Livre 1 section 3 (vv. 69-118)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(834) (PRIMVS) Dans cette troisième section du premier livre, après avoir raconté de quelle manière les Apôtres sont revenus à Jérusalem, où se trouvait la Vierge Mère de Dieu avec les femmes et les frères, le poète relie et rattache à cela la suite de son exposé de l’histoire apostolique. (PRIMVS) in hac tertia primi libri sectione: posteaquam narrauit poeta: quo pacto apostoli in hierusalem redierunt: ubi uirgo deipera cum mulieribus et fratribus erat: consequentem historiae apostolicae expositionem copulat et connectit.
(835) En effet, avant la venue de l’Esprit saint, Pierre, qui était le porte-étendard de la nouvelle alliance, voyant imparfait le nombre des Apôtres, puisqu’ils n’étaient que onze depuis la perte du traître Judas, alors que le nombre douze avait été annoncé d’avance dans de nombreux passages de l’Ecriture sainte, se dressa en bon pasteur au milieu des cent-vingt frères pour que l’on procède au remplacement de Judas par un autre qui puisse convenir, afin que l’Esprit saint lors de sa venue trouve un nombre complet. C’est en effet ce qu’avait prédit le prophète David : "qu’un autre reçoive sa charge". On en désigna donc deux et le sort tomba sur Matthias qui par jugement divin fut préféré à Joseph lui-même. Siquidem ante aduentum spiritus sancti petrus noui signifer testamenti uidens numerum apostolorum imperfectum: cum essent tantum.xi. iuda proditore amisso: numerus autem.xii. in multis locis sacrae scripturae praesignaretur: surrexit bonus pastor in medio. CXX. fratrum ut in locum iudae proditoris sufficeretur alter: qui esset idoneus: quo spiritus sanctus adueniens numerum integratum inueniret. Id enim propheta dauid praedixerat. Episcopatum eius accipiat alter.Ps 108, 8 Constitutis ergo duobus: cecidit sors super matthiam: qui diuino iudicio ipsi ioseph praelatus est.
(836) En outre, avant de développer les paroles de Pierre, Arator montre qui est Pierre et comment il avait été peu auparavant pêcheur de créatures marines et ensuite était devenu pêcheur d’hommes. Caeterum Arator anteaquam uerba petri explicet: quinam sit petrus: ostendit: et quo modo ante piscator aquatilium fuerit: mox piscator hominum:
(837) Il dit donc primus Petrus ("le premier Pierre") autrement dit le prince, dans l’agmine ("l’armée"), autrement dit le nombre des apôtres ; il avait été uocatus ("appelé"), évidemment par le Christ cf. Mt. 4 ; de parua puppe ("de sa petite poupe") autrement dit sa barque, le tout pour la partie par synecdoque ; quo ("lui par qui"), évidemment Pierre, piscatore ("le pêcheur"), solebat capi turba ("la foule avait l’habitude d’être capturée"), autrement dit une multitude, squammea ("écailleuse"), autrement dit des poissons dotés d’écailles, uisus ("aperçu"), évidemment Pierre, subito ("soudain"), autrement dit brusquement, évidemment par le Christ, de littore ("du rivage"), évidemment de la Mer de Galilée, dum trahit ("tandis qu’il tirait"), évidemment Pierre et son filet, ipse ("lui-même"), Pierre, meruit trahi ("mérita d’être attiré"), évidemment par le Christ pour être Apôtre. Ait igitur (primus petrus) id est princeps: de agmine idest numero apostolico: erat uocatus scilicet a christo matth. iiii. de parua puppe id est naue: pars pro toto per synecdochen: quo scilicet petro piscatore: solebat capi turba id est multitudo squammea. idest. piscium squammas habentium. uisus scilicet petrus: subito id est repente scilicet a christo de littore scilicet maris galileae: dum trahit scilicet petrus rete: ipse petrus meruit trahi scilicet a christo ad apostolatum.
(838) Quand il dit trahi ("être attiré"), il le dit avec emphase et de manière expressive. En effet, si la divinité du Christ, par son inspiration, n’avait pas ému de l’intérieur le cœur des Apôtres et ne l’avait pas attiré, le simple appel extérieur n’aurait pas suffi à pousser l’esprit des Apôtres à tout abandonner et suivre le Christ, maître de vérité. Emphanticos et signanter dicit trahi. Nisi [17v]enim diuinitas Christi sua inspiratione interius corda apostolorum mouisset attraxissetque: non satis fuisset illa simplex et exterior uocatio ad impellendos discipulorum animos ut relictis omnibus doctorem ueritatis christum sequerentur.
(839) Voilà pourquoi il ajoute piscatio dignata ("la pêche qui a daigné"), autrement dit qui a jugé digne, Pierre évidemment, d’être appelé ; rapit discipulum ("enlève le disciple"), évidemment Pierre qui ensuite va suivre le Christ et ne s’occuper plus que de son enseignement. ideo subiungit piscatio dignata id est dignum iudicans scilicet petrum ut uocaretur: rapit discipulum scilicet petrum secuturum post illa christum et eius doctrinae tantum uacaturum.
(840) En effet, dans la suite, il ne s’occupe plus du travail de pêcheur, sinon soit sur ordre du Maître, soit après la mort de celui-ci quand la nécessité matérielle le presse, et ce afin de tout entier donner son attention à son Maître. Nec enim postea piscandi munus obiuit nisi uel iubente magistro uel post eius mortem urgente inopia: ut totus doctori suo operam daret.
(841) Il faut en outre bien noter ces mots dum trahit ("tandis qu’il tirait le filet"). De fait, Pierre est appelé, selon le récit de Jean, immédiatement après le baptême du Christ. Ensuite, d’après la narration de Luc, cela se produit lors d’une grande séance de pêche  c’est à cela que se rapporte le passage d’Arator dum trahit etc. Est autem notandum uerbum illud dum trahit. Nam petrus uocatur ut loannes narrat: semel statim post baptisma christi. Deinde iterum luca referente in magna captura piscium: ad quam uerbum illud Aratoris refertur: dum trahit et. c.
(842) Troisième point : il y eut appel selon ce qu’écrit Matthieu, quand, après avoir tout laissé, il eut suivi Jésus, il allait demeurer toujours sous l’autorité de ce Maître sans jamais revenir à son métier de pêcheur, sinon de manière métaphorique et spirituelle, comme le Seigneur l’avait prédit : "Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes". Tertio fuit uocatus ut matthaeus scribit: cum relictis omnibus secutus est iesum sub eius magisterio semper futurus nec ad piscationem reuersurus: nisi metaphoricam et spiritalem: ut dominus praedixerat. Venite post me et faciam uos fieri piscatores hominum.
(843) Il y a donc un changement dans l’intention de Pierre et non dans l’activité de pêcher conformément au précepte du Maître éternel ; il y a changement des filets en enseignement, du désir du gain en amour des âmes. La mer devient le monde d’ici-bas, la barque l’Église, les poissons les gens de bien et les méchants. Mutatur ergo intentio Petri non piscatio iuxta sempiterni doctoris praeceptum. Mutantur retia in doctrinam: cupiditas in amorem animarum. fit mare saeculum. nauis ecclesia. pisces boni et mali homines.
(844) Point essentiel pour que nous n’ignorions pas ce que veut dire le poète par de littore ("du rivage") : il ne s’agit pas de celui de la mer, comme on entend au sens propre le mot 'rivage', mais il faut comprendre un lac qui a cent stades de longueur et quatre-vingts de large et que traverse le Jourdain, comme l’atteste Jérôme. Illud etiam oportet ut non simus nescii de littore: quod ait poeta: non maris ut proprie littus accipitur: sed lacus intelligendum habentis centum stadia longintudinis et. XXXX. latitudinis: per quem transit lordanis fluuius ut hieronymus author est.
(845) Le nom de Mer de Galilée vient de la région qui en est limitrophe, et on parle de mer selon l’habitude de l’hébreu qui parle de mer pour toute masse d’eau, comme nous le lisons dans la Genèse. Dicitur autem mare galileae a regione cui adiacet: et mare consuetudine hebreorum: qui congregationes aquarum maria appellant: ut in genesi legimus.
(846) (Piscatio) emploi métaphorique : piscatio ("pêche") désigne ici l’attirance intérieure qui rapit discipulum ("enlève le disciple"), évidemment Pierre : qui ("pour qu’il"), évidemment Pierre, retia laxet ("lâche ses filets"), de façon métaphorique, autrement dit déploie son enseignement à travers le monde ; captura ("pour capturer") autrement dit ce qui devait être capturé et transféré dans l’Église et dans la foi soit humanum genus ("le genre humain"), autrement dit l’humanité ; manus ("la main") évidemment de Pierre quae gesserat hamum ("qui avait porté l’hameçon") pour pêcher, est translata ("a été transférée") évidemment par le Christ ad clauem ("vers la clé"). (Piscatio) metaphorice: piscatio id est attractio interior rapit discipulum scilicet petrum: qui scilicet petrus: laxet retia: metaphorice id est sinus doctrinae per orbem terrarum: captura id est quae captura erant et in ecclesiam et fidem translatura humanum genus id est homines: manus scilicet petri quae gesserat hamum ad piscandum: est translata scilicet a christo ad clauem.
