Livre 1 section 5 (vv. 160-209)

ad praecedentem sectionemad sequentem sectionem
(1103) (PRIMVS AT ILLE PETRVS :) dans la cinquième section de ce premier livre, Arator raconte comment Pierre porte-étendard de la Loi nouvelle, ou pour mieux dire son soldat de première ligne, désormais tout enflammé par le feu de l’Esprit saint, prit la parole pour parler de l’incarnation de la passion et de la résurrection du Seigneur Jésus Christ, et, pour finir, avertit tous ses auditeurs d’éviter les Juifs, nation obstinée et totalement dans l’erreur. (PRIMVS AT ILLE PETRVS:) in quinta huius primi libri sectione Arator narrat quemadmodum Petrus nouae legis uexillifer uel antesignanus iam igne spiritus sancti totus flammeus uerba fecerit de incarnatione passione ac resurrectione domini lesu christi: tandemque admonuerit cunctos ut iudaeos uitarent gentem obstinatam ac deprauatissimam.
(1104) Parmi les éléments qui sont racontés par le divin Luc dans son chapitre 2, il en est que le poète développe plus largement, d’autres qu’il traite de manière plus resserrée, et d’autres enfin qu’il laisse de côté car il n’a aucun espoir de pouvoir leur donner de l’éclat en les traitant. Eorum autem quae a diuo Luca in secundo capite narrantur: nonnulla latius explicat poeta: quaedam arctius: aliqua etiam quae desperat tractata nitescere posse: relinquit.
(1105) Dès le début, il montre la gloire de Pierre et sa noble prééminence sur les autres apôtres ; car c’est à lui, comme le raconte Matthieu, qu’il a été échu de marcher sur les eaux. A principio autem statim petri claritudinem ac praestantiam praeter caeteros apostolos notabilem monstrat: cui ut narrat matthaeus: contigit ambulare super aquas.
(1106) De fait,comme le Seigneur avait nourri de cinq pains et deux poissons cinq mille hommes sans compter les femmes et les petits enfants, il poussa les disciples à monter dans la barque et à le précéder pour traverser les flots, tandis qu’il renverrait la foule et prierait sur la montagne. Nam cum dominus saturasset .v. panibus et .ii.piscibus. v. millia uirorum exceptis mulieribus et paruulis: compulit discipulos ascendere in nauiculam et praecedere eum trans fretum: donec dimitteret turbas et in monte oraret.
(1107) Pendant ce temps, la barque qui transportait les apôtres était agitée par les flots au milieu de la mer. Or, à la quatrième veille de la nuit, le Seigneur vint en marchant sur les eaux vers eux ; et Pierre s’adressa ainsi à lui : "Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir sur les eaux". Comme donc le Seigneur l’avait ordonné, Pierre descendit de la barque et il marchait sur la mer pour venir à la rencontre de Jésus. Interea nauicula qua uehebantur apostoli: in medio mari iactabatur fluctibus. quarta autem uigilia noctis dominus ambulans super aquas uenit ad eos quem ita petrus allocutus est: domine si tu es iube me uenire super aquas.Mt 14, 28 domino ergo iubente descendens petrus de nauicula ambulabat super mare ut ueniret ad Iesum.
(1108) Donc le sens est bien : primus petrus ("le premier Pierre"), parmi les apôtres, commença à prononcer un discours et à raconter les triomphes du Christ, cui ("lui à qui"), Pierre, il échut de s’avancer et de marcher sur la mer. est ergo sensus primus petrus inter apostolos coepit concionari et narrare triumphos christi: cui petro contigit gradi et ambulare supra mare.
