(1103) (PRIMVS AT ILLE PETRVS :) dans la cinquième
section de ce premier livre, Arator raconte comment Pierre porte-étendard de la
Loi nouvelle, ou pour mieux dire son soldat de première ligne, désormais tout
enflammé par le feu de l’Esprit saint, prit la parole pour parler de l’incarnation
de la passion et de la résurrection du Seigneur Jésus Christ, et, pour finir,
avertit tous ses auditeurs d’éviter les Juifs, nation obstinée et totalement dans
l’erreur. |
(PRIMVS AT ILLE
PETRVS:) in quinta huius primi libri
sectione Arator narrat quemadmodum
Petrus nouae legis uexillifer uel
antesignanus iam igne spiritus sancti totus flammeus uerba fecerit de
incarnatione passione ac resurrectione domini lesu christi: tandemque admonuerit
cunctos ut iudaeos uitarent gentem
obstinatam ac deprauatissimam.
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(1104) Parmi les éléments qui sont racontés par le divin Luc dans son
chapitre 2, il en est que le poète développe plus largement, d’autres qu’il traite
de manière plus resserrée, et d’autres enfin qu’il laisse de côté car il n’a aucun
espoir de pouvoir leur donner de l’éclat en les traitant. |
Eorum autem quae a diuo
Luca in secundo capite
narrantur: nonnulla latius explicat poeta: quaedam arctius: aliqua
etiam quae desperat tractata nitescere posse:
relinquit.
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(1105) Dès le début, il montre la gloire de Pierre et sa noble prééminence
sur les autres apôtres ; car c’est à lui, comme le raconte Matthieu, qu’il a
été échu de marcher sur les eaux. |
A principio autem statim petri claritudinem ac praestantiam praeter caeteros
apostolos notabilem monstrat: cui ut narrat
matthaeus: contigit ambulare super aquas.
|
(1106) De fait,comme le Seigneur avait nourri de cinq pains et deux poissons
cinq mille hommes sans compter les femmes et les petits enfants, il poussa les
disciples à monter dans la barque et à le précéder pour traverser les flots,
tandis qu’il renverrait la foule et prierait sur la montagne. |
Nam cum dominus saturasset .v. panibus et .ii.piscibus. v. millia uirorum exceptis mulieribus et paruulis: compulit discipulos ascendere in nauiculam et
praecedere eum trans fretum: donec dimitteret turbas
et in monte oraret.
|
(1107) Pendant ce temps, la barque qui transportait les apôtres était agitée
par les flots au milieu de la mer. Or, à la quatrième veille de la nuit, le
Seigneur vint en marchant sur les eaux vers eux ; et Pierre s’adressa ainsi à
lui : "Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir sur les eaux". Comme
donc le Seigneur l’avait ordonné, Pierre descendit de la barque et il marchait sur
la mer pour venir à la rencontre de Jésus. |
Interea nauicula qua uehebantur apostoli:
in medio mari iactabatur fluctibus. quarta autem
uigilia noctis dominus ambulans super aquas uenit ad eos quem ita petrus allocutus est:
domine si tu es iube me uenire super aquas.Mt 14, 28 domino ergo iubente descendens petrus de nauicula ambulabat super mare ut ueniret ad
Iesum.
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(1108) Donc le sens est bien : primus petrus ("le premier
Pierre"), parmi les apôtres, commença à prononcer un discours et à raconter les
triomphes du Christ, cui ("lui à qui"), Pierre, il échut de
s’avancer et de marcher sur la mer. |
est ergo sensus primus
petrus inter apostolos
coepit concionari et narrare triumphos christi:
cui petro contigit gradi et ambulare supra
mare.
|
(1109) Voici l’ordre : at ille petrus primus ("mais
Pierre le premier"), évidemment parmi les apôtres, rettulit
("rapporta"), autrement dit raconta, triumphos ("les triomphes"),
évidemment les victoires, aethereos ("du ciel"), autrement dit
divines, c’est à dire celles du Christ Dieu, comme le triomphe de sa résurrection,
celui de son ascension etc. Populo mirante ("devant le peuple
émerveillé"), évidemment devant les miracles du Christ ; ille Petrus
cui ("ce Pierre à qui"), évidemment Pierre, seruit in aequore
gressus ("les pas dans les flots ont obéï"), autrement dit la mer se
mit à son service pour qu’il s’y avance et marche dessus ; ille
cupiens uibrare retia ("lui désirant désormais jeter ses filets"),
autrement dit jeter sa parole ; cela est dit de manière allégorique ; de
même en effet que l’on prend les poissons au filet, de même on prend les âmes par
la parole. Saluti ("pour le salut"), autrement dit pour le salut
des hommes, ut piscator ("comme un pêcheur"), évidemment Pierre,
ouans ("exultant"), autrement dit heureux, leuet has
cateruas ("relève ces foules"), autrement dit les foules de ses
auditeurs, de fonte ("de l’eau"), évidemment celle du
baptême. |
ordo autem est.
At ille petrus primus
scilicet inter apostolos rettulit id est narra[24v]uit triumphos idest uictorias:
aethereos id est diuinos hoc
est christi dei: ut triumphum resurrectionis
ascensionis etc.
populo mirante scilicet
miracula christi:
ille petrus:
cui scilicet petro
seruit gressus in aequore: id est Seruiuit mare ad gressum et ad
ambulandum super illud:
ille
cupiens uibrare retia idest
iacere uerba. allegorice. Vt
enim retibus pisces capiuntur: sic uerbis animae.
Saluti id est ad salutem
hominum ut piscator scilicet
petrus:
ouans id est laetus:
leuet has cateruas id est
turbas audientes:
de fonte scilicet
baptismatis.
|
(1110) Cela aussi est dit de manière allégorique. De fait, de même
qu’auparavant Pierre prenait des poissons per latices sua lucra
sequens ("tirant profit des eaux qu’il traverse"), de même en
traversant les eaux du baptême, il pêchait des âmes et en tirait un profit. |
Allegorice hoc quoque dictum est. Nam
sicut antea petrus capiebat pisces
per latices sua lucra
sequens: ita per aquas baptismatis
animas piscabatur et lucri faciebat.
|
(1111) (Venit.) en partant de ce que nous avons dit plus haut,
ces mots sont clairs. Venit deus ("Dieu est venu"), évidemment le
Christ, editus ("né"), autrement dit né dans le monde,
carnaliter ("dans la chair"), autrement dit selon la chair,
sub lege humana ("sous la loi humaine"), évidemment celle qui
permet la souffrance, la nourriture et de supporter tout ce qui n’admet aucune
souillure de péché ; uenit ("il est venu"), dis-je, ad
oras occiduas ("sur les rivages vieillissants"), autrement dit vers les
régions des mortels qui vieillissent et meurent ; c’est là que le Christ
lui-même a vieilli et est mort pour nous, qui ("lui qui"),
évidemment le Christ Dieu, expers temporis ("sans connaître le
temps"), autrement dit privé de temps selon sa divinité qui le faisait exister de
toute éternité dans le sein du Père, lui qui est né du Père avant tous les
siècles, tulit principium ("il a pris commencement"), évidemment
dans le temps, de matre ("d’une mère"), évidemment la vierge mère
de Dieu. |
(Venit.) ex his quae supradiximus haec clara sunt.
Venit deus scilicet
christus:
editus id est natus in
mundo:
carnaliter id est secundum
carnem:
sub lege humana scilicet
patiendi: esuriendi: et
reliqua tolerandi quae peccati maculam non admittunt:
uenit dico ad oras occiduas idest ad
regiones mortalium qui occidunt et moriuntur: ubi
ipse christus quoque occidit et mortuus est pro nobis:
qui scilicet christus deus
expers temporis idest
carens tempore secundum diuinitatem per quam in sinu patris ab aeterno
fuit: natus ab eo ante omnia saecula:
tulit principium scilicet
temporis:
de matre scilicet uirgine: deipera.
|
(1112) De fait, né dans le monde d’une vierge-mère, il commença à exister et
à vivre dans le temps où César Auguste tenait les rênes de l’empire romain, alors
cependant que ce même Christ, selon sa divinité, n’avait aucun commencement
puisqu’il était de toute éternité. |
Nam natus in seculo a matre uirgine incepit esse et uiuere in eo
tempore: quo Augustus caesar romani imperii habenas regebat: cum tamen idem christus secundum quod deus est: nunquam inceperit qui semper fuerit.
|
(1113)
Nec putauit uile ("et il n’a pas tenu pour vil"), autrement dit
pour indigne, et cela désigne évidemment le Christ, potens
maiestate ("malgré la puissance de sa majesté"), évidemment divine,
sumere fomam corporis terreni ("de prendre la forme d’un corps
terrestre"), autrement dit une chair humaine qui est terrestre ; atque
opifex ("et le créateur"), évidemment le Christ, autrement dit le
Créateur ; reprendre ici nec putauit uile ("et il n’a pas tenu
pour vil") et indigne de sa majesté, esse pars ("d’être une part"),
autrement dit l’un, hominum ("des hommes") et nec putauit
uile reuocare nos ("et il n’a pas tenu pour vil de nous rappeler»)
autrement dit de nous rétablir, sibi ("à lui") autrement dit dans
son royaume loin du joug du diable, suo precio ("au prix de sa
propre personne"), autrement dit au prix de son sang, qui nous racheta comme nous
l’avons abondamment dit plus haut. |
Nec putauit uile id est
indignum scilicet christus:
potens maiestate scilicet
diuina:
sumere fomam corporis
terreni id est carnem humanam quae terrena est.
atque opifex scilicet
christus idest creator: repete nec putauit uile et indignum sua
maiestate:
esse pars id est unus:
hominum: et nec putauit
uile
reuocare nos idest
restituere:
sibi idest in suum regnum e
iugo diaboli:
suo precio idest precio sui
sanguinis: quo nos redemit ut supra copiose
diximus |
(1114) (post dona.) Après que le Christ eut fait ces miracles
que racontent les évangélistes : chasser les démons des hommes d’une seule
parole, redresser les paralytiques, purifier les lépreux, rendre la vue aux
aveugles, faire marcher les boiteux, ressusciter les morts, contraindre les
éléments à le servir, les vents à se mettre à son service, la mer à lui obéïr, en
un mot, partout ou il passait, guérir les malades, les faibles et ceux qui
souffraient de toute sorte de maladie en un instant, de telle sorte que ceux qui
étaient infirmes, après avoir soudain recouvré leurs forces, rapportaient
eux-mêmes les grabats sur lesquels on les avait amenés ; après tant de
bienfaits apportés aux Juifs, les plus ingrats des hommes, alors leurs chefs et
leurs prêtres, poussés par la colère, prenant prétexte des reproches que leur
faisait le Christ et détournés du droit chemin par la jalousie, parce qu’ils se
voyaient méprisés et délaissés par la foule qui se pressait pour aller vers lui,
et, chose qui fut le commencement de leur crime, aveuglés par le poison de la
haine et de la jalouise, oublieux des préceptes du Ciel et ne comprenant nullement
les oracles des prophètes, conspirèrent contre le Christ et prirent la décision
impie de le faire disparaître et de le torturer. |
(post dona.) posteaquam christus illa miracula fecit quae
narrant Euangeliographi: cum daemonia solo uerbo de
hominibus excuteret: paralyticos restringeret: leprosos mundaret:
illuminaret caecos: claudis gressum daret: defunctos rursus animaret:
cogeret sibi elementa famulari: Seruire uentos: maria obedire: denique
quacunque iter faceret aegros ac debiles et omni morborum genere laborantes
uno momento redderet incolumes: adeo ut membris
omnibus capti receptis repente uiribus ipsi lectulos suos reportarent in
quibus fuerant delati: post tot beneficia
ingratissimis iudaeis collata: Tum primores eorum et sacerdotes ira stimulati: quod a christo increparentur: et inuidia deprauati quod confluente ad eum multitudine contenni
se ac deseri uiderent: et quod caput sceleris eorum
fuit: ueneno odii et inuidiae caecati: praeceptorumque coelestium immemores: ac prophetarum uaticinia nequaquam intelligentes
coierunt aduersus christum: impiumque consilium de
eo tollendo cruciandoque ceperunt.
|
(1115) Donc, le Christ souffrit sa passion et descendit aux enfers et il
ressuscita et demeura avec nous, dit Pierre, pendant quarante jours, mangeant avec
nous et parlant du royaume de Dieu. |
passus est ergo christus et ad inferos descendit: et resurrexit et nobiscum fuit ait petrus per .XXXX. dies conuescens et loquens de regno dei.
|
(1116) Puisqu’il en est ainsi, fugite ("fuyez") l’incroyance
des Juifs et recevez le baptême, à savoir l’infusion de la rosée qui nous purifie,
pour être sauvés et avoir la vie éternelle. Tel est le propos des paroles de
Pierre qui commencent au vers Venit ad occiduas et se terminent au
vers Debita supplicii. |
Quod cum ita sit fugite perfidiam iudaeorum: et accipite fidem et
baptismum hoc est purifici roris perfusionem ut salui sitis et uitam
aeternam habeatis. Haec est sententia uerborum
petri quae inchoantur ab illo
uersu Venit ad occiduas
etc. et finiuntur illo Debita supplicii etc.
|
(1117) (post dona salutis.) l’ordre est :
maluit ("il préféra"), autrement dit il aima mieux, évidemment
le Christ, mori ("mourir") sur la croix, ne orbis
("afin que la terre"), autrement dit le monde, perderet uitam ("ne
perdît pas la vie"), post dona salutis ("après le don du salut"),
autrement dit après qu’il eut apporté les bienfaits de la santé et du salut, et
post tot aegros ereptos ("après tant de malades arrachés"),
autrement dit libérés, pulsis langoribus ("dont il avait chassé les
maladies"), autrement dit les infirmités, quand, à des boiteux et des gens
souffrant d’un handicap aux pieds, il eût donné la possibilité non seulement de
marcher mais encore de courir, quand il eut rendu à leur aspect ancien les yeux
aveuglés qui était dans de très profondes ténèbres, quand il eut délié la langue
des muets pour qu’elle s’exprime et tienne des discours, quand il eut glissé
l’audition dans les oreilles des sourds qu’il avait ouvertes, quand il eut purifié
ceux qui étaient souillés et couverts de taches, et purifié la souillure des
lépreux, et qu’il eut fait tout cela non de ses mains ou par quelque médecine,
mais par sa parole et son ordre. |
(post dona
salutis. ) ordo est maluit idest magis uoluit: scilicet christus:
mori. in cruce:
ne orbis id est mundus
perderet uitam:
post dona salutis id est
posteaquam sanitatis et salutis beneficia contulit:
et post tot aegros ereptos
id est liberatos pulsis
langoribus id est infirmitatibus: cum
claudis ac pedum uitio afflictis non modo gradiendi sed etiam currendi daret
facultatem: cum caeca lumina quae in altissimis
tenebris erant: in pristinum restitueret aspectum: cum mutorum linguas in eloquium sermonemque
solueret: cum surdorum patefactis auribus
insinuaret auditum: cum pollutos ac respersos
maculis repurgaret: mundaretque labes
elephanticorum: et haec omnia non manibus aut
aliqua medela sed uerbo ac iussione faceret.
|
(1118) (Cum redderet) évidemment le Christ, autrement dit
restaurait avant sa mort, corpora defleta ("les corps pleurés")
autrement dit dont on avait déploré le décès, et perfuncta ("et
défunts") autrement dit morts, luci ("à la lumière"), évidement
dans la lumière de la vie, et concederet ("et leur accordait"),
évidemment le Christ, à ces morts qu’il relevait et qui étaient déjà descendus aux
séjours infernaux, iterum auras superas ("de connaître à nouveau
les brises d’en haut"), autrement dit notre air vital qui est en haut par rapport
aux séjours infernaux vers lesquels étaient descendues les âmes que le Christ
rappela dans les corps. |
(Cum redderet
scilicet christus id est restitueret ante suam mortem:
corpora defleta id est
deplorata: et perfuncta scilicet mortua:
luci scilicet in lucem hanc
uitalem.
et concederet scilicet
christus illis mortuis quos suscitabat qui iam descenderant ad inferas
sedes:
iterum auras superas id est
aerem hunc uitalem nostrum qui est supernus relatione infernarum sedium ad
quas descenderant animae a christo in corpora reuocatae.
|
(1119) De fait, que les morts, comme tirés du sommeil, furent rappelés à la
vie par le Christ, Matthieu le raconte ; ainsi quand il rendit la fille du
chef de la synagogue, dont on avait déjà déploré le décès, vivante à son père, et
quand (dans le récit de Luc) il accorda le don de la vie au fils de la veuve qui
avait été porté hors des portes de la ville avec un nombreux cortège, comme enfin
quand il releva Lazare, quatre jours après ses funérailles et sentant déjà, du
sépulcre dans lequel il gisait. |
Nam mortuos uelut e somno solutos fuisse ad uitam reuocatos a
christo narrat matthaeus: ut cum filiam
archisynagogi iam defletam parenti uiuam reddidit:
ut cum (narrante luca)
filium uiduae extra portam elatum multa turba comitante uitae munere
donauit: ut postremo cum lazarum post quattuor dies iam sepultum et
male olentem e sepulchro in quo iacebat erexit?
|
(1120) Qu’y a-t-il de plus en rapport avec la divinité que de rendre une vie
qui a déjà achevé son cours, et, après que les gens ont accompli leur temps de
vie, d’avoir abattu la durée sans fin de la mort, de voir la nature obéir à son
créateur, alors qu’elle est privée de son droit, bien qu’un si long temps lui ait
permis d’affirmer ses lois, de voir la mort vaincue sans le savoir et, alors
qu’elle enveloppait ses secrets de grandes ténèbres, de les voir révélés à
tous ? |
Quid deo conuenientius quam decursam uitam resignare: Completisque hominum temporibus tempora abiecisse
perpetua? naturam creatori optemperasse: suo iure suis legibus confirmatis tam longo aeuo
carentem? mortem uinci nesciam magnisque
tenebris sua arcana inuoluentem omnibus fuisse reuelatam?