(847) C’est ainsi, en effet, que dans Matthieu le Christ lui dit : "et je te donnerai les clés du Royaume des Cieux". Mais remarquez que de manière expressive le poète dit au singulier 'la clé'. En effet, bien que l’on appelle 'clés' la science du discernement et le pouvoir de discerner qui il doit recevoir dans le Royaume, car il en est digne, et qui il en doit exclure, car il en est indigne, la clé cependant n’est pas la science, mais le pouvoir de trancher, et le pouvoir d’admettre ou d’exclure. ita enim ei dixit christus apud mattheum Euange. Et tibi dabo claues regni coelorum.Mt 16, 19 sed aduerte quod signanter dixit ad clauem poeta in singulari numero. quanuis enim claues appellentur discernendi Scientia et potentia qua dignos recipere: indignos excludere debet a regno: tamen scientia non est clauis sed potentia diiudicandi et potentia dimittendi: uel excludendi.
(848) La clé est donc double : c’est la puissance spirituelle et le pouvoir de jugement donné par le Christ à Pierre lui-même et que les autres Apôtres aussi, au témoignage de Jérôme, ont reçu ; après sa résurrection le Maître, l’homme-Dieu, leur a dit : "recevez l’Esprit saint, tout homme à qui vous remettrez ses péchés" etc. Clauis haec duplex est potestas spiritalis: et iudiciaria data a christo ipsi petro: quam et alii apostoli teste hieronymo acceperunt: quibus post resurrectionem dixit magister theanthropos Accipite spiritum sanctum: quorum remiseritis peccataJn 20, 22-23 etc.
(849) C’est cette même clé que possède toute l’Église dans la personne de ses prêtres et de ses évêques ; mais Pierre la reçoit de manière spéciale pour que tous comprennent que tout homme qui se sépare de l’unité de la foi et de la proximité avec Pierre ne peut ni être délivré de ses péchés ni entrer au Ciel. Eandem etiam habet omnis ecclesia in presbyteris et episcopis: sed ideo petrus specialiter accipit ut omnes intelligant quod quicumque ab unitate fidei et societate eius se separauerit: nec a peccatis solui nec coelum potest ingredi.
(850) Jérôme s’en prend dans un passage satirique à la morgue des Pharisiens sur ce sujet : c’est puisqu’ils sont prêtres qu’ils pensent qu’ils peuvent condamner des innocents et absoudre des coupables, alors qu’auprès de Dieu, ce n’est pas la sentence des prêtres qui est visée mais la vie des coupables. Et dans le Lévitique les prêtres ne rendent pas les gens lépreux, mais ils discernent qui est pur et qui est impur ; c’est la même chose ici. supercilium phariseorum reprehendit satyrice hieronymus: qui cum sacerdotes sint. damnare innoxios: uel soluere noxios posse se putant: cum apud deum non sententia sacerdotum sed reorum uita quaeratur. Et in leuitico sacerdotes non faciunt leprosos sed discernunt qui mundi uel inmundi sint: ita etiam hic.
(851) (Quique) comprendre qui+que, évidemment Pierre, ardebat ("brûlait"), autrement dit désirait, uertere praedas aequoris imi madidas ("rapporter les proies humides de la profondeur des flots"), autrement dit les poissons qui sont un butin humide et qui vit dans l’eau au fond et au creux de la mer, ad litora ("vers le rivage"), autrement dit sur le sec où les poissons sont une prise assurée et ne peuvent échapper aux mains des pêcheurs, et qui ardebat implere ratem ("et qui brûlait de remplir sa barque"), autrement dit son navire, des dépouilles, évidemment des poissons. (Quique) que et qui scilicet petrus ardebat id est cupiebat uertere praedas aequoris imi madidas id est pisces qui sunt spolia madida et aquatilia in fundo Et imo maris: ad littora id est in siccum ubi pisces in tuto sunt nec manus piscatorum possunt euadere: et qui ardebat implere ratem id est nauem spoliis scilicet piscium.
(852) Les poissons en effet sont les dépouilles et le butin des pêcheurs ; leuat ("il relève"), évidemment Pierre, de alia parte ("ailleurs"), autrement dit d’une autre mer, c’est-à-dire le monde d’ici-bas ; par spolia ("dépouilles"), il désigne les hommes qui sont comme des poissons dans ce monde comme dans une mer, en parlant de manière allégorique ; undis melioribus ("en de meilleures eaux") évidemment celles du baptême ; dans ces eaux, ceux qui se relèvent baptisés se relèvent en de meilleures eaux que les eaux de la mer, et sont redressés. pisces enim sunt spolia et praeda piscatorum: leuat scilicet petrus de alia parte id est de alio mari hoc est saeculo: spolia id est homines qui sunt uelut pisces huius saeculi tanquam maris allegorice loquendo: undis melioribus scilicet baptismatis: Quibus aquis qui leuantur baptizati a melioribus aquis leuantur et eriguntur: quam ab aquis maris.
(853) Car l’eau de la mer, qu’est-ce sinon de l’eau ? Nam aqua maris quid aliud est quam aqua.
(854) Mais l’eau du baptême possède une telle puissance, évidemment par la venue du Verbe sur cet élément, qu’en touchant le corps elle lave le cœur et renouvelle l’esprit, de telle sorte que la personne qui avait été rendue vieille par le péché est renouvelée par la grâce du baptême. At aqua baptismatis tantae uirtutis est scilicet accedente uerbo ad elementum: ut corpus tangat et cor abluat: et mentem innouet ut homo qui per peccatum uetus fuerat per gratiam baptismi renouetur.
(855) Cela se produit en faisant déposer les vices et en faisant advenir les vertus, l’une de ces actions repousse la souillure, l’autre apporte la beauté. Quod fit depositione uitiorum et collatione uirtutum: Quorum alterum pellit foeditatem: alterum decorem affert.
(856) La matière de ce sacrement n’est donc pas de nous ouvrir le Ciel (cela en effet c’est l’offrande du libérateur qui l’a apporté), mais de nous laver intérieurement et de nous rendre justes. Res igitur huius sacramenti non est aperire coelum: id enim hostia liberatoris praestitit: sed mundare interius et iustificare.
(857) (Nec deserit) : sequens ("poursuivant"), évidemment Pierre, sua lucra per latices ("son profit dans les flots qu’il traverse"), autrement dit les eaux, nec deserit artem ("il n’abandonne pas son métier"), évidemment de pêcheur. (Nec deserit.) sequens scilicet petrus sua lucra per latices id est aquas nec deserit artem scilicet piscandi.
(858) Auparavant Pierre pêchait des poissons dans la mer, ensuite dans une autre mer, autrement dit dans ce monde, il pêche des poissons, autrement dit des hommes. piscabatur prius petrus in mari pisces: post in alio mari id est in saeculo piscatur pisces id est homines.
(859) Et c’est ainsi qu’il n’abandonne pas son métier de pêcheur, mais auparavant son métier de la pêche était au sens propre, maintenant il est pris au sens figuré et métaphorique. et ita non deseruit artem piscen[18r]di: sed prior illa ars piscatoria fuit propria: haec est impropria et metaphorica.
(860) Et cela l’emporte de beaucoup sur l’autre, bien que ce soit pris au sens figuré, tant les hommes sont plus importants que les poissons. et haec est multo praestantior licet impropria: quam illa prior: quanto homines piscibus antecellunt.
(861) Auparavant en effet, il gagnait de l’argent avec ses poissons, maintenant il gagne des âmes pour le Christ. Ante enim lucrabatur nummos ex piscibus: nunc animas lucrifacit christo.
(862) (Cui) évidemment Pierre, agnus ("l’agneau"), évidemment le Christ comme dans "Voici l’Agenau de Dieu" ; tradidit ("a remis"), autrement dit a confié, a mis en dépôt, oues ("les brebis"), autrement dit les fidèles, quas oues saluauit ("les brebis qu’il a sauvées"), évidemment le Christ par son précieux sang ; c’est la raison pour laquelle auget ("il augmente"), évidemment le Christ, gregem ("son troupeau"), autrement dit au sens allégorique la multitude des fidèles, hoc pastore ("par ce pasteur"), autrement dit 'grâce à l’action de ce pasteur', évidemment Pierre. (Cui) scilicet petro agnus scilicet Christus ut Ecce agnus dei.Jn 1, 29 tradidit id est commisit credidit: oues id est fideles: quas oues saluauit scilicet Christus suo precioso sanguine: quampropter: auget scilicet christus: gregem id est multitudinem fidelium allegorice: hoc pastore id est per hunc pastorem scilicet petrum.
(863) De fait, dans la fin de Jn le Christ dit à Pierre : "sois le berger de mes agneaux" deux fois, puis la troisième fois "sois le berger de mes brebis" ; à travers ces agneaux et ces brebis, évidemment, il vise les trois niveaux des fidèles : les commençants, les progressants et les parfaits. Nam loannis ultimo dixit christus petro pasce agnos meosJn 21, 15 bis: ac tertio pasce oues meas:Jn 21, 17 per hos scilicet agnos et oues tres fidelium gradus signans incipientium proficientium ac perfectorum.
(864) Or être le berger des brebis et des agneaux c’est comme le dit Augustin : "réconforter les croyants pour qu’ils ne se découragent pas, si nécessaire fournir à ceux qui nous sont confiés des subsides matériels, leur offrir un exemple de vertus, s’opposer aux adversaires et corriger les pécheurs". Est autem pascere agnos et oues ut Augustinus ait: credentes ne deficiant confortare: terrena subsidia si necesse est: subditis prouidere: exempla uirtutum prebere: aduersariis obsistere: peccantes corrigere.GLOSS. ORD. in Ioh., 21, 17
(865) Et augere gregem ("augmenter le troupeau") comme le dit ici le poète, c’est faire entrer les incroyants dans la bergerie du Christ, autrement dit l’Église, en leur enseignant la foi, et ainsi faire se multiplier les brebis. Et augere gregem ut hic poeta ait: infideles in ouile Christi id est in ecclesiam per institutionem fidei introducere: et ita multiplicare.
