loquendi scilicet fuit datum id est donum: coeleste id est spiritus sancti.
(1017) noua origo ("nouvelle origine") autrement dit nouveau commencement uocis ("du langage"), autrement dit de la parole qui, évidemment la voix, autrement dit le fait de parler, est numerosa ("nombreuse") autrement dit multiple. noua origo id est nouum principium. uocis id est loquendi: quae scilicet uox id est locutio: numerosa id est multiplex.
(1018) (et una), évidemment voix, sufficit ("suffit") évidemment aux apôtres, loqui ("à parler") évidemment pour parler, c’est un trait de syntaxe grecque, autrement dit disertis ("aux orateurs"), autrement dit avec des orateurs, ex toto orbe ("venus du monde entier"). (et una) scilicet uox sufficit scilicet apostolis: loqui id est ad loquendum: syntaxis graeca id est disertis id est cum disertis ex toto orbe.
(1019) La parole apostolique avait cette puissance que, bien que les auditeurs fussent issus de races différentes, chacun entendait le discours proposé par l’apôtre selon sa propre langue et pouvait le comprendre. habebat hanc uim sermo apostolicus ut cum diuersarum gentium auditores essent: unusquisque secundum linguam suam unius sermonis ab apostolo prolati susciperet auditum et caperet intellectum.
(1020) (dudum) Il convient de connaître le passage de la Genèse si nous voulons comprendre ces vers. Il se présente ainsi : comme Noé, le juste et vrai adorateur de Dieu, avait mérité d’échapper grâce à l’arche à la dévastation causée par le déluge, avec sa femme, ses trois fils et ses brus en même nombre, peu de temps après, Moïse raconte comment naquit la diversité des langues : "il y avait, dit-il, sur toute la terre une seule langue et une seule manière de parler pour tous, et il arriva que, comme ils se déplaçaient depuis l’Orient, ils trouvèrent un campement sur la terre de Sennaar, et ils habitèrent à cet endroit et l’homme dit à son prochain : ‘venez, construisons nous une cité et une tour dont le sommet puisse atteindre le ciel, et faisons nous un nom avant de nous disperser sur toute la face de la terre'". (dudum) scire conuenit illud geneseos si haec uolu[21v]mus intelligere. est autem huiuscemodi: cum noe iustus ac uerus dei cultor meruisset per arcam a uastatione diluuii cum coniuge ac tribus filiis totidemque nuribus suis liberari: non longo interiecto tempore quomodo linguarum diuersitas nata sit narrat moses. Et eratGn 11, 1-4 inquit omnis terra labium unum et uox una omnibus: et factum est cum mouerentur ipsi ab oriente, inuenerunt campum in terra sennaar: et habitauerunt ibi. et dixit homo proximo suo: uenite edificemus nobismetipsis ciuitatem et turrim cuius caput eat usque ad coelum: et faciamus nobis nomen antequam dispergamur in faciem omnis terrae.Gn 11, 1-4
(1021) Mais comme l’ajoute peu après le prophète, le Seigneur les dispersa en confondant leur langue, de sorte qu’ils ne se comprenaient plus entre eux, et ainsi, une fois privé de l’échange de la parole et de la possibilité de se parler entre eux, ils renoncèrent à l’édification de la cité et de la tour. sed ut subiungit mox propheta: dispersit eos dominus confundens linguam eorum ita ut se inuicem non intelligerent: atque ita sublato loquendi seque inuicem tractandi commercio destiterunt ab aedificatione ciuitatis et turris.
(1022) Pour cette raison, le lieu d’où commença la dispersion des races fut nommé 'confusion'. Propter hoc locus ille unde coepit gentium dispersio: dictus est confusio.
(1023) De fait comme le dit Augustin au livre 16 de la Cité de Dieu : "la cité qui fut appelée ‘confusion’ c’est la cité même de Babylone, dont l’histoire profane même rapporte l’admirable construction. En effet Babylone veut dire ‘confusion’ ; et le géant Nemrod en fut le fondateur pour y avoir le siège de son royaume pour ainsi dire comme dans une capitale, comme rapidement et de façon peu claire le même Moïse l’a laissé entendre un peu auparavant. Nam ut inquit augustinus in sextodecimo libro de ciuitate dei: ista ciuitas quae appellata est confusio: ipsa est babylon: cuius mirabilis constructio gentium etiam historia comendatur. Babylon quippe confusio interpretatur: AVG. civ., 16, 4 cuius nembroth gigantem fuisse conditorem: ut ibi tanquam in metropoli esset regni habitaculum: breuiter et obscure paulo superius innuit idem Moses.
(1024) Donc des trois fils de Noé il commença à exister soixante-treize ou plus exactement, comme on en dira la raison, soixante-douze races et autant de langues, sur la terre, qui, en croissant, remplirent aussi les îles, bien que le nombre des races se fût accru bien plus que celui des langues. Ex illis igitur tribus hominibus noe filiis . Lxx. tres uel potius ut ratio declaratura est .Ixxii. gentes totidemque linguae per terras esse coeperunt: quae crescendo et insulas impleuerunt: quamuis numerus gentium auctus est multo amplius quam linguarum.
(1025) C’est parce que, comme le dit Augustin, nous connaissons en Afrique plusieurs races barbares qui ont la même langue. Quia ut ait augus. in africa barbaras gentes in una lingua plurimas nouimus.
(1026) Mais on me demandera : s’il n’y avait qu’une seule langue avant le déluge et un seule encore après le cataclysme, qui ne s’appelait ni romaine ni grecque, mais seulement humaine, parce que tout le genre humain l’utilisait, est-elle demeurée en quelque race, cette langue qui était humaine et commune à tous ? sed quaeret aliquis si una erat lingua ante diluuium et post cataclysmum quoque una quae dicebatur non romana non graeca: sed humana tantum quia uniuersum hominum genus illa utebatur: utrum illa in aliqua gente manserit quae erat humana et communis omnibus.
(1027) De fait, Augustin au livre 16 de la Cité de Dieu pense que cette langue originelle s’est maintenue chez les Hébreux : "quand on demande", écrit-il, "lors de la division des langues, où a pu subsister la langue qui était auparavant commune, sans aucun doute possible elle ne subsista pas là où eut lieu le châtiment qui s’opéra par le changement des langues ; que reste-t-il comme solution sinon le fait qu’elle subsista dans la race du nom de laquelle elle tira son nom et que cela est apparu comme un témoignage non négligeable de la justice de cette race, dans le fait qu’alors que toutes les autres races étaient frappés par le changement des langues, celle-ci ne fut pas atteinte par un tel supplice ? Et de fait il n’existe qu’une race hébraïque issue d’Héber et qui s’est poursuivie jusqu’à Abraham etc.". Profecto auguus. li. xvi. de ciuitate dei: illam in hebreis mansisse putat: Cum quaeriturAVG. civ., 16, 11, 2 inquit in diuisione linguarum ubi lingua illa remanere potuerit quae fuit ante communis: quae sine ulla dubitatione non ibi remansit. ubi fuit illa poena quae est facta mutatione linguarum: quid aliud occurrit nisi quod in huiusmodi gente remansit a cuius nomine nomen accepit? et hoc iusticiae gentis huius non paruum apparuisse uestigium: quod cum aliae gentes plecterentur mutatione linguarum: ad istam non peruenit tale supplicium?AVG. civ., 16, 11, 2 et certe una est hebrea gens ex heber propagata usque ad abraamAVG. civ., 16, 11, 3 et. c.
(1028) Parfois je ne renvoie aux auteurs que de manière ponctuelle pour ne pas trop allonger. Nonnunquam allego saltuatim authores ne longior sim.
(1029) Mais quant à ce qu’il faut à mon avis penser sur ce sujet, à savoir si la langue hébraïque et les Hébreux tirent leur nom d’Héber, je l’ai déjà montré plus haut. Or il se fait jour une ambiguïté qu’Augustin relève dans son Traité sur la Genèse : comment ces gens ont-ils pu être assez fous pour croire qu’ils allaient construire une cité et une tour qui irait jusqu’au ciel ? "Si, écrit Augustin, ils s’en crurent capables, ils encourent le reproche d’une excessive sottise et impiété et, parce que la punition de Dieu pour cette idée en a été la conséquence ; de sorte que leurs langues se sont divisées, il n’est pas absurde de croire qu’ils ont eu une idée pareille". Sed quid de hoc sit sentiendum ex mea sententia: utrum scilicet ab heber hebrea lingua uel hebrei dicantur supra ostendi. Occurrit autem ambiguitas quam citat Augustinus super genesin: quo pacto uidelicet potuit illorum esse hominum tanta stoliditas ut crederent se aedificaturum ciuitatem et turrim usque in coelum. Si seAVG. quaest. hept., 21 inquit augus. hoc posse crediderunt nimium stulta audacia et impietas deprehenditur et quia ob hoc dei uindicta secuta est ut eorum linguae diuiderentur: non absurde hoc cogitasse creduntur.AVG. quaest. hept., 21
(1030) Mais, poursuit-il, "qu’allait donc faire cette vaine insolence humaine ? Même si elle dressait la hauteur de sa construction autant qu’elle voulait vers le ciel contre Dieu, quand bien même aurait-elle traversé les hautes montagnes, quand bien même elle aurait pu sortir de l’espace des nuages dans l’air, en quoi pour finir aurait nui à Dieu quelque élévation spirituelle ou corporelle que ce soit ? L’humilité trace une route sûre et vraie vers le ciel en élevant son cœur vers le Seigneur et non contre le Seigneur". Sed quid factura fuerat humana et uana insolentia? quae et si quantumlibet in coelum aduersus deum altitudinem molis extolleret: quando montes transcenderet excelsos? quando spacium nebulosi aeris huius euaderet? Quid denique noceret deo quantacunque uel spiritualis uel corporalis elatio? Tutam ueramque in coelum uiam molitur humilitas sursum leuans cor ad dominum non contra dominum: ut idem ait.