|
(1121) (Permittens), évidemment se pati iura
("d’endurer les droits"), évidemment les lois, carnis ("de la
chair"), évidemment humaine qui est soumise à des calamités variées et des misères
qui la défigurent ; et parce que le Christ a souffert cela, non selon sa
nature divine, mais selon sa nature humaine, il ajoute fusus
("éclos"), évidemment le Christ, et envoyé dans cette vie mortelle ab
aluo ("du sein"), autrement dit du ventre, genitricis
("de sa mère"), autrement dit Marie sa mère. |
(Permittens)
scilicet se pati iura
scilicet leges:
carnis scilicet humanae: quae est subiecta uariis calamitatibus et
diformibus miseriis: et quia hoc passus est christus
non secundum quod deus est: sed secundum quod
homo: ideo subdit:
fusus scilicet christus et
emissus in hanc uitam mortalem ab
aluo id est uentre:
genitricis id est matris
mariae.
|
(1122) Car, bien que la Vierge eut conçu Dieu et engendré Dieu, ce ne fut
cependant pas Dieu, dans sa condition de Dieu, qui souffrit et mourut, comme nous
l’avons dit plus haut. Et, bien que le fils de Dieu se fût soumis aux lois de la
chair humaine et eût enduré les limites de notre humanité, que ce soit de notre
corps, comme la faim, la soif, la fatigue, ou que ce soit de notre psychologie
comme la tristesse, la peur, le chagrin, la douleur, le Christ n’a cependant pas
subi tous les droits de notre corps ou de notre âme. |
Nam licet uirgo deum conceperit: deum
peperit: non tamen deus secundum quod deus est
aut passus aut mortuus est ut supra diximus. Et
quamuis filius dei subdidit se legibus humanae carnis: ac defectus pertulit nostrae humanitatis uel corporeos: ut famem sitim:
lassitudinem: uel animales ut tristiciam: timorem: gemitum: dolorem: non tamen
christus omnia iura nostri corporis [corposis,sic!] uel animae perpessus est.
|
(1123) De fait, il y a de multiples maladies de notre chair qu’il n’endura
pas comme la fièvre, les coliques, la jaunisse et d’autres infirmités de ce genre,
et d’autres difficultés psychologiques auxquelles il ne fut pas soumis, comme
l’ignorance, l’erreur, et la chair qui toujours lutte contre l’esprit, ou au
contraire l’esprit qui lutte contre la chair. Pour le reste, il a souffert tous
les maux dans lesquels on ne trouve ni souillure ni difformité. |
Nam nec multiplices nostrae carnis aegritudines ut febrim: tormina: ictericum morbum
et alia id genus infirmitates tolerauit: nec
spiritus defectus subiit: ut insciciam: errorem: semperue
rebellantem spiritus carnem: aut e contrario
spiritum carni repugnantem. Caetera uero passus est
in quibus nulla labes nullaue deformitas inuenitur.
|
(1124) (Sed) quod. Nous avons déjà expliqué ce
que dit le poète. Illud obit ("c’est cela qui est mort"),
évidemment l’humanité du Christ qui est morte en croix, qui nascitur de
uirgine ("qui est née de la Vierge"), évidemment Marie,
foeta ("enfantant"), autrement dit enceinte et grosse. |
(Sed) quod. id iam exposuimus: quod modo dicit
poeta.
Illud obit scilicet illa
humanitas christi in cruce mortua est: quae nascitur de uirgine scilicet
maria:
foeta id est grauida et
plena.
|
(1125) Mais ici, comme par un coq dressant sa crête et bondissant, je vais
être attaqué par quelque dialecticien à trois sous, qui va s’opposer à moi de la
manière que voici : illud obit quod nascitur de uirgine ("ce
qui est né du sein de la Vierge, c’est cela qui est mort"), et cela c’est Dieu,
donc Dieu est mort. |
Sed hic quasi cristatus gallus exultans occurret aliquis
triobolarium dialecticorum: opponetque in hunc
modum:
Illud obit quod nascitur de
uirgine: et illud est deus: ergo deus obiit.
|
(1126) Nous lui accordons le point, mais il n’en résulte pas que Dieu est
mort en tant qu’il est Dieu. |
Totum concedimus: sed ex hoc non sequitur
quod deus in quantum deus obiit.
|
(1127) Il existe en effet une règle théologique qu’il ne faut pas
ignorer : tout ce qui est dit du fils de Dieu par nature, est dit aussi du
fils de l’homme par la grâce, en raison de la communication des idiomes qu’a
indiquée avec une précision extrême Jean Damascène, peut-être le plus grand
théologie grec. Et, au contraire, tout ce qui est dit du fils de l’homme, peut
être dit du fils de Dieu, à l’exception de ce en quoi l’union s’exprime ou la
négation est incluse. En effet, nous ne dirons pas que la nature divine a été
assumée par la nature humaine ni unie à elle, mais le contraire ; et nous ne
dirons pas que le fils de Dieu a eu un commencement temporel, mais, pour dire la
vérité catholique, que c’est le fils de l’homme qui a eu un commencement, et qui
est né au temps de César Auguste, alors que cela ne peut en aucun cas s’appliquer
au fils de Dieu, né avant tous les siècles. |
Est enim regula illa theologica non ignoranda: omne illud quod dicitur de filio dei per naturam: dici quoque de filio hominis per gratiam propter
communicationem idiomatum acutissime notatam a Damasceno graeco theologo sane
praestantissimo. Et e contrario quicquid de
filio hominis dicitur: dici quoque de filio dei his
exceptis in quibus exprimitur unio uel includitur negatio. Nec enim dicemus naturam diuinam ab humana fuisse sibi assumptam
unitamue: sed contra:
nec filium dei incepisse in tempore sed uere et catholice filium hominis
incepisse: et natum fuisse caesaris augusti temporibus cum hoc de
filio dei nullo modo dici possit ante omnia saecula nato.
|
(1128) (Ligno) insons ("innocent"), évidemment
le Christ qui n’a pas commis le péché, car on n’a pas trouvé de ruse en sa bouche,
suspenditur ligno ("est suspendu au bois"), évidemment de la
croix. Et onus ("le fardeau"), autrement dit le poids du bois,
autrement dit du péché accompli par le bois de la connaissance du bien et du mal,
quand Adam commit le péché, uacuatur ("est vidé"), autrement dit
enlevé et réduit à néant. |
(Ligno) insons scilicet christus qui
peccatum non fecit: nec est inuentus dolus in ore
eius:
suspenditur ligno scilicet
crucis. Et onus id est pondus ligni id est peccati
patrati per lignum scientiae boni et mali: cum
adam peccauit:
uacuatur id est remouetur et
ad nihilum redigitur.
|
(1129) En effet, il était cohérent, comme le proclame l’Église, que le
diable, qui avait vaincu dans le bois, soit aussi vaincu dans le bois, et qu’ainsi
onus ligni ("le fardeau du bois") fût enlevé par le bois de la
croix ; on peut aussi comprendre autrement : onus ligni
("le fardeau du bois") est le corps du Christ pesant sur le bois de la croix, et
uacuatur ("est vidé"), autrement dit est enlevé pour être mis au
tombeau. |
Fuit enim consentaneum quemadmodum canit ecclesia: ut diabolus qui in ligno uincebat: in ligno quoque uinceretur: et ita onus
ligni fuit remotum per lignum crucis.
uel aliter:
onus ligni id est corpus
christi ponderans in ligno crucis:
uacuatur id est remouetur ut
sepeliatur.
|
(1130)
Sic ("ainsi"), autrement dit de cette manière,
uulnus ("la blessure"), évidemment la Passion, en prenant la
partie pour le tout ; de fait une partie de la Passion du Seigneur consista
en une blessure dans le côté du Christ ; iniqui ("du
méchant"), évidemment du peuple juif, autrement dit la blessure que le peuple juif
causa au Christ lui-même, fit ("devient"), autrement dit est
devenue, medicina dei ("le remède de Dieu"), autrement dit la
médecine apportée par Dieu contre le péché commis par Adam, notre premier
parent. |
Sic id est hoc modo:
uulnus scilicet passio a
parte totum. nam pars passionis dominicae fuit
uulnus in latere christi.
iniqui scilicet populi iudaici: hoc
est illatum uulnus a populo iudaico
ipsi christo:
fit id est facta est medicina dei id est remedium a
deo allatum contra peccatum protoplasti
adae.
|
(1131) Autre interprétation : Sic ("ainsi"), autrement
dit de cette manière, uulnus iniqui ("la blessure du méchant"),
autrement dit d’Adam injuste et désobéissant, dont la blessure fit tomber dans la
mort tout le genre humain, uulnus ("la blessure"), dis-je
évidemment, vint et medicina ("le remède"), autrement dit la
médecine qui soigna cette blessure dei ("de Dieu"), évidemment par
Dieu, évidemment vint aussi. |
Aut aliter.
Sic id est hoc modo uulnus iniqui id est iniusti et
inobedientis adae quo uulnere uniuersum
genus iacebat mortuum:
uulnus dico scilicet
uenit: et medicina id est remedium illius uulneris
dei scilicet a deo
scilicet uenit quoque:
|
(1132) Ici il y a deux leçons possibles : fit medicina
dei et et medicina dei. L’une et l’autre peuvent
convenir. |
Est autem duplex lectio:
fit medicina dei:
et medicina dei. Vtrunque potest conuenire.
|
(1133) Nous pouvons sans problème utiliser ici ce mot d’Ovide, bien que nous
le prenions dans une autre sens que celui dans lequel il le prenait : "et la
lance du fils de Pélée cicatrisa la blessure qu'elle-même avait faite à l'ennemi
d'Achille", pour dire qu’en effet la même lance blessa et soigna Télèphe, ainsi un
même bois tua l’homme et le releva et lui rendit la vie, une fois mort. |
Possumus commode hic dicere illud nasonis: quamuis ipse in aliam
partem ac nos hic accipiamus: acceperit:
Vulnus achilleo quae
quondam fecerat hosti uulneris auxilium pelias hasta tulit.OV. rem., 47-48 Vt enim eadem hasta uulnerauit et sanauit telephum: ita
hominem lignum interfecit lignum suscitauit et uiuificauit mortuum.
|
(1134) (Petens), évidemment le Christ, après sa mort sur la
croix ; regna pallida ("les royaumes livides"), autrement dit
les enfers vers lesquels on descend en devenant livide et en perdant son âme,
quand elle abandonne le corps ; resplenduit ("il a
resplendi"), autrement dit le Seigneur a montré la splendeur de sa majesté ;
umbris ("chez les ombres"), autrement dit pour les âmes et les
esprits ; pauidis ("tremblantes"), autrement dit pleines de
respect à la vue de leur créateur. Autre interprétation :
umbris ("chez les ombres"), au sens propre autrement dit dans
l’obscurité et les brumes du Tartare frappées de terreur devant la si grande
lumière qu’apportait avec lui le Seigneur ; quem ("celui
que"), évidemment le Christ, coruscum ("éclatant"), autrement dit
resplendissant et revêtu de splendeur, luce propria ("de sa propre
lumière"), non de celle d’autrui, chaos ("le Chaos"), autrement dit
la confusion évidemment de l’enfer et de ses brumes, non potuit
fuscare ("n’a pu voiler"), autrement dit obscurcir. |
(Petens) scilicet
christus post mortem in cruce:
regna pallida id est inferos
ad quos qui descendunt pallescunt amissa anima et corpus deserente:
resplenduit id est
splendorem suae maiestatis ostendit dominus:
umbris id est animabus uel
animis:
pauidis id est reuerentibus
in conspectu sui creatoris. uel umbris proprie id est obscuritatibus et
caliginibus tartareis pauentibus ad tantam lucem quantam inuehebat
dominus:
quem scilicet christum:
coruscum id est coruscantem
splendentemque:
luce propria non aliena:
chaos id est confusio
scilicet inferna et caliginosa:
non potuit fuscare id est
obscurare.
|
(1135) De fait, si les ténèbres sont d’une extrême densité, quelque lumière
qu’on y apporte, elles ne se dissipent nullement, à moins que cette lumière soit
extrême comme celle que le Seigneur amenait aux enfers, et qui lui était
propre. |
nam si tenebrae sunt densissimae quamuis lumen inducas nequaquam
remouentur: nisi lux sit maxima: qualem dominus ad inferos inducebat: et propria.
|
(1136) De fait, le Christ éclairait ceux qui étaient dans les enfers d’une
lumière qui brillait d’elle même et non parce qu’on l’avait allumée ou qu’il
l’avait prise ailleurs. |
Nam christus lucebat his qui in inferis erant luce ex se lucente
non illuminata: aliundeue sumpta.
|
(1137) Mais, si on veut comprendre plus profondément et avec plus de
pénétration ces vers mêmes d’Arator, nous dirons que, par les ombres, il veut
signifier les âmes aveuglées dans les ténèbres et qui sont privées de la lumière
du visage divin, comme l’indique Jean en notant "et la lumière luit dans les
ténèbres". |
Si autem placet altius et acutius hos ipsos Aratoris uersus intelligere: dicemus per umbras animas tenebris caecas et
lumine uultus diuini carentes significari: sicut
loannes notat dicens
et lux in tenebris lucet.Jn 1, 5
|
(1138) En effet, l’esprit des hommes est vraiment ténèbres et recouvert des
brumes des ombres, mais le Christ est la vraie lumière, et, quand nous disons
cela, il ne s’agit pas de la lumière corporelle, mais de la lumière spirituelle,
qui est, dis-je, vraie, autrement dit sans aucun nuage de la fausseté avec
laquelle les philosophes la plupart du temps la voilent, quand, par les effets,
alors qu’ils sont distants de Dieu par une infinie distance, ils tentent de
parvenir à Dieu ; vraie, elle l’est aussi, car elle n’est entourée des
circonlocutions de nulle figure de style ; trompés par elles, beaucoup chez
les Juifs sont tombés dans le gouffre détestable de l’incroyance, même si, parmi
toutes les nations, ils avaient été tenus jadis pour les seuls adorateurs de
Dieu ; vraie, elle l’est enfin parce que, produisant sa propre lumière, elle
est aussi par essence telle qu’elle est la cause de toutes les autres choses,
comme l’affirme Aristote (Métaphysique 2) à propos du feu qui est
cause de chaleur pour tout le reste. |
Vere enim mentes hominum tenebrae sunt:
et umbrarum caliginibus obrutae: christus autem est
uera lux non loquendo de corporali luce hic agimus sed de spiritali: uera inquam hoc est sine ullo falsitatis nubilo: quo plerunque philosophi caligant: cum per effectus a deo distantes infinitis spaciis
ad deum peruenire contendunt: uera quoque id est
nullis figurarum inuo[25v]lucris circunuelata: quibus
decepti multi iudeorum in detestabile
perfidiae barathrum inciderunt: tametsi e cunctis
gentibus unici cultores dei olim habiti essent.
postremo uera quia ex se illuminans et per essentiam talis ut sit causa
omnium aliorum: sicut in.ii.primae philosophiae ait Aristoteles ignem esse caloris
causam omnibus aliis.
|
(1139) De fait, même si les hommes d’une très grande sainteté et les anges
possèdent, dit-on, une lumière, ils ne l’ont cependant pas tirée d’eux-mêmes, en
tant qu’elle serait lumière jaillissante et illumination, mais comme une lumière
qui leur a été donnée et dont ils participent. |
Nam licet uiri sanctissimi atque angeli lucem habere dicantur: non tamen habuerunt ex se lucentem
illuminantemue: sed illuminatam
participatamque.
|
(1140) Mais on me dira : le Christ, dans la mesure où il est une lumière
de cette sorte, brillait déjà dans l’enfer puisqu’il existe partout. |
sed dicet aliquis christus quatenus eiusmodi lux est: etiam lucebat in inferno cum ubique existat.
|
(1141) Cela est vrai, mais, comme il brillait dans les ténèbres, les ténèbres
ne recevaient pas cette lumière, de même que les aveugles ne perçoivent pas la
lumière qui brille au-dessus d’eux, tant que leurs yeux ne se sont pas
ouverts. |
Verum est: sed cum in tenebris luceret
tenebrae eam non comprehendebant: quemadmodum caeci
lucem supra se lucentem non sentiunt donec oculi eorum aperiantur.
|
(1142) Or, après la mort du Christ, quand s’ouvrirent les yeux de l’esprit,
les ténèbres furent illuminées avec le chaos des enfers et l’ombre qui le
recouvrait fut dissipée, selon cette parole d’Isaïe : "le peuple qui se
tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière, pour ceux qui marchaient dans la
région de la mort, une lumière s’est levée sur eux". |
Post christi autem mortem apertis mentium oculis tenebrae
illuminatae sunt: et chaos inferorum et caligo
obtenta dimota est: secundum illud Esaiae:
Populus qui sedebat in tenebris uidit lucem magnam. ambulantibus in regione mortis Iux orta
est eis.Mt 4, 16
|
(1143) (Fugere dolores.) Quand le Christ, dit Arator,
descendit aux enfers, l’enfer cessa d’exister, la mort cessa d’exister, et
gémissements et douleur cessèrent d’exister. |
(Fugere
dolores.) christo inquit Arator ad inferos descendente desiit esse
infernus: desiit esse mors: desiit esse gemitus et dolor.
|
(1144) L’enfer cessa d’être l’enfer, car l’enfer, c’est d’être privé de la
vision du visage divin ; quant à la mort, les gémissements, la douleur et le
comble de la misère, tout cela, en présence du Christ qui est paradis, vie, joie
et comble du bonheur, a cessé d’exister. |
Infernus desiit esse infernus: quia
carere inspectione diuini uultus infernus est et mors et gemitus et dolor et
summa miseria: quae omnia praesente christo qui
paradisus est et uita: et gaudium et summa
foelicitas: cessauerunt.
|
(1145) (dolores) évidemment celles des saints patriarches,
qu’ils enduraient dans cette prison ténébreuse, fugere ("ont fui"),
autrement dit fugerunt. Infernus tunc timet esse
("l’Enfer craint alors d’exister"), évidemment l’enfer en présence du Christ,
autrement dit il cesse d’être l’enfer. Et poena cohercens nullum redit in
se ("comme il n’enferme plus personne, le supplice se retourne contre
lui-même"), autrement dit pour sa propre punition, autrement dit contre les démons
eux-mêmes, qui étaient frappés par le châtiment, parce que les saints patriarches
sont libérés du châtiment, évidemment la privation de la vision divine, voire,
comme semble l’insinuer le poète, par quelque jugement de la clémence divine, le
châtiment n’enferma plus personne et le diable, leur tortionnaire, ne tourmenta
plus aucun de ceux qui étaient en quelque partie de l’enfer aussi longtemps que le
Christ demeura dans l’enfer. |
(dolores)
scilicet sanctorum patrum: quos perferebant in
carcere illo tenebroso:
fugere id est fugerunt.