(866) Oues ("les brebis"), en effet, désigne les fidèles qui sont simples et humbles à l’image des brebis qui sont douces et paisibles ; c’est une allégorie. Oues autem dicuntur fideles quia simplices et humiles sunt ad instar ouium mites et placidi: est autem allegorica locutio.
(867) (Quo munere), après avoir montré l’autorité de Pierre et sa charge pastorale dans les champs de l’Église, il ajoute maintenant les paroles dont il s’est servi lors de cette assemblée des Saints. (Quo munere.) posteaquam ostendit petri authoritatem et pastorale munus ipsius in campis ecclesiae: nunc adducit uerba ipsius quibus usus est in coetu illo Sanctorum.
(868) Quo munere ("en vertu de ce ministère"), autrement dit de son devoir de pasteur, summus ("plus haut"), autrement dit Pierre, comme le prince des Apôtres, surgit ("il se dresse"), évidemment pour parler, comme ont coutume de le faire les orateurs qui, quand ils parlent, ne sont pas assis, mais debout ; et insinuans ("et suggérant"), autrement dit révélant peu à peu, diuina negocia ("les volontés divines"), autrement dit les œuvres de Dieu ou alors les affaires qui concernent Dieu, comme le retour du nombre douze, qui était incomplet, à sa forme entière ; uenerandus ("le vénérable") ; autrement dit Pierre, que l’on peut vénérer pour son âge et sa dignité ; sic ait ("il dit") il parla ainsi. Quo munere. idest. officio pastorali: summus id est princeps petrus: Surgit scilicet uerba facturus: ut concionatores solent: qui cum loquuntur non sedent sed stant. et insinuans id est paulatim aperiens: diuina negocia id est opera dei uel negocia ad deum attinentia: ut erat reintegratio numeri duodenarii: qui erat incompletus: uenerandus id est uenerabilis petrus et aetate et dignitate: sic ait sic uerba fecit.
(869) Nostis ("Vous savez"), évidemment vous les frères, quia proditor ("que le traître"), évidemment Judas Iscariote qui livra et trahit le Seigneur aux Juifs, amens ("insensé"), autrement dit fou dans la trahison de son Seigneur et Maître, soluit mercedem ("a payé le salaire"), autrement dit le prix de son péché, évidemment de sa trahison, sibi ("pour lui-même"), quand il s’est donné à lui-même la juste récompense de sa trahison. Nostis scilicet uos fratres quia proditor scilicet iudas scarioth qui prodidit et tradidit dominum iudaeis: amens id est insanus in domini et magistri sui proditione: soluit mercedem id est praemium peccati scilicet proditionis: sibi cum dedit sibi iustum praemium proditionis.
(870) Et quel est le salaire et quelle est la récompense qui est due au traître ? et Quae merces et quod praemium debetur proditori?
(871) Evidemment la corde et la pendaison, et une mort horrible comme fut horrible son crime. certe laqueus et suspensio: et mors horribilis ut facinus horribile fuit.
(872) C’est donc un tel mercedem ("salaire") et une telle punition qu’à juste titre Judas a payés pour lui même, lui qui fut à la fois l’instigateur et le juge d’un péché sacrilège. talem ergo mercedem et talem poenam iuste soluit sibi iudas: qui fuit peccati nefandi author et iudex.
(873) Car, au moment où il pécha et vit son Seigneur condamné alors qu’il était innocent, ému par l’atrocité de son crime et poussé par le poids de l’impiété que lui avait fait commettre sa cupidité à désespérer de pouvoir faire pénitence, il rendit les trente pièces d’argent pour lesquelles il avait vendu le Christ aux chefs des prêtres en disant "j’ai péché en vous livrant le sang d’un juste, et, après avoir jeté les pièces d’argent dans le temple, il alla se pendre". Nam simul ac peccauit et uidit dominum Suum damnari innocentem: motus atrocitate facinoris: atque impietatis pondere ab auaricia in desperatam poenitentiam impulsus reddidit. XXX. argenteos quibus christum uendiderat: principibus sacerdotum: dicens peccaui tradens sanguinem iustum: Et proiectis argenteis in templo laqueo se suspendit.
(874) C’est pourquoi Judas se jugea digne de la corde, et que, sans attendre la sentence de quelque autre juge, il se jugea lui-même en se brisant le cou avec une corde ; et ainsi Judas fut pour lui-même traître, juge, licteur et bourreau ; voilà pourquoi Arator dit soluit sibi mercedem ("a payé pour lui-même le salaire") parce qu’il fut son propre juge et s’infligea à lui-même le châtiment qu’il méritait, lui qui avait trahi le Seigneur du monde et son propre Seigneur. Itaque ludas se iudicauit dignum laqueo: et se non expectata alicuius alterius iudicis sententia: iudicauit laqueo gulam frangens: atque ita sui ipsius fuit proditor iudas iudex lictor et carnifex: ideo Arator ait soluit sibi mercedem: quia sui ipsius fuit iudex: et sibi dedit poenam quam meruerat: qui dominum mundi et suum prodiderat.
(875) Dans cet acte (comme l’atteste Jérôme) bien qu’il paraisse avoir eu une forme de repentir, son repentir vain ne lui servit à rien et il fut inutile et incapable de corriger son crime ; en effet non seulement il ne put faire amende honorable du sacrilège de la trahison, mais, sous l’effet du désespoir, il ajouta le crime du suicide. Mais le crime que causa le désespoir fut plus atroce que celui de la trahison. Car quand il livra le Christ aux Juifs, il l’attaqua et s’arma contre le Christ en tant qu’homme. Mais quand il se refusa à lui-même l’espoir du pardon, il crut que la clémence divine avait des limites bien fixées, alors qu’il aurait pu (s’il avait voulu retarder son supplice) faire l’expérience de l’infini de cette clémence. Qua in re (Vt Hieronymus author est) licet poenitentiam habuisse uideatur: nihil tamen ei profuit poenitentia infructuosa et inutilis per quam scelus corrigere non potuit. quippe qui non solum emendare nequiuerit proditionis nefas: sed per desperationem proprii homicidis scelus addiderit. At desperationis facinus atrocius fuit quam proditionis. Nam cum tradidit christum iudaeis: inuectus est directe seque in christum hominem armauit. At cum sibi ueniae spem denegauit: finitos diuinae clementiae fines esse credidit: quos (si uoluisset supplicium differre) infinitos esse experiri potuisset.
(876) C’est ce qui fait dire au pape Léon : "tu as été plus scélérat que tous et plus malheureux, Judas, car le repentir ne t’a pas ramené au Seigneur, mais le désespoir t’en entraîné vers la corde. Tu aurais pu attendre la consolation de ton crime et jusqu’à ce que le sang du Christ soit versé pour tous, tu aurais pu différer le trépas hideux de la pendaison". Hinc leo papa: sceleratiorLEO. M. serm., 54, 3 (inquit) omnibus O iuda et infelicior extitisti: quem non poenitentia reuocauit ad dominum: sed desperatio traxit ad laqueum. Expectasses consolationem criminis tui: et donec sanguis christi pro omnibus efunderetur informis Loeti suspendium distulisses.LEO. M. serm., 54, 3
(877) (Taedia :) ce fut le châtiment que s’infligea le traître Judas. Ipse ("lui-même"), évidemment Judas, horruit ("prit en horreur"), autrement dit trembla devant, fut pris de terreur, ne put pas supporter, taedia ("l’abomination") autrement dit la souffrance et le tourment, noxae suae ("de sa faute") autrement dit de son péché, comme Virgile : unius ob noxam ("par la faute d’un seul"). (Taedia:) haec fuit poena quam sibi dedit iudas proditor. Ipse scilicet iudas horruit id est contremuit expauit ferre non potuit: taedia id est molestias et cruciatus: noxae suae id est sui peccati: ut unius ob noxamVERG. Aen., 1, 39 apud uerg.
(878) stringens uocem ("étranglant sa voix"), autrement dit la resserrant évidemment avec le câble, uocem ("sa voix"), autrement dit sa gorge par laquelle sort la voix et la respiration, ream ("coupable"), autrement dit chargé de tort et vouée au châtiment, exemplo cessante ("en mettant un terme à l’exemple"), autrement dit en mourant. De fait, si le traître Judas avait vécu et n’avait pas mis un terme à sa vie en finissant pendu, il aurait donné un exemple à beaucoup de criminels et il en aurait incité beaucoup à trahir leurs maîtres. En effet, il est facile de changer le bien en pire, et vu que le genre humain est porté vers le mal, les gens sont plus volontiers excités à l’imitation des vices qu’à celle des vertus. Mais quand il est mort, il a mis un terme à l’exemple. Qui en effet oserait suivre l’exemple de ce traître qui expia le forfait de sa trahison d’un trépas aussi horrible ? stringens uocem id est arctans scilicet fune: uocem id est gulam per quam exit uox et spiratio: ream id est obnoxiam et obligatam poenae: exemplo cessante id est moriente. Nam si iudas proditor uixisset: et non cessasset laqueo uitam finiens: dedisset exemplum multis facinorosis et incitasset multos suo exemplo ad prodendum dominos. Bona enim facile mutantur in peius: et ut est genus hominum procliue ad malum libentius ad uitiorum quam uirtutum imitationem homines incitantur. Sed ubi mortuus est: cessauit exemplum. quis enim audebit sequi exemplum eius proditoris: qui luit commissum proditionis tam horribili exitu?