(1031) Cela rend évident désormais le sens de ces vers. De fait la dispersion des langues s’est faite dans la tour, mais ce que l’orgueil a dispersé, l’humilité l’a réuni, dans l’orgueil de Babylone, il y eut confusio ("confusion") des langues, dans l’humilité des apôtres revint la concorde du langage parce qu’un seul idiome pour tout le monde fait que dudum ("jadis") autrement dit peu de temps auparavant, cum arca ("après que l’arche") évidemment de Noé, uetus ("antique") évidemment vieillie après tout ce temps écoulé et le cataclysme, cum superasset ("après qu’elle eut triomphé") autrement dit elle eut vaincu aquas aequoris ("les eaux de la mer") autrement dit les eaux profondes du déluge à l’image de la mer, maligni ("les méchants") autrement dit les orgueilleux uoluere ("voulurent"), mis pour uoluerunt proferre ("élever") autrement dit dresser suam turrim ("leur tour") in coelum ("au ciel"), autrement dit jusqu’au ciel, quibus ("eux à qui"), évidemment les hommes méchants qui s’étaient réunis pour construire la tour, corda impia ("les cœurs impies"), autrement dit les pensées mêmes de leur cœur impie et qui se rebellait contre Dieu secuere ("morcelèrent") mis pour secuerunt autrement dit divisèrent, modos sermonum ("les modulations de leurs langages"), autrement dit leurs idiomes variés, en soixante-douze modulations comme nous l’avons dit. unde liquidus iam patet sensus horum uerborum. Nam dispersio linguarum est facta in turre: sed quod dispersit superbia: recolligit humilitas. in superbia babylonica confusio fit linguarum: in humilitate apostolica redit concordia sermonis: unum quod labium omnium gentium efficit ut. (dudum) id est paruo tempore praeterito: cum arca scilicet noe: uetus scilicet post illud tempus transactum et cataclysmum uetustescens: cum superasset id est uicisset aquas aequoris id est aquas profundas diluuii instar aequoris: maligni id est superbi: uoluere pro uoluerunt: proferre id est erigere suam turrim: in coelum id est usque in coelum quibus scilicet hominibus malignis conuenientibus ad aedificationem turris: corda impia id est ipsae cogitationes cordium impiorum et contra deum bellantium: secuere pro secuerunt id est diuiserunt: modos sermonum id est idiomata uaria per duos et. Ixx. modos ut diximus.
(1032) Dieu en effet jeta la confusion dans leurs langues pour qu’ils ne se comprennent plus, à cause des pensées orgueilleuses par lesquelles ils croyaient qu’ils pourraient faire monter leur tour jusqu’au ciel. confudit enim linguas eorum deus ne se inuicem intelligerent ob cogitationes illas superbas quibus credebant se posse turrim producere usque in coelum.
(1033) Parce que, donc, en raison de ces pensées orgueilleuses, Dieu leur imposa le châtiment de la confusion, ipsa corda impia secuerunt modos ("leurs cœurs impie mêmes morcelèrent les modulations") de leur manière de parler, parce que ce fut pour leur tenir lieu de punition que cette séparation entre eux et cette confusion s’opéra. quia ergo ob superbas cogitationes allata fuit a deo poena confusionis: ideo ipsa corda impia secuerunt modos loquendi: quia in poenam illorum sectio illorum et confusio facta est.
(1034) Et c’est la raison pour laquelle il ajoute aussi affectus ("l’affection") autrement dit l’orgueilleux désir perit ("périt") autrement dit fut éteint évidemment par Dieu, sociis ("chez ces compagnons") autrement dit dans ces compagnons, superbis ("orgueilleux") évidemment au point de croire qu’ils élèveraient une tour jusqu’au ciel, cum uoce ("en même temps que la parole") autrement dit avec la langue. et ideo subdit et affectus id est superbum desiderium: perit id est extinctum est scilicet a deo: sociis id est in sociis superbis scilicet adeo ut crederent se turrim prolaturos in coelum: cum uoce id est cum lingua.
(1035) De fait, après qu’ils se furent parlés l’un à l’autre sans se comprendre, l’affection et le désir de bâtir une tour disparurent, puisqu’il n’y avait aucun moyen visible de produire cet effet absolument délirant. nam posteaquam alter alteri loquebantur nec se intelligebant affectio et desiderium turris erigendae cessauit: cum effectus stolidissimi nulla appareret uia.
(1036) Il dit turrim ("une tour"), comme le dit Augustin au livre 16 de la Cité de Dieu soit parce qu’il n’y avait qu’une seule tour sur laquelle ils travaillaient de préférence aux autres, soit parce que plusieurs tours sont désignées par un singulier comme on dit 'mille fois' et que l’on comprend des milliers de milliers, comme on dit 'la grenouille et la sauterelle' et on comprend une multitude de grenouilles et de sauterelles dans les plaies qui frappèrent les Egyptiens par l’entremise de Moïse. dicit autem turrim ut augus. ait. xvi. de ciui. dei: uel quia una erat turris quam praecipue moliebantur inter alias: uel quia plures quae per numerum singularem ita significatae sunt: ut dicitur milies et intelliguntur millia millium: ut rana et locusta et intelligitur multitudo ranarum et locustarum in plagis quibus aegyptii percussi sunt per moysen.
(1037) (Confusio) linguae fuit tunc ("la confusion des langues régna alors") autrement dit au moment où la tour se construisait, gente ("au milieu d’une race") autrement dit dans une race, consimili ("semblable") évidemment en orgueil et en impiété, nunc ("aujourd’hui") autrement dit dans le temps où l’Esprit saint a été envoyé vers les apôtres, est una pluribus ("est une pour plusieurs") évidemment diverses nations de la manière que j’ai dite, habitura ("qui aura") évidemment la langue unique, concordes sonos ("des sons concordants"), autrement dit des voix qui se comprennent et non plus différentes comme dans la tour, quoniam gaudet ("puisqu’elle se réjouit") évidemment la langue unique, imagine ("de l’image") évidemment de la beauté de l’image et de l’humilité, ecclesiae ("de l’Église"), autrement dit du rassemblement des fidèles uenientis ("qui vient") évidemment dans le monde, autrement dit l’Église à sa naissance et alors en train de naître dans le monde, ou autrement κατὰ προσωποποιίαν ("en utilisant une prosopopée") une seule langue, autrement dit unie dans la personne des apôtres, gaudet imagine ("se réjouit de l’image") autrement dit de la ressemblance, évidemment des langues, ecclesiae uenientis ("de l’Église qui vient") évidemment la ressemblance que l’on retrouve dans l’Église qui vient dans le monde. (Confusio) linguae fuit tunc id est in tempore quo aedificabatur turris: gente id est in gente consimili scilicet in superbia et impietate. nunc id est in tempore quo spiritus sanctus missus est ad apostolos: est una pluribus scilicet diuersarum nationum eo modo quo dixi: habitura scilicet una lingua: concordes sonos id est congruentes uoces: non differentes sicut in turri: quoniam gaudet scilicet lingua una: imagine scilicet pulchritudine imaginis et humilitate: ecclesiae id est congregationis fidelium: uenientis scilicet in mundum: hoc est ecclesiae premigeniae et tunc nascentis in orbe. uel aliter cata prosopopoiian: lingua una id est unita in apostolis: gaudet imagine id est simi[22r]litudine scilicet linguarum ecclesiae uenientis scilicet quae similitudo repperitur in ecclesia ueniente in mundum.
(1038) De fait, auparavant, toute langue et expression était une, commune et semblable ; cette ressemblance fut enlevée près de la tour, à cause de l’orgueil des hommes, mais maintenant à cause de l’humilité des apôtres (car on soigne un mal par son contraire) l’image revient avec l’identité des langues. Nam ante omnis lingua et locutio erat una et communis et similis: quae similitudo sublata est ad turrim ob superbiam hominum: at nunc ob humilitatem apostolorum (quia contraria contrariis curantur) redit imago et similitudo linguarum.
(1039) Parce que, donc, une langue jadis unique redevint à ce moment unique, elle semblait se réjouir en se voyant pour ainsi dire rétablie dans son état antérieur et dans l’antique image et identité avec laquelle elle avait été brouillée et dont elle avait été chassée par l’effet de l’impiété des mortels. quia ergo lingua olim una nunc redit una: ipsa uidebatur gaudere: sese quasi restitutam uidens in pristinum statum et in antiquam illam imaginem ac similitudinem: a qua fuisset perturbata et deiecta per impietatem mortalium.
(1040) De fait, près de cette tour de Babylone, les hommes commencèrent à tomber dans le culte de dieux multiples, dédaignant le culte du vrai Dieu unique ; cela fit aussi qu’il perdirent leur unique langue en punition d’une si grande impiété. Nam ad turrim illam babylonicam Coeperunt homines declinare ad cultum multorum deorum dimisso unius ac ueri dei cultu: unde et unam linguam amiserunt in poenam tantae impietatis.
(1041) Et maintenant, pour être rappelés par les apôtres à la religion du Dieu unique, ils entendirent une seule langue. At nunc reuocandi per apostolos ad religionem unius dei unam linguam audierunt.
(1042) (Pluribus) soit auditeurs issus de diverses races soit pluribus ("pour plusieurs"), évidemment langues, est una ("est une") langue et foecunda ("féconde") évidemment la langue, autrement dit multiple et nombreuse, fit redux ("elle redevient") autrement dit elle est restaurée dans son antique unité, identité et image, modestis ("chez des gens modestes") autrement dit par des gens modestes, pace ("dans la paix") autrement dit par les apôtres modestes et pacifiques ; comme jadis la langue fut divisée près de la tour de Babylone par des orgueilleux rebelles ou prêts à se rebeller contre Dieu, ainsi aussi ce mal trouve remède dans son contraire. (Pluribus) autem uel auditoribus diuersarum gentium: uel pluribus scilicet linguis: est una lingua. et foecunda scilicet lingua id est multiplex et numerosa: fit redux: id est reducitur in antiquam unitatem et similitudinem et imaginem: modestis id est a modestis pace hoc est ab apostolis modestis et pacificis: sicut olim lingua fuit diuisa ad turrim babylonicam a superbis et bellantibus aut bellare parantibus cum deo. et ita contraria contrariis remedium afferunt.
(1043) (Modestis) évidemment humbles ; de fait les Anciens désignent du nom de 'modestie' cette vertu que nos auteurs et les auteurs sacrés appellent humilité. (Modestis) autem scilicet humilibus. nam ea uirtus scilicet modestia dicitur ab antiquis: quam nostri authores et sacri humilitatem uocant.
(1044) (et ordo) humilis ("un humble collège") évidemment celui des apôtres recolligit ("rassemble à nouveau") autrement dit va rechercher, évidemment le lien des langues, quod ("ce que") le lien de l’unité de la langue, sparsere ("ont dispersé") autrement dit ont divisé, ont découpé, uiri tumidi ("des hommes pleins de suffisance") autrement dit orgueilleux, près de la tour de Babylone, quand les langues furent divisées en soixante-douze races et soixante-douze langues, comme nous l’avons dit. (et ordo) humilis scilicet apostolorum recolligit: id est repetit scilicet uinculum linguarum: quod unius linguae uinculum: sparsere id est diuisere secuerunt: uiri tumidi id est superbi ad turrim babylonicam: distributis linguis per duas et .Ixx. gentes ac duas et .Ixx. linguas ut diximus.
(1045) À ce propos, je pense que ce n’est pas sans quelque action divine que le roi Ptolémée pour traduire la sainte Ecriture recruta en Egypte soixante-douze traducteurs. Hinc etiam puto non sine diuino numine ad interpretationem sacrae scripturae duos et .Ixx. intepretes fuisse in aegypto assumptos a ptolemaeo rege.