Infernus tunc timet esse
scilicet infernus praesente christo: id est desinit
esse infernus. et poena cohercens nullum redit in se id est in
ipsam poenam: hoc est in ipsos daemonas: qui poena afficiebantur:
quod poena liberarentur sancti patres scilicet carentiae uisionis diuinae: uel dic ut Videtur innuere poeta pia quadam clementiae diuinae
aestimatione: poena nullum cohercuit: et tortor diabolus nullum cruciauit eorum qui
erant in quacunque parte inferni quamdiu christus fuit in inferno.
|
(1146) C’est pourquoi il dit tortor ("le tortionnaire"),
autrement dit le diable, leur bourreau, languet ("dépérit"),
autrement dit n’a rien à faire et tombe dans l’oisiveté ou plutôt tombe malade,
ad ocia noua ("face à des loisirs nouveaux"), autrement dit le
repos et la cessation des tourments en raison de la présence du Christ.
Tartara moesta ("le triste Tartare"), autrement dit les démons
qui sont tristes, parce qu’en présence du Christ il ne leur était plus permis de
tourmenter quiconque, gemunt ("gémissent"), autrement dit
souffrent, quia cuncta uincula ("parce que tous les liens"),
autrement dit les chaînes des enfers, quiescunt ("sont au repos")
et inoccupées. |
unde ait tortor
id est carnifex diabolus:
languet id est uacat ociosus
est uel potius aegrescit:
ad ocia noua id est ad
quietem et cessationem tormentorum ob praesentiam christi:
Tartara moesta id est
daemones tristes quia presente christo neminem ipsis licebat cruciare:
gemunt id est dolent:
quia cuncta uincula id est
cathenae inferorum quiescunt: et uacant.
|
(1147) On peut donc aussi penser que le poète parle selon l’intelligence du
vulgaire et l’opinion populaire, selon laquelle on a coutume de dire que, pendant
ce triduum, les peines de l’enfer ont cessé, parce que le Christ y
descendait ; ou peut-être parce qu’il a pensé que le roi de toute clémence,
en descendant aux enfers, a accordé un répit de trois jours aux châtiments de tous
les coupables en raison de sa présence, même si quelqu’un me dira que le Christ
n’est pas allé dans d’autres parties de l’enfer que les lieux où se trouvaient les
saints et les élus. Mais qui donc est assez imprudent et assez téméraire pour oser
scruter des réalités que Dieu a voulu tenir cachées et inconnues de
nous ? |
Vel ergo loquitur poeta
secundum sensum uulgi et opinionem quandam popularem iuxta quam dici solet
in illo triduo poenas inferni cessasse christo illuc descendente: uel quia forte ita putauit Regem clementissimum ad
inferos descendentem poenas tridui cunctis nocentibus ob suam presentiam
condonasse: quanquam dicet aliquis christum non
ad alias partes inferni sed tantum ad ea loca ubi sancti illi uiri et electi
erant: peruenisse. sed
quisnam tam imprudens tamue temerarius existat: qui
ea scrutari audeat quae deus coelata esse uoluerit et nobis incognita?
|
(1148) Sur quoi les hommes, avec leurs misérables forces, s’efforcent-ils
d’enquêter ? De fait, ils veulent comprendre son secret, lui dont la sagesse
n’a pas de terme, la puissance de mesure ; il veut, lui mortel, approcher
l’immortel, lui, soumis au temps, approcher le perpétuel, lui, sujet à la mort,
approcher l’incorruptible, autrement dit aller plus près et l’atteindre par
l’intelligence comme si l'intelligence, être vivant encore terrestre, tant qu’elle
est tenue enfermé dans le corps comme dans une prison, pouvait saisir, dans une
vision indépendante et libre, toute chose et le tissu inénarrable des réalités
célestes. |
Quid hominis uiriculae conantur indagare?
nempe uolunt comprehendere arcana eius: cuius
sapientia: nec habet terminum: nec fortitudo mensuram: uult mortalis
immortali: temporarius perpetuo: caducus incorrupto propinquare id est propius
accedere et intelligentia subsequi. quasi terrenum
adhuc animal quamdiu corpore tanquam custodia septum tenetur: soluto ac libero intuitu cernere omnia ac rerum
coelestium inenarrabile textum capere possit.
|
(1149) Pour ma part, l’audace des théologiens ne m’en étonne que
davantage : ils promettent qu’ils vont dire les secrets de la descente en
enfer du Seigneur et jusqu’où il est allé, qui il a libéré de ses liens, à qui il
a remis ses tourments, ce qu’il a fait là-bas en général et en particulier, alors
que le plus subtil des Ecossais dit, si nous nous fions à Francisco de Vitoria,
qu’il n’existe pas même de mention explicite dans la doctrine évangélique de la
descente du Christ aux enfers, et encore moins sur le mode de descente du Christ.
Mais c’est ce qui est écrit dans le symbole, ce qui est vrai et nous croyons que
c’est ainsi que cela s’est passé, et c’est la foi que nous professons. |
Quo magis equidem miror eorum audaciam theologorum: qui pollicentur se dicturos arcana diuini
descensus et quo usque peruenerit: quos uinculis
soluerit: quibus cruciatus remiserit: quid generatim quidue speciatim illic aegerit: cum dicat subtilissimus scotus si
francisco
credimus: de ipso christi descensu: nedum de modo descensus in doctrina euangelica
minime haberi expressam mentionem. At id in symbolo
scriptum est: uerum est: et
credimus ita accidisse: et confitemur.
|
(1150) Mais pourquoi la licence sans frein, qui pousse à des efforts
interdits, continue-t-elle à chercher, ignorante de la mesure de sa condition,
sans discerner jusqu’où peut-il être permis à l’homme de comprendre ? Que
l’esprit humain soit ramené à ses juste limites par la réponse du Christ :
comme ses disciples, qui étaient ses intimes et l’aimaient plus que tout, lui
demandaient "est-ce maintenant que tu rétabliras le royaume d’Israël ?", il
leur répondit "il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le
Père a fixés dans son pouvoir absolu". Toujours en effet, le docteur de Vérité a
révélé la vérité ainsi : il a voulu que, par son enseignement, nous ne
sachions que ce qu’il importe aux hommes de savoir pour obtenir la vie
éternelle ; mais les choses qui relèvent de la curiosité et d’un désir
profane, il les a tues afin qu’elles restent cachées dans le sein du Père. |
Sed cur ultra progreditur efrenata in uetitum nitendi licentia
suae conditionis modum non agnoscens? et quousque
homini liceat intelligere non discernens?
Coherceatur mens humana christi responso: qui
discipulis illis suis intimis atque amantissimis quaerentibus: nunquid restitues regnum israel?
non est inquit uestrum nosse tempora uel momenta quae pater
posuit in sua potestate.ac 1, 7 Semper enim doctor ueritatis ita ueritatem aperuit: ut suo magisterio ea sola scire nos uoluerit: quae interfuit hominis scire ad uitam aeternam consequendam. quae uero ad curiosam et profanam cupiditatem
pertinerent: reticuerit ut in sinu patris
occulta essent.
|
(1151) A quoi bon alors scrutons-nous ce que nous ne pouvons savoir, puisque
Dieu a voulu que ce soit caché, et qui, si nous les savions, ne nous rendraient ni
plus heureux ni plus sages ? Car la vraie sagesse c’est la piété et la
θεοσέϐεια. |
Quid ergo scrutamur ea quae nec possumus scire cum ea deus arcana
esse uoluerit: nec si sciamus beatiores simus
sapientioresue? Vera enim sapientia pietas est
et theoseuia.
|
(1152) Je me souviens, pour ma part, de cette parole de mon précepteur jadis,
mon maître Roas, théologien d’exception et philosophe d’élite : je l’ai
entendu dire que nous avions la meilleure théologie, avant que deux petits frères
de deux ordres différents (c’était ainsi qu’il disait toujours) ne viennent y
semer le trouble par leurs circonlocutions ruineuses et leurs disputes sans fins.
Voilà du moins ce que disait cet homme pieux et vraiment sage, et il avait bien
raison. |
Repeto equidem memoria dictum illud praeceptoris quondam
mei magistri Roae
theologi singularis ac philosophi praestantissimi:
quem saepissime audiui praedicantem nos optimam habere theologiam: ni eam duo fraterculi diuersi ordinis: ita enim dictitabat: suis
dispendiosis anfractibus ac longissimis concertationibus disturbassent. Haec sane uir pius ac uere sapiens iure optimo
referebat.
|
(1153) En effet, en quoi importe-t-il à la théologie que nous allions par une
route sacrilège et interdite nous questionner sur ce que Dieu nous a interdit de
savoir ? S’il avait jugé la connaissance de cela utile en quelque manière
pour nous, qu’est-ce qui l’empêchait de prescrire aux écrivains de la divine Loi
de nous les révéler ? |
Quid enim ad theologicam disciplinam pertinet ire nos per uetitum
nefas inquirentes ea quae deus sciri uetuit: quorum
scientiam si nobis utilem aliquo modo iudicasset:
quod ei obstitit quominus praeciperet scriptoribus diuinae legis ut ea nobis
inuulgarent?
|
(1154) Paul, dans une des lettres aux Corinthiens, écrit qu’il a été emporté
au paradis et a entendu des paroles secrètes qu’il n’est pas permis à un homme de
dire. Qui a donc bâillonné l’Apôtre, pour qu’il ne révèle pas aux saints les
secrets du gouverneur suprême, qu’il fallait garder pour soi ? Et puis quelle
raison a poussé les professeurs d’Ecriture sainte à mêler ciel et terre, et mer et
ciel, autrement dit à mêler les choses divines aux humaines et les humaines aux
divines ? |
Paulus
ad corinthios scribens narrat se raptum
in paradisum audisse arcana uerba: quae non licet
homini loqui. Quis ergo os apostoli obstruxit ne
reticenda summi praesidis secreta sanctis hominibus reuelaret? Deinde quae ratio impulit professores sacrarum
literarum miscere terris coelum et mare coelo: hoc
est diuina humanis et humana diuinis confundere?
|
(1155) Attachés en effet à la doctrine d’Aristote et aux enseignements des
Péripatéticiens, c’est plus depuis le Lycée que depuis le Portique de Salomon
qu’ils interprètent les textes, en remplissant tout de sophismes sans nombre,
d’arguties qui n’ont d’autre but que de chatouiller l’intelligence, et de
misérables petites questions philosophiques. |
Addicti enim Aristotelis doctrinae ac dogmatis peripateticorum: magis ex lyceo quam ex porticu salomonis magistri sententias interpretantur: innumerabilibus cauillamentis: argutiis titillantibus ac philosophicis quaestiunculis omnina
complentes.
|
(1156) De fait, si, parmi tout les points que les commentaires sur Pierre
Lombard ont soulevés, on veut séparer la simple théologie de ce travail varié
d’explication, on pourra tout mettre sur quelques feuillets, alors que toutes les
bibliothèques du monde ne sauraient qu’à peine contenir toutes les autres pages
qui résonnent des hérésies des Péripatéticiens et d’Aristote. |
Nam si omnium: quae in petrum longobardum commentationes
edidere: simplicem uelis theologiam separare a
miscellanea illa expositione: uniuersam colliges
paucissimis chartis: cum reliquas paginas haeresin
peripateticorum et Aristotelis
resonantes uix capiant bibliothecae orbis terrarum.
|
(1157) C’est de là que vient le fait que, de même qu’un théologien s’attarde
dans la dialectique, la physique, les mathématiques et la parénèse, en laissant de
côté les hauteurs de la citadelle qu’est la théologie, de même aussi, à l’inverse,
un dialecticien verbeux, un grammairien pointilleux, un philosophe curieux
voudront s’emparer de cette science sublime et maîtresse des autres que les
théologiens ont laissée libre. |
Vnde fit ut quemadmodum theologus in dialecticis in physicis: in mathemeticis in paraeneticis commoratur arcis
theologicae culmine derelicto: ita quoque e di[26r]uerso
uel dialecticus uerbosus: uel grammatista
superciliosus: uel philosophus curiosus desertum
uelit a theologis dominae fastigium occupare.
|
(1158) Pour ma part, je n’ en ai pas seulement entendu un, je l’ai vu de mes
propres yeux, qui, tandis qu’il enseignait à ses élèves l’art de disserter,
tentait de leur montrer en même temps la théologie, la physique et toutes les
disciplines. J’ai vu au contraire un théologien qui, tout en faisant de la
théologie, faisait aussi de la dialectique et autres arts libéraux. Et, de même
que j’ai vu des maîtres de ce genre, j’ai vu aussi des élèves éparpillés et dans
la confusion, qui apprenaient tout à la fois, et qui mettaient leur nez partout.
Mais vraiment, de même que la nourriture simple est celle qui nourrit le mieux et
qui est la meilleure pour notre santé, de même un enseignement simple nourrit
l’âme, la fortifie extrêmement et s’assimile à toute vitesse. Mais mêlez au rôti
des escargots, des coquillages aux grives, ces aliments, doux en soi, se changent
en bile et l’humeur ralentie sèmera le trouble dans votre estomac. |
Iam equidem non solum audiui: sed et ipse
uidi quendam: qui cum artem disserendi suos
discipulos doceret: theologiam pariter: et physicam: et omneis
disciplinas monstrare conabatur. uidi theologum: qui e contrario theologiam simul: et dialecticam: et reliquas arteis
ingenuas. Et sicut magistros uidi huius modi: ita quoque discipulos fusaneos miscellaneosque: omnia pariter discentes:
seseque insinuantes omnibus. Verum enimuero: ut simplex esca et nutrit plurimum: et saluberrima est: ita
quoque doctrina simplex alit animum ualentissime: et
quam ocyssime concoquitur. At simul assis miscueris
elyxa: simul conchylia turdis: dulcia se in bilem uertent: stomachoque
tumultum lenta feret pituita.
|
(1159) Mais les arts humains sont des serviteurs et ils sont pour ainsi dire
les valets de pied de leur maîtresse, la théologie. Qu’il en soit donc
ainsi : qu’ils servent et ne soient pas servis, que chacun tienne décemment
le rôle qui lui a été donné ! De fait, avec quel front un théologien
pourrait-il, après avoir abandonné le trône et le service de sa reine, offrir à
des petites servantes tant de pages ? |
At ancillantur artes humanae tanquam pedisequae dominae
theologiae. Sit ita sane: dum ministrent non ministrentur: dum
singula quaeque locum teneant sortita decenter. Nam
qua fronte potest theologus: deserto reginae throno
et ministerio: tot paginas ancillis ministrare?
|
(1160) Pour ma part, je ne peux que louer la manière de faire de Salamanque,
car, ce qui se fait dans les autres institutions scolaires des autres villes, je
n’en sais rien ; mais, au moins, le collège de théologie de Salamanque ne
compte que des théologiens, alors que les collèges des autres disciplines
admettent pour l’examen des candidatures des professeurs de diverses sortes. J’ai
dit cela, non pour sortir du propos que je me suis fixé, mais pour exhorter nos
concitoyens à faire preuve de prudence dans l’étude, et de piété dans la
contemplation des réalités divines. |
Ego uero salmanticense institutum non possum non laudare: utrum enim id in aliis gymnasiis aliarum urbium
obseruari soleat ignoro: sed certe collegium
salmanticensium theologorum
purum est: cum collegia aliarum disciplinarum ad
censorium examen diuersi generis professores admittant. Haec dixi non ut a cursu destinato digrederer: sed ut nostros homines: et ad prudenter
discendum: et ad res diuinas pie contemplandum
exhortarer.
|
(1161) (Mors) ibi ("la mort là") en enfer évidemment,
quid faceret mors ("que ferait la mort"), autrement dit la
privation de la vision divine ; cette privation c’est la mort et l’enfer ou,
si l’on veut, le lieu du tartare ; quo ("où"), autrement dit
vers l’enfer vers lequel, ibat ("allait"), évidemment le Christ,
portitor ("porteur"), autrement dit celui qui porte et apporte
la vie. |
(Mors) ibi
scilicet in inferno:
quid faceret mors id est
carentia inspectionis diuinae: quae carentia est
mors et infernus uel locus tartari:
quo id est ad quem
infernum:
ibat scilicet christus:
portitor id est portator
uitae ac uector.
|
(1162) De fait, comme le dit l’évangile : "en lui était la vie", et en
lui elle est et sera. |
Nam (ut ait Euange.) in ipso uita erat:Jn 1, 4 et est quoque eritque.
|
(1163)
Mors ("la mort"), puisque, dans certains cas, le mot est pris au
sens de punition, dans certains cas au sens de séparation de l’âme et du corps,
dans certains cas au sens de séparation de l’âme avec Dieu, on peut rattacher ce
que veut dire le poète à ces significations variées. |
Mors cum aliquando
accipiatur pro poena: aliquando pro separatione
animae a corpore: quandoque pro separatione animae a
deo: ad illas uarias significantias potes sensum
poetae accommodare.