(879) Une trahison si atrocement punie brise l’audace de tout criminel. Le poète dit bien horruit taedia ("il prit en horreur son abomination") parce que comme le dit Juvénal : "c’est un grand châtiment de porter jour et nuit dans le cœur le témoin qui nous accuse" quand l’esprit, qui a conscience de son crime abject, sent un bourreau caché et tombe toujours sous des coups que nul ne perçoit. Frangit audaciam cuiuscunque facinorosi tam atrociter punita proditio. Ait autem horruit taedia: quia ut inquit iuue: poena uehemens est nocte dieque suum gestare in pectore testem: cum mens conscia diri facinoris occultum sentit carnificem: et surdo uerbere semper caedentem.
(880) Judas ainsi ne pouvait supporter la morsure de son impiété. Il roulait dans son esprit et sa mémoire le fait que, pour un vil prix, il avait vendu son Maître et son Seigneur, et qu’il avait entraîné au supplice celui dont il avait pu expérimenter la sainteté et la céleste pureté de vie, en partagent si longtemps sa vie et en parlant avec lui. Iudas autem suae impietatis morsus pati non poterat: Cum animo et recordatione uoluebat: se propter uile precium magistrum ac dominum suum uendidisse atque in supplicium protraxisse eum cuius sanctimoniam tantam: et coelestem uitae puritatem expertus fuisset conuiuens tandiu et colloquens.
(881) Ce qui angoissait aussi ce personnage, c’était le prophétie du Christ sur sa misérable fin ; il savait qu’il ne mentait jamais, lui qui était la Vérité. Angebat etiam hominem christi de eius exitu miserabili uaticinium: quem nunquam mentiri solitum cognouisset qui ueritas erat.
(882) Ne pouvant donc supporter cette torture de sa conscience, il laissa dans le temple les pièces d’argent pour lesquelles il avait vendu le Seigneur de l’univers. Les prêtres, quant à eux, après avoir tenu conseil, achetèrent avec cet argent le Champ du Figuier pour la sépulture des étrangers. Hoc ergo tormentum conscientiae ferre non potens in templo reliquit argenteos quibus dominum uniuersi uendiderat. Sacerdotes autem concilio inito emerunt ex illis agrum figuli in sepulturam peregrinorum.
(883) C’est de là que lui vint son nom de Champ du Sang, en hébreu ou en syriaque cela se dit évidemment Acheldamach, pour que ce soit un témoignage à jamais de la perversité de Judas. Vnde ager dictus est sanguinis dictione hebrea uel syriaca id signante scilicet acheldamach: in aeternum nequiciae iudaicae monimentum.
(884) Mais, nous qui étions étrangers à la Loi et aux Prophètes, nous avons reçu le zèle mauvais des Juifs pour notre salut et nous reposons dans le prix payé par le sang du Christ. sed nos qui peregrini eramus a lege et prophetis praua ludaeorum studia suscepimus in salutem: et in precio sanguinis christi requiescimus.
(885) Telle est la fin de Judas que Pierre raconte, tout en redoutant de laisser demeurer le collège apostolique au nombre de onze. Hunc iudae exitum tremendum petrus nar[18v]rauit timens in undenario numero remanere.
(886) En effet, comme le dit Bède, "tout péché se rapporte au nombre onze : en effet, celui qui agit de façon perverse outrepasse les préceptes du décalogue" ; voilà pourquoi Pierre s’efforce de ramener à douze le nombre des Apôtres. omne enim peccatum ut ait Beda ad undenarium pertinet. qui enim peruerse agit precepta decalogi transilit:BED. exp. act., 1 ideoque ad duodenarium apostolos reducere nititur petrus:
(887) (Cessante exemplo), autrement dit en mettant un terme grâce à la mort de Judas qui pouvait, en vivant, être un exemple pour d’autres. (Cessante exemplo) id est desinente per mortem iudae qui poterat esse uiuens aliis exemplo.
(888) (Stringens uocem) on peut interpréter cela au sens propre, autrement dit en enfermant par la mort dans un silence éternel sa voix qu’il avait fait parler pour faire cette promesse sacrilège : "que voulez-vous me donner et je vous le livrerai". (Stringens uocem) proprie etiam potes interpretari id est claudens uocem perpetuo silentio per mortem: quae prodierat in illam nefandam pollicitationem: quid uultis mihi dare: et ego eum uobis tradam.Mt 26, 15
(889) Comme le dit le Vénérable cet interprète de l’éloquence divine, "le traître a trouvé un châtiment digne de lui en tuant avec une corde le gosier par lequel était sortie la parole de trahison. DignamBED. exp. act., 1 (inquit Venerabilis diuini eloquii interpres) sibi poenam proditor inuenit: dum guttur quo uox proditionis exierat: laqueo necauit.
(890) Voilà pourquoi Arator ajoute : qui ("qui"), évidemment Judas, promeruit ("a gagné"), autrement dit a mérité, necari ("être tué") autrement dit étranglé, parte ("par la partie"), évidemment il s’agit de la gorge, qua ("par laquelle") évidemment la partie, fuit culpa ("il a péché"), évidemment en trahissant ; de fait, c’est par la gorge que fut émis ce discours abominable : "que voulez-vous me donner etc.". Ideo Arator subdit: qui scilicet iudas. promeruit id est meruit: necari id est strangulari: parte scilicet ea hoc est per guttur: qua scilicet parte: fuit culpa scilicet proditionis. nam per guttur emissa est illa infanda oratio: quid uultis mihi dareMt 26, 15 et.c.
(891) (Crimenque rectractans) il montre la raison pour laquelle Judas, une fois étranglé, est resté suspendu in aere ("dans les airs") et pourquoi, une fois suspendu, il a éclaté par le milieu et pourquoi ses entrailles se sont répandues et n’ont pas eu de sépulture mais se sont évanouies et dissoutes dans les airs diaphanes. (Crimenque rectractans) ostendit causam cur iudas in aere pependit strangulatus: et cur suspensus crepuit medius et difusa sunt omnia uiscera eius et insepulta sunt: et in tenues auras elapsa et comminuta.
(892) Voilà pourquoi il chercha pour mourir aerem ("les airs"), c’est-à-dire un lieu approprié : en homme qui avait trahi le Seigneur des hommes et des anges, coelo terraeque perosus ("odieux au ciel et à la terre"), il devait fuir le ciel et la terre, pendant au milieu des airs, comme s’il devait s’associer aux esprits des airs, à la manière d’Achitophel et d’Absalon. Ideo autem aerem hoc est locum dignum quaesiuit morti: ut qui hominum et angelorum dominum prodiderat: coelo et terrae perosus coelum et terram fugeret in medio aere pendens quasi aeris spiritibus sociandus: instar achitofel et absalon.
(893) Ensuite, quand avec les trente pièces d’argent de Judas on eut acheté le Champ du Figuier pour la sépulture des étrangers, les étrangers étaient ensevelis là, mais Judas seul fut exclu de son champ, autrement dit du champ acheté avec ses deniers. Deinde cum triginta argenteis iudae emptus fuerit ager figuli in sepulturam peregrinorum: peregrini ibi sepeliebantur: at iudas solus ab agro suo id est empto sua pecunia exclusus est.
(894) Ainsi la punition de sa trahison fut multiple : il périt dans les airs, il éclata par le milieu, il ne fut pas enseveli dans son champ mais totalement exclu de celui-ci. Itaque multiplex fuit uindicta proditionis. et quod in aere periit: et quod crepuit medius: et quod non fuit sepultus in suo agro sed ab eo omnino exclusus.
(895) Le poète dit donc -que à la place de et retractans ("cherchant à renouveler"), évidemment refaisant, rappelant ; crimen ("son crime"), autrement dit son péché évidemment de trahison, indicio ("à la dénonciation"), autrement dit au signe de son repentir quand il jeta les trente pièces d’argent dans le temple et dit qu’il avait péché. ait ergo que pro et retractans scilicet reliciens reuocans: crimen id est peccatum scilicet proditionis: indicio id est signo poenitentiae cum proiecit triginta argenteos in templo: et dixit se peccauisse.
(896) permisit membra ("il abandonna ses membres"), autrement dit il livra son corps, tali furori ("à un tel égarement), évidemment en se pendant à une corde ; par 'tel' j’entends comme un châtiment dû évidemment à Judas à cause de sa trahison ; poneret locum in medio aeris ("plaçât dans un endroit au milieu des airs"), évidemment qui convenait hosti ("à l’ennemi"), évidemment Judas, communi ("commun"), évidemment caelo et terrae ("au ciel et à la terre"), autrement dit aux êtres célestes et terrestres, parce qu’il avait trahi le Seigneur des êtres célestes et terrestres ; voilà pourquoi le poète dit perosus coelum et terram ("odieux au ciel et à la terre"), évidemment Judas, autrement dit ayant pris en haine les anges du ciel et les hommes sur la terre. permisit membra id est tradidit corpus: tali furori id est tali morti per furorem desperationis sibi illatae: in medio aeris scilicet pendens laqueo: tali dico: ut poena debita scilicet iudae propter proditionem: poneret locum in medio aeris scilicet conuenientem: hosti scilicet iudae: communi scilicet coelo et terrae id est coelestibus et terrenis: quia dominum coelestium et terrenorum prodiderat: ideo perosus (inquit) coelum et terram scilicet iudas: hoc est odio habens coelestes angelos et terrenos homines.