(1046) Il dit recolligit ("rassemble à nouveau"), en prenant une métaphore des gens qui jettent le grain que d’autres rassemblent ensuite de nouveau ; de fait les langues étaient ensemble en une seule langue, autrement dit l’hébreu, comme le pense Augustin ; les orgueilleux les séparèrent et divisèrent en soixante-douze langues que les humbles apôtres rassemblèrent à nouveau et ramenèrent à l’unité, et il pourrait bien se faire que ce soit en se servant de l’hébreu qu’ils aient été compris par tous, comme, avant la tour, les hommes utilisaient l’hébreu, et tous comprenaient tout le monde et étaient compris par tous d’où qu’ils vinssent. dicit autem recolligit sumpta metaphora ab his qui grana spargunt quae alii recolligunt. Nam linguae erant simul in una lingua id est hebrea ut augus. arbitratur: has sparserunt et diuiserunt superbi in .lxxii. linguas: quas humiles apostoli recollegerunt et in unam reduxerunt: ac fortassis hebrea lingua utentes ab omnibus intelligebantur: ut ante turrim hebrea homines utebantur: et omnes intelligebant e diuersoque intelligebantur ab omnibus.
(1047) (Res Maxima :) Il explique pourquoi l’Esprit saint apparut aux apôtres sous l’aspect d’un feu le jour de la Pentecôte et, dans le Jourdain quand le Seigneur fut baptisé selon le récit de Matthieu, il se fit voir sous la forme d’une colombe. (Res Maxima:) reddit rationem cur spiritus sanctus apparuit apostolis in specie ignis in die pentecoste: et in fluuio iordanis cum dominus baptizatus est narrante matthaeo uisus est in specie columbae.
(1048) Mais, dit-il, je vais pouvoir donner la raison d’une réalité si grande et d’un si grand mystère, quand l’Esprit saint lui-même m’aura donné ses dons et son feu ; s’il m’éclaire, les deux réalités s’expliqueront clairement ; après l’invocation de l’Esprit saint, il dit que, lors du baptême, l’Esprit saint est apparu sous la forme d’une colombe, parce que l’Esprit saint donne la simplicité aux baptisés, simplicité qu’illustre la colombe ; ce qui fait que nous comparons les gens innoffensifs, bons et simples, aux colombes, et fait aussi que Juvénal dit dat ueniam coruis : uexat censura columbas ("la censure pardonne aux corbeaux, mais tourmente les colombes") ; c’est ce qui fait aussi que nous lisons chez Matthieu "soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes". De même en effet que le serpent, en se faufilant dans des lieux étroits, se renouvelle en muant de son ancienne peau, de même grâce à la régénération du baptême, celui qui entre dans l’eau dépouille l’homme ancien et revêt la simplicité de la colombe après avoir déposé la défroque du serpent. Verum inquit rei maximae maximique mysterii causam dare tum potero cum ipse spiritus sanctus sua dona et suum ignem mihi dederit: quo illustrante facile utrunque patebit. post inuocationem spiritus sancti ait in baptismate ideo in specie columbae apparuisse Spiritum sanctum: quia Spiritus sanctus baptizatis dat simplicitatem: quam prae se fert columba auis. unde innocentes bonos simplices columbis comparamus. unde luue. dat ueniam coruis: uexat censura columbas.IVV. 2, 63 Vnde etiam apud matthaeum legimus Estote prudentes sicut serpentes: simplices sicut columbae.Mt 10, 16 Vt enim serpens per angustias se coarctans ueteri tunica exutus innouatur: ita per baptismatis regenerationem ingrediens ueterem exuit hominem: columbae simplicitatem induit deposito serpentis indusio.
(1049) Or, si c’est sous l’aspect d’un feu que l’Esprit saint s’est montré quand il est venu sur les apôtres, c’est parce que, voulant en faire des docteurs et des maîtres adaptés pour toutes les nations, non seulement il leur enseigna toutes les langues et leur accorda en abondance la connaissance indispensable, mais encore il enflamma leur cœur d’amour divin, pour qu’ils ne soient plus froids ou tièdes dans leur enseignement, mais brûlants, après avoir chassé la tiédeur de la paresse ; et, après avoir repoussé le froid de l’inertie, l’Esprit saint exprima extérieurement ce qu’il faisait intérieurement, parce qu’il veut que ses docteurs soient des âmes de feu. D’où vient que nous lisons dans le Siracide à propos d’Elie que le zèle de l’amour divin enflammait : "Elie se leva comme un feu et ses paroles brûlaient comme une petite torche" et le même Elie, selon le récit de l’Histoire sainte dans le livre des Rois, fut emporté sur un char de feu et transporté dans le paradis. Ideo autem in specie ignis cum uenit ad apostolos: spiritus sanctus conspectus est: quia uolens illos esse doctores ac magistros omnium gentium idoneos: non solum docuit eos cunctas linguas: cognitionemque necessariam abunde illis tribuit: uerum etiam corda eorum inflammauit amore diuino ut non essent frigidi aut tepidi in docendo sed feruentes et flammei pulso ignauiae tepore: amotoque inertiae frigore Foris ergo spiritus sanctus in igne expressit id quod intus gerebat: quia uult doctores suos esse ignitos. Vnde in. eccl. legimus de helia zelo diuini amoris succenso: Surrexit helias quasi ignis: et uerba eius quasi facula ardebant: Idem quoque Helias ut in libris regum tradit sacra historia: assumptus est curru igneo et in paradisum translatus.
(1050) Donc le divin Grégoire dit à juste titre dans son homélie sur la Pentecôte : "l’Esprit saint apparut en langues de feu pour que les docteurs aient une langue de feu, et, en prêchant Dieu, par l’amour qu’ils enflamment le cœur des auditeurs ; car la parole de celui qui enseigne ne fait rien si elle n’a pas la force de provoquer un incendie d’amour". Recte ergo diuus Gregorius in homilia pentecostes: in linguis inquit igneis apparuit spiritus sanctus ut linguas igneas doctores habeant: dumque deum amando praedicant ut corda audientium inflamment. Nam ociosus est sermo docentis: si praebere non ualet incendium amoris.GREG. M. in euang., 30, 5
(1051) Et Horace ne dit pas sans pertinence "la nature commence par nous former intérieurement à toute forme de fortune : elle nous assiste ou nous porte à la colère, ensuite elle exprime les mouvements de l’esprit en les traduisant dans la langue". Nec horatius absurde format (inquit) natura prius nos intus ad omnem fortunarum habitum: iuuat aut impellit ad iram: post effert animi motus interprete lingua. HOR. ars, 108-110
(1052) Si donc le Maître de vérité veut que je brûle du feu de l’Esprit divin et que je m’enflamme d’amour pour le Ciel, il est inévitable qu’il soit le premier à brûler ; et si il est couché, s’il dort, s’il ronfle, s’il manque d’affect et de feu, l’auditeur aussi, c’est inévitable, restera froid. Arator explique ici les deux figures, feu et colombe, qui représentent la force de l’Esprit saint en disant (Res maxima) autrement dit un très grand mystère cogit ("oblige") évidemment moi, dit Arator, non reticere diu ("à ne pas taire plus longtemps") autrement dit longuement, mais au contraire à dire et divulguer tout de suite, quid sit ("ce qui fait") autrement dit quelle est la cause quod ("que") autrement dit pour laquelle spiritus almus ("l’Esprit nourricier") autrement dit saint his ("à ceux-ci") évidemment les apôtres datur ("est donné") évidemment le jour de Pentecôte in flamma ("en une flamme") autrement dit sous l’aspect du feu et de la flamme comme nous l’avons dit ; et évidemment il est donné columba ("en une colombe") autrement dit sous forme de colombe, autrement dit à l’image d’une colombe, ab amne ("dans les eaux") évidemment dans le Jourdain, autrement dit l’Esprit saint s’y montra sous la figure d’une colombe quand le Seigneur fut baptisé comme le racontent Matthieu et Luc. Si ergo magister ueritatis uult me ardere igni spiritus diuini: et coelesti amore flagrare: ipse prius ardeat necesse est. Quod si ille iacet dormit: stertit: caret affectu et igne: auditor quoque frigescat necessum est has duas et ignis et columbae figuras uim spiritus sancti notantes Arator hic explicat: cum ait (Res maxima) id est maximum mysterium: cogit scilicet me ait Arator: non reticere diu id est diuturno tempore sed statim declarare et efari: quid sit id est quae causa sit: quod id est ob quam spiritus almus id est sanctus: his scilicet apostolis: datur scilicet in die pentecostes: in flamma id est in specie ignis et flammae ut diximus: et scilicet datur columba id est in columba hoc est in similitudine columbae: ab amne: scilicet fluuio iordanis: hoc est ab illo loco spiritus sanctus uisus est in figura columbae cum dominus batipzatus fuit ut Mattheus et Lucas narrant.
(1053) Quod ("ce que") autrement dit quelle cause et raison pour lesquelles l’Esprit saint s’est montré sous ces figures, tum canam ("maintenant je chanterai") autrement dit je dirai et je ferai connaître rite ("comme il faut") autrement dit correctement ou selon le rite qui convient, et soluam promissa debita (" et j’accomplirai les promesses dues") évidemment déjà au début de cet ouvrage, quand Arator a promis qu’il ferait connaître non seulement l’histoire des apôtres mais aussi le mystère qui s’y cache : Alternis reserabo modis quod littera pandit et res siqua mihi mystica corde datur ("en modes alternés je divulguerai ce que révèle la lettre et la réalité spirituelles’il m’est donné d’en découvrir une en mon cœur"). Ce que donc Arator a promis au début est une dette pour laquelle un homme de bien doit fournir ce qu’il a promis seulement verbalement et à quoi il s’est engagé en dehors de son obligation ; un juste n’est pas moins engagé par sa parole qu’un injuste par la production à titre de témoin d’un notaire. Quod . idest. quam causam et rationem cur spiritus sanctus in his figuris uisus est: tum canam id est dicam et declarabo: rite id est recte uel secundum ritum congruentem: et soluam promissa debita scilicet iam a principio huius operis: cum Arator promisit se declaraturum non solum historiam apostolicam sed etiam latentia mysteria: Alternis reserabo modis quod littera pandit et res siqua mihi mystica corde datur.ARATOR ad Vigil., 21-22 Hoc ergo quod Arator promisit in principio est debitum: propterea quod bonus uir debet praestare quod nudo uerbo promittit et citra stipulationem spondet: Et non minus obligatur iustus uerbo quam tabellionis contestatione inius[22v]tus.
(1054) C’est pourquoi il dit (tunc rite canam :) et évidemment tunc soluam promissa debita ("alors j’accomplirai les promesses dues") comme si (métaphoriquement) le lecteur était son créancier, soluam ("j’accomplirai") autrement dit je fournirai, si ferat ("s’il accorde") autrement dit s’il apporte, évidemment l’Esprit saint, à mon esprit sua dona ("ses dons") autrement dit sa grâce et son illumination. ideo ait (tunc rite canam:) et scilicet tunc soluam promissa debita quasi creditori legenti (per metaphoram) soluam: id est praestabo: si ferat id est afferat scilicet menti meae spiritus sanctus: sua dona id est gratiam suam et illuminationem.