|
(1164) (Deus omnipotens), autrement dit la très sainte
Trinité, qui agit de manière principale dans tout ce qui est effectué,
conformément à cette règle théologique : tous les prédicats que l’on attribue
à Dieu se changent en sa substance, à l’exception de la relation, qui, à raison du
sujet dans lequel elle se trouve, se change en substance, afin de ne pas opérer de
composition, mais, à raison du terme vers lequel elle tend, demeure à sa place
pour opérer une distinction. Bien que, cependant, Augustin dise "nous comprenons
Dieu à la mesure de notre capacité comme grand sans quantité et bon sans qualité
etc.", et bien qu’il repousse ces paroles loin de Dieu comme absolument triviales,
cependant, parce que nous n’en avons pas d’autres pour expliquer les œuvres
ineffables de Dieu, sinon de dire que c’est une relation, autrement dit quelque
chose qui concerne une personne en particulier (comme envoyer sans être envoyé
convient au Père, au contraire être envoyé sans envoyer convient au saint Esprit,
mais les deux s’adaptent au Fils, à la fois être envoyé et envoyer, mais
s’incarner s’adapte au seul Fils) ; si donc il n’existe pas de noms pour la
relation, autrement dit d’ajouts particuliers apportés aux personnes de la
Trinité, on peut bien attribuer beaucoup à chaque personne, ces attributs
finissent cependant par être communs aux trois personnes. Ainsi, quand nous disons
que le Christ a été conçu et est né du saint Esprit, nous ne disons pas que le
saint Esprit est le père du Christ (de fait on dit que les cheveux naissent de
nous, mais on ne les appelle pas pour autant fils) ; et ceux qui naissent de
l’eau et de l’esprit ne sont pas les fils de l’eau (comme le dit le Maître au
livre 3) ; donc, même si la naissance du Christ est dite œuvre du saint
Esprit, comme on le dit dans l’évangile à propos de Marie, "elle se trouva
enceinte sous l’action du saint Esprit", cependant la créature que la vierge a
conçue et engendrée, c’est l’unité tout entière de la Trinité qui l’a faite et
réalisée. En effet, les œuvres de la Trinité ne sont pas inséparables : tout
au contraire, en nommant un on comprend trois, selon la règle que nous avons
proposée, et on comprend aussi le fait qu’ainsi également c’est la très
bienheureuse Trinité qui a accompli la résurrection du Christ et son admirable
ascension et le reste des œuvres célestes. |
(Deus omnipotens)
id est sanctissima trinitas: quae in omnibus
effectibus principaliter opatur: secundum regulam
illam theologicam: omnia praedicamenta dicta de deo
transeunt in substantiam: excepta relatione: quae ratione subiecti in quo est: transit in substantiam ne faciat compositionem: ratione uero termini ad quem est:
manet: ut faciat distictionem. Quamuis autem dicat augus.
intelligamus deum quantum possumus sine quantitate magnum:sine qualitate bonum:AVG. trin., 5, 2 et caetera: atque ita illas uoces
communissimas deo procul abigat tamen quia alias non habemus: quibus dei explicemus inefabilia opera: nisi sit relatio: uel
aliquod consequens personam peculiariter (sicut mittere et non mitti patri
competit: et e diuerso mitti et non mittere
spiritui sancto: At filio utrumque congruit scilicet
mitti et mittere: congruit et incarnari soli
filio:) nisi ergo sint uel relationis nomina: uel horum peculiares quaedam appendices: licet attribuantur singulae cuique personae
multa: in communionem tamen ueniunt trium
personarum. Vt cum dicimus christum conceptum et
natum de spiritu sancto: non dicimus spiritum
sanctum christi patrem: nam et capillus ex nobis
dicitur nasci: qui non uocatur noster filius: et qui ex aqua et spiritu nascuntur: non sunt filii aquae (ut ait magister in iii.) quamuis ergo spiritus sancti
dicatur opus: christi incarnatio: sicut in euangelio dicitur de maria:
inuenta est in utero habens de spiritu sancto:Mt 1, 18 tamen illam creaturam: quam uirgo concepit et
peperit: tota unitas fecit et operata est. Nec enim inseperabilia sunt opera trinitatis: quin imo nominato uno tres intelliguntur iuxta eam
regulam quam proposuimus: atque ita quoque
resurrectionem christi beatissima trinitas peregit:
et assumptionem admirabilem: et reliqua opera
coelestia.
|
(1165) Voilà pourquoi Pierre, tel qu’il est représenté en train de parler
ici, déclare (deus omnipotens) leuat ("Dieu
tout-puissant relève), autrement dit ressuscite des morts, hunc
("celui-ci"), évidemment le Christ, post sacra busta ("après les
saints tombeaux"), autrement dit après qu’il est demeuré couché pendant trois
jours dans le tombeau et le sépulcre saints, cui ("lui pour qui"),
évidemment Dieu, nunquam instat ("jamais ne presse"), autrement dit
n’existera jamais, terminus ("un terme"), autrement dit une fin,
autrement dit qui est éternel et sans fin. |
ideo ait Petrus qui a
poeta inducitur hic loquens
(deus omnipotens) leuat
id est suscitat a mortuis:
hunc scilicet christum:
post sacra busta id est
postquam in sacro busto et sepulchro per triduum iacuit:
cui scilicet deo nunquam instat id est nunquam
futurus est:
terminus id est finis id est
qui est aeternus et sine fine.
|
(1166)
Instat ("presse") le poète a pris le mot au sens propre, autrement
dit "vient après", "sera". Ainsi Salluste "ayant pensé que le mieux à faire était
de devancer la nuit qui pressait, afin qu’à la faveur de cet espace il ne puisse
se produire quelque événement nouveau" : ici "pressait" veut dire "était
toute proche" ou "suivait". Martianus Capella écrit également dans la partie sur
la musique "le trépied promet des présages selon un triple cours, à savoir ce qui
existe, ce qui presse et ce que le temps a déjà emporté". De ces paroles de
Martianus, un parfait érudit conclut que le temps pressant désigne le futur, le
temps existant le présent, le temps emporté le passé, et il ajoute : "voilà
pourquoi les philosophes modernes ne font que bégayer quand ils disent que le
temps pressant est le présent, alors qu’il dit qu’ils devraient désigner ainsi le
temps existant". Quand celui-ci dit cela, il n’a pas vu que, alors que juste
devant lui le chemin est éclairé, il est en train de critiquer Marcus Tullius en
le traitant de barbare, puisque, dans d’innombrables passages, Cicéron entend par
le temps qui presse le présent. Ainsi, dans le premier livre du traité de
rhétorique sur l’invention : "et ce qui vient d’être fait que la plupart des
gens peuvent savoir, et de même ce qui presse dans l’instant présent et qui se
réalise instamment, et ce qui suit" ; par "ce qui vient d’être fait", il
entend le passé, par "ce qui presse et se réalise" le présent et enfin par "ce qui
suit" le futur. De même, au livre 2 de la Rhétorique à Herennius,
où il dit : "cela se divise en trois temps : le temps passé, le temps
qui presse, le temps qui suit" ; et, peu après, expliquant ce qu’est le temps
qui presse, il ajoute : "dans le temps de l’instant, on recherche s’il a été
vu quand il agissait etc., dans le futur on regardera si, une fois la chose
accomplie, il reste quelque chose qui puisse indiquer qu’un acte répréhensible a
été commis ou qui l’a fait". De même, dans le livre 4 des
Tusculanes : "on redoute ce qui va venir, les même choses
qui nous pressent produisent un état maladif" ; dans ces mots "ce qui va
venir" désigne le futur auquel on oppose "les choses qui pressent" autrement dit
le présent. Nous n’ajoutons pas plus de témoignages, que ce soit de Cicéron ou
d’autres qui sont extrêmement nombreux, car ici nous ne cherchons ni la victoire
ni la satisfaction de la victoire. Nous nous contentons d’avertir les curieux pour
éviter qu’ils ne soient induits en erreur par des hommes ingénieux et sages, qui,
en recourant contre d’autres au reproche d’être des clowns, tombent eux-mêmes dans
la clownerie. |
Instat dixit poeta proprie id est consequitur: futurus est. Vt salustius.
optimum factu ratus noctem quae instabat:
antecapere: ne quid eo spatio
nouaretur:SALL. Catil., 55 instabat: hoc est proxima erat: uel sequebatur. scribit
autem Martianus in musica:
tripoda trini cursus praesagia polliceri:
hoc est extantis instantis et rapti.MART. CAP. 9, 894 Ex quibus Martiani
uerbis colligit uir quidam apprime eruditus: instans
dici tempus futurum: extans uero praesens: raptum praeteritum.
adiicitque: quare barbare balbutiunt recentiores
philosophi. qui instans pro praesenti dicunt: cum extans dicit debeat.
Haec ille cum dixit: ante pedes lucente uia non
uidit a se reprehendi . M.
Tullium celebrem romani eloquii
authorem: tanquam barbarum: qui innumeris in locis instans accipit pro praesenti. Vt in primo libro rhetorico de inuentione:
Et quae inquit nuper gesta sint: quae
scire plerique possint: et item quae instent
in praesentia: et quae maxime fiant: et quae consequantur:CIC. inv., 1, 26, 39 per ea quae gesta sint praeterita intelligit:
et per ea quae instent et fiant: praesentia: postremoque per ea quae consequantur futura. Item in .ii.
ad herennium libro de argumento loquens:
Id inquit diuiditur in tempora tria:
praeteritum: instans: consequens.RHET. Her. 2, 5, 8 Ac mox declarans quid sit instans subdit:
In instanti tempore quaeritur: num uisus
sit cum faciebatRHET. Her. 2, 5, 8 et caetera.
In consequenti spectabitur nunquid re transacta relictum sit quod
indicet aut factum esse maleficium: aut a
quo factum.RHET. Her. 2, 5, 8 In.
.iiii. quoque tuscula.que libro.
Quae enim uenientia metuuntur: eadem
efficiunt aegritudinem instantia.CIC. Tusc., 4, 6-11 in quibus uerbis uenientia id est futura: et
instantia id est praesentia opponuntur. Non
adducimus plura testimonia uel Ciceronis uel aliorum quae plurima sunt: quia hic nec uictoriam: nec uictoriae
satietatem quaerimus. Tantum admonemus studiosos. ne ducantur in errorem ab ingeniosis et doctis
uiris: qui dum prompte momi censura in alios
utuntur: in momum incidunt.
|
(1167) Et, pour ma part, je n’ai aucun désir maintenant de défendre ces
péripatéticiens sans éloquence et totalement puérils, qui, en expliquant avec
moins d’éloquence que de pointillisme, beaucoup de choses, montrent une telle
dégénérescence par rapport à leur maître Aristote, tant par la langue que par
l’intelligence, que, dans bien des cas, on les prend en flagrant délit de ne rien
comprendre du tout, et dans la plupart des cas de comprendre même de façon
contraire à celui qu’ils commentent. |
Nec ego nunc istos peripateticos elingues atque infantissimos
tueri cupio: qui non tam diserte quam acute multa
interpretantes adeo a principe illo Aristotele degenerauerunt et lingua et sensu: ut in multis nihil omnino sentire: in plerisque etiam contra eum ipsum quem
enarrant: sentire deprehendan[26v]tur.
|
(1168) Je ne défends donc pas ces incultes et ces philosophes plus barbares
que les Goths ; je pense qu’ils font injure à la philosophie parce qu’ils
salissent quelque chose de noble par leur discours dégoûtant ; toutefois je
supporte mal qu’on les critique de manière injuste. |
Non ergo incultos istos: et getis
barbariores philosophos defendo: a quibus fieri
iniuriam puto philosophiae: quod rem nobilem spurco
sermone inquinent: sed eos tamen iniuste reprehendi
iniquo animo fero.
|
(1169) Nous trouvons chez des autorités compétentes que l’on emploie
instans ("pressant") pour un futur immédiat ou menaçant ;
nous en convenons, du moment que tu ne dénies pas et conviens avec nous que, parmi
les sens variés d’instans, est extrêmement utilisé chez les auteurs
les plus approuvés celui qu’ont souvent dans la bouche ce que tu nommes bègues, en
cela très peu bègues, mais corrects et élégants. |
Inuenimus apud idoneos authores instans pro futuro uel urgente uel imminente: Concedimus sane: dummodo
illud non abneges: nobisque concedas: inter uarias instantis significationes: hanc
quoque esse usitatissimam apud probatissimos: quam
in ore frequenter habent isti balbi in hoc minime balbi: sed tersi et elegantes.
|
(1170) Mais tu as fait une digression, me dira-t-on ; je l’avoue. Mais
nous apportons pour un usage commun et public cette petite digression, qui
cependant est restée reliée au chemin que je me suis fixé. Pour ma part, je n’irai
jamais loin de la route que j’ai choisie ; en effet nos digressions resteront
les plus proches possible de notre route, et jamais je ne m’attarderai sur celles
qu’une foule de dictionnaires pourront vous apprendre, mes très agréables
auditeurs ou auteurs publiés. |
Digressus es dicet aliquis: fateor: sed in communem et publicum usum hoc diuerticulum
contulimus: quod tamen destinato itineri
coniunctum pene fuit. Nec ego unquam a uia proposita
longe abibo. cohaerebunt enim quam proxime nostri
digressus uiae: nec in iis unquam morabor: quae uos turba lexicon docere possunt O Auditores
iucundissimi: inuulgatiue authores.
|
(1171) De fait, soit je montrerai des pièges cachés dans l’herbe pour éviter
que vous ne tombiez dedans la tête la première, soit je vous révèlerai les choses
qui sont les moins divulguées et qui vous seront peut-être bien inconnues. |
Nam uel foueas cespitibus occultatas ostendam ne in eas
praecipites ruatis: uel quae minus protrita sunt et
uobis fortassis incognita: reuelabo.
|
(1172) (Radiantem.) Vidimus ("nous avons vu"),
dit Pierre, lesum radiantem ("Jésus radieux"), autrement dit
glorieux, in corpore ("dans son corps") et
conspeximus ("nous avons contemplé"), évidemment nous, les
disciples, de nos yeux, reducem ("revenant"), autrement dit de
retour, évidemment le jour de sa montée au ciel et de son ascension,
propriis astris ("dans ses propres astres"), autrement dit dans
le ciel qui lui est propre et lui appartient. |
(Radiantem.) Vidimus inquit petrus
lesum radiantem id est gloriosum in corpore: et conspeximus
scilicet nos discipuli nostris oculis:
reducem id est redeuntem
scilicet in die assumptionis uel ascensionis:
propriis astris id est
proprio coelo: et suo.
|
(1173) De fait, bien que tout soit au Christ, il n’en demeure pas moins que
le ciel et les astres, dans lesquels l’action créatrice de Dieu apparaît
davantage, sont dits ses biens propres et appelés son trône. |
Nam licet omnia christi sint: tamen
coelum et astra in quibus dei opificium magis apparet: propria ipsius dicuntur: et ipsius
thronus uocantur.
|
(1174) Il faut du moins savoir que le nom Iesus peut ici être
considéré comme comptant deux syllabes ou trois. De fait si, en scandant, on fait
une synalèphe, on fera ainsi : corpori dactyle,
esum, et il fera trois syllabes ; mais si nous disons
corpore iesum alors i est une consonne et non une
voyelle, comme, dans le livre 2, le même Arator qui écrit clementia
iesu. Dans le mot Ioannes également, c’est une consonne
chez le même auteur au livre 2 dans uenerit his quaesitor ait qui fonte
Ioannis, et, peu après, nomine uenturi praecursor in orbe
Ioannes. Ne te laisse pas émouvoir par le fait que les Grecs utilisent
un iota pour écrire Iesus et Iohannes. De fait,
iota, qui chez eux est toujours une voyelle, devient parfois chez nous une
consonne, comme dans Iudaeus, qu’ils écrivent avec un iota et
cependant dans Juvénal c’est une consonne : arcanam iudaea tremens
mendicat in aurem ("la Judée tremblante mendie dans une oreille
discrète"). Je pense que cela peut arriver dans des mots qui ne sont pas grecs,
mais hébreux ou de quelque autre langue. En effet, s’ils sont grecs, comme
iambus, hieronymus, il me semble que l’on ne peut
en aucun cas changer iota en consonne. Celui donc qui prononcera
iambus en deux syllabes aura une prononciation de paysan et de
barbare. |
Sciendum sane hoc nomen iesus disyllabon hinc poni
posse: et trisyllabon.
Nam si in scansione fit synaloepha: ita: corpori: dactylus: esum. erit trisyllabon. Si autem dicimus:
corpore: iesum: tunc .
i.erit
consonans non uocalis: ut in secundo idem Arator:
clementia iesu:ARATOR act., 2, 228 et in loannes id est quoque
consonans est apud Eundem in
secundo:
Venerit his quaesitor ait: qui fonte
loannis:ARATOR act., 2, 572 et paulo post nomine uenturi praecursor in orbe loannes.ARATOR act., 2, 584 Nec te moueat quod graeci per.
iota
lesus et loannes scribunt. Nam iota: quae apud eos semper uocalis est: apud nos quandoque transit in consonantem ut iudaeus per iota scribitur: et tamen iuuenalis in
consonantem mutauit:
Arcanam iudaea tremens mendicat in aurem.IVV. 6, 543 Quod ego arbitror posse fieri in dictionibus:
quae non sunt graecae: sed uel hebreae uel alterius
linguae. si enim graecae sunt: ut iambus:
hieronymus:
iota in consonantem nullo pacto posse uerti Existimo. Qui ergo iambus proferret
disyllabon: rustice proferret et barbare.
|
(1175) Mais puisque nous tombons sur le nom très saint de notre libérateur,
"devant qui (comme dit l’Apôtre) tout genou fléchit au ciel sur terre et aux
enfers", il est cohérent de montrer la véritable manière dont cela s’écrit :
l’autorité de Filelfo, personnage d’ailleurs d’une extrême culture littéraire, l’a
abîmé. Celui-ci en effet dans ses lettres, livre 14, comme il était averti par
l’un de ses amis parce qu’il avait à la légère ou peut-être par un lapsus
calami commis une erreur en écrivant Ihesus avec un
h, répondit qu’il ne l’avait pas fait sans réflexion, mais bien
à dessein. Il s'est trompé en cela : s’il était arrivé de se tromper à un
bouseux ou à une personne totalement ignorante du grec, je m’en serais moins
étonné. Mais, de la part de Filelfo, qui connaît admirablement les deux langues,
je ne saurais supporter une telle erreur, si je n’avais fait partout l’expérience
des ténèbres de la nature humaine ni n'avais eu connaissance de bien des périls,
même chez les plus savants, et d’ailleurs assez souvent en moi-même aussi, car mes
propres erreurs me viennent plus souvent à l’esprit que celles des autres. |
At quoniam incidimus in hoc liberatoris nostri sanctissimum
nomen: in quo (ut inquit apostolus) omne genu flectitur coelestium:
terrestrium: et infernorum:Ep 2, 10-11 consentaneum est: nos ueram eius scriptionem
monstrare: quam philelphi authoritas uiri alioqui
literatissimi deprauauit. Is enim in.
xiiii. epistolarum libro: cum ab amico moneretur quod temere aut lapsu fortasse
festinantis harundinis errasset: scribendo
Ihesus per.
h. rescripsit
non id imprudenter: sed consulto a se factum. Hoc ego erratum: si alicui
opico aut rudi omnino graecarum literarum contigisset: errare: minus miratus fuissem. Sed in philelpho utriusque linguae consultissimo uix equidem tale
peccatum ferrem: ni tenebras humanae naturae passim
experirer: ac multis periculis cognitas
haberem: et in multis uiris doctissimis: et in me quoque ipso frequentius: quia multo saepius mihi mea quam aliena in mentem ueniunt.
|
(1176) Or qui ne voit pas, pour peu qu’il ait quelque savoir de l’écriture
grecque, d’où provient cette erreur d’écriture : Ihesus ;
c'est en raison de l’aspiration. De fait, puisque la manière de noter chez nous
l’aspiration, H, et la voyelle que l’on nomme en grec èta ont la même forme, celui
qui, en grec, voit écrit IHS, s’il ne connaît pas l’écriture grecque, croira que
le mot est écrit avec aspiration, alors qu’il n’est pas écrit avec aspiration,
mais avec un èta, qui, chez nous, devient un e long. Or, il se
trouve que le nom Jésus Christ se rencontre, en forme abrégée, écrit chez les
Grecs avec seulement six lettres, trois pour IHS et trois seulement pour XPS.