(897) Tout homme en effet qui offense le Seigneur paraît aussi offenser ses serviteurs, et tout homme qui est ennemi du Seigneur est aussi ennemi de ceux qui obéissent au Seigneur ; voilà pourquoi Judas perit ("périt"), autrement dit est mort, inter utrumque ("entre l’un et l’autre"), autrement dit entre le ciel et la terre, ce qui veut dire dans les airs, comme s’il fuyait le lieu de ceux dont il était l’ennemi commun. quisquis enim dominum offendit: seruos quoque offendere uidetur: et quisquis inimicus est domino: eius quoque famulis inimicus est ideo iudas: perit id est mortuus est: inter utrunque id est inter coelum et terram hoc est in aere: quasi fugiens loca eorum quibus erat inimicus communis.
(898) (Nullis.) uiscera ("les entrailles") de Judas pendu, pour qu’elles gisent sans sépulture, furent répandues dans les airs et, comme cinis ("de la cendre") qui fuit loin du monde, elles s’évanouirent dans les tenues auras ("les airs légers"). (Nullis.) uiscera iudae suspensi ut iacerent insepulta: sparsa sunt per aerem: et ut cinis fugeret a mundo in tenues auras Euanuerunt.
(899) Les entrailles, qui sont le siège de la fraude et qui conçurent cette infâme trahison, déchirées par un si grand crime, n’eurent pas la force de se tenir rassemblées et furent arrachées au corps et répandues dans les airs. Viscera quae sunt sedes fraudis quaeque proditionem infandam conceperant: tanto scelere dirupta: se cohibere non ualuerunt a corpore diuulsa et per aera euoluta.
(900) C’est à juste titre que les entrailles se répandent en passant par le siège de la ruse et non par le lieu du baiser (autrement dit par la bouche avec laquelle il embrassa Jésus, bien que ce fut un faux prétexte), mais par un autre endroit là où se trouvait le poison de sa malice cachée. Merito autem per sedem doli uiscera funduntur: non per locum osculi id est per os quo osculatus est iesum quanuis falsa superficie: sed per alium cui uirus inerat occultae maliciae:
(901) (Viscera.), évidemment de Judas pendu, rupta ("éclatées") autrement dit arrachées au corps de Judas, cadunt ("tombent"), évidemment emportées dans les airs, condenda ("destinées à être ensevelies") autrement dit enterrées, nullis sepulchris ("en nuls tombeaux") autrement dit dans aucun tombeau ; cela veut dire uiscera cadunt non condenda ("ses entrailles tombent sans être destinées à être ensevelies") ni mises dans un quelconque tombeau ce qui constitue le second châtiment de Judas, et cinis ("la cendre"), autrement dit le corps de Judas qui doit être réduit en cendre et en poussière, elapsus ("enlevé") autrement dit s’évanouissant et emporté dans les auras tenues ("les airs légers"), fugit ab orbe ("fuit loin de la terre"), autrement dit du monde, réduit qu’il est au néant. (Viscera. ) scilicet iudae suspensi: rupta id est diuulsa a corpore iudae. cadunt scilicet euoluta per aera. condenda id est humanda: nullis sepulchris id est nullo sepulchro: hoc est uiscera cadunt non condenda nec sepelienda aliquo sepulchro in poenam iudae alteram. et cinis id est corpus iudae in cinerem et puluerem comminuendum: elapsus id est euanescens et euolutus in auras tenues fugit ab orbe id est a mundo redactus in nihilum.
(902) (non haec uacat.) voici le sens : cette vengeance dont j’ai parlé plus haut, évidemment le fait que Judas a éclaté par le milieu et que ses entrailles ont été répandues, non uacat ("n’est pas vaine") autrement dit n’est pas vide de sens et seule, car il s’en ajoute une autre : de fait, comme avec le prix des trente pièces d’argent les chefs des prêtres avaient acheté un champ pour la sépulture des étrangers pauvres qui n’avaient à Jérusalem aucun lieu propre de sépulture, Judas, pour être puni sur ce plan après sa mort, n’eut aucune part à la sépulture dans son propre champ, dont les habitants pauvres avaient la jouissance et l’usage. C’est pour cela que les gens d’origine étrangère utilisaient le champ de Judas pour leurs inhumations, mais Judas n’eut aucune part à son propre champ, autrement dit celui qu’il avait acheté avec son argent cependant mal acquis, et il en fut privé pour châtiment de sa trahison. (non haec uacat.) sensus est. haec uindicta supra dicta scilicet quod iudas crepuit medius et fusa sunt uiscera eius non uacat id est non est uacua et sola quia alia addita est: nam cum precio triginta argenteorum principes sacerdotum emissent agrum in sepulturam peregrinorum pauperum qui nullum habebant in hierusalem sepulturae proprium locum: iudas ut in hac parte post mortem puniretur caruit sepultura in proprio agro cuius commoditate pauperes incolae utebantur. Itaque alienigenae agro iudae ad humationem utebantur: iudas proprio agro id est empto suis nummis male tamen partis: caruit et priuatus est in poenam proditionis.
(903) Non haec ultio ("cette punition"), autrement dit la vengeance, évidemment le châtiment dont nous avons parlé, uacat ("n’est pas vaine"), autrement dit seule et vide de sens, comme Lucain : quaeritque iugum ceruice uacante ("et il cherche un joug car sa nuque est libre"). Non haec ultio id est uindicta scilicet supradicta poena: uacat id est sola fuit: et uacua: ut lucanus quaeritque iugum ceruice uacante.LVCAN. 9, 261
(904) quae ("qui") évidemment ultio ("la punition") negat suprema ("refuse les derniers honneurs") autrement dit refusa à Judas les derniers rites et les honneurs ultimes de la sépulture, et uindicta ("la vengeance"), évidemment de la trahison, et mercis iniquae ("de l’inique salaire"), le salaire et la transaction que Judas mena contre son Seigneur pour trente pièces d’argent, fixant qu’il livrerait le Christ aux Juifs s’ils lui donnaient le prix fixé. Vindicta ("la vengeance") sic uenit ("vint ainsi"), évidemment sur la tête de Judas, placitura ("qui plaira") évidemment à Dieu qui est juste et rend à chacun selon ses actes. quae scilicet ultio negat suprema id est negauit iudae res ultimas et supremos sepulturae honores: et uindicta scilicet proditionis et mercis iniquae: quam mercem et mercaturam exercuit iudas contra dominum suum propter triginta argenteos: pangens se proditurum iudaeis christum si dedissent pactum precium. uindicta sic uenit scilicet in caput iudae: placitura scilicet deo qui iustus est et redit unicusque secundum facta.
(905) De fait cum parasset ("alors qu’il venait d’acquérir"), évidemment Judas, autrement dit qu’il avait acheté modo ("récemment"), autrement dit peu avant ou quand il eût trahi le Seigneur, rura ("des terres"), autrement dit une terre et un champ, ex precio ("du prix"), évidemment les trente pièces d’argent, funeris ("du trépas"), évidemment la mort du Christ ; de fait, c’est à ce prix que le Seigneur fut entraîné au trépas et à la mort ; impius ("l’impie"), évidemment Judas, caret fertilitate ("est privé de la fertilité") autrement dit de la richesse, agri sui ("de son propre terrain"), autrement dit acheté avec son propre argent ; cum cespes ("cette terre"), autrement dit ce champ, partie pour le tout, emptus nomine sanguinis ("achetée sous le nom du sang"), évidemment celui du Christ, parce que, comme nous l’avons dit, il fut appelé 'Champ du Sang' en langue syrienne ; cespes ("ce champ"), j’entends componens busta ("qui rassemble des bûchers"), autrement dit qui donne leurs tombeaux, in fauillas ("pour les cendres"), autrement dit les ossements et les corps, externas ("étrangers"), autrement dit ceux des étrangers et des gens qui ne sont pas de la région, foecundet humum ("féconde son sol"), autrement dit rend fécond et porteur de fruit ce champ, de tumulis ("à partir des tombeaux"), autrement dit des tombes des gens qui ne sont pas du pays. Nam cum parasset scilicet iudas: id est emisset modo id est paulo ante uel cum prodidisset dominum: rura id est rus et agrum: ex precio scilicet triginta argenteorum: funeris scilicet mortis christi. nam illo precio dominus fuit protractus in funus et mortem: impius scilicet iudas caret fertilitate id est amplitudine: agri sui id est empti sua pecunia: cum cespes id est ager: pars pro toto: emptus nomine sanguinis scilicet christi: quia uocatus est ager sanguinis lingua syriaca ut diximus: cespes dico componens busta id est dans sepulchra: in fauillas id est ossa et corpora: externas id est externorum et peregrinorum: foecundet humum id est foecundum et plenum faciat agrum: de tumulis id est monumentis peregrinorum.