(1055) haec signa sunt duo : figurae ("ces deux signes sont des figures") évidemment les deux sous lesquels l’Esprit saint s’est rendu visible, évidemment la colombe et le feu, ut sit simplicitas ("pour exprimer la simplicité") évidemment dans celui qui possède l’Esprit saint, cette simplicité, ales ("l’oiseau"), évidemment la colombe, congrua ("adapté") autrement dit qui convient avec la réalité qu’il désigne diligit ("aime"), parce que la colombe aime la simplicité et l’innocence que l’Esprit saint donne à ceux sur qui il descend. Il est donc bien que la colombe soit le signe de la simplicité qu’il aime quand il devient un oiseau innocent, qui montre, par son bec, sa manière de se déplacer et ses gestes, sa simplicité ; mais au contraire, le corbeau rapace et violent est signe de rapacité et de violence, comme le renard rusé l’est de la ruse, donc l’Esprit saint s’est montré à juste raison sous cet aspect. haec signa sunt duo: figurae scilicet duplicis in qua spiritus sanctus uisus est: scilicet columbae et ignis: ut sit simplicitas scilicet in habente spiritum sanctum: quam simplicitatem: ales id est auis scilicet columba: congrua id est conueniens cum re quam signat: diligit. quia columba diligit simplicitatem et innocentiam quam dat spiritus sanctus iis supra quos descendit. bene ergo columba est signum simplicitatis quam amat: cum fit auis innocua et rostro et motu et actibus simplicitatem ostendens. At contra coruus rapax uiolentusque rapacitatis uiolentiaeque signum est: ut uulpes astuta astutiae: merito spiritus sanctus in hac specie apparuit.
(1056) (Quae nec.) voici l’ordre et le sens : pariter ("également") autrement dit avec la simplicité de la colombe, fit ("advient"), évidemment dans celui qui possède et accueille l’Esprit saint fides succensa ("la foi ardente") autrement dit enflammée par le feu de l’amour divin, ainsi l’Esprit saint s’est montré sous l’aspect d’un feu ; et c’est la seconde figure et le second signe quae ("qui") évidemment la foi nec tarda ("sans traîner") autrement dit qui n’est ni paresseuse, ni inerte, ni frileuse, nec gerat tepores ("ne produise que tiédeur"), autrement dit la tiédeur, ou, par rapprochement la paresse du froid. De fait, ils sont tièdes ni chauds, ni froids ; ces gens sont inertes, paresseux, plongés dans la torpeur et nullement aptes à enseigner ; voilà pourquoi il ajoute sine igne ("sans le feu"), autrement dit sans flamme, dogmatis ("de la doctrine") autrement dit le décret divin, évidemment cela désigne la loi divine et évangélique. (Quae nec.) ordo est et sensus: pariter idest simul cum simplicitate columbae: fit scilicet in habente spiritum sanctum et accipiente: fides succensa id est inflammata igne amoris diuini ideo in specie ignis spiritus sanctus apparuit: et est secunda figura et secundum signum: quae scilicet fides nec tarda id est non pigra non iners non frigida: nec gerat tepores id est tepiditatem uel frigoris ignauiam a uicino. nam tepidi sunt nec calidi nec frigidi. hi autem sunt inertes ignaui torpentes et nequaquam apti ad docendum: ideo subdit: sine igne id est sine inflammatione: dogmatis id est decreti diuini. scilicet hoc est legis diuinae et euangelicae.
(1057) Et ne vous étonnez pas que la négation nec soit répétée deux fois ; en effet nous montrerons que cela se trouve chez Arator, quoiqu'il soit tout à fait amoureux de brièveté. Nec mireris: quod illa negatio nec bis repetitur. hoc enim frequenter ostendemus inueniri apud Aratorem breuitatis perquam studiosum.
(1058) (ibi) évidemment l’Esprit saint se montrant sous l’aspect d’une colombe, destinat ("prépare") autrement dit choisit unanimes ("les hommes d’un même cœur") autrement dit les chrétiens qui vivent dans la concorde évidemment, undis ("aux eaux") évidemment du baptême, par lesquelles sont régénérés les fils de Dieu et, par cela, sont tous des frères, eux dont le seul Père est dans les cieux. (ibi) scilicet in specie columbae apparens spiritus sanctus: destinat id est decernit: unanimes id est concordes christianos scilicet undis scilicet baptismatis: quibus regenerati sunt filli dei: ac per hoc omnes fratres quorum unus est pater in coelis.
(1059) Bien qu’on puisse parler de frères selon la nature, comme Pierre est le frère d’André et Jean, celui de Jacques, et Jude, celui de l’autre Jacques, ou bien encore que l’on nomme frères des gens qui appartiennent à la même race, comme les Israélites, ou par la parenté comme on désignait les frères du Seigneur ou de Marie la mère de Dieu, ou par l’affection charnelle comme du seul Adam notre premier parent tous les hommes sont nés, cependant ils sont tout particulièrement frères ceux que la παλιγγενεσία, autrement dit la régénération baptismale, rend frères issus d’un unique père, et ses rejetons au sens le plus strict. Quamuis autem fratres natura dicantur ut petrus frater andreae: et loannes iacobi: et iudas alterius iacobi: aut aliter fratres appellentur qui sunt eiusdem gentis ut israelitae: aut cognatione ut qui fratres domini uel mariae deiperae uocabantur: aut affectu quoque carnali ut ex uno adam protoplasto cuncti nati: tamen maxime fratres sunt quos baptismatis palingenesia hoc est regeneratio facit germanos unius parentis uere ac propriissime germina.
(1060) (Hic) ("celui-ci") autrement dit l’Esprit saint se rendant visible sous la forme du feu iubet ("ordonne") évidemment aux apôtres, docentes ("enseignants") autrement dit docteurs et maîtres de toutes les nations, flagrare ("d'être ardents")autrement dit brûler ore ("de leur bouche") évidemment enflammée, comme l’Esprit saint s’est montré au-dessus d’eux sous la forme d’un feu. (Hic) id est in specie ignis apparens spiritus sanctus. iubet scilicet apostolos: docentes id est doctores ac magistros omnium gentium: flagrare id est ardere: ore scilicet ignito sicut spiritus sanctus in ignis specie supra ipsos apparuit.
(1061) Mentibus ("dans les cœurs ") évidemment ceux des apôtres, instat amor ("l’amour presse") autrement dit demande avec insistance, sollicite, pour que sous l’effet de l’amour du troupeau divin ils enseignent avec ferveur et ardeur, ardor ("l’ardeur") autrement dit la chaleur pour enseigner, aestuat ("bouillonne") autrement dit brûle, Sermonibus ("dans les discours") évidemment ceux des apôtres et leur doctrine, comme nous l’avons dit plus haut ; c’est ce qui fait dire au Maître de vérité dans l’évangile de Luc : "je suis venu envoyer un feu sur la terre, et quel est mon désir sinon qu’il soit allumé ?". De fait, le feu ardent de l’Esprit saint dans les discours des apôtres allumait un feu dans le cœur des fidèles. Mentibus scilicet apostolorum: instat amor id est sollicitat incumbit ut amore diuini gregis feruide et ardenter doceant. ardor id est calor docendi: aestuat id est ardet: Sermonibus scilicet apostolorum et doctrina ut supra diximus. unde doctor ueritatis apud lucam Euange. Ignem ueni mittere in terram: et quid uolo nisi ut accendatur?Lc 12, 49 Nam ignis spiritus sancti ardens in sermonibus apostolorum ignescebat in cordibus fidelium.
(1062) Puisqu’il y a quatre réalités qu’il nous faut aimer grâce à la charité, Dieu, notre âme, le prochain et le corps du prochain, il est évident que dans une seule dilection tous les biens sont contenus : "de même" (dit Grégoire) "que les nombreuses branches d’un arbre procèdent d’une seule racine, de même de nombreuses vertus sont engendrées par la seule charité" ; d’où vient que l’Apôtre, en 1 Timothée, déclare : "le but de notre enseignement, c’est la charité". Cum autem sint. iiii. per charitatem diligenda: deus: anima: proximus: et corpus proximi: manifestum est in una dilectione cuncta bona contineri. sicut (inquit Gregorius) multi arboris rami ex una radice prodeunt: sic multae uirtutes ex una charitate generantur. unde apostolus in prima ad timot. epistola Finis inquit praecepti est charitas.1 Tm 1, 5
(1063) Ce n’est donc pas sans raison que le poète dit amor ("l’amour") infusé dans le cœur des apôtres, instat ("presse") et pousse les apôtres pour qu’ils se gagnent tous les hommes, s’exposent aux dangers et aux tortures pour le salut des âmes, comme le leur avait aussi prescrit leur Maître, Jésus, dans l’évangile de Jean : "tel est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis". Ergo non immerito dixit poeta: amor infusus in corda apostolorum instat et urget apostolos ut omnes homines lucrifaciant: seque periculis et tormentis exponant pro animarum salute sicut iesus quoque magister apud loannem Euange. praeceperat: Hoc est praeceptum meum ut diligatis inuicem sicut dilexi uos. Maiorem hac dilectionem nemo habet quam ut animam suam ponat quis pro amicis suis.Jn 15, 12-13
(1064) Il ne fait pas non plus passer sous silence ce que le divin Thomas dans la Tertia rapporte au sujet de l’aspect de la colombe sous lequel l’Esprit saint s’est rendu visible. De fait, de la même manière que nous rapportions ci-dessus les sept dons de l’Esprit à sept vertus du feu, avec lesquelles ces dons, à savoir la sagesse, la science, le conseil, l’intelligence, la piété, le courage et la crainte de Dieu, sont en rapport direct, de même aussi le divin Thomas rapproche d’une certaine manière sept traits naturels de la colombe des sept dons de l’Esprit saint dont je viens de parler, et il affirme que c’est en raison de cette similitude avec les présents de l’Esprit saint que celui-ci s’est rendu visible sous la forme d’une colombe. Illud autem non est mittendum: quod diuus thomas in tertia parte refert de specie columbae: in qua spiritus sanctus uisus est. Nam sicut septem spiritus munera ad septem ignis uires supra referebamus: quibus consentiunt dona illa scilicet sapientia: scientia: consilium: Intellectus: pietas: fortitudo: timor: ita quoque diuus thomas naturam columbae quodammodo septemplicem accommodat septem spiritus sancti donis paulo ante memoratis. ob quam silitudinem congruentem muneribus spiritus sancti affirmat ille in specie columbae ipsum uisum fuisse.
(1065) La colombe vit habituellement près des eaux, dans laquelle elle peut voir l’ombre de l’épervier et plonger en échappant ainsi à son ennemi ; cette prudence de la colombe renvoie au premier don de l’Esprit saint. De fait, quiconque a reçu le don divin de la sagesse, s’attachant aux flots de la divine Écriture, voit en eux les attaques, les ruses et les pièges de la puissance contraire. En plongeant en eux il évite avec une extrême facilité son ennemi le diable. solet autem columba ad aquas sedere: in quibus et accipitris umbram uidet: et mergitur hostem facile euadens: quae columbae cautio primum spiritus sancti munus designat. Nam quisque sapientiae donum diuinitus accepit: fluentis diuinae scripturae libenter adherens uidet in illis incursus: dolos atque insidias potestatis contrariae. Illis etiam mersus hostem diabolum facillime uitat.