(1109) Voici l’ordre : at ille petrus primus ("mais Pierre le premier"), évidemment parmi les apôtres, rettulit ("rapporta"), autrement dit raconta, triumphos ("les triomphes"), évidemment les victoires, aethereos ("du ciel"), autrement dit divines, c’est à dire celles du Christ Dieu, comme le triomphe de sa résurrection, celui de son ascension etc. Populo mirante ("devant le peuple émerveillé"), évidemment devant les miracles du Christ ; ille Petrus cui ("ce Pierre à qui"), évidemment Pierre, seruit in aequore gressus ("les pas dans les flots ont obéï"), autrement dit la mer se mit à son service pour qu’il s’y avance et marche dessus ; ille cupiens uibrare retia ("lui désirant désormais jeter ses filets"), autrement dit jeter sa parole ; cela est dit de manière allégorique ; de même en effet que l’on prend les poissons au filet, de même on prend les âmes par la parole. Saluti ("pour le salut"), autrement dit pour le salut des hommes, ut piscator ("comme un pêcheur"), évidemment Pierre, ouans ("exultant"), autrement dit heureux, leuet has cateruas ("relève ces foules"), autrement dit les foules de ses auditeurs, de fonte ("de l’eau"), évidemment celle du baptême. ordo autem est. At ille petrus primus scilicet inter apostolos rettulit id est narra[24v]uit triumphos idest uictorias: aethereos id est diuinos hoc est christi dei: ut triumphum resurrectionis ascensionis etc. populo mirante scilicet miracula christi: ille petrus: cui scilicet petro seruit gressus in aequore: id est Seruiuit mare ad gressum et ad ambulandum super illud: ille cupiens uibrare retia idest iacere uerba. allegorice. Vt enim retibus pisces capiuntur: sic uerbis animae. Saluti id est ad salutem hominum ut piscator scilicet petrus: ouans id est laetus: leuet has cateruas id est turbas audientes: de fonte scilicet baptismatis.
(1110) Cela aussi est dit de manière allégorique. De fait, de même qu’auparavant Pierre prenait des poissons per latices sua lucra sequens ("tirant profit des eaux qu’il traverse"), de même en traversant les eaux du baptême, il pêchait des âmes et en tirait un profit. Allegorice hoc quoque dictum est. Nam sicut antea petrus capiebat pisces per latices sua lucra sequens: ita per aquas baptismatis animas piscabatur et lucri faciebat.
(1111) (Venit.) en partant de ce que nous avons dit plus haut, ces mots sont clairs. Venit deus ("Dieu est venu"), évidemment le Christ, editus ("né"), autrement dit né dans le monde, carnaliter ("dans la chair"), autrement dit selon la chair, sub lege humana ("sous la loi humaine"), évidemment celle qui permet la souffrance, la nourriture et de supporter tout ce qui n’admet aucune souillure de péché ; uenit ("il est venu"), dis-je, ad oras occiduas ("sur les rivages vieillissants"), autrement dit vers les régions des mortels qui vieillissent et meurent ; c’est là que le Christ lui-même a vieilli et est mort pour nous, qui ("lui qui"), évidemment le Christ Dieu, expers temporis ("sans connaître le temps"), autrement dit privé de temps selon sa divinité qui le faisait exister de toute éternité dans le sein du Père, lui qui est né du Père avant tous les siècles, tulit principium ("il a pris commencement"), évidemment dans le temps, de matre ("d’une mère"), évidemment la vierge mère de Dieu. (Venit.) ex his quae supradiximus haec clara sunt. Venit deus scilicet christus: editus id est natus in mundo: carnaliter id est secundum carnem: sub lege humana scilicet patiendi: esuriendi: et reliqua tolerandi quae peccati maculam non admittunt: uenit dico ad oras occiduas idest ad regiones mortalium qui occidunt et moriuntur: ubi ipse christus quoque occidit et mortuus est pro nobis: qui scilicet christus deus expers temporis idest carens tempore secundum diuinitatem per quam in sinu patris ab aeterno fuit: natus ab eo ante omnia saecula: tulit principium scilicet temporis: de matre scilicet uirgine: deipera.
(1112) De fait, né dans le monde d’une vierge-mère, il commença à exister et à vivre dans le temps où César Auguste tenait les rênes de l’empire romain, alors cependant que ce même Christ, selon sa divinité, n’avait aucun commencement puisqu’il était de toute éternité. Nam natus in seculo a matre uirgine incepit esse et uiuere in eo tempore: quo Augustus caesar romani imperii habenas regebat: cum tamen idem christus secundum quod deus est: nunquam inceperit qui semper fuerit.