(906) Et ainsi, le Champ du Figuier, emptus ("acheté") avec l’argent de Judas, est utile à ceux qui ne sont pas du pays pour y enterrer leurs cendres et ne sert à rien à Judas, avec l’argent duquel il a été emptus ("acheté") pour servir de châtiment à ce dernier avec les autres punitions que j’ai indiquées plus haut ; ce qu’exprime clairement le poète en disant : et solus ("et seul"), évidemment Judas, excluditur aruis ("il est exclu des sillons"), évidemment de l’inhumation dans les sillons ou dans son champ, quae ("qui"), évidemment les sillons, ferunt ("portent"), évidemment donnent, monumenta ("des tombeaux"), évidemment des tombes, évidemment à ceux qui ne sont pas du pays ; cuius ("lui dont"), évidemment Judas, tuba saeua ("la trompette cruelle"), autrement dit la voix cruelle résonnant contre son Seigneur comme une trompette quand il a dit "que voulez-vous me donner etc.", est exorsa ("a donné le signal"), autrement dit a commencé, nefas ("un sacrilège"), autrement dit le méfait de trahison, cruentum ("sanglant"), évidemment qui versa le sang et fut cruel ; qui signifer ("lui ce porte-enseigne"), évidemment Judas qui comme s’il portait une enseigne pour les Juifs pour qu’ils prennent le Seigneur, figens oscula ("donnant un baiser") évidemment au Christ afon que les Juifs n’en arrêtent pas un autre à la place du Christ. atque ita Ager figuli emptus pecunia iudae profuit peregrinis ad fauillas eorum humandas: et non profuit iudae cuius pecunia emptus est in poenam ipsius cum aliis ultionibus supradictis: quod adhuc declarat dicens: et solus scilicet iudas excluditur aruis scilicet ab humatione arui uel agri sui: quae scilicet arua ferunt scilicet dant monumenta scilicet sepulchra scilicet peregrinis: cuius scilicet iudae tuba saeua id est uox crudelis sonans contra dominum suum uelut tuba: cum dixit quid uultis mihi dareMt 26, 15 et.c. est exorsa id est incepit: nefas id est maleficium proditionis: cruentum scilicet sanguinarium et crudele: qui signifer scilicet qui ludas tanquam ferens uexillum iudaeis ut dominum caperent: figens oscula scilicet christo: ne pro christo alium iudaei comprehenderent.
(907) Tel est en effet le signe que Judas donna aux Juifs quand il leur dit : "celui que j’embrasserai, c’est lui ; emparez-vous de lui". hoc enim signum dedit iudas iudaeis: cum dixit illis: quemcunque osculatus fuero ipse est. tenete eum.Mt 26, 42
(908) lupus ("un loup"), autrement dit comme un loup, évidemment Judas, intulit bellum agno ("a engagé la guerre contre l’agneau"), évidemment le Christ, ab indicio pacis ("par le signe de la paix"), autrement dit par un baiser qui était signe de paix et non de guerre ; et c’est la figure ornementale d’antithèse. lupus id est tanquam lupus scilicet iudas intulit bellum agno scilicet christo: ab indicio pacis id est ab osculo quod erat signum pacis non belli. Et est antitheton exornatio.
(909) C’est là que se montre la plus grande tromperie de Judas, qui, sous couvert de paix et d’amitié, provoqua une guerre atroce et de très grandes inimitiés. Hinc apparet maxima iudae fraus: quae sub specie pacis et amicitiae: bellum atrox: et inimicitias exercuit inimicissimas.
(910) Puisque, comme le dit Cicéron dans le De officiis, "la tromperie qui est, semble-t-il le propre des petits renards et la force qui est celui des lions, sont toutes deux totalement étrangères aux humains, la tromperie mérite plus de haine". Mais il n’est aucun crime plus capital que la trahison pleine de ruse de Judas, aucun plus affreux, aucun plus cruel, car tandis qu’il trompait totalement, comme un homme de bien, il a reçu son Seigneur avec un baiser plein d’empressement. Cum autem ut refert. M.Tullius in libris officialibus: fraus quae uulpeculae: uis leonis uideatur: et utrumque alienissimum ab homine sit: fraus odio digna maiore est.CIC. off., 1, 13, 41 sed iudae dolosa proditione nulla capitalior: nulla atrocior: nulla immanior: qui tum cum maxime fallebat: quasi uir bonus officioso osculo dominum excepit.
(911) Voilà pourquoi Hraban, remarquable commentateur de la divine Ecriture, dit que ce n’est pas par le lieu du baiser, autrement dit par la bouche que les entrailles de Judas tombant et sortant de lui se sont répandues, mais par une autre endroit dans lequel se cachait la poison de la perfidie qu’il avait conçue. ideo Rab. insignis diuinae scripturae enarrator non per locum inquit osculi id est per os cadentia aut exeuntia iudae uiscera fusa sunt: sed per alium in quo conceptae perfidiae uirus latebat.
(912) (Parasset) n’allez pas comprendre que Judas a acquis ou a acheté le champ : il pendait dans un lieu hideux ; mais parce qu’il a fait qu’on l’a acquis, évidemment par achat, en jetant dans le temple ses pièces d’argent d’où les prêtres prirent la somme pour acheter le champ. (Parasset) non quod iudas agrum parauerit aut emerit intelligas qui deformi loeto pendebat: sed quia fecit parari scilicet emi proiectis in templo suis argenteis unde pontifices agrum emerunt.
(913) (Signifer) soit de manière métaphorique comme le porte-aigle portant l’étendard de la foule des Juifs qui venaient avec des épées et des bâtons, soit signifer pris au sens propre autrement dit portant le signe, évidemment celui du baiser, comme nous l’avons dit, pour que les Juifs ne se trompent pas de personne. (Signifer) uel metaphorice scilicet aquilifer uexillum ferens turbae iudaeorum euntis cum gladiis et fustibus. uel proprie signifer id est ferens signum scilicet osculi ut diximus ne iudaei errarent.
(914) (Nunc opus est) c’est la conclusion de Pierre : puisque Judas a péri de la manière que nous avons dite, opus est uotis ("il faut former des vœux"), autrement dit des prières, qui puissent fléchir le Seigneur pour que, dans la reconstitution du nombre de douze, ce soit le meilleur que nous choisissions. (Nunc opus est) concludit petrus: quoniam iudas interiit eo modo quo diximus opus est uotis id est precibus: quibus dominus flectatur ut in restitutione summae duodenariae: optimus a nobis eligatur.
(915) opus est uotis ("il faut former des vœux"), évidemment pour élire quem liceat supplere uices ("qui peut prendre sa place"), autrement dit le lieu qu’occupait Judas perdu pour le nombre de la troupe apostolique, quod clamant uerba prophetica ("ce que proclament les paroles prophétiques"), autrement dit du prophète David, au psaume 108 : "que leur séjour (dit le saint poète et roi et prophète David) devienne désert et qu’un autre reçoive sa charge". Ce trait est d’abord lancé par le prophète contre les chefs des prêtres et les Juifs en disant que l’habitation des prêtres qui ont persécuté le Seigneur de leurs paroles et de leurs accusations "devienne déserte", ce qui arriva quand Vespasien détruisit d’un coup Jérusalem et son temple, et que "sa charge" autrement dit sa fonction de supervision ou de veille, autrement dit sa dignité d’Apôtre, "un autre la prenne", évidemment parmi les deux entre lesquels ils tirèrent au sort, à savoir Matthias, "sa charge" évidemment celle de Judas. opus est uotis scilicet ad eum eligendum: quem liceat supplere uices id est locum scilicet iudae perditi a numero summae apostolicae: quod clamant uerba prophetica id est prophetae dauid psal. cviii. FiatPs 108, 8 (inquit sacer poeta et rex et uates dauid) commoratio eorum deserta: et episcopatum eius accipiat alter.Ps 108, 8 illud primum in sacerdotum principes et iudeos uibrat propheta: fiatPs 108, 8 dicens habitatio sacerdotum qui dominum linguis et criminationibus persecuti sunt: deserta:Ps 108, 8 quod contigit Vespasiano hierosolymam euertente simul cum templo: et episcopatumPs 108, 8 id est superinspectionem uel speculationem hoc est dignitatem apostolicam accipiat alterPs 108, 8 scilicet duorum super quos sortes miserunt: hoc est matthias: eiusPs 108, 8 scilicet iudae.
(916) Puisque donc, dit Pierre, le prophète l’avait prédit, il est indispensable d’accomplir la prophétie de David. Tunc ("alors"), autrement dit après les paroles de Pierre, precantes ("priant"), évidemment les saints, summa ("très haut"), autrement dit la sublimité de la majesté divine, pour que des deux personnes particulièrement recommandables, il choisisse le plus digne ; constituere ("présentèrent"), autrement dit en posèrent deux entre lesquels ils tireraient au sort, selon ce qu’on lit dans les Proverbes "on jette les sorts, Dieu en règle l’issue", duos ("deux"), évidemment Joseph iustum cognomine ("surnommé Justus"), autrement dit qui avait le surnom de 'juste', en raison de sa probité si le nom est latin, mais s’il est hébreu comme le dit Bède, "cela veut dire économe et élevé", et matthiam ("Matthias") quod nomen ("nom qui"), évidemment celui de Matthias, sonat hebreo sermone ("veut dire en hébreu"), autrement dit en langue hébraïque, autrement dit signifie paruum dei ("le pauvre de Dieu"). Cum ergo ait petrus: propheta hoc praedixerit: oportet uaticinium dauid impleri. Tunc id est post uerba petri: precantes scilicet sancti: summa: id est altissima diuinae maiestatis: ut e duobus probatissimis eligeret digniorem: constituere id est posuerunt duos super quos sortes mitterentur: secundum illud in prouerbiis sortes mittuntur in sinum et a domino temperantur:Pr 16, 33 duos scilicet ioseph iustum cognomine id est qui habebat cognomentum iusti propter probitatem: si nomen latinum est: sed si hebreum ut ait beda interpretatur parcens uel eleuatus:BED. exp. act., 1 et matthiam: quod nomen scilicet matthias sonat hebreo sermone id est lingua hebraica id est significat paruum dei.