(1066) L’oiseau en question choisit aussi les grains les meilleurs, renvoyant ainsi au don de science dont jouissent les saints quand, en recevant les meilleurs sentences avec un esprit sain et totalement dépourvu de détours, ils se nourrissent de la nourriture céleste ; on peut aussi dire que cet oiseau très doux se nourrit de grain et non de viande, montrant ainsi que ceux sur lesquels a soufflé l’Esprit saint fuient les chairs de la médisance, pour se nourrir de préférence des grains des vertus et des bons exemples. Eligit quoque eadem auis grana potiora notans scientiae donum: quo tunc uiri sancti fruuntur: cum optimas quasque sententias sano sensu ac minime contorto percipientes spiritali cibo nutriuntur. Vel pascitur granis non autem carnibus ales mittissima ostendens spiritu sancto afflatos carnes detractionis fugere: pasci uero libentissime granis uirtutum ac bonorum exemplorum.
(1067) Mais on dit aussi que la colombe nourrit les petits des autres oiseaux, faisant ainsi montre du don de conseil, selon ce mot de l’Apôtre en 1 Thessaloniciens : "nous somme devenus au milieu de vous comme une nourrice envers ses enfants". Ceux, en effet, qui sont largement pourvus du conseil divin changent en bien de nombreux criminels, de vrais fils du prince des démons, qu’ensuite ils nourrissent, grâce à l’aliment des divines lettres et en proposant de bonnes œuvres à imiter. At etiam alienos dicitur pullos pascere columba donum consilii prae se ferens secundum: illud apostoli in prima ad the. epistula facti sumus inquit in medio uestri tanquam si nutrix foueat filios suos.1 Th 2, 7 Multos enim facinorosos tanquam daemoniarchae pullos in bonum uertunt praestantes coelesti consilio: quos deinde pabulo diuinarum litterarum: ac propositis alunt operum imitabilium pascuis
(1068) Quant à son bec doux et totalement incapable de déchirer, que représente-t-il d’autre que le don d’intelligence ; ceux qui le possèdent ne déchirent pas le sens des saintes Ecritures, à la manière des hérétiques, et ne le pervertissent pas de leurs interprétations spécieuses. quid autem rostrum illud mansuetum et ad lacerandum minime aptum aliud significat quam donum intellectus: quod qui habent nec more haereticorum sacrae scripturae lacerant sensus detorquentue: nec subdolis interpretationibus peruertunt:
(1069) De plus, ne pas avoir de fiel pour la colombe, c’est abonder en piété et n’éprouver l’amertume d’aucune haine ou colère. Iam uero felle carere columbam: pietate abundare: et omni odii atque irae amaritudine carere est.
(1070) Faire son nid dans la pierre, c’est dans l’adversité, grâce au don de force, placer son nid, son espérance et son refuge dans le Christ, qui est la pierre d’absolue solidité et qui ne cède devant quelque torture ou danger de mort que ce soit. C’est pourquoi on dit dans le Cantique : "Lève-toi mon amie, ma beauté et viens ma colombe dans les anfractuosités de la pierre". Le Christ, en effet, qui est la pierre, a été percé, et ce sont les cinq plaies qui sont la parure et les signes de son admirable triomphe, et dans lesquelles l’esprit naguère inquiet, autrement dit sujet au changement, se repose. Nidificare in petra est in rebus aduersis fortitudinis munere ponere nidum et spem et refugium in christo qui petra est firmissima et quibusuis tormentis uel mortis periculis cedere nescia. Quocirca in canticis: surge inquit sponsus amica mea speciosa mea et ueni columba mea in foraminibus petrae.Ct 2, 13-14 Habet enim Christus qui petra est: foramina illa et quinque uulnera praeclari triumphi decora et insignia: in quibus inquietus antea animus id est mutabiliter conquiescit.
(1071) Pour finir, la colombe ne chante pas mais gémit, signifiant ainsi le don de crainte de Dieu ; quand ils en sont remplis, les gens pieux sont baignés de flots de larmes, en lavant leurs péchés dans les gémissements et les sanglots. Ainsi en effet dit Isaïe : "nous gronderons tous comme des ours et comme des colombes, quand nous réfléchirons, nous gémirons" ; Paul aussi, dans la lettre aux Romains, dit : "l’Esprit saint lui-même demande en notre faveur en des gémissements inexprimables". Et la raison ne semble pas différente quand l’Esprit saint est apparu dans la transfiguration du Christ sous la forme d’une nuée, indiquant ainsi évidemment une abondance de larmes. De fait, "l’Esprit du Seigneur planait sur les eaux", et le psalmiste dit aussi "son esprit soufflera et les eaux couleront" ; en effet comme, à l’arrivée de l’Auster, les nuées lourdes de pluie éclatent en averses, de même, à la venue proche de l’Esprit saint et au moment où il pénètre les esprits pieux, les larmes coulent en grande abondance. C’est ce qui fait que nous lisons dans le Cantique : "lève-toi, Aquilon, viens, Auster, souffle sur mon jardin et que coulent ses parfums", autrement dit les larmes aux parfums les plus suaves. En outre ce qu’il faut dire du fiel de la colombe, il nous faudra l’expliquer en son lieu et place, autrement dit au point 16 de ce premier livre. Denique non cantat sed gemit columba donum timoris significans. quo re[23r]ferti homines pii lachrymarum fontibus rigantur peccata gemitibus et singultibus diluentes. Ita enim Esaias RugiemusEs 59, 11 inquit quasi ursi omnes: et quasi columbae meditanter gememus.Es 59, 11 Paulus quoque ad Romanos scribens: Ipse spiritus sanctus postulat pro nobis gemitibus inenarrabilibus.Rm 8, 26 Nec uidetur dissimilis ratio: cum spiritus sanctus in christi metamorphosi in specie nubis, apparuit denotans scilicet abundantiam lachrymarum. Nam spiritus domini ferebatur super aquas:Gn 1, 2 Et psalmographus quoque flabitPs 147, 7 inquit spiritus eius et fluent aquae.Ps 147, 7 sicut enim aduentu austri in imbres nubes pluuia grauatae resoluuntur: sic spiritu sancto accedente propius atque ingrediente mentes pias lachrymae funduntur uberrimae. Hinc in canticis legimus surge aquilo et ueni auster: perfla hortum meum et fluant aromata illius:Ct 4, 16 hoc est suaue olentissimae lachrymae. Caeterum quid sit de felle columbae dicendum suo in loco hoc est in. xvi. huius primi libri sectione aperiam
(1072) (Hos etiam.) Au chapitre 2, Luc raconte que certains furent étonnés d’une telle abondance de langage dans la bouche de chaque apôtre, mais que d’autres, des impies et des gens sans religion, dirent par manière de moquerie "ceux-là sont pleins de vin doux" ; et, bien que ces moqueurs eussent menti quand ils disaient que les apôtres étaient ivres, et que Pierre les confondit en disant "ce n’est pas ce que vous croyez, ils ne sont pas ivres puisque ce n’est que la troisième heure", comme s’il voulait dire qu’ils n’avaient encore rien mangé ni bu, puisque personne ne mangeait ou buvait à la troisième heure, en prenant cependant les choses dans un autre sens, ils disaient vrai, autrement dit en comprenant leurs paroles comme un type et un symbole mystique ; car il n’étaient pas pleins du vin vieux qui fit défaut aux noces de l’Église, mais du vin doux de la grâce spirituelle. Désormais en effet le vin nouveau était venu dans les outres neuves, puisque les apôtres faisaient retentir les merveilles de Dieu non dans la vieillesse de la lettre, mais dans la nouveauté de l’Esprit de Dieu. (Hos etiam. ) In. ii.capite narrat lucas nonnullos obstupuisse tam multiplicem in singulis apostolis locutionem. Aliquos uero impios scilicet et irreligiosos per irrisionem dixisse: quia musto pleni sunt isti.ac 2, 13 Et quamuis hi irrisores mentiebantur: cum dicerent apostolos esse ebrios: quos confutans petrus dixit non sicut uos existimatis: hi ebrii sunt. cum sit hora diei tertia ac 2, 15 quasi uellet dicere eos adhuc nihil edisse aut bibisse cum hora tertia nemo ederet biberetue: alia tamen ratione uerum dixerunt: id est typice intelligendo et mystice uerba eorum. quia non uino ueteri quod in nuptiis ecclesiae defecit: sed musto gratiae spiritualis erant iam pleni. Iam enim uinum nouum in utres nouos uenerat: cum apostoli non in literae uetustate sed in nouitate spiritus dei magnalia resonarent.
(1073) De là vient que le psalmiste, prophétisant au sujet des apôtres dit : "ils seront ivres de l’abondance de ta maison et tu les feras boire au torrent de ta volupté" ; de même que les personnes ivres ne tiennent aucun compte de la honte et des moqueries et ne sont touchées ni par les dangers ni par quelque dépense, ainsi les apôtres, ivres d’amour divin n’étaient perturbés par aucune perte, aucune persécution, aucune insulte ; bien plus, ils allaient tout joyeux loin du Conseil puisqu’ils ont été jugé dignes de souffrir l’injure pour le nom de Jésus. "Qui", écrit Paul aux Romains, "nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le glaive ? Comme il l’a été dit : ‘à cause de toi nous sommes mortifiés tout le jour, on nous prend pour des brebis d’abattoir’ mais en tout cela nous l’emportons à cause de celui qui nous a aimés". Hinc dixit psalmographus uaticinans de apostolis: Inebriabuntur ab ubertate domus tuae: et torrente uoluptatis tuae potabis eos.Ps 35, 9-10 Vt autem Temulenti spernunt obprobria et irrisiones: nec periculis nec ullis dispendiis mouentur: sic apostoli amore diuino ebrii nullis damnis: nullis persecutionibus subsannationibusue quatiebantur. Immo uero ibant gaudentes a conspectu consilii: quoniam digni habiti sunt pro nomine lesu contumeliam pati. QuisRm 8, 35-37 (inquit paulus ad romanos scribens) nos separabit a charitate christi? Tribulatio: an angustia: an persecutio: an fames: an nuditas: an periculum: an gladius? Sicut scriptum est quia propter te mortificamur tota die. aestimati sumus sicut oues occisionis. sed in his omnibus superamus propter eum qui dilexit nos.Rm 8, 35-37
(1074) (Error) évidemment celle de ceux qui raillaient les apôtres, uerus ("véridique") évidemment si on la rapporte au mystère, ait ("dit") évidemment sur le mode de la raillerie hos ("que ces hommes"), évidemment les apôtres, moueri musto ("sont poussés par un vin doux") autrement dit par un vin nouveau, évidemment pour parler en langues diverses, quos ("eux que") évidemment les apôtres, doctrina ebria ("la sagesse ivre"), autrement dit au sens actif enivrante, poli ("du ciel"), autrement dit de l’Esprit saint, compleuit fonte ("a emplis à la source") autrement dit de l’abondance, recenti ("récente"), autrement dit nouvelle et fraîche comme un vin doux. (Error) scilicet apostolos irridentium: uerus scilicet si referatur ad mysterium: ait scilicet per irrisionem hos scilicet apostolos moueri musto id est uino nouo scilicet ad loquendum uariis linguis: quos scilicet apostolos: doctrina ebria id est inebrians actiue: poli scilicet coeli hoc est spiritus sancti: compleuit fonte id est abundantia: recenti id est noua et mustea.