Cette habitude se retrouve chez nous : Christus est écrit avec
un X, car X est semblable à la lettre grecque khi, et avec un P, parce que le
p latin a la forme du rho grec, autrement quel moyen y aurait-il
pour que X et P puissent noter et exprimer le mot Christus ?
Ou bien comment trouvera-t-on le son p ou x dans le
nom du Christ ? C’est évidemment impossible. Alors pourquoi est-il écrit XP
même dans les plus anciens manuscrits et les exemplaires d’une vénérable
antiquité ? Ou peut-être est-ce alors une erreur des éditeurs qui, dans la
suite du temps, est passée chez leurs successeurs, alors même qu’en raison de leur
ignorance il pensaient que la voyelle èta, en raison de son tracé identique, était
ce qui est chez nous une aspiration, comme ils pensèrent que les lettres grecques
chi et rho qui servent à écrire le nom du Christ étaient un x et un
p, en raison de leurs tracés qui correspondent et diffèrent
extrêmement peu ; ou bien encore, alors que l’intégralité du Nouveau
Testament (comme l’atteste Jérôme) est en grec, à l’exception de l’apôtre Matthieu
qui d’abord écrivit en Judée son évangile en hébreu, je soupçonne, pour ma part,
les chrétiens d’autrefois d’avoir pris l’habitude d’écrire ainsi ces deux mots de
manière abrégée, comme le faisaient les écrivains grecs du Nouveau Testament, en
sorte que, de même que, quand on les prononçait, ils demeuraient inchangés et ne
recevaient nulle autre interprétation, de même il restaient aussi sans changement
dans l’écriture. |
Quis autem non uidet: modo aliquid teneat
graecarum literarum: unde error ille scribendi
Ihesus per aspirationem
emanauerit? Nam cum nostra aspiratio.
H. et ea
uocalis quae a graecis: ita:
dicitur sint eiusdem figurae: qui graece.
IHS. scriptum
uidet: si ignorat literas graecas: per aspirationem scribi putabit: cum non per aspirationem sed per eta scribatur: quae apud nos
mutatur in e.
longum. solet autem lesus Christus compendiosa scriptione apud graecos senis
literis scribi: ita ut IHS. his tantum tribus:
XPS. his etiam
tribus scribatur. Hinc mansit consuetudo quoque apud
nos: ut Christus per X. scriberetur: quia .XX. similis est chi elemento graeco: et per.
P. quia.
p. latinum
effigiem obtinet rho graeci: alioquin quid habet.
X. aut.
p. quo possit
scribi exprimiue hoc nomen christus? Aut uox ipsius.
p. aut .X. in illo nomine Christus qui inuenitur? Certe non. Cur ergo per.X. et .p. scribitur etiam in
antiquissimis codicibus: et uenerandae uetustatis
exemplaribus? Vel ergo error est librariorum
tempore iam ex illo in posteros deriuatus: cum per
inscitiam.
H.
eta uocalem:
propter similes lineolas: esse aspirationem nostram
crederent: sicut chi et rho graeca
elementa: quibus Christus scribitur: putauerunt esse
.X. et .
p. ob notas
Conuenientes minimeque diuersas: uel certe cum nouum
testamentum (authore Hieronymo)
totum graecum sit: excepto apostolo mattheos: qui primus in iudaea
Euangelium Christi hebraicis literis edidit:
suspicor ego ueteres christianos consueuisse dictiones illas duas scribere
ita compendiosse: quemadmodum a graecis nouae legis
scriptoribus formabantur: ut sicut integrae in uoce
manebant: nullaque interpretatione mutatae: ita etiam incorruptae in scriptione manerent.
|
(1177) Et il faut croire que l’explication que voici n’est pas loin de la
vérité : c’est non seulement en raison de la forme abrégée en trois lettres
que les anciens, qui étaient de bons croyants, écrivirent ainsi les noms sous la
forme IHS et XPS, mais encore pour en représenter la force et le mystère de la
divine Trinité. Ce point est purement hypothétique, mais voici qui ne fait aucun
doute : les manuscrits antiques et parfaitement corrects de Filelfo, pour
l’Ancien et le Nouveau Testament, appuient davantage mon idée que la sienne :
et si Ludovico Casella avait soumis à Filelfo notre présent raisonnement, il
aurait parfaitement reconnu son erreur (conformément au savoir-vivre dont il
faisait profession) et ne se serait pas réfugié dans les ronces et les cachettes
d’une défense qui ne tenait pas debout. |
Nec illud uero procul esse censendum est:
non solum ob conpendium ternis literis nomen Illud IHS
: et item XPS
ab antiquis illis religiosisque uiris scriptum fuisse: sed etiam ob uim mysteriumque diuinae trinitatis
repraesentandum. Sed hoc coniecturale totum
est: illud indubitatum:
Codices philelphi illos
uetustissimos atque emendatissimos et noui et ueteris testamenti plus mihi
quam illi fauere: Quod si ludouicus casella hanc philelpho nostram rationem
subiecisset: agnouisset profecto (pro ea quam
profitebatur humanitate) errorem suum: nec ad uepres
et infirmae defensionis latibula confugisset.
|
(1178) En effet, ce n’est pas la présence de l’aspiration qui fait que le nom
Iesus possède trois syllabes ; alors qu’il pourrait tout
aussi bien en avoir trois sans cette aspiration, ce mot iambique admet une
aspiration en son milieu pour compter pour trois syllabes. |
Nec enim aspiratio facit ut hoc nomen lesus trisylabum sit: cum sine ea
quoque trium syllabarum esse possit:[27r]
alioquin iambus mediam excipit
aspirationem ut tribus syllabis constet.
|
(1179) Même Quintilien n’est pas d’accord avec Filelfo. Il affirme que la
logique de l’aspiration avec le temps a souvent été modifiée et que les anciens y
recouraient très rarement, même pour les voyelles, et disaient
aedus et ircus sans aspiration. Mais les gens de
notre époque n’acceptent pas cette idée et font une aspiration en écrivant alors
même qu’il ne la font pas quand ils prononcent à voix haute. |
Nec quintilianus cum
philelpho sentit. qui rationem aspirationis temporibus fuisse
mutatam saepius: parcissimeque ait ea ueteres usos
fuisse: etiam in uocalibus: cum aedos
ircosque dicebant. Sed nec nostrae aetatis homines illi subsignant: qui in scribendo: non
etiam in pronunciando uocibus aspirant.
|
(1180) Les Grecs, en effet, n’ont retenu ce procédé que dans les consonnes,
les Latins pas même dans toutes les consonnes. Voilà pourquoi l’aspiration vient
rendre plus sonore les mots de triumphus,
trophaeum, pour leur donner de la puissance et pour ainsi dire un
souffle plus ardent et plus fort. Mais le nom de Christus alors que
les latins le prononcent de façon douce est renforcé en grec pas le souffle de
l’aspiration. Et l’aspiration que l’on y insère ne rend pas la syllabe plus sonore
et plus puissante dans le nom Iesus, puisque Priscien dit que
l’aspiration vient s’ajouter aux voyelles et les rend moins sonores, mais fait
partie des consonnes et les rend plus sonores. Mais assez sur ce point. |
Graeci enim id tantum in consonantibus:
latini ne in consonantibus quidem omnibus id retinuerunt. Itaque aspiratio firmat sonum illorum nominum triumphus
trophaeum: ut
eorum sit robur et quasi spiritus uiridior uegetiorque. Sed hoc nomen christus: cum exiliter pronuntietur a latinis: flatu aspirationis a graecis roboratur. Nec aspiratio interposita syllabam sonantiorem
reddit: ac ualentiorem in illo nomine lesus: cum dicat
priscianus aspirationem
uocalibus extrinsecus ascribi ut minimum sonet:
consonantibus autem intrinsecus ut plurimum. Verum
haec hactenus.
|
(1181) (Sed fugite) voici le sens. Vous, qui que vous soyez,
qui entendez les mystères de la loi évangélique, fugite ("fuyez")
le péché de la Judée incroyante ; il ne lui a pas suffi de ne pas accueillir
le Christ qui était venu pour supprimer ses fautes, mais elle ajouta un nouveau
crime à ce crime quand les Juifs crucifièrent le Christ et se chargèrent, eux et
leurs enfants, du châtiment d’un tel méfait, en disant "son sang sur nous et sur
nos fils". Mais, quelque grands que soient ces péchés, si vous croyez, ils seront
tous lavés dans les eaux du baptême et la lustration de la rosée qui
purifie. |
(Sed fugite)
sensus est. Vos quicunque auditis mysteria legis
Euangelicae.
fugite peccatum perfidiae
iudaicae:
cui non sat fuit non recipere christum: qui uenerat
ad culpas eorum abolendas: sed sceleri huic nouum
scelus addiderunt: cum christum crucifixerunt: et se et suos filios poenae tanti sceleris
subdiderunt dicentes:
sanguis eius super nos: et super filios
nostros.Mt 27, 25 Verum quanquam haec magna sint peccata: si
creditis: cuncta abluentur aquis baptismatis: et purifici roris lustratione.
|
(1182) Voilà ce qu’a dit Pierre, dit le poète, et l’ordre est : o
miseri ("malheureux") fugite piacula ("fuyez
l’abomination"), évidemment les péchés, funesta ("funeste") et
mortels, gentis ("de la nation"), évidemment la nation juive qui
est incroyante, cui ("pour qui"), évidemment cette nation,
creuerunt uulnera culpae sacrilegae addita ("se sont accrues les
blessures qui s’ajoutent à leur faute sacrilège") ; de fait ils reçurent en
eux la blessure de leur châtiment en tuant le Christ, mais cette blessure s’accrut
quand elle se propagea et se répandit dans leurs fils aussi ; voilà pourquoi
il dit uulnera addita culpae sacrilegae ("les blessures qui
s’ajoutent à leur faute sacrilège") et abominable ; de fait, à la faute de
l’homicide, ils ajoutèrent les blessures de leurs fils en criant "sur nos fils son
sang", autrement dit la faute et le châtiment. Et ainsi culpa n’est
pas au génitif mais au datif ; ueniente deo ("quand Dieu
vint"), évidemment le Christ pour la nation juive, auertere
("détourner"), syntaxe grecque, autrement dit pour détourner et pour enlever,
noxas ueteres ("les vieilles culpabilités"), autrement dit les
anciennes fautes. Car comme le dit Jean : "le Christ est venu chez lui et les
siens ne l’ont pas reçu". |
haec petrus dixit. ait poeta et
ordo est o miseri:
fugite piacula scilicet
peccata funesta et
mortifera:
gentis scilicet iudaicae: quae
perfida est, Cui scilicet
genti:
creuerunt uulnera culpae sacrilegae
addita: nam uulnus poenae in se
acceperunt: Christum occidendo: sed hoc uulnus creuit: cum in filios
quoque propagatum fuit et deriuatum: ideo ait:
uulnera addita culpae
sacrilegae et nefandae. nam culpae
homicidii: addiderunt uulnera filiorum: et super filios nostros sanguis eiusMt 27, 25 id est culpa et poena: cum clamarent. Et ita culpae non est secundi casus sed tertii.
ueniente deo scilicet
Christo genti iudaicae:
auertere syntaxis graeca id
est ad auertendum et remouendum:
noxas ueteres id est culpas
antiquas. Nam ut inquit loannes: Christus in propria uenit: et sui eum non
receperunt.Jn 1, 11
|
(1183)
Cui : il faut construire ce mot deux fois de la manière
suivante : avec genti au sens de "pour qui" Dieu vint, et au
sens de "à qui" je dis "vos blessures se sont accrues en se propageant dans vos
fils, petits-fils et descendant avant même qu’ils ne naissent". C’est ce qu’il dit
immédiatement en précisant ce que je viens de dire. ludaea paricida
("Judée parricide"), autrement dit meurtrière de ses fils, autrement dit :
toi qui as tué tes fils et tes descendants avant qu’ils ne naissent. |
Cui:
bis iunge ita: cui genti scilicet ueniente deo: cui dico: creuerunt
uulnera propagata etiam in filios et nepotes, et minores: anteaquam nascerentur. Quod statim
subiicit declarando superiora. O ludaea
paricida id est filicida: hoc est. quae filios, et posteros tuos: anteaquam nascerentur: occidisti.
|
(1184) De fait, selon le jurisconsulte qui commente la lex
pompeia sur le parricide, on ne désigne pas seulement sous le nom de
parricide et on ne punit pas seulement du supplice de parricide, celui qui tue son
père ou sa mère, mais aussi celui qui tue sa patrie, son fils, son frère ou sa
sœur. |
Nam secundum lurisconsultum ad legem pompeiam de parricidis: non solum is qui patrem aut matrem occiderit: parricida dicitur: et
supplicio parricidae punitur: sed etiam is qui
patriam: filium: fratrem
sororemue occiderit.
|
(1185)
Cur trahis natos tuos ("pourquoi entraînes-tu tes enfants"),
évidemment vers le châtiment et la faute de la mort du Christ, alors que,
puisqu’ils n’étaient même pas encore nés, ils n’ont ni accusé ni persécuté le
Christ ? per uota cruoris ("par les vœux du sang"), autrement
dit par des imprécations faites sur son sang, quand, comme le dit Matthieu, vous
avez crié "son sang soit sur nous et sur nos enfants". |
Cur trahis natos tuos
scilicet in poenam et culpam mortis Christi: cum
Christum nondum ipsi nati nec accusarent: nec
persequerentur?
per uota cruoris id est per
imprecationes sanguinis ipsius: cum ut matthaeus ait: inclamaretis:
sanguis eius super nos: et super filios
nostros.Mt 27, 25
|
(1186)
Cur ("pourquoi") : répété deux fois, pour mettre en évidence
l’indignation, κατὰ ἀναδίπλωσιν (par anadiplose). |
Cur:
bis repetitur: ad emphasin indignationis ostendendam
cata anadiplosin.
|
(1187)
paricida ("parricide") initiale brève car le mot vient de
par et autrefois on nommait ainsi les homicides. |
paricida prima breui a
pari dicitur. et olim ita homicidae dicebantur.
|
(1188) (Damnata), évidemment, toi, Judée, à cause de la mort
du Christ, c’est en effet fuso sanguine ("en ayant versé le sang"),
autrement dit comme tu avais versé, par tes accusations, le sang du Christ sur la
croix ; quid ("que"), autrement dit pourquoi,
premis ("accables-tu"), autrement dit oppresses-tu ;
hos ("ceux-ci"), évidemment tes fils et tes descendants, en les
chargeant du châtiment et de la faute de la mort du Christ ;
tecum ("avec toi"), évidemment en même temps, et
festinas ("te hâtes-tu"), évidemment la Judée, proferre
reos ("de proclamer coupables"), autrement dit de prononcer que tes
fils sont coupables et méritent un châtiment ; necdum,
autrement dit pas encore ; creatos ("créés"), autrement dit
nés et engendrés ; quand tu dis "et sur nos enfants soit son sang" ;
et lingua ("la langue"), évidemment la vôtre, Judée ou encore
Juifs ; homicida ("homicide"), autrement dit coupable
d’homicide, soit parce qu’elle a tué le Christ, soit aussi parce qu’elle a
condamné ses fils et ses descendants non encore nés à cause de son propre
crime ; percussit iter naturae ("a frappé le chemin de la
nature"), chose qui semble impossible. |
(Damnata)
scilicet tu iudaea propter mortem
christi: id enim est fuso sanguine id est cum efudisses tuis
accusationibus sanguinem Christi in cruce :
quid id est cur:
premis id est opprimis:
hos scilicet filios et
posteros tuos in poenam et culpam mortis Christi:
tecum scilicet simul. et festinas scilicet iudaea:
proferre reos id est
pronunciare filios tuos reos et poenae obnoxios:
necdum id est nondum:
creatos id est natos et
genitos: cum dicis et super filios nostros
sanguis eius. et lingua scilicet uestra o iudaea uel o ludaei:
homicida id est rea
homicidii: uel quia christum occidit: uel quia filios et minores suos condemnauit nondum
natos propter suum scelus:
percussit iter naturae: quod uidetur impossibile.
|
(1189) En effet, alors que les hommes pris individuellement sont mortels et
soumis au changement par le renouvellement des générations, mais que tous pris
ensemble, en considération de leur espèce même, paraissent immortels, voici quel
chemin de la nature la langue des Juifs a frappé et détruit : elle a tué ses
propres fils avant même qu’ils ne naissent, et les a soumis au châtiment que leurs
pères méritaient à cause de la mort du Christ. |
Cum enim homines singulatim sint mortales: et uicissim sufficienda prole mutabiles:
cunctique ipso genere uideantur immortales: hoc iter
naturae percussit et disiecit lingua iudaeorum: quae filios suos
anteaquam nascerentur: interfecit: et subiecit ei poenae: quam merebantur
patres eorum propter mortem christi.
|
(1190) De fait, comme le dit Cyprien martyr, "même si la voix des Juifs se
tait, leur histoire ultérieure affirme leur châtiment, quand ils vont ça et là
dispersés et errants ; chassés de leur soleil et de leurs cieux, ils sont
ballotés au gré de l’hospitalité d’autrui". |
Nam (ut inquit cyprianus
martyr) etsi iudaei uoce tacent: exitu poenam
confitentur: cum dispersi et palabundi
uagantur: soli et coeli sui profugi per
hospitia aliena iactantur.Ps. CYPR. idol., 10
|
(1191) (cui), évidemment la nature et le peuple de la Judée,
descendant de ceux qui ont tué le Christ ; ortus ("origine"),
autrement dit naissance ; serior ("plus tardive"), autrement
dit plus tardive que leur crime ; autrement dit le péché qui les touche,
celui évidemment de la mort du Christ ; habet discrimen
("possède ses périls"), autrement dit le danger du châtiment. |
(cui) scilicet
naturae et genti iudaicae deriuatae ab
interfectoribus christi:
ortus id est natiuitas:
serior id est tardior quam
facinus: id est peccatum mortis christi scilicet
contingens:
habet discrimen id est
periculum poenae.
|
(1192) De fait, le péché de la mort du Christ, pour lequel maintenant les
Juifs sont punis, a trouvé son origine et est né avant les descendants et la
postérité de ces mêmes Juifs qui ont tué le Christ. Et pourtant, ils sont tombés
dans le danger de subir le châtiment que leurs ancêtres ont appelé sur eux et sur
leurs fils, alors que d’ordinaire c’est l’inverse : évidemment l’auteur d’une
faute naît avant la faute elle-même et la faute naît avant son châtiment. Mais
ici, dans la mort du Christ, la faute est née avant que naissent et soient nés de
nombreux Juifs qui, à cause de cette faute née avant eux, ont été punis. |
Nam prius ortum et natum est peccatum mortis christi: propter quod nunc iudaei puniuntur: quam nepotes et
minores eorum iudaeorum: qui christum occiderunt.