(917) Et comprobat ("il le confirme"), évidemment Dieu en appelant Matthias humble, car Dieu qui connaît l’avenir a voulu que Matthias soit ainsi appelé, prévoyant qu’il serait petit et humble, d’où le fait que comprobat ("il l’approuve") et le préfère à Joseph lui-même, qui, au jugement des gens, mérita d’être appelé 'le Juste'. et comprobat scilicet deus matthiam uocando humilem. quia deus praescius futurorum uoluit matthiam tali nomine uocari: praeuidens illum paruum et humilem futurum: unde et ipsum comprobat et praefert ipsi ioseph qui iudicio hominum meruit uocari iustus.
(918) Voilà pourquoi le poète ajoute avec admiration : o quantum distant ("ô combien sont éloignés") autrement dit diffèrent, humana (" les humains") évidemment il s’agit des jugements, iudiciis supernis ("des jugements du Ciel"), autrement dit de Dieu. ideo subiungit poeta per admirationem: O quantum distant id est differunt: humana scilicet iudicia: iudiciis supernis id est diuinis.
(919) Et il ajoute la raison : ille ("celui-ci"), évidemment Joseph qui était juste laude ("par l’éloge"), autrement dit par le surnom hominum ("des hommes"), évidemment qui croyaient qu’il était plus digne que Matthias lui-même, transcenditur ("est dépassé"), autrement dit il est vaincu quand le sort tomba sur Matthias, merito ("par le mérite"), évidemment la vertu, parui ("du petit"), autrement dit Matthias. Et c’est ainsi que les gens, quand ils jugent des autres, se trompent souvent, Dieu seul ne sait ni être trompé, ni tromper. et subdit causam. Ille scilicet ioseph qui erat iustus laude id est cognominatione hominum scilicet credentium hunc esse digniorem ipso matthia: transcenditur scilicet superatur cum cecidit sors super matthiam: merito scilicet uirtute: parui id est mathiae. Et ita homines de hominibus iudicantes saepe falluntur: deus solus nescit falli nec fallere.
(920) (Hebreo.) Il faut savoir ce que l’évêque de Burgos indique savemment dans ses Additions sur Matthieu : "le nom hebreus ne vient pas d’Abraham, puisque la première lettre du nom 'Abraham' est aleph alors que dans hebreus c’est aïn" ; hebreus ne vient pas davantage de Heber sinon les Ammonites et les Moabites qui devaient naître de Loth ainsi que les Madianites et les Edomites et tous ceux qui descendent de Heber seraient nommés Hébreux. Donc hebreus ne vient pas d’Abraham, c’est-à-dire du nom propre mais du surnom d’Abraham heber, autrement dit non pas du nom d’Abraham mais de son surnom. En effet, comme Abraham était né en Mésopotamie où son père Tharè et sa famille servaient les idoles, par un effet de la guidance divine, il traversa l’Euphrate qui est la limite de la terre promise, et quand il fut venu en terre sainte, une fois mis à part par la puissance du Ciel pour rendre à Dieu un culte, les habitants de ce lieu le nommèrent hebreus, comme nous le voyons dans la Genèse, autrement dit "qui vient de l’autre rive du fleuve", car il était venu de Mésopotamie qui est sur l’autre rive du fleuve en terre de Canaan. Voilà pourquoi on le nomma hebreus et ses descendants hebrei. J’ai fait cette note car on ne la trouve pas dans les auteurs de niveau élémentaire ; autrement les autres notations qui sont bien connues, nous les passons et ainsi j’aurais passé cela sous silence aussi. Bien que le divin Augustin en Civ. Dei 16 ne soit pas du même avis que l’évêque de Burgos, cela n’est pas étonnant car il ne savait pas l’hébreu. (Hebreo.) Sciendum illud quod Burgensis episcopus in additionibus matthei notat sapienter: scilicet hoc nomen hebreus non ab abraam declinari: cum abraam scribatur in principio per aleph: hebreus uero per eyn:PAB. S. M. in Nic.Lyr. postill. add., Matth. Nec etiam ab heber dicitur hebreus: alioquin ammonitae et moabitae qui a loth sunt oriundi: et madianitae et edomitae et alii qui ab heber omnes sunt deriuati hebrei uocarentur. Dicitur ergo hebreus non ab abraham hoc est nomine proprio: Sed ab heber: quo fuit cognominatus abraam: id est a cognomento abraae non a nomine. abraam enim cum natus esset in mesopotamia ubi thare pater et cognati idolis seruiebant: diuina moderatione Eufratem fluuium transmisit: qui terminus est terrae promissionis: cumque in terram sanctam uenisset ad dei cultum coelesti numine segregatus: dictus est ab incolis hebreus ut in genesi uidemus id est transfluuialis: quia a mesopotamia quae est trans fluuium: in terram canaam uenerat. Hinc ipse hebreus et posteri hebrei dicti. Hoc notaui: quia apud elementarios authores non inuenitur: alioquin ut caetera protrita omittimus: ita hoc quoque silentio preteriissem. Quamuis autem dissentiat diuus augus . li. de ciuitate dei .xvi. non est mirum cum literas hebraicas nesciuerit.
(921) (Duodena) après que le sort eut désigné Matthias, le nombre des douze Apôtres redevint complet, afin que ce fût à un nombre parfait que fût donné l’Esprit de perfection. (Duodena) postquam cecidit sors super matthiam: reintegratus fuit numerus. xii. apostolorum ut perfecto numero perfectus daretur spiritus.
(922) En outre, ce nombre avait été annoncé par avance dans de nombreux passages de l’Ancien Testament comme les douze patriarches, les douze sources que l’on a trouvé à Hélim, les douze pains de proposition, les douze pierres de jugement, les douze autels, les douze pierres levées tirées du Jourdain, les douze placées dans ce même fleuve, et je passe les autres, pour ne pas allonger. Caeterum hic numerus praesignatus fuit in multis ueteris instrumenti locis ut in. xii. patriarchis: in duodecim fontibus in helym repertis: in. xii. panibus propositionis: in.xii. lapidibus rationalis: in.xii. altaris: in.xii. de iordane eleuatis: in. xii. in eodem positis. omitto caetera ne sim longior.
(923) Donc il dit signa duodena ("les douze astres"), autrement dit les douze Apôtres, comme les douze signes du Zodiaque ou porte-signes, comme Bélier, Taureau, Gémeaux etc. chori ("choeur"), autrement dit assemblée, évidemment des Apôtres, refulgent ("resplendissent"), évidemment sur la terre, comme les signes dans le ciel que traverse le soleil qui gouverne l’année, ce qu’il explique aussi avec iubar Olympi ("l’éclat de l’Olympe"), autrement dit la splendeur céleste, iaculatur ("est projeté"), autrement dit au passif est envoyé de iaculo, as, are  ; terris ("sur les terres"), autrement dit à travers les terres. De fait, comme par leur lumière les signes de l’Olympe éclairent le monde, ainsi les signes que sont les Apôtres, en brillant à travers le monde, d’une lumière non pas corporelle mais spirituelle illuminèrent toutes les terres, évidemment de la lumière de l’enseignement évangélique. Ergo ait signa duodena id est apostoli.xii. tanquam. xii. signa Zodiaci uel signiferi Aries taurus gemini et .c. chori id est coetus.s.apostolici refulgent scilicet in terris ut signa in coelo per quae means sol annum regit. quod declarat et iubar olympi id est splendor coelestis iaculatur id est mittitur passiue a iaculo as: terris id est per terras. nam sicut luce sua signa olympi illustrant mundum: ita signa apostolica fulgentia per orbem non luce corporea sed spiritali illuminauerunt omnes terras: scilicet lumine doctrinae Euangelicae.
(924) (Haec quoque) voici le sens est l’ordre haec lux ("cette lumière"), autrement dit le jour dans lequel fut complété le nombre des douze Apôtres, quid operis ("quelle œuvre"), autrement dit quelle œuvre mystique, praeferat ("anticipe"), évidemment montre par avance, pergam ("je poursuivrai"), autrement dit je vais edere ("publier"), autrement dit révéler et expliquer. (Haec quoque) sensus et ordo est. haec lux. id est haec dies in qua numerus xii. apostolorum completus est: quid operis id est quod opus mysticum: praeferat scilicet praemonstret: pergam id est procedam: edere id est aperire et declarare.
(925) Voici de quelle nature est le mystère : il était logique que le nombre de douze soit rétabli pour qu’il y ait proportion entre le nombre des prédicateurs de l’évangile, la terre sur laquelle il devait être annoncé et le mystère de cette prédication parce qu’on y trouve contenu de façon très sainte le chiffre de la trinité. Mysterium autem est huiusmodi. congruum fuit ut numerus duo[19v]denarius compleretur: ut esset proportio inter praedicatores Euangelii et orbem terrarum in quo erat futura praedicatio: et praedicationis mysterium quod numero sanctissime trinitatis continetur.
(926) De fait, le monde et la terre sont divisés en quatre parties : est, ouest, nord et sud : envoyez-en trois à l’est, trois à l’ouest, de même trois au nord, et, au sud, envoyez trois Apôtres, et voici qu’en réalisant le nombre de douze, on emplit chaque rivage et chaque partie du monde. Nam mundus et orbis in .iiii. partes diuiditur eoas occiduas: aquilonias austrinas. in eoas mitte tres: in occiduas tres: in aquilonias item. iii: et in austrinas tres apostolos et ita completo numero. xii. comples cunctas oras et partes orbis terrarum.