(1075) Mais on me dira : "si c’est un error ("une erreur") comment peut-il être uerus ("véridique") ? Et si c’est véridique, comment cela peut-il être une erreur ou un mensonge ? Arator explique uerus ("véridique") évidemment typica ratione ("en un sens symbolique") et mystique ; autrement il y avait erreur et mensonge dans le sentiment qu’ils avaient. De fait, quand ils disaient que les apôtres étaient plein de vin doux et ivres, au sens propre ils se trompaient et mentaient ; au sens mystique, en revanche, ou typologique ou figuré, ils disaient vrai. Donc, dans cet unique et même énoncé, il y a en réalité une contradiction qui se rapporte à des réalités diverses : de fait, au sens propre, c’est bien une erreur, et pourtant au sens mystique cette erreur était véridique. Sed dicet aliquis si error quomodo uerus? Si uerus quomodo error aut mendacium? Arator declarat: uerus scilicet typica ratione et mystica: alioquin in sensu eorum error erat et mendacium. Nam cum dicebant apostolos esse musto plenos et temulentos in sensu proprio errabant et mentiebantur: sed in sensu mystico uel typico et figuratiuo uerum dicebant. Contraria ergo diuersis relata uere insunt eidem. Nam error fuit in sensu proprio: et tamen in sensu mystico uerus fuit ille error.
(1076) Le poète fait allusion à une parole que Matthieu, Marc et Luc rappellent dans la bouche de Jésus le Sauveur : "on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres, autrement les outres se rompent et le vin se répand en même temps que les outres sont perdues ; on met le vin nouveau dans des outres neuves et tous deux se conservent". Par ces mots Jésus répondit aux disciples de Jean qui disaient : "Pourquoi les pharisiens et nous faisons-nous de fréquents jeûnes alors que tes disciples ne jeûnent pas ?". Ces gens l’interrogeaient, sous l’effet de leur orgueil et poussés à le calomnier, mais quand il leur eut rendu raison de multiples façons, le Christ ajouta aussi cela : "on ne met pas le vin nouveau" autrement dit le vin doux, "dans de vieilles outres", autrement dit mes disciples et apôtres ne sont pas propres au jeûne tant que je ne suis pas monté au Ciel et qu’ils n’ont pas été affermis par l’Esprit saint ; et il ne faut pas confier les mystères de la vie nouvelle à des esprits qui n’ont pas encore été renouvelés, autrement "les outres se rompent", autrement dit ces esprits encore novices ne peuvent le supporter "et le vin se répand", autrement dit la doctrine elle-même ne produit aucun profit, "et les outres se perdent", autrement dit ces intelligences faibles sont étouffées sous le poids des préceptes. Alludit autem poeta ad illud quod mattheus Marcus et Lucas salutiferum lesum dixisse commemorant: Non mittunt uinum nouum in utres ueteres: alioquin rumpuntur utres: et uinum effunditur: et utres pereunt sed uinum nouum in utres nouos mittunt: et ambo conseruantur.Mt 9, 17 Quibus uerbis respondit Christus discipulis loannis dicentibus: Quare nos et pharisaei ieiunamus frequenter. discipuli autem tui non ieiunant?Mt 9, 14 His ita per superbiam et calumniam interrogantibus cum multifariam satisfecisset Christus: addidit quoque illud: non solent homines mittere uinum nouum hoc est mustum: in utres ueteres id est non sunt discipuli mei et apostoli spirituali ieiunio apti. donec me assumpto spiritu sancto sint confirmati: et nouae uitae mysteria non sunt committenda mentibus nondum innouatis: alioquin rumpuntur utres id est rudes mentes hoc pati non possunt: et uinum effunditur hoc est ipsa doctrina nihil prodest. et utres pereunt id est mentes imbecillae pondere praeceptorum suffocantur.
(1077) Et c’est ainsi que notre libérateur nomme allégoriquement les apôtres des outres et que le vin nouveau, autrement dit le vin doux, c’est la doctrine spirituelle et évangélique, c’est à tout cela qu’Arator se réfère implicitement et, sans comprendre ces éléments, le sens voulu par le poète ne se peut atteindre en aucune manière. Atque ita utres appellat liberator noster allegorice apostolos: et uinum nouum id est mustum doctrinam spiritalem et Euangelicam: quam rem totam innuit hic Arator nec sine horum intelligentia potest sensus poetae hic ullo modo colligi.
(1078) En effet, Arator fait allusion aux paroles évangéliques dans lesquelles, sous la figure des outres, nous comprenons les apôtres encore novices et imparfaits, qui n’ont pas encore été intérieurement renouvelés par la grâce de l’Esprit saint, ni encore été pourvus d’une forme nouvelle par la nouveauté du sens, et par le vin nouveau, autrement dit le vin doux qui est ordinairement effervescent et bouillonnant, nous comprenons la ferveur de la foi, de l’espérance et de la charité que les apôtres reçurent au jour de la Pentecôte après l’Ascension du Seigneur, en débordant de grâce spirituelle issue de la doctrine céleste. Tel est en effet le vin doux dont les outres neuves, autrement dit les apôtres renouvelés, ont été remplies : et ils bouillonnaient, pris de cette ferveur. Les vieilles outres ne peuvent en aucune manière supporter la ferveur de ce vin doux sans se rompre, mais pour une outre neuve, rien de plus facile. Alludit enim Arator ad dicta Euangelica in quibus: per utres apostolos intelligimus rudes adhuc et imperfectos: et necdum innouatos intus spiritus sancti gratia: necdum nouitate sensus reformatos: et per uinum nouum id est mustum quod feruere et ebullire solet: feruorem intelligimus fidei spei et charitatis: quem in die pentecoste post domini ascensionem innouati apostoli acceperunt gratia spiritali e doctrina coelesti redundantes. tali enim musto noui utres id est innouati apostoli repleti sunt: et bulliebant feruescentes. Feruorem musti utres ueteres sustinere nullo modo possunt quin rumpantur. At uter nouus perfacile.
(1079) Voilà pourquoi il ajoute (Noua uasa) autrement dit les apôtres renouvelés par la grâce de l’Esprit saint et semblables à des outres neuves, suscepere ("ont accueilli") autrement dit ont reçu, évidemment de l’Esprit saint, nouum liquorem ("un liquide nouveau") évidemment le vin doux, dans le sens que j’ai dit, nec corrumpuntur ("et ils ne sont pas abîmés") évidemment les apôtres, bibentes de uite ("qui boivent du fruit de la vigne") autrement dit de la loi spirituelle et évangélique, quae ("qui") évidemment la loi évangélique et la doctrine spirituelle, christo cultore ("cultivée par le Christ") autrement dit avec le Christ, vu allégoriquement comme un agriculteur, autrement dit enseignant et instruisant, dedit conuiuia ("ont donné un festin") autrement dit un banquet spirituel, nobis ("pour nous") évidemment les chrétiens, nec corrumpuntur (" et ne sont pas abîmés) évidemment les apôtres, acerbo ("par l'aigre") évidemment le vin, autrement dit sans douceur et trop jeune, quo ("par lequel") évidemment le vin trop jeune, ueteres lacus ("les anciennes cuves") évidemment les vieilles outres et les vieux vases, maduere ("sont humides"), mis pour maduerunt, au sens de "ont été pleines". ideo subdit. (Noua uasa) id est apostoli innouati gratia spiritus sancti et tanquam noui utres: suscepere id est receperunt scilicet a spiritu sancto: nouum liquorem id est mustum in eo sensu quem dixi. nec corrumpuntur scilicet apostoli bibentes de uite id est de lege spiritali et euangelica. quae scilicet lex Euangelica et doctrina spiritalis: christo cultore id est agricolante allegorice hoc est instituente et docente: dedit conuiuia id est epulas spiritales: nobis scilicet Christianis. nec corrumpuntur scilicet apostoli acerbo scilicet uino id est insuaui et immaturo: quo scilicet uino immaturo: ueteres lacus scilicet utres ueteres et uasa uetusta maduere scilicet maduerunt et plena fuerunt.
(1080) Entre autres sens, le mot lacus nous sert à désigner des vases où des lieux qui contiennent le vin doux, ce qui a été exprimé du moût par le pressage ; c’est ce qui fait que, métaphoriquement, on le comprend pour des vases, voire pour des outres. Lacus inter reliquas significantias: uocamus uasa uel loca quae mustum continent praelo ex uinaceis expressa. hinc metaphorice pro uasis uel pro utri[23v]bus accipiuntur.
(1081) Ici le poète nomme ueteres lacus ("anciennes cuves") ou vieilles outres les apôtres eux-mêmes, avant qu’ils ne soient renouvelés par la grâce de l’Esprit saint ; de là vient aussi cette phrase de l’apôtre : "déposez le vieil homme avec ses actions et revêtez l’homme nouveau" etc. Appellat autem hic poeta ueteres lacus uel utres ueteres ipsos apostolos anteaquam innouarentur gratia spiritus sancti: Vnde et apostolus exuite inquit ueterem hominem cum actibus suis: et induite nouum hominemCol 3, 9-10 etc
(1082) Les apôtres pouvaient donc être désignés nous le nom de vieilles outres avant la venue de l’Esprit saint, puisqu’ils adhéraient aux préceptes de la Loi et aux traditions de leurs ancêtres. Mais une fois qu’ils furent transformés en cuves nouvelles et en nouvelles outres, ils reçurent le vin nouveau, autrement dit les préceptes évangéliques, sans nullement abîmer ou corrompre leur pureté par le vin aigre, autrement dit l’intelligence littérale de l’ancienne loi qui est dépourvue de douceur et pleine d’aigreur, mais en gardant intacte la douceur des paroles spirituelles ; on peut aussi comprendre autrement noua uasa ("les nouveaux vases") ont reçu nouum liquorem ("un liquide nouveau") nec corrumpuntur ("et ils ne sont pas abîmés") évidemment noua uasa ("les nouveaux vases") autrement dit les apôtres eux-mêmes une fois renouvelés acerbo ("par l’aigre") évidemment le liquide des pharisiens et des Juifs qui, tout imprégnés de la salive de la vieille Loi, crachaient sur les préceptes de la grâce nouvelle ; adhérant aux interprétations fades des scribes et des anciens, ils n’avaient pas la force de percevoir la douceur des paroles spirituelles ; voilà pourquoi, comme le dit l’Apôtre : "la lettre tue mais l’esprit vivifie", autrement dit fait comprendre de manière spirituelle. poterant ergo apostoli ante spiritus sancti aduentum ueteres utres uocari preceptis legis et traditionibus adherentes maiorum. Sed posteaquam effecti sunt noui lacus et noui utres nouum uinum acceperunt id est praecepta euangelica: eorum sinceritatem uino acerbo id est intelligentia ueteris legis literali: quae insuauis et acerbae nequaquam deprauantes corrumpentesue: sed dulcedinem spiritualium uerborum inuiolatam custodientes: uel aliter noua uasa susceperunt nouum liquorem: nec corrumpuntur scilicet noua uasa hoc est ipsi apostoli innouati: acerbo scilicet liquore phariseorum et iudaeorum qui imbuti saliuis ueteris legis nouae gratiae praecepta respuebant: quique insipidis scribarum et seniorum interpretationibus adherentes suauitatem spiritualium uerborum percipere non ualebant. Ideo litera ut ait apostolus: occidit: spiritus autem uiuificat2 Co 3, 6 id est facit spiritualiter intelligere.