Et tamen inciderunt in periculum poenae: quam
maiores eorum et sibi et suis filiis imprecati sunt:
cum soleat contra accidere: ut scilicet prius
nascatur oriaturque author peccati quam peccatum: et
prius peccatum quam poena peccati. At hic in morte
christi: prius ortum est peccatum quam multi
iudaei nascantur et nati sunt: qui propter illud peccatum prius ortum: puniti sunt.
|
(1193) Et le poète, redisant la même chose ajoute en variation :
propago scelerum ("la descendance des crimes"), évidemment la
génération de la Judée qui s’étend par ces crimes, perit ("périt"),
autrement dit est tuée ; de natale ("à partir de la
naissance"), autrement dit depuis sa naissance et son origine, évidemment parce
qu’elle a tiré sa naissance et son origine de ceux qui ont tué le Christ, et non
parce qu’ils ont eux-mêmes tué le Christ. Et évidemment cette génération issue de
ceux qui ont tué le Christ, saucia ("blessée"), évidemment frappé
d’un coup et tuée, uoce parentum ("par la voix de ses parents"),
autrement dit par les cris "son sang sur nous et sur nos fils", uenit in
lucem ("est venue au jour"), autrement dit est née,
punita ("punie"), évidemment du châtiment de la mort que ses
ancêtres demandèrent non seulement pour eux mais aussi pour leurs fils et leurs
descendants qui n’étaient pas encore nés. |
et idem dicens poeta uarie
subdit: et propago scelerum scilicet generatio iudaica
per scelera propagata.
perit id est interfecta
est:
de natale id est a sua
natiuitate et a suo ortu: quia scilicet natiuitatem
et originem traxit ab interfectoribus christi: non
quia ipsi christum interfecerunt: quae scilicet
generatio deriuata ab interfectoribus christi:
saucia scilicet uulnerata et
interfecta:
uoce parentum id est illis
clamoribus:
sanguis eius super nos et super filios nostros:Mt 27, 25
uenit in lucem id est nata
est:
punita scilicet poena
mortis: quam mortem sui maiores petiuerunt non
solum sibi: sed etiam filiis et posteris suis nondum
natis.
|
(1194) En effet, comme Pilate disait : "je suis innocent du sang de ce
juste. A vous de voir ! Tout le peuple répondit : ‘son sang sur nous et
sur nos fils’". C’est la raison pour laquelle Isaïe qui prévoyait ce qui allait
arriver a ainsi prophétisé : "si vous levez les mains vers moi, je ne vous
exaucerai pas ; vos mains en effet sont pleines de sang". |
Cum enim diceret pilatus:
Innocens ego sum a sanguine huius iusti.
uos uideritis. respondit uniuersus
populus: sanguis eius super nos et super
filios nostros.Mt 27, 24-25 Vnde Esaias hoc praeuidens
futurum: uaticinatus est.
Si leuaueritis manus ad me. non
exaudiam. manus enim uestrae sanguine
plenae [27v] sunt.Es 1, 15
|
(1195) Donc comment, Judée, ce Dieu, jadis de toute clémence qui jamais ne
t’a oubliée, n’a-t-il pas été conduit à travers une telle durée par tes malheurs à
te libérer de ta captivité ? C’est sans doute que ceux qui ont tué le Christ
se rendirent coupables par la parole susdite et vous rendirent coupables d’un si
grand crime ; avec eux-mêmes, c’est vous qu’ils ont blessés. |
Ergo quomodo clementissimus quondam deus o iudaea: qui nunquam
tui oblitus est: nunc per tanta spatia temporum
miseriis tuis non adducitur ut soluat captiuitatem tuam? Certe qui christum occiderunt: et se et
uos reos tanti criminis illa uoce supra dicta fecerunt: seque et uos pariter uulnerauerunt.
|
(1196) Celui qui désirerait lire un exposé évident et abondant de cela, qu’il
voie Jérôme et sa lettre à Dardanus, savante et tellement bien écrite, qui, bien
qu’elle semble avoir été dictée à son auteur au terme d’une veille agitée, emplit
cependant abondamment mes oreilles, tant elle est parfaite dans l’usage de toutes
les ressources de la doctrine comme de l’écriture. |
Quam rem qui uoluerit aperte copioseque enarratam legere: uideat hieronymi
epistolam ad Dardanum: doctam et elegantissimam: quae licet
authori suo tumultuaria lucubratione dictata uideatur. tamen aures meas abunde impleuit:
omnibus et doctrinae et eloquii absoluta numeris.
|
(1197) D’ailleurs, dans un de mes poèmes, je l’ai résumée et j’ai dit :
"quelle région sur toute la terre vous sera donnée sans être emplie de votre
peine, de votre gémissement et de vos larmes ? Vous êtes esclaves du levant
au couchant ; dites-moi quel château dans le mondre vous appartient ?
Quelle ville est soumise à votre domination ? Vous êtes renversés des sièges
de vos pères, chassés de votre sol natal, exilés de la région de Jérusalem ;
chez tous les peuples vous endurez des maîtres sévères, opprimés par une injuste
servitude, vous êtes partout la risée de tous, déshonorés par un joug sans fin,
votre royaume a péri, je l’ai vu et l’ai lu. Les mutations du sort emportent et
accablent de manière variée tantôt celui-ci tantôt celui-là. Mais vous, la Fortune
vous presse, sans vous lâcher, depuis le temps où vous vous êtes souillés du sang
de votre roi, et en avez rempli vos mains. Vous payez, répandus sur toute la
terre, ce que vous avez commis, vous voilà, foule pitoyable, que nul ne prend en
pitié" etc. |
Quam etiam rem ipse ego carmine quopiam complexus dixi:
regio quae denique terris in cunctis dabitur uestro non plena
laborem: seruitio: gemitu: lachrymis? seruitis ab ortu solis ad occasum: dic quae castella per orbem sint uobis? aut quas urbes ditione praematis? sedibus auulsi patriis: natalibus aruis Extorres:
profugi solymis regionibus: omni in populo
dominos saeuos toleratis: iniquo seruitio
oppressi ludibria cuncta ferentes:
Perpetuoque iugo indecores. pereuntia regna
Et uidi et legi. casus mutabilis aeui Nunc
hos nunc illos uarie tolluntque praemuntque.
Sed uos ex illo fortuna tenaciter urget Tempore: quo regis maculastis sanguine uestri: implestisque manus. luitis
commissa per omnes diffusi terras. misera
haud miserabilis ulli: turba estisBARBOS. carm., 10 et.c.
|
(1198) (si soluere.) Pierre arrive à la conclusion de son
discours et dit : si vous, mes frères, vous voulez soluere
("détruire") et enlever incrementa mali ("les accroissements du
mal"), autrement dit un péché qui est si foecundi ("fecond") et
fertile qu’il se propage non seulement sur ses auteurs mêmes mais encore sur leurs
fils et descendants, reparate ("réparez") et reconstituez
genus ("votre lignée") et votre descendance éteinte et tuée par
la parole susdite, undis ("par les eaux"), évidemment du baptême,
felicibus ("bienheureuses"). |
(si soluere.) concludit petrus orationem: si inquit uos
fratres: uultis soluere et remouere incrementa mali id est peccati tam foecundi et uberis: ut non solum in authores ipsos: sed etiam in filios et posteros propagetur:
reparate et restituite
genus: et prolem uestram extinctam et occisam uoce illa supradicta:
undis scilicet
baptismatis:
felicibus.
|
(1199) De fait, tous les Juifs sont malheureux et éteints par cette
parole. |
Nam omnes iudaei infelices
sunt: et extincti uoce illa.
|
(1200) Donc, pour abolir ce châtiment de malheur et de mort, il n’y a qu’un
seul espoir, et un seul remède, uelle renasci ("vouloir renaître")
par une palingénésie spirituelle qui est celle du baptême ; post
crimina ("après les crimes") et les péchés qui vous ont fait mourir,
parce que cette una spes ("espoir unique"), évidemment du baptême,
détruit debita supplicii ("les dette du supplice"), autrement dit
le châtiment qui vous est dû en raison de la parole susdite et du meurtre du
Christ. |
Ergo ad hanc poenam infelicitatis et mortis abolendam: est unica spes: unicum
remedium:
uelle renasci palingenesia
spirituali et baptismatis:
post crimina et peccata: quibus mortui estis. quia
haec una spes scilicet
baptismatis: soluit debita supplicii scilicet debitam poenam
propter uocem illam supra dictam: et occidionem
christi.
|
(1201)
uelle ("vouloir") infinitif employé comme nom comme dans "savoir
n’est rien". Velle ergo renasci ("donc vouloir renaître"),
évidemment la volonté de renaître. Mais on me dira comme Nicodème : "comment
un homme peut-il naître alors qu’il est vieux ?". De fait, beaucoup venaient
en ce temps-là au baptême, alors qu’ils étaient déjà vieux et fort avancés en âge.
Le bienheureux Jean résout ce nœud, quand il montre la différence qui existe entre
la palingénésie, autrement dit la régénération spirituelle, et la naissance
charnelle, en disant au sujet de ce qui sont régénérés par l’aspersion d’une rosée
purificatrice et du baptême : "ceux qui ne sont nés ni du sang, ni de volonté
de la chair, ni de volonté d’homme, mais de Dieu". |
uelle infinitiuus pro nomine
ut scire tuum nihil est.PERS. 1, 27
Velle ergo renasci scilicet
uoluntas renascendi. et dicet aliquis sicut
Nicodemus:
quomodo potest homo nasci cum sit senex?Jn 3, 4 Nam multi ad baptisma tunc accedebant et senes iam et grandaeui.
Beatus loannes hunc
soluit nodum: cum differre ostendit palingenesian id
est regenerationem spiritualem a carnali: de
regeneratis purifici roris inspersione et baptismatis loquens.
Qui non ex sanguinibus: nec ex uoluntate
carnis nec ex uoluntate uiri: sed ex deo
nati sunt.Jn 1, 13
|
(1202) De fait, ceux qui sont nés de la chair, sont fils d’un tel ou d’un
tel, et frères d’un tel ou d’un tel. Mais ceux qui sont nés de l’Esprit, profitant
du don de la foi, soit par leur propre entremise s’ils sont adultes, soit par
celle d’un autre s’ils sont tout-petits, obtiennent pour père Dieu et pour frère
le Christ, en sorte que, eux qui était les fils du diable, sont maintenant nommés
fils de Dieu et frères du Christ, car ils ont été libérés par lui. Admirable
bienfait et don que Dieu fait aux hommes ! Puissance unique ! La
palingénésie céleste a pour effet que nous somme frères et héritiers par grâce,
comme lui est Fils unique par nature, de telle sorte que, désormais, il n’est plus
seul. La naissance mortelle engendre des fils d’hommes, la naissance céleste des
fils de Dieu. L’une nous rend héritiers de biens qui s’écoulent et qui passent,
l’autre de bien célestes et éternels. L’une nous rend semblables aux hommes qui en
sont nés ; la génération divine nous rend, par la grâce qui nous secourt,
participants de la nature divine. Extérieurement, c’est de l’eau qui nous lave,
mais intérieurement c’est l’Esprit saint. Le symbole convient au Fils de Dieu
incarné, parce que l’eau que nous pouvons voir correspond à notre chair visible,
mais la grâce invisible correspond, elle, parfaitement à une parole qui échappe à
notre entendement. |
Nam qui ex carne gignuntur sunt huius uel illius filii: huius uel illius fratres.
At uero qui ex spiritu nascuntur: fidem uel per se
si sunt adulti: uel per alium si sunt paruuli: profitentes: parentem deum
et fratrem christum nanciscantur: ut qui filii
diaboli erant: et filii dei et fratres christi per
eum liberati dicantur. o mirabile dei in homines
beneficium et donum: o potestas singularis. Efficit coelestis paligenesia ut simus fratres et
cohaeredes per gratiam: sicut et ipse filius
unigenitus per naturam est: ita ut iam non sit
solus. Natiuitas mortalis filios hominum
procreat: coelestis autem filios dei. Illa bonorum fluitantium et caducorum. haec coelestium et aeternorum haeredes facit. Illa constituit similes hominibus ex se genitos: at diuina genesis gratia subleuante diuinae
naturae consortes. Abluit extrinsecus unda: atque spiritus sanctus intrinsecus. Congruit symbolum filio dei incarnato: quia aqua conspicabilis carni uisibili: gratia inuisibilis uerbo sensus nostros fugienti
aptissime respondent.
|
(1203) (Multiplicat.) Le poète revient au récit en suivant ce
que raconte Luc dans le troisième chapitre des Actes : "ceux qui
accueillirent sa parole furent baptisés et, ce jour-là, ils s’adjoignirent environ
trois mille âmes". Or Arator dit que ce nombre de trois milliers convient à la foi
qui est à la fois trine et une. |
(Multiplicat.) Redit ad historiam poeta:
secundum beati lucae
narrationem: qui in tertio capite actuum:
Qui inquit receperunt sermones eius baptizati sunt: et appositae sunt in die illa animae
circiter tria millia.ac 2, 41 Dicit autem Arator hunc numeum
trium chiliadon fidei congruere quae trina est et una.
|
(1204) (Pastor), évidemment Pierre ; multiplicat
iam oues ("multiplie dès lors ses brebis"), autrement dit les fidèles
et ceux qui sont accueillis dans la bergerie du Christ. Illa dies
("ce jour-là"), évidemment la Pentecôte, diluit ("purifie"),
évidemment lave, tria milia uulgi ("trois mille personnes du
peuple"), autrement dit trois milliers du peuple croyant ; non
minus ("non moins"), autrement dit non moins nombreux ; in
flumine agni ("dans le fleuve de l’Agneau"), autrement dit dans le
baptême du Christ, qui est nommé Agneau de Dieu par Jean le Baptiste. |
(Pastor)
scilicet.
petrus
multiplicat iam oues id est
fideles et in ouile christi receptos.