(927) De fait, si les Apôtres avaient été onze, on n’aurait pas pu embrasser dans le chiffre trois toutes les régions du monde ; mais il était inévitable en partageant trois Apôtres par partie du monde, qu’une partie n’en reçoive que deux, et ainsi la proportion entre Apôtres propagateurs de la foi et parties du monde était rompue. nam si.xi. apostoli fuissent non potuisses complere numero ternario cunctas regiones orbis: sed oportuisset cum singulis partibus tres distribuisses: uni parti duos dare: et ita non fuisset proportio inter diuulgatores fidei apostolos: et orbis partes.
(928) Il était donc indispensable de reconstituer le nombre de douze pour que la collège des douze embrasse grâce à la Trinité toutes les parties du monde. ergo necesse fuit complere numerum duodecim ut ordo duodenus per trinitatem circumiret omnes orbis partes.
(929) En outre, le monde qui va recevoir la foi trinitaire grâce à la prédication des Apôtres sent bien que le mystère de la Trinité se cache dans le nombre douze : douze c’est trois fois quatre ou aussi quatre fois trois. Si les Apôtres avaient été onze, cela ne conduirait pas au nombre de la Trinité, nombre qui est exprimé dans le baptême, quand on est baptisé au nom du Père et du Fils et du saint Esprit. Voilà donc la raison qui fait que le nombre douze devait être reconstitué, évidemment pour que le monde qui allait être baptisé dans le nom de la Trinité comprenne que, dans le nombre douze, se cachait la foi trinitaire, alors que (si l’on suit Bède) en utilisant les deux parties du chiffre sept (trois multiplié par quatre faisant en effet douze) la grâce qu’ils annonçaient était conservée jusque dans leur nombre. praeterea orbis fidem trinitatis accepturus per praedicationem apostolorum: sentit mysterium trinitatis latere in numero duodenario: quia ter quatuor sunt. xii. et quater tres etiam .xii. quod si fuissent. xi. apostoli: non resultaret numerus trinitatis: qui numerus exprimitur in baptismate: cum quis baptizatur in nomine patris et filii et spiritus sancti. ergo hac quoque ratione debuit numerus duodenarius compleri: ut scilicet orbis baptizandus in nomine trinitatis in numero duodenario trinitatis fidem perciperet latere: cum authore beda per duas septenarii partes (ter quaterni enim. xii. sunt) gratia quam praedicabant etiam in numero seruaretur.
(930) De fait dans le nombre douze, quand nous comptons soit trois fois quatre, soit quatre fois trois, le résultat est le chiffre sept, que nous tirons de quatre et trois, ou d’ailleurs s’il est présent par lui-même ; or, ce chiffre est celui des dons des grâces de l’Esprit saint, et de bien d’autres réalités mystiques. Nam in .xii. cum computamus ter quatuor uel quater tres: resultat numerus septenarius. ex quater tribus uel e diuerso per se: in quo numero gratiae spiritus sancti et dona et multa alia consistunt mystica.
(931) Donc pour que le mystère soit accompli, il était logique que le nombre de douze soit reconstitué. ut ergo hoc mysterium impleretur consentaneum fuit numerum duodenarium reparari.
(932) Voilà pourquoi il dit (orbis) évidemment des terres, est discretus ("est séparé") autrement dit divisé, partibus laterum quatuor ("en quatre parties") évidemment l’est, l’ouest, le nord et le sud ; trina ("triple") autrement dit de la Trinité, fides uocat hunc ("la foi l’appelle"), évidemment le monde à travers la prédicaion des apôtres ; quo nomine ("en son nom"), évidemment celui de la Trinité, lauatur ("est lavé"), évidemment orbis ("le monde"), autrement dit les hommes qui vivent dans le monde, fonte ("par la source"), évidemment celle du baptême ; ergo repetens ("ainsi donc en répétant") autrement dit celui qui répète et reproduit ter quattuor ("trois fois quatre"), computat ("compte"), autrement dit accomplit et réalise en comptant, omnem figuram ("toute la figure") évidemment des quatre parties du monde, quam ("que"), évidemment figuram ("la figure") du monde et de ses quatre points cardinaux, ordo duodenarius ("le collège des Douze"), évidemment la somme du nombre des Apôtres, circumtulit ("se porte autour"), autrement dit embrasse par son nombre de trois chacune des quatre parties du monde, accomplissant également ainsi la foi dans la Trinité qu’ils annoncent par leur parole et, la conservant jusque dans leur nombre, les Apôtres font le tour de la terre, et causa mystica ("une raison mystique"), évidemment celle que je viens de dire et qui contient le mystère de la Trinité, dedit discipulis piis ("a permis aux pieux disciples"), autrement dit a poussé et mis en mouvement les disciples pieux et religieux, pour reparare ("revenir") évidemment rendre son intégrité à leur ancien nombre, évidemment douze, quibus ("eux à qui"), évidemment discipulis ("les disciples"), iubetur hoc baptisma ("ce baptême a été confié") évidemment : que ce baptême soit donné au monde quand le Christ a prescrit aux disciples de "les baptiser au nom du Père et du Fils et du saint Esprit". ideo ait (orbis.) scilicet terrarum: est discretus id est diuisus partibus laterum quatuor scilicet Orientis occidentis septentrionis et meridiei: Trina id est trinitatis fides uocat hunc scilicet orbem per praedicationem apostolorum: quo nomine scilicet trinitatis: lauatur scilicet orbis id est homines in orbe uiuentes: fonte scilicet baptismatis. ergo repetens. in. qui repetit et resumit: ter quattuor: computat id est computando complet et implet omnem figuram scilicet quattuor laterum: quam scilicet figuram quadrilateram orbis: ordo duodenarius scilicet summae apostolicae circumtulit id est circumiuit numero ternario singulam quanque partium quattuor complens et ita trinitatis fidem quam praedicabant ore docentes et numero custodientes apostoli orbem circumeunt et causa mystica scilicet haec supradicta continens mysterium trinitatis: dedit discipulis piis id est impulit discipulos pios et religiosos ac mouit: reparare scilicet reintegrare numerum priorem scilicet .xii. quibus scilicet discipulis iubetur hoc baptisma scilicet dari orbi cum christus praecepit discipulis baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti.Mt 28, 19
(933) Il est important que nous n’ignorions pas que les théologiens grecs, Basile, Grégoire de Nazianze, Origène, et les théologiens latins aussi, Jérôme, Ambroise, Augustin et tous les autres, ont été attentifs partout aux propriétés des nombres eux-mêmes et les ont soumises à un examen si attentif dans quelque passage des Ecritures qu’ils les trouvent, qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Arator ici aussi montre tant de soin à expliquer le nombre douze et que cet observateur si plein de curiosité qu’est Bède, l’illustre commentateur, fasse passer partout les sentences de ce dernier dans son propre commentaire. Nos conuenit illud non nescire Graecos theologos Basilium: Nazianzenum: origenem: latinos quoque hieronymum Ambrosium Augustinum caeterosque obseruare ubique proprietates ipsorum numerorum: adeoque attente illos scrutari in quibusuis diuinae scripturae locis: ut non sit mirandum si Arator hic quoque tam diligens sit numeri duodenarii: tamque curiosus obseruator: Certe beda clarus interpres passim huius sententias in suas comentationes transfert.
(934) En outre, le chiffre trois était déjà considéré depuis les Pythagoriciens, comme contenant quelque mystère caché, car il est le premier des impairs et le premier dans un genre est également le plus parfait dans ce genre, comme dix parmi les nombres pairs, car il est le nombre de tous les autres ; à partir de lui il n’y a que progression par subdivision. Caeterum numerus ternarius iam inde a pythagoricis aliquid mysterii latentis habere putabatur: quia sit primus impar: et primum in uno quoque genere est perfectissimum in illo genere. sicut denarius inter numeros pares quia sit omnis numerus. Ab eo enim nihil nisi replicatio est.
(935) Mais nos auteurs sacrés contemplent le mystère du chiffre trois à la fois dans la divine majesté et dans la durée de trois jours au tombeau, et dans les trois vertus théologales, et dans les trois temps, celui de la nature, celui de la Loi et celui de la Grâce, et dans les trois états de la perfection. At nostri authores sacri mysterium ternarii et in maiestate: et in triduo sepulchri: et in tribus uirtutibus theologicis: et in tribus temporibus naturae et legis et gratiae: et in tribus statibus perfectionis contemplantur.
(936) Que dire du chiffre sept ? Quid loquar de septenario?
(937) Ils parlent, non sans raison, du fait que le Seigneur s’est reposé le septième jour, des sept dons l’Esprit saint, des sept Eglises, des sept sceaux, des sept étoiles, des sept chandeliers et qu’ils recherchent et analysent avec le plus grand soin le reste qui se rattache au chiffre sept, et que je passe pour ne pas trop allonger et aussi parce que ces sujets devront être traités à leur place et non ailleurs. cum dicant non sine ratione dominum die septima quieuisse. septem dona spiritus sancti: vii. ecclesias: vii. signacula: vii. stellas: vii. candelabra et reliqua loca congruentia numero septenario scrupulosissime indagant et scrutantur: quae ne longior sim omitto. simul quia haec suo in loco non in alieno tractanda sunt.