(1083) En effet, l’Écriture sainte, jusqu’aux temps du Christ, autrement dit la Loi, les prophètes, les psaumes et tout cela selon la lettre, qu’est-ce d’autre qu’une eau sans saveur voire aigre ? Mais le Christ (comme le raconte Jean dans son évangile) change l’eau en vin, en montrant que ce qui semblait charnel si l’on suivait l’interprétation des pharisiens, est spirituel, et en faisant voir que la surface de la lettre renferme en réalité une force de sens céleste. Scriptura enim sacra usque ad tempora christi: hoc est lex prophetae et psalmi haec omnia secundum literam quid aliud sunt nisi aqua uel insipida uel acerba? sed christus aquam (ut narrat loannes Euangilio.) in uinum conuertit dum quae carnalia uidebantur secundum expositionem phariseorum: ipse spiritualia ostendit: et superficiem literae plenam uirtute coelesti uideri facit.
(1084) Le Christ en effet, dans les divines Écritures, demeura caché avant sa manifestation comme le vin dans de l’eau. Mais quand l’Esprit saint en venant ouvrit leur intelligence pour qu’ils comprennent les réalités secrètes, il les enivra de vin nouveau, enlevant le voile de la lettre sous couvert duquel le Christ demeurait caché. christus enim in scripturis diuinis nondum manifestatus quasi uinum in aqua latuit. Sed ubi spiritus. S. adueniens sensum eorum aperuit ut arcana intelligerent: ipsos nouo uino inebriauit: uelamen literae auferens sub cuius adopertione christus latebat.
(1085) Et c’est ainsi que vous expliquerez la phrase (nec corrumpuntur) autrement dit ils ne sont pas abîmés, évidemment les apôtres, acerbo ("par l’aigre") évidemment le liquide, autrement dit l’eau sans saveur et aigre avant qu’elle ne soit changée en vin ; mais le sarment, voire la vigne, avant maturité contiennent une eau aigre ou au mieux sans saveur, mais quand la vigne a mûri, elle s’adoucit ; quo ("duquel") évidemment ce liquide aigre, lacus (" les cuves") autrement dit les six hydries destinées à la purification des Juifs comme le raconte Jean, maduere ("sont imprégnées"), autrement dit maduerunt, et étaient pleines. Avec les six cuves, autrement dit les six contenants d’eau, comme le dit Augustin, nous comprenons les six âges dont les limites sont définies ainsi : Adam, Noé, Abraham, David, l’exil à Babylone, Jean Baptiste, la fin du monde. Dans chacun de ces âges, on trouvera quelque élément qui renvoie au goût de l’eau amère et sans saveur, si l’on ne s’attache qu’à la lettre, autrement dit au commentaire des pharisiens, mais aussi quelque élément qui a le goût du vin doux si l’on suit l’Esprit qui vivifie. Et secundum hanc sententiam expone: (nec corrumpuntur) id est deprauantur scilicet apostoli: acerbo scilicet liquore id est aqua insipida uel acerba anteaquam in uinum conuerteretur: nam racemus uel uua non matura continet aquam acerbam: uel insipidam. posteaquam uero matura est uua dulcescit: quo scilicet liquore acerbo lacus id est hydriae illae sex secundum purificationem iudaeorum ut narrat loan. maduere id est maduerunt et plenae fuerunt. per .vi. lacus id est sex receptacula aquae ut ait augus. sex aetates intelligimus quarum fines statuuntur Adam: Noe: Abraam: Dauid: Transmigratio babylonis: loannes baptista: Finis mundi. in singulis aetatibus aliquid inuenies quod sapiat aquam acerbam uel insipidam si literae tantum hoc est phariseorum expositioni adhaerescas: aliquid etiam quod uinum dulce sapiat si spiritum uiuificantem sequare.
(1086) Par exemple, dans le troisième âge, Abraham qui est soumis et obéissant à Dieu offre un bélier à la place de son fils ; il apprend ici seulement l’obéissance d’un saint patriarche ; il boit de l’eau qui n’est pas prête à être consommée et qui n’est pas encore douce ; mais, quand il comprend qu’en Isaac est figurée la divinité du Christ et dans le bélier la chair du Christ, il goûte le vin doux et l’eau changée en un vin d’une admirable suavité ; et ainsi de suite, on peut comprendre dans les autres âges, des éléments que je laisse de côté pour ne pas allonger trop. Verbi gratia in tertia aetate Abraam deo parens atque obediens pro filio offert arietem: qui hic discit obedientiam tantum patriarchae sanctissimi: bibit aquam immaturam necdum dulcescentem. Ast ubi in isaac christi deitatem: in ariete christi carnem intelligit: mustum gustat et ex aqua uinum factum mirae suauitatis: et ita in aliis aetatibus licet percipere quae omitto ne sim longior:
(1087) Arator dit donc nec corrumpuntur ("ils ne sont pas abîmés") évidemment les apôtres, par le liquide acerbo ("aigre"), autrement dit une boisson insipide et au goût d’eau, quo maduere lacus ueteres ("dont sont imprégnées les anciennes cuves") quand les pharisiens se contentaient de donner des explications selon la lettre, bibentes ("buvant") évidemment les apôtres, de uite ("de la vigne") de la loi évangélique, quae dedit ("qui a donné") à nous les chrétiens, conuiuia ("un festin") autrement dit une boisson de fête et d’une suavité extrême, Vnde ("d’où") autrement dit de la culture de laquelle, désignant la vigne autrement dit l’Écriture sainte, cette vigne qui auparavant donnait de l’eau, et qui après avoir été cultivée par le Christ donna un vin doux, rubent aquae ("rougeoient les eaux") autrement dit changent leur aspect transparent d’eau dans la rouge couleur du vin, avec le sens que nous avons déjà plusieurs fois indiqué ; quas ("que") évidemment les eaux, conuertit ("il a transformées") évidemment le Christ lors des noces qui eurent lieu à Cana de Galilée, noces auxquelles la vierge mère de Dieu ne se contenta pas de participer mais qu’elle présida d’une certaine manière, et fecit ("et il fit que") évidemment le Christ, saporem tenuem ("la faible saveur") autrement dit le sens au goût d’eau et insipide, legis ("de la Loi") autrement dit de cette vigne, autrement dit la sainte Écriture, feruescere ("se ravive") autrement dit se change en saveur douce, qui est celle du vin doux, dans les libris ecclesiae ("les livres de l’Église") puisque évidemment, auparavant dans les livres de la synagogue, elle ne bouillonnait ni ne s’adoucissait, mais elle était dépourvue de douceur, de suavité, et amère, cette saveur, autrement dit ce sens que donnaient les pharisiens et leur interprétation. dicit ergo nec corrumpuntur scilicet apostoli acerbo liquore id est ex potione insipida et aquea: quo maduere lacus ueteres cum a phariseis ita ad literam explicabantur. bibentes scilicet apostoli: de uite legis euangelicae: quae dedit nobis christianis conuiuia id est potum conuiualem et suauissimum: Vnde id est ex qua cultura uitis id est sacrae scripturae: quae uitis ante dabat aquam: et post christi culturam circa uitem dedit uinum dulce: rubent aquae id est mutant colorem aquae candicantem in colorem rubeum uini: significantes hoc quod diximus iam aliquoties: quas scilicet aquas: conuertit scilicet christus: in nuptiis factis in chana galileae quibus non solum interfuit sed quodam modo praefuit uirgo deipera. et fecit scilicet christus saporem tenuem id est aqueum et insipidum sensum: legis id est uitis illius hoc est sacrae scripturae: feruescere id est mutari in saporem dulcem et musti feruentis in libris ecclesiae: cum scilicet ante in libris synagogae non ebulliret non dulcesceret: sed esset immitis insuauis et acerbus ille sapor hoc est ille sensus phariseorum et illa interpretatio.
(1088) Il faut comprendre chaque détail allégoriquement et rapporter les épithètes non à ce qui se cache sous le voile de l’allégorie, mais plutôt à ce qui résonne à la surface du texte. per allegoriam singula sunt intelligenda: et epitheta sunt referenda non ad ea quae latent sub allegoriae uelamine: sed potius ad ea quae in superficie sonant.
(1089) C’est ainsi en effet qu’il dit feruescere ("se ravive") parce qu’il a dit que les apôtres étaient pleins de vin doux, qui est pétillant et bouillonnant, et lacus ("la cuve") parce c’est au sens propre dans des cuves que l’on verse le moût sitôt pressé, et ainsi de suite tous ces détails que le lecteur attentif comprendra aisément par lui-même. Ideo enim feruescere ait quia dixit apostolos musto plenos fuisse quod feruet et ebullit: Et lacus: quia proprie in lacus mustum praelo expressum statim funditur. et ita in aliis quae omnia prudens lector per se facile intelliget.
(1090) On peut aussi adapter les épithètes aux réalités voilées et mystiques quand les mystères voilés et les paroles qui les voilent concordent : ainsi, par exemple, la ferveur de la charité concorde avec le bouillonnement du vin doux et ainsi de suite. potes etiam accommodare epitheta rebus uelatis et mysticis ubi uelata mysteria et uerba uelantia congruunt. ut feruor charitatis congruit cum feruore musti: et ita in aliis.