Illa dies scilicet
pentecoste diluit scilicet
lauat:
tria milia uulgi id est
populi credentis tres chiliadas:
non minus id est non
pauciores:
in flumine agni id est in
baptismate christi: qui agnus dei a loanne baptista apellatus est.
|
(1205) Voici ce qu’il convient de savoir : les premiers chrétiens avaient
coutume de célébrer, le jour de la Pentecôte, un baptême général en mémoire de
cette si grande multitude baptisée par Pierre. Et il ne nous faut pas ignorer que
les apôtres avaient coutume de baptiser, non pas au nom de la Trinité, comme
l’avait prescrit le Seigneur à la fin de l’évangile de Matthieu, mais au nom du
Christ Jésus. C’est pourquoi Arator note ce fait et y fait allusion quand il
dit : Pierre in flumine agni diluit ("purifia dans le fleuve
de l’Agneau") tria milia uulgi ("trois mille personnes du
peuple"). |
Illud scire conuenit: antiquos
christianos in die pentecoste solitos baptismum generalem in memoriam tantae
multitudinis a petro baptizatae: celebrare. Nec illud
oportet nos ignorare consueuisse apostolos baptizare non in nomine
Trinitatis: Sicut in fine Euanglii apud Matthaeum dominus praeceperat: Sed in nomine Christi Iesu. ideo Arator
hoc notans et innuens: dixit:
in flumine agni diluit
petrus
tria milia uulgi.
|
(1206) De fait, sous la mesure et le conseil de l’Esprit saint, la primitive
Église observait cette forme, dit-on, pour le baptême, de manière à ce que les
Juifs aiment et vénèrent le nom du Christ qu’ils haïssaient et comptaient pour
rien. Mais, quand la majesté du nom du Seigneur se fut répandue chez les Juifs et
les païens, l’Église revint, sous l’impulsion du même Esprit, à la norme que le
Seigneur avait transmise pour qu’elle soit observée. |
Nam moderatione et consilio spiritus sancti ecclesia illa
primigenia tale baptizandi formam obseruasse dicitur: ut ludaei nomen christi
amarent et uenerarentur: quod oderant et nihil
pendebant. Ast ubi maiestas dominici nominis
iudaeis ac gentibus innotuit: redit ecclesia nutu eiusdem spiritus ad eam normam
baptizandi: quam dominus obseruandam
tradiderat.
|
(1207) On peut aussi ajouter à la phrase précédente ce que dit le Maître au
livre 4 : "on lit, dans les Actes des Apôtres, que les apôtres baptisèrent au
nom du Christ. Mais, dans ce nom (comme l’explique Ambroise), on comprend la
totalité de la Trinité. On comprend en effet, quand on dit le Christ, à la fois le
Père qui lui a donné l’onction, lui-même qui a reçu l’onction, et l’Esprit saint
par lequel il a été oint". En effet c’est le Père qui a donné l’onction, et c’est
le Fils qui est oint de l’onction même de l’Esprit saint ; ainsi le Père est
χρίων (celui qui oint), le Fils est χριστός (celui qui est oint) et l’Esprit saint
χρίσις (l’onction). Ou bien alors, disons que dans le fleuve veut dire dans le
baptême, de l’Agneau veut dire institué par le Christ qui est l’Agneau de Dieu qui
enlève le péché du monde. |
Potes etiam illud huic sententiae addere:
quod magister in quarto ait:
legitur inquit in actibus apostolorum apostolos baptizasse in
nomine christi. sed in hoc nomine (ut
exponit Ambrosius) tota trinitas intelligitur. Intelligitur enim cum Christum dicis et pater a quo
unctus est. et ipse qui unctus est. et spiritus sanctus per quem unctus est.PET. LOMB. sent., 4, 3, 3 Vnxit, enim pater: unctus est filius ipsa
sancti spiritus unctione: ita ut sit pater chrion: filius autem christus: et
chrisis ipsa spiritus sanctus. Vel dic in flumine id est baptismate:
agni id est instituto a
christo: qui est agnus dei: qui tollit peccatum mundi.
|
(1208) Le baptême, comme le pense le Docteur lombard au livre 4, fut institué
par le Christ, soit quand il dit à Nicodème "seul celui qui sera né de nouveau de
l’eau et de l’Esprit", soit quand il dit aux apôtres : "allez, enseignez
toutes les nations et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du saint Esprit",
ou alors (ce que le même auteur pense, de manière plus facile) quand il fut
baptisé par Jean dans le Jourdain ; évidemment quand le contact de chair du
Christ donna aux eaux une force de régénération, en sorte que qui s’y plongerait
ensuite en ayant invoqué le nom de la Trinité, dont le mystère se fit alors
connaître, serait purifié de ses péchés. |
Fuit autem baptismus ut putat Doctor longobardus in quarto a christo institutus: uel cum dicit Nicodemo nisi quis
renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto:
uel cum dixit apostolis: Ite docete omnes
gentes baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus
sancti:PET. LOMB. sent., 4, 3, 5 uel (quod etiam commodius idem arbitratur) quando a loanne
baptizatus est in iordane:PET. LOMB. sent., 4, 3, 5 cum scilicet contactus mundae carnis christi uim regeneratiuam
contulit aquis: ut qui postea immergeretur inuocato
nomine trinitatis: cuius mysterium ibi innotuit: a peccatis purgaretur.
|
(1209) Dans le même passage, le Maître dit aussi que les apôtres ont baptisé
au nom de la Trinité, bien que cela ne soit pas dans l’Ecriture. Le Baptiste donna
en outre au Seigneur Jésus le titre d’agneau, et ici le poète reprend ce même
surnom, parce que, selon l’autorité d’Augustin, cet agneau immaculé apporte trois
dons à ceux qui le possèdent : le lait de la simple doctrine, qui nourrit les
tout-petits, la laine, autrement dit l’accroissement des vertus, et sa chair à
manger. C’est juste aussi de le montrer comme agneau, car il était innocent,
immaculé et voué à être sacrifié, ce qui était préfiguré dans l’agneau
pascal. |
Ibidem etiam ait magister apostolos in nomine trinitatis baptizasse: licet hoc non sit scriptum. indidit autem agni titulum baptista domino iesu: et hic [28r]
poeta illud idem cognomentum
repetiuit: quia authore Augustino tria ministrat hic agnus
immaculatus possidentibus se: lac simplicis
doctrinae quo paruuli nutriuntur: lanam id est
incrementa uirtutum: et esum carnis suae. Recte quoque agnus monstratur. quia erat innocens: immaculatus: immolandus: praefiguratus
in agno paschali.
|
(1210) En effet, bien que d’autres animaux aussi fussent sacrifiés dans
l’ancienne loi, comme le bœuf, le veau, la chèvre et ainsi de suite, l’agneau
porte cependant le type du Christ par un symbole plus manifeste : parce que
jadis était sans tache l’agneau qu’immolèrent les fils d’Israël pour échapper à la
servitude de Pharaon, comme aussi fut immolé sur l’autel de la croix Jésus qui
était sans tache, car il n’a jamais commis le péché, et par lui nous sommes
libérés du joug, le très cruel et mauvais démon. |
Quanuis enim alia quoque animalia ut bos uitulus capra et
huiuscemodi in lege ueteri immolabantur: agnus tamen
typum christi gerit symbolo quodam euidentiore: tum
quia agnus ille erat sine macula: quo immolato
filii israeli seruitutem
pharaonis euaserunt: sicut immolato in ara crucis iesu immaculato: qui
peccatum non fecit: a iugo liberati sumus durissimo
cacodaemonis.
|
(1211) Ainsi le sacrifice d’un agneau chez les Israélites sans interruption et
pour toujours figurait la jouissance pour toujours de notre béatitude et de notre
bonheur absolu qui est le Christ. |
Tumque agni sacrificium apud israelitas perpetuum et iuge:
nostrae beatitudinis et foelicitatis absolutae quae christus est: perpetem fructum figurabat.
|
(1212) (Hic primus) : hic primus usus
baptismatis ("ce premier usage du baptême"), évidemment montré dans les
trois mille fidèles baptisés, post iussa dei ("après les ordres de
Dieu"), évidemment de l’Esprit saint qui est Dieu. |
(Hic primus):
hic primus usus baptismatis
scilicet monstratus in tribus millibus fidelium baptizatorum:
post iussa dei: scilicet spiritus sancti qui deus est.
|
(1213) De fait, après que l’Esprit saint eut ordonné aux apôtres, qui avaient
déjà été instruits et raffermis par sa puissance, de parler de la loi nouvelle, le
premier nombre des croyants fut de trois mille. |
nam posteaquam spiritus sanctus iussit apostolis iam edoctis et
roboratis suo numine uerba facere de lege noua:
primus numerus credentium fuit trium millium.
|
(1214) (primus ergo usus) exoritur ("sort"),
autrement dit apparaît, naît dans le nombre de trois mille ;
probans ("prouvant"), autrement dit confirmant,
iura ("les droits"), autrement dit les décrets de la foi
trinitaire dans les trois mille croyants, data ("donnés"),
évidemment par les apôtres. Nam trina potestas ("de fait la
puissance trinitaire), évidemment du Dieu très haut qui est trine pour ce qui est
des personnes, mais un pour ce qui est de la substance ;
partita ("partagée"), autrement dit divisée, per numerum
aequum ("en un nombre équitable"), autrement dit égal, colligit
hanc prolem ("rassembla cette progéniture"), autrement dit la
génération de ceux qui sont nés par le baptême, évidemment les trois mille
personnes. |
(primus ergo
usus) exoritur id
est apparet: nascitur id est in numero trium
millium.
probans id est confirmans
iura id est decreta
fidei trinae in tribus millibus credentium:
data scilicet ab
apostolis.
Nam trina potestas scilicet
dei summi: qui trinus est in personis: et unus in substantia:
partita id est diuisa:
per numerum aequum id est
aequale:
colligit hanc prolem id est
generationem per baptisma generatorum scilicet trium millium.
|
(1215) De fait, si nous divisons les trois subsistances ou hypostases en
nombre égal, autrement dit en unités, on obtient trois ; de même, si nous
partageons les trois mille en nombres semblables, c’est le chiffre trois que nous
obtenons comme résultat. Et, de même que dans chaque personne nous trouvons une
perfection complète et totalement absolue, de même aussi dans chaque mille et dans
chaque millier. |
nam si diuidimus tres subsistentias uel hypostaseis in numeros
aequales id est unitates: resultant tres: ita quoque si partimur tria millia in numeros
pares: trinitatis numerus resultat. Et sicut in una quaque persona inuenitur perfectio
completa et absolutissima: ita quoque in uno quoque
mille: et in una quaque chiliade.
|
(1216) Mais pour que cela soit plus facile à comprendre, il me semble qu’il
vaut la peine que je dise, en guise d’introduction, quelques mots qui sont
indispensables à la connaissance de ce qui va suivre. |
Vt autem haec facilius intelligantur:
operae precium mihi facturus uideor: si quaedam
praefatus ante fuero ad cognitionem sequentium omnino necessaria.
|
(1217) Il faut donc savoir que seule la monade est parfaite, elle se suffit à
elle-même, ne sort pas d’elle-même, est en tout simple et isolée dans la
simplicité de son individuation, et formant un tout avec elle-même ; ses
richesses propres, dont elle est pleine, lui suffisent et elle ne manque de rien.
Or puisque le nombre est la multiplication des unités, il est évident que l’unité
elle-même, autrement dit la monade, ne peut pas au sens propre recevoir le nom de
nombre, sinon ἀκύρως ("de façon abusive"), comme d’ailleurs les grammairiens
parlent d’un nombre singulier pour ce qui est dit au singulier, alors qu’il
n’existe pas de nombre et pas de multiplication qui soient unité par nature, mais
ils proviennent uniquement de la composition. Et aucune multiplication n’est assez
proche de l’unité pour ne pas avoir seulement une unité qui lui vient du
dehors ; plus elle s’éloigne de l’unité, plus elle grandit en nombre, et plus
elle a de dissemblance, de parties et de composition. |
Est ergo sciendum solam monada perfectam:
consumatam esse a se: non egredientem se: omnino simplicem indiuidua simplicitate et
solitaria sibi cohaerentem: quae suis diuitiis plena
sibi supersit nullius indiga. Cum autem numerus sit
multitudo unitatum: manifestum est ipsam unitatem
uel monada non dici proprie numerum: nisi acyros: sicut etiam
grammatici singularem quae singulariter profertur numerum uocant: cum nullus sit numerus nullaue multitudo una
natura sed compositione: nec ulla est tam unitati
propinqua multitudo: quae non aduenticiam habeat
unitatem: quantoque magis ab ea fit procul: tanto in maiorem incidit numerum plus
dissimilitudinis: plus partium: plus compositurae habens.
|
(1218) Nous pourrions, à la manière des Pythagoriciens, adapter ce discours
aux réalités divines, mais, parce que cela ne sert à rien à l’explication des
présents vers, nous passons. |
Possemus haec more pythagorico diuinis accommodare. sed
quia hoc nil fuit enarrationi horum uersuum:
omittimus.
|
(1219) Donc l’unité, la monade, est absolument parfaite et simple. A partir
d’elle, on dit que le nombre trois est parfait, car il est le premier impair. Or
le premier élément de quelque espèce que ce soit est le plus parfait dans cette
espèce. Parmi les pairs, on dit également que dix est absolu, car il est d’une
certaine manière tout nombre. En effet, c’est par lui que nous comptons par
réplication. De fait, dix fois dix font cent, et dix fois cent donnent mille. Il
apparaît de cela que, dans les trois mille baptisés, on trouve la perfection du
nombre impair, car il y a trois unités, et la perfection du nombre pair, dans le
millier ou mille, parce que dix fois cent font mille. De fait, tout nombre, si
nous considérons son caractère de multiple, est imparfait, mais si nous
considérons son rapport à l’unité, parfait. Donc, ici, l’unité du millier révèle
la perfection de l’impair, le composé obtenant, quoi qu’il en soit, la perfection
du simple. |
Est ergo unitas et monas perfectissima simplicissimaque. Ab hac numerus perfectus dicitur ternarius: quia primus impar. Primum
autem in unoquoque genere est perfectissimum in illo genere. Atque inter numeros pares denarius quoque
absolutus dicitur: quia est omnis quodammodo
numerus. ab eo enim numeramus per
replicationem. Nam decies decem centum
conficiunt: et decies centum mille complent. Vnde apparet in tribus milibus baptizatorum
inueniri perfectionem numeri imparis. Sunt enim ibi
tres unitates: et paris quoque numeri perfectio in
chiliade uel mille inuenitur: quia decies centum
mille sunt. Est autem omnis numerus: quatenus multitudo imperfectus: quatenus unus perfectus. Vnitas ergo
chiliados: imparis numeri notat perfectionem: composito simplicis perfectionem nihilominus
obtinente.
|
(1220) Donc Arator a vu juste et fait preuve de sagesse en ajoutant
(Quod sonat mille) perfectum est (« ce que mille
fait résonner est parfait"), dans la mesure où, dans mille ou dans le millier, on
retrouve la perfection de l’unité. Quant à quod sonat (" ce que
fait résonner"), autrement dit ce que mille ou le millier désigne et révèle,
perfectum est ("c'est parfait"). |
Recte igitur Arator
sapienterque subiunxit. (Quod sonat mille) perfectum est: quatenus in mille uel in chiliade repperitur
unitatis perfectio. Illud enim quod sonat id est signat et notat mille uel
chilias:
perfectum est.
|
(1221) Mais alors, me dira-t-on, comment vas-tu prouver dans le millier la
perfection de l’unité, sans tirer ton raisonnement des armoires des
Pythagoriciens, mais en le faisant soutenir de l’autorité de la loi divine ?
Mais je vais le faire, et avec grand plaisir. En effet, le prophète chante que
mille ans sont un jour auprès de Dieu. Donc, on trouve quelque part l’unité dans
le millier. Ensuite, parmi les commandements variés de la loi hébraïque, nous
lisons que, par les six jours de la genèse que Dieu prit pour tout créer et
ordonner, sont désignés les six mille ans du monde, de sorte que les œuvres du
premier jour soient la prophétie de ce qui arriverait dans le premier millénaire
du monde, les œuvres du second jour dans le second, et ainsi de suite, en suivant
pour les deux réalités la même progression. C’est cette idée, qui est celle des
théologiens hébraïques (si l’on en croit Pic), que Jérôme rappelle dans
l’exposition du psaume dit de Moïse. Firmianus Lactance également, au livre 7 des
Institutions divines, ne rapporte pas cette idée mais il la
confirme, en disant : "que les philosophes qui comptent les millénaires de
siècles depuis le commencement du monde sachent que le sixième millénaire n’est
pas encore terminé ; une fois ce nombre accompli, il est inévitable que ce
soit la consommation des temps, et que l’état des choses humaines soit changé en
un état meilleur. Dieu a achevé le monde et l’œuvre admirable de la nature qui
nous entoure, comme c’est écrit dans le trésor secret de l’Ecriture sainte, en
l’espace de six jours, et a sanctifié le septième jour dans lequel il s’est reposé
de ses œuvres. Donc, puisqu’il a fallu six jours pour achever toutes les œuvres de
Dieu, il est inévitable que le monde demeure dans cet état pendant six siècles
d’années, autrement dit six mille ans. En effet un grand jour de Dieu embrasse
mille ans, comme le dit le prophète quand il déclare : ‘devant tes yeux,
Seigneur, mille ans sont comme un seul jour’". |
At quomodo (dicet quispiam) in chiliade probabis unitatis
perfectionem: non illam ex promptuario pythagoricorum allegatam: sed diuinae legis authoritate roboratam? Certe ego uero ac lubens.
Canit enim propheta mille annos unum esse diem apud deum. Vnitas ergo quaepiam in chiliade repperitur: Hinc inter decreta ueteris hebraicae disciplinae legimus: per sex dies geneseos:
quibus deus cuncta creauit ac disposuit: sex
chiliadas annorum mundi sic designari: ut sint opera
primi diei uaticinium eorum quae in prima mundi chiliade erant futura. opera item secundi eorum quae In secunda: et sic deinceps eodem semper utrobique
successionis ordine seruato. Cuius sententiae cum
hebrei theologi (ut author est
picus) tum diuus hieronymus meminit in expositione
psalmi illius: qui mosi inscribitur.
Lactantius quoque firmianus in septimo institutionum diuini. libro: hanc
sententiam non recitat sed confirmat.
sciant inquit philosophi qui ab exordio mundi seculorum millia
enumerant: nondum sextum milesimum annum
esse conclusum: quo numero expleto
consumationem fieri necesse est: et
humanarum rerum statum in melius reformari.LACT. inst., 7, 14
Mundum deus et hoc naturae admirabile opus: sicut arcanis sacrae scripturae continetur: sex dierum spacio consumauit: diemque septimum:
quo ab operibus requieuit: sanxit. Ergo quoniam sex diebus cuncta dei opera
perfecta sunt: per secula sex annorum id est
sex millia manere in hoc statu mundum necesse est. dies enim magnus dei mille annorum circulo terminatur: sicut indicat propheta dicens:
Ante oculos tuos domine mille anni tanquam dies unus.Ps 90, 4LACT. inst., 7, 14
|
(1222) Voilà ce que dit Lactance et il apporte beaucoup d’arguments en faveur
de cette idée, par lesquels il montre qu’après le déroulement de six mille ans
(chose que de nombreux hébreux croient), par la consommation des temps du monde,
il y aura pour ainsi dire un sabbat. Mais cet enseignement de Firmianus ne semble
pas du tout concorder avec l’idée des auteurs orthodoxes, puisque personne ne
connaît ce jour et puisque, sur le temps qu’il y aura après, il n’y a dans la loi
nulle prophétie. De fait, dans une lettre à Damase, Jérôme fait connaître la
vision prophétique suivante : "‘des Séraphins se tenaient à l’entour du
Seigneur avec six ailes pour l’un et six pour l'autre : deux leur voilaient
la face, deux les pieds et avec les deux dernières ils volaient’. Qui peut
connaître son commencement lui qui, avant de créer ce monde, était dans
l’éternité ? Quand a-t-il créé les trônes, les dominations, les anges et
toutes les mystérieuses créatures du ciel ? On lit ensuite ‘deux voilaient
les pieds’, non les leurs mais ceux de Dieu. Car son terme qui peut le
connaître ? Qu’existera-t-il après la consommation des temps ? Qu’y
aura-t-il après le jugement des hommes, quelle vie pourra bien venir après ?