(1113) Nec putauit uile ("et il n’a pas tenu pour vil"), autrement dit pour indigne, et cela désigne évidemment le Christ, potens maiestate ("malgré la puissance de sa majesté"), évidemment divine, sumere fomam corporis terreni ("de prendre la forme d’un corps terrestre"), autrement dit une chair humaine qui est terrestre ; atque opifex ("et le créateur"), évidemment le Christ, autrement dit le Créateur ; reprendre ici nec putauit uile ("et il n’a pas tenu pour vil") et indigne de sa majesté, esse pars ("d’être une part"), autrement dit l’un, hominum ("des hommes") et nec putauit uile reuocare nos ("et il n’a pas tenu pour vil de nous rappeler») autrement dit de nous rétablir, sibi ("à lui") autrement dit dans son royaume loin du joug du diable, suo precio ("au prix de sa propre personne"), autrement dit au prix de son sang, qui nous racheta comme nous l’avons abondamment dit plus haut. Nec putauit uile id est indignum scilicet christus: potens maiestate scilicet diuina: sumere fomam corporis terreni id est carnem humanam quae terrena est. atque opifex scilicet christus idest creator: repete nec putauit uile et indignum sua maiestate: esse pars id est unus: hominum: et nec putauit uile reuocare nos idest restituere: sibi idest in suum regnum e iugo diaboli: suo precio idest precio sui sanguinis: quo nos redemit ut supra copiose diximus
(1114) (post dona.) Après que le Christ eut fait ces miracles que racontent les évangélistes : chasser les démons des hommes d’une seule parole, redresser les paralytiques, purifier les lépreux, rendre la vue aux aveugles, faire marcher les boiteux, ressusciter les morts, contraindre les éléments à le servir, les vents à se mettre à son service, la mer à lui obéïr, en un mot, partout ou il passait, guérir les malades, les faibles et ceux qui souffraient de toute sorte de maladie en un instant, de telle sorte que ceux qui étaient infirmes, après avoir soudain recouvré leurs forces, rapportaient eux-mêmes les grabats sur lesquels on les avait amenés ; après tant de bienfaits apportés aux Juifs, les plus ingrats des hommes, alors leurs chefs et leurs prêtres, poussés par la colère, prenant prétexte des reproches que leur faisait le Christ et détournés du droit chemin par la jalousie, parce qu’ils se voyaient méprisés et délaissés par la foule qui se pressait pour aller vers lui, et, chose qui fut le commencement de leur crime, aveuglés par le poison de la haine et de la jalouise, oublieux des préceptes du Ciel et ne comprenant nullement les oracles des prophètes, conspirèrent contre le Christ et prirent la décision impie de le faire disparaître et de le torturer. (post dona.) posteaquam christus illa miracula fecit quae narrant Euangeliographi: cum daemonia solo uerbo de hominibus excuteret: paralyticos restringeret: leprosos mundaret: illuminaret caecos: claudis gressum daret: defunctos rursus animaret: cogeret sibi elementa famulari: Seruire uentos: maria obedire: denique quacunque iter faceret aegros ac debiles et omni morborum genere laborantes uno momento redderet incolumes: adeo ut membris omnibus capti receptis repente uiribus ipsi lectulos suos reportarent in quibus fuerant delati: post tot beneficia ingratissimis iudaeis collata: Tum primores eorum et sacerdotes ira stimulati: quod a christo increparentur: et inuidia deprauati quod confluente ad eum multitudine contenni se ac deseri uiderent: et quod caput sceleris eorum fuit: ueneno odii et inuidiae caecati: praeceptorumque coelestium immemores: ac prophetarum uaticinia nequaquam intelligentes coierunt aduersus christum: impiumque consilium de eo tollendo cruciandoque ceperunt.
(1115) Donc, le Christ souffrit sa passion et descendit aux enfers et il ressuscita et demeura avec nous, dit Pierre, pendant quarante jours, mangeant avec nous et parlant du royaume de Dieu. passus est ergo christus et ad inferos descendit: et resurrexit et nobiscum fuit ait petrus per .XXXX. dies conuescens et loquens de regno dei.
(1116) Puisqu’il en est ainsi, fugite ("fuyez") l’incroyance des Juifs et recevez le baptême, à savoir l’infusion de la rosée qui nous purifie, pour être sauvés et avoir la vie éternelle. Tel est le propos des paroles de Pierre qui commencent au vers Venit ad occiduas et se terminent au vers Debita supplicii. Quod cum ita sit fugite perfidiam iudaeorum: et accipite fidem et baptismum hoc est purifici roris perfusionem ut salui sitis et uitam aeternam habeatis. Haec est sententia uerborum petri quae inchoantur ab illo uersu Venit ad occiduas etc. et finiuntur illo Debita supplicii etc.
(1117) (post dona salutis.) l’ordre est : maluit ("il préféra"), autrement dit il aima mieux, évidemment le Christ, mori ("mourir") sur la croix, ne orbis ("afin que la terre"), autrement dit le monde, perderet uitam ("ne perdît pas la vie"), post dona salutis ("après le don du salut"), autrement dit après qu’il eut apporté les bienfaits de la santé et du salut, et post tot aegros ereptos ("après tant de malades arrachés"), autrement dit libérés, pulsis langoribus ("dont il avait chassé les maladies"), autrement dit les infirmités, quand, à des boiteux et des gens souffrant