(1091) Le poète, dans son extrême finesse, semble aussi faire allusion à cette parole salutaire de Jésus chez Jean : "moi, je suis la vraie vigne et mon père est le vigneron". J’en parle parce que c’est sans aucun doute ce qu’a en tête Arator, cet homme d’une extrême érudition et qui connaît parfaitement les divines lettres. Videtur autem poeta acutissimus etiam alludere ad illud salutiferi lesu dictum apud loan. Euan. Ego sum uitis uera et pater meus agricola est.Jn 15, 1 Illud quoque non pretermittam: quod procul dubio respexit arator ut uir doctissimus et diuinarum literarum consultissimus:
(1092) Quand il dit nec corrumpuntur acerbo ("et il ne sont pas abîmés par l’aigre") liquide quo maduere ueteres lacus ("dont sont imprégnées les anciennes cuves"), le poète renvoie à l’histoire que, dans l’Exode, Moïse fait connaître et sur laquelle plus tard le divin Ambroise est revenu dans un sermon ; voici le résumé de cette histoire : Moïse fit sortir le peuple de la Mer Rouge et ils marchèrent trois jours dans le désert, sans trouver d’eau ; ils arrivèrent à Marath dont ils ne pouvaient boire les eaux en raison de leur amertume. En effet Marath veut dire ‘amertume’. Ces eaux, Moïse les transforma en eaux douces en plongeant dedans le bâton que le Seigneur lui avait montré : "l’eau", dit Ambroise, "était délectable à voir, mais elle trompait quant à sa saveur". cum inquit nec corrumpuntur acerbo liquore: quo maduere ueteres lacus. Signat enim poeta historiam quam in exodo Moses declarauit: et postea diuus ambrosius in quodam sermone repetiuit. Summa autem historiae est huiuscemodi: Tulit moyses israel de mari rubro: ambulaueruntque tribus diebus per solitudinem: et non inueniebant aquam: et uenerunt in marath: cuius loci aquas ob amaritudinem bibere non poterant. Marath enim amaritudo interpretatur: Has aquas in dulcedinem uertit moses cum lignum a domino monstratum in eas misisset: Eratps. AMBR. serm., 19 inquit ambrosius aqua delectabilis ad uisionem: Sed sincera non erat ad saporem.ps. AMBR. serm., 19
(1093) Je pense que l’eau amère c’est la Loi de l’Ancien Testament, cette Loi qui, avant qu’elle ne soit tempérée par la croix du Seigneur, était sans douceur ; car elle ordonnait œil pour œil, dent pour dent, et, comme pour des gens sévères, elle n’offrait le rafraîchissement d’aucune miséricorde. Aquam amaram legem esse arbitror ueteris testamenti: quae lex prius quam Cruce temperaretur domini: erat immitis. Iubebat enim oculum pro oculo: dentem pro dente: et uelut austeris nullum misericordiae refrigerium porrigebat.
(1094) Mais quand elle fut tempérée par le bois de la passion évangélique, aussitôt, changeant par sa douceur l’amertume, elle se donna à tous comme à boire comme une loi de douceur. "Combien douce", dit le prophète, " ma gorge est ta parole, plus que miel et rayon dans ma bouche !". At uero ubi Ligno Euangelicae passionis est temperata: statim Amaritudinem sua suauitate Commutans dulcem se cunctis praestitit ad potandum. Quam dulciaPs 118, 103 (inquit propheta) Faucibus meis eloquia tua super mel et Fauum ori meo.Ps 118, 103
(1095) D’où la parole du Seigneur : "si quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui l’autre" ; ainsi l’austérité de la Loi est tempérée par la douceur de l’évangile ; amère est en effet la lettre de la Loi sans le mystère de la croix. Qui ne voit pas, pour peu qu’il jouisse de quelque étincelle d’intelligence que c’est à ces paroles de Moïse et d’Ambroise qu’Arator a fait allusion quand il a parlé de liquide acerbo ("aigre"), puisque nous pouvons comprendre ueteres lacus ("d’anciennes cuves") comme ces eaux de Marath qui était amères et sans douceur ? Mais je crains encore de dépasser les bornes avec cela. Vnde siquis inquit dominus[24r] te percusserit in maxillam prebe ei et alteram.Mt 5, 39 ita austeritas legis Euangelii dulcedine temperata est. amara est enim legis litera sine crucis mysterio. Quis non uidet dum modo aliqua ingenii scintilla polleat: ad haec mosis et ambrosii uerba allusisse Aratorem: cum dixit acerbo liquore: cum ueteres lacus possimus quoque intelligere aquas illas marath acerbas et insuaues? Sed haec uereor iam ne modum excesserint.
(1096) Quel serait en effet le terme si je voulais aussi soupeser ce mot corrumpuntur ("sont abîmées") et le fait qu’après ces mots il a placé le terme noua uasa ("de nouveaux vases") ? De fait, les nouveaux vases doivent être imprégnés de vin ou de liquide d’exception et non pas d’aigre, selon ce mot d’Horace : "l’amphore neuve gardera longtemps le parfum dont elle a été une fois imprégnée". Noua uasa ("de nouveaux vases") évidemment les apôtres non corrumpuntur ("ne sont pas abîmés") par le liquide qui était amer pour les Juifs et les scribes, mais doux pour les apôtres vivifiés par l’Esprit et pour qui désormais les eaux, auparavant amères, s’étaient adoucies quand on y avait plongé le bois de la croix. Quis enim esset finis si uellem quoque ponderare illud uerbum corrumpuntur: quod post illa nomina scilicet noua uasa subintulit? Nam noua uasa optimo uino aut liquore sunt imbuenda: non acerbo: Secundum illud Oratii: Quo semel est imbuta recens seruabit odorem testa diu.HOR. epist., 1, 2, 69-70 Noua uasa scilicet apostoli: non corrumpuntur liquore: qui erat acerbus iudaeis et scribis: qui tamen erat apostolis dulcis per spiritum uiuificatis: et quibus iam aquae antea amarae ligno crucis immisso dulcuerant.
(1097) Mais en voilà assez sur ce sujet. Sed haec hactenus.
(1098) (Tertia Sydereis.) Quand l’Esprit saint descendit sur les apôtres, c’était la troisième heure ; de ce moment, Pierre tira argument pour montrer que les apôtres n’étaient pas ivres comme le disaient les moqueurs impies. (Tertia Sydereis.) Cum descendit in apostolos spiritus sanctus tertia hora erat: cuius temporis argumento usus est petrus ut ostenderet apostolos non esse ebrios sicut impii irrisores aiebant.
(1099) De fait, si l’on en croit Censorinus dans son opuscule de Die natali, les anciens divisaient les jours en jours naturels et jours civils ; ce qu’ils appelaient jour naturel, c’était le temps qui s’écoulait du lever au coucher du soleil, dont le contraire était la nuit qui s’étendait du coucher au lever du soleil ; quant au jour civil, ils désignaient ainsi le temps qui s’écoule en une révolution du ciel, et qui contient le jour proprement dit et la nuit. Ainsi quand nous disons que quelqu’un a vécu seulement trente jours. Les Anciens divisaient le jour naturel en douze heures, comptant la première heure à partir du lever du soleil, et ils mangeaient après la neuvième heure comme le prouve l’épigrammatiste au livre 4 par cette épigramme "la première heure et la seconde sont occupées par ceux qui viennent vous saluer" et il ajoute "la neuvième heure ordonne de passer à table". Si donc ils mangeaient à la neuvième heure, comment les apôtres auraient-ils pu avoir bu à la troisième heure avec six heures d’avance sur la neuvième ? Et ce, d’autant plus que c’étaient des Juifs, qui, en raison de leur observance de la Loi et de leur connaissance du vrai Dieu, étaient plus tempérants que tous les autres gens. Nam ueteres authore Censorino in libello de die natali: dies in naturales et ciuiles distinguebant. naturalem diem tempus uocabant: ab exoriente sole ad solis occasum: cuius contrarium tempus esse noctem ab occasu solis ad ortum. Ciuilis autem dies appellabatur: tempus quod fit uno coeli circumactu: quo dies uerus et nox Continentur. Vt cum dicimus aliquem dies .XXX. tantum uixisse. Diem naturalem in. xii. horas antiqui distinguebant primam horam ab ortu solis numerantes: comedebantque post nonam ut probat Epigrammaticus poeta in quarto: illo epigrammate Prima salutantes atque altera continet hora.MART. 4, 8, 1 et subdit imperat extructos frangere nona thoros.MART. 4, 8, 6 Si igitur hora nona comedebant: quo pacto hora tertia bibissent apostoli sex horis nonam anteuenientes? Cum praesertim iudaei essent ob legis obseruantiam uerique dei cognitionem temperatiores caeteris.
(1100) Juvénal critique Marius en le tenant pour luxurieux et intempérant, parce qu’il commençait à boire à partir de la huitième heure, alors même qu’il n’anticipait le temps du repas que d’une seule heure ; comment alors les apôtres auraient-ils devancé de six heures pleines en buvant la neuvième heure ? Reprehenditur a luuenale marius tanquam luxuriosus et intemperans: quod ab hora octaua biberet: cum tempus edendi una solum hora anteuerteret: et quo pacto apostoli Sex horis integris horam nonam bibendo praeuenissent?
(1101) Arator montre donc que c’était la troisième heure quand l’Esprit saint descendit sur les apôtres, pour que le mystère de la très sainte Trinité soit manifesté même dans le compte des heures et du temps. De même en effet qu’il y avait trois heures de jour, de même il y a aussi trois personnes alors qu’il n’y a qu’une substance. Arator ergo ostendit tertiam horam fuisse: cum in apostolos descendit spiritus sanctus: Quo mysterium Sanctissimae trinitatis etiam in numero horarum et temporum significetur. Vt enim tres Horae erant diei: ita quoque tres personae sunt: cum sit una Substantia.
(1102) (Tertia) hora inclaruit ("la troisième heure fut illuminée") autrement dit fut claire et admirable, à cause de la descente du saint Esprit, loquelis sydereis ("des paroles célestes") autrement dit des expressions et des langues venues du Ciel. Hunc numerum ("tel est le nombre") évidemment des personnes de la Trinité, Habet deus unus ("que possède le Dieu unique") évidemment quant à sa substance. Substantia ("substance") autrement dit la nature et essence de Dieu, simplex ("indivise") évidemment elle est une, distincta personis tribus : Quam plurima instrumenta ("distincte en trois personnes ; de nombreux documents") autrement dit des arguments extrêmement nombreux, Patent ("révèlent") autrement dit sont clairs et évident pour nous à partir de la sainte Écriture, pour croire au mystère de la Trinité. Tempora ("les temps") évidemment les trois heures simul ("avec eux") autrement dit avec d’autres autorités tirées de la Loi divine, monstrant ("attestent") évidemment de ce mystère de la Trinité. (Tertia) hora inclaruit. idest: clara et insignis fuit descensu spiritus Sancti: loquelis sydereis id est locutionibus et linguis coelestibus. Hunc numerum scilicet trinitatis in personis: Habet deus unus scilicet in substantia. Substantia id est natura et essentia dei simplex. idest. Vna scilicet est: distincta personis tribus: Quam plurima instrumenta id est ualde multa argumenta: Patent id est clara sunt et nobis obuia ex sacra scriptura ad credendum trinitatis mysterium. Tempora scilicet trium horarum simul scilicet cum aliis authoritatibus diuinae legis: monstrant hoc scilicet mysterium trinitatis.