Existera-t-il éventuellement, de nouveau, une autre terre, et, après ce passage,
d’autres éléments du monde, ou un autre monde et un autre soleil seront-ils
créés ? ‘Annoncez-moi ce qui vient avant et en dernier lieu ce qui sera, et
je vous dirai que vous êtes des dieux’, comme dit Isaïe, signifiant ainsi que
personne ne peut expliquer ce qui était avant le monde et ce qui sera après le
monde. Et, avec deux de leurs ailes, ils volaient, car nous connaissons l’espace
qui est au milieu, par la lecture de l’Ecriture". C’est pour cette raison que j’ai
abrégé sur l’opinion de Lactance, comme je ne fais qu’allusion à bien d’autres
choses, pour ne pas trop allonger. |
Haec lactantius et in
hanc sententiam plura: Quibus monstrat post sex
mille annorum curricula: quod multi ex hebreis crediderunt: consumatione mundi quasi sabbatum futurum. Sed quoniam hoc firmiani dogma non omnino uidetur congruere sententiae
orthodoxorum: cum illam diem nemo nouerit: cumque de ulteriori tempore nullum in lege
uaticinum habeatur. Nam uisionem illam propheticam
ita declarat hieronymus in quadam ad Damasum epistula:
Seraphim stabant in circuitu domini sex alae uni et sex alae
alteri: et duabus quidem uelabant faciem
eius: et duabus uelabant pedes: et duabus uolabant.HIER. epist., 18, 6
Quis enim potest eius scire principium?
qui antequam istum conderet mundum: in rerum
fuerit aeternitate? quando thronos: dominationes:[28v] angelos: totumque mysterium
coeleste condiderit? sequitur et duabus
uelabant pedes: non suos sed dei. extremum quippe eius scire quis potest? quid post consumationem saeculi sit
futurum? quid postquam genus hominum
fuerit iudicatum quae sequatur uita? an
rursum alia sit futura terra: et post
transitionem alia rursum elementa: uel alius
mundus: solque condendus sit? priora annunciate mihi: et in nouissimo quae futura sunt: et dicam quia dii estis ut ait Esaias:
significans neminem posse quid ante mundum fuerit: et quod post mundum futurum sit enarrare. Et duabus uolabant: media enim ex lectione scripturarum cognoscimus.HIER. epist., 18, 7 Haec breuius: sicut alia pleraque ne longior
sim allego.
|
(1223) Donc, puisque savoir les derniers temps et connaître ce jour est
sacrilège, nous ne prenons que quelques éléments des paroles de Lactance, les plus
utiles pour l’explication des présents vers : le mot saeculum
désigne mille ans, c’est en ce sens que le poète semble le prendre ; quand il
montre l’unité dans le millier et la perfection qui en découle, il est d’accord
avec la prédiction du prophète et c’est conformément à ce sens que nous allons
ainsi expliquer les paroles d’Arator. |
Cum ergo nouissima scire: et diem illum
nefas sit: colligimus quaedam ex uerbis lactantii expositioni horum uersuum
utilissima: ut saeculum esse mille annorum: in quo
sensu hic a poeta uidetur accipi ut
ipsius chiliados unitas et perfectio ab eodem ostenditur: cum uaticinio prophetico accommodatur.
et ad hunc sensum uerba aratoris ita
explicabimus.
|
(1224) (denique cum) dicimus tempora orbis
("enfin quand nous disons les époques de le terre") évidemment celles du
monde ; ainsi, autrement dit par ce nombre parfait qu’est le millier,
ponimus ("nous posons") autrement dit nous distinguons,
aetates ("les âges") évidemment ceux du monde,
saeclis ("en siècles") autrement dit en millénaires en tant que
c’est un nombre parfait. |
(denique cum) dicimus tempora
orbis scilicet mundi: sic id est per
hunc numerum chiliados perfectum:
ponimus id est distinguimus:
aetates scilicet mundi:
saeclis id est millenariis
tanquam numero perfecto.
|
(1225) De même, en effet, que les œuvres de la genèse furent achevées et
séparées en six jours, de même les œuvres du monde sont réparties en six
millénaires. De fait, ce qui sera après ces six millénaires, cela n’a été
nullement révélé par des prédictions manifestes. De la même façon, si nous
cherchons à savoir dans quel âge du monde est venu le libérateur du genre humain
que les hébreux nomme messiah, nous répondons, selon le comput des
hébreux, que Jésus est apparu dans le quatrième millénaire du monde ; il
s’ensuit que se succèdent ce siècle-là, et les millénaires : déjà le
cinquième s’en est allé et le sixième, porté par des roues rapides, pousse déjà
son attelage à travers le vide vers le milieu de sa course : il conduit à la
sénescence du monde et annonce la venue de l’autre vie. |
Vt enim opera geneseos a deo perfecta sex diebus distincta
fuerunt: ita opera mundi per sex chiliadas
distinguntur. Nam ultra sex chiliadas quod sit
futurum: nequaquam apertis uaticiniis proditum
est. Item si quaerimus in qua mundi aetate uenit
liberator generis humani qui ab hebreis
messias dicitur: respondemus secundum supputationem hebreorum
.iiii. mundi millenario
iesum apparuisse: hinc illud chiliadesque cadunt: quarum
iam quinta recessit: sexta citis uectata rotis per
inane iugales ad medium iam cogit iter: mundique
senectam ducit et alterius uitae praenunciat ortum.
|
(1226) Nous pouvons cependant adopter un autre comput, dont Augustin est le
garant : d’Adam jusqu'à Noé, puis jusqu'à Abraham, puis jusqu'à David, puis
jusqu'à la déportation à Babylone, puis jusqu'à Jean Baptiste, puis jusqu'à la fin
du monde. |
Aliter tamen aetates sex computamus authore augustino ab adam usque ad noe: ad abraam: ad dauid: ad transmigrationem babylonis: ad
ioannem baptistam: ad finem mundi.
|
(1227) En effet les millénaires ne correspondent pas à chacun de ces âges.
Et, si nous considérons le comput de Jérôme, ce n’est pas dans le quatrième
millénaire, mais dans le sixième, que le Christ a été envoyé. De fait, le docteur
de Stridon, en expliquant les paroles du divin Luc "au sixième mois l’ange Gabriel
fut envoyé", dit ceci : "comme ce fut au sixième mois que l’ange fut envoyé
dans une cité de Galilée, de même c’est au sixième millénaire que le Christ fut
envoyé". Mais nous n’avons pas (comme le dit Censorinus dans son ouvrage de
Die natali) encore assez finement examiné ce que recouvre la notion de
saeculum, puisque certains pensent que le siècle recoupe ce que
les Grecs nomment γενεά (génération), évidemment un cycle temporel qui ramène la
nature humaine à son origine, alors que d’autres, comme Héraclite, en font un
espace de vingt-cinq ans, d’autres de trente, comme Zénon, d’autres encore de la
plus longue durée possible d’une vie humaine, durée qui varie selon les auteurs.
Ainsi Epigène fixe la durée maximale de la vie à cent douze ans, Bérose à cent
six, Hérodote à cent un, comme cela fut le cas pour Arganthonios, roi de
Tartesse ; Ephore en allonge la durée en rapportant ce qui se dit chez les
Arcadiens, que quelques rois, chez eux, vécurent autour de trois cents ans. A
cette durée correspond, en s’y accordant, ce passage d’Hérodien, dans
l’Histoire des empereurs de Rome : il dit que les jeux
séculaires étaient d’ordinaire célébrés à une distance de trois âges, à supposer
cependant que nous donnions cent ans à chaque âge. Pourtant Politien, mon maître
autrefois et (comme je l’ai dit dans un de mes poèmes) "ne le cédant aux Anciens
que parce qu’il n’est pas de leur nombre", pense que le manuscrit ici est fautif.
Horace Flaccus, dans son ode qui a été chantée pour les jeux séculaires, précise
que le siècle compte cent dix ans "dix fois onze ans pour que nous revienne le
temps des chants et des jeux". Ainsi donc, puisqu’on ne peut trancher dans le vif
sur la durée du siècle, en raison de l’opinion divergente des auteurs à ce sujet,
on peut soit suivre l’avis de Censorinus qui dit : "nos ancêtres n’étaient
pas bien sûrs de la durée du siècle, ils la fixèrent, pour arriver à une
certitude, à une mesure qui fait autour de cent ans", ou celui d’Hérodien, qui
fixa le siècle à trois cents ans. Et, conformément à l’une ou l’autre des
significations données au mot siècle, on pourra relier cela au sens des présents
vers, en interprétant autrement que nous ne l’avons fait, bien que le sens que
l’on obtient alors ne me plaît pas autant que celui que j’ai donné d’abord. |
Non enim singulis aetatibus milleni anni respondent. si autem hieronymi supputationem consideramus non quarto sed sexto
millenario christus missus est. nam declarans
stridonensis doctor uerba illa
diui lucae:
in mense autem sexto missus est angelus gabriel:Lc 1, 26
sicut inquit sexto mense missus est angelus in ciuitatem
galileae: ita sexto millenario missus
est christus.GLOSS. ORD. in Luc., proem. 1 Verum quia saeculum (ut ait censorinus
de die natali) quid sit adhuc ad
subtile examinatum non est: cum alii putent saeculum
esse quod graeci dicunt genean: orbem scilicet aetatis dum natura humana ad
sementem reuertitur: alii ut heraclitus
. v. et. xx. annorum spatium: alii .xxx. ut
Zeno. alii uitam longissimam hominis: cuius
quoque spatium apud authores euariat: nam Epigines
.cxii. annis uitam
longissimam constituit:
Berosus autem .cvi.
Herodotus.
c. et .I. ut Arganthonii
tartessiorum regis:
ephorus longius procedit: qui tradit archadas dicere apud se reges antiquos
aliquot: ad .ccc. uixisse annos. Huic spatio
respondet et congruit illud herodiani in historia
romanorum principum: qui ait ludos
saeculares trium spatio aetatum solitos instaurari:
ut tamen centenos singulis distribuamus aetatibus:
quanquam politianus doctor olim
meus: et (ut ego in quodam dixi carmine) antiquis cedens quia non sit in illis:BARBOS. carm., 42, 19 putat codicem non esse emendatum.
Horatius flaccus in carmine: quod de
saecularibus ludis cantatum est: cx. annis saeculum designauit:
Certus inquit unde nos decies per annos orbis ut cantus
referatque ludos.HOR. carm. saec., 21-22 quoniam igitur saeculi spatium ad uiuum nequit resecari propter
authorum in eo uarietatem: uel cum censorino sentiamus: qui inquit nostri maiores: quod natura saeculum
quantum esset exploratum non habebant: ad
certum annorum modulum annorum .c. statuere:CENS. 17, 13 uel cum herodiano: qui .ccc. annorum saeculum statuit. et ad utranque
significationem saeculi: aliter ac supra
interpretati sumus: poteris sensum horum uersuum
connectere: quanquam hic sensus non tam placet
quam ille superior.
|
(1228) Donc on expliquera sic (ponimus aetates)
("ainsi nous posons les âges"), autrement dit nous distinguons les âges, non de
l’homme mais du monde ; saeclis ("en siècles"), autrement dit
en siècles dix fois répétés, d’où provient le millénaire ; ou alors, si c’est
en siècles comptant trois cents ans chacun, ponimus aetates ("nous
posons les âges"), non du monde, mais des hommes conformément à ce que dit
Ephore. |
expones ergo sic (ponimus
aetates) id est distinguimus aetates non hominum sed mundi:
saeclis id est saeculis decies
replicatis: unde chilias constat: uel saeclis id est per saecula trecentenos annos
complectentia:
ponimus aetates non mundi sed
hominum secundum ephorum.
|
(1229) (Res perfecta) semel ("une chose
parfaite une fois"), évidemment mille, iungitur ter ("est trois
fois jointe"), évidemment dans les trois mille personnes baptisées par Pierre. De
fait, si l’on prend un millier, puis un autre, puis un troisième, on obtient trois
milliers ; et uis ("la force"), autrement dit la puissance,
mystica ("mystique"), évidemment car elle contient le mystère de
la divine Trinité, numeri ("du nombre"), évidemment trois
mille ; facit agmen ("constitue la troupe"), autrement dit
rassemble cette multitude de trois mille baptisés. Forma ("la
forme"), autrement dit la mesure de ce nombre trois, nouelli gregis
("du nouveau troupeau"), autrement dit de la nouvelle multitude récemment baptisée
par Pierre au jour de la Pentecôte ; est pia ("est pieuse"),
évidemment religieuse, car elle touche à la foi et à la religion puisqu’elle
inclut le mystère de la Trinité. |
(Res perfecta) semel scilicet
mille:
iungitur ter: scilicet. in tribus millibus a petro baptizatorum.
nam ex una chiliade: et item una: et tertio una tria millia colliguntur:
et uis id est uirtus:
mystica scilicet mysterium
diuinae trinitatis includens:
numeri scilicet trium
millium:
facit agmen id est colligit
illam multitudinem trium millium baptizatorum.
Forma id est ratio numeri
ternaris:
nouelli gregis id est nouae
multitudinis recens baptizatae a petro
in die pentecoste:
est pia scilicet religiosa: ad fidem et religionem attinens: cum includat trinitatis mysterium.
|
(1230) Mais on va me dire : puisque la nature divine n’admet pas le
nombre (comme le dit le divin Ambroise au livre 3 du de Spiritu
sancto), comment est-il possible de croire et de confesser le mystère
de la Trinité en trois personnes ? "Comment en effet l’unité divine peut-elle
admettre la pluralité alors que la pluralité est nombre" et composition, puisque
Dieu seul, qui ne provient de personne, mais dont tout provient, est l’essence
simple par excellence, et la monade ou l’unité en personne ? Tout ce qu’il a,
il l’a de lui-même ; sa sagesse se confond avec son être, comme sa volonté,
sa bonté, sa justice ; et nous ne pouvons percevoir aucune réalité par
laquelle lui-même il serait, si ce n’est ce qu’il est lui-même, l’être. Pour les
autres créatures, comme les anges, ils ne sont pas ce qu’il est, autrement dit
l’être, mais ils sont par son être à lui. |
Sed dicet hic aliquis: cum numerum non
recipiat diuina natura (ut ait diuus
Ambrosius in li .iii. de spiritu
sancto) quomodo trinitatis mysterium in tribus personis et
credimus et confitemur?
Quomodo enim pluralitatem recipit unitas diuinitatis: cum pluralitas numeri sit:AMBR. spir., 3, 13, 93 et compositionis? cum solus deus qui a nullo
est: et a quo sunt omnia simplicissima sit
essentia et monas siue unitas indiuidua? Quicquid
enim habet a se habet: eadem re qua est eadem
sapit: eadem uult: eadem
bonus: eadem iustus. nec
ullam rem percipimus qua ipse sit: praeterquam ipsum
quod ipse est: esse. Caetera
ut angeli: non illud id est ipsum esse sunt: sed sunt illo.
|
(1231) Donc un ange n’est pas monade en soi, mais nombr ; autrement il
serait Dieu, ou il y aurait plusieurs dieux. Donc l’ange tire une imperfection du
fait qu’il est nombre ; c’est par participation à celui-ci que lui échoit
l’être ; il n’est pas l’intelligence, mais un être à qui l’intelligence
survient. La perfection qu’il possède, nous l’imputons à l’unité qui vient se
joindre à lui, unité qu’il tire de son union à Dieu. |
Igitur angelus non est ipsa monas: sed
numerus: alioquin deus esset: aut plures essent dii. Imperfectionem
ergo inde angelus habet unde est numerus: cui
participatu accidit ut sit: et qui non ipsa est
intellectio: sed cui aduenit ut intelligat. Perfectionem uero quam habet: accedenti unitati imputamus: quam inde
habet unde deo coniungitur.
|
(1232) Qu’est-ce donc qui sera un, si l’unité même de la divinité n’est pas
une, mais admet le nombre et la multiplicité qui est imperfection ? Voici
comment le divin Ambroise tranche ce nœud : "selon notre idée qui nous fait
comprendre qu’il n’y a qu’un seul Dieu, une seule divinité et une unité de
puissance ; de même en effet que nous disons Dieu et Père, en confessant par
son nom la vérité de la déité, sans toutefois nier le Fils, de même encore nous
n’excluons pas l’Esprit saint de l’unité de la déité, sans pour autant affirmer
l’existence de trois dieux, ce que nous rejetons. Car ce n’est pas leur unité qui
provoque la pluralité, mais la division de leur puissance". |
Quid ergo erit unum: si ipsa unitas
diuinitatis non una est: sed numerum admittit et
imperfectam multitudinem? hunc nexum ita soluit
diuus ambrosius:
secundum nostram sententiam quia unus deus: una diuinitas: et unitas
intelligitur potestatis. Sicut enim deum
dicimus et patrem uerum deitatis nomine confitentes: nec filium denegantes: ita etiam spiritum sanctum a deitatis non excludimus
unitate: et tres deos non asserimus sed
negamus. quia pluralitatem non unitas
facit: sed diuisio potestatis.AMBR. spir., 3, 13, 93
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(1233) Comment alors l’unité de la divinité peut-elle admettre la pluralité,
et la nature divine admettre le nombre ? La relation (comme le dit le divin
Bonaventure), en raison du sujet dans lequel elle s’opère, passe dans la substance
sans provoquer de composition, mais, en raison du terme vers lequel elle tend,
demeure elle-même, de sorte qu’elle provoque une distinction. Elle passe, dit-il,
dans la substance sans provoquer de composition, la substance et la monade
conservant leur unité, mais c’est par la relation que deviennent multiples les
hypostases de la Trinité. |
Quomodo enim pluralitatem recipiat unitas diuinitatis? numerumque reci[29r]piat natura diuina? Relatio enim (ut ait diuus bonauentura) ratione subiecti in
quo est: transit in substantiam ne faciat
compositionem: ratione autem termini ad quem
est: manet: ut faciat
distinctionem. Transit inquit in substantiam: ne faciat compositionem:
substantia unitatem ac monada retinente: relatione
uero hypostases multiplicante trinitatis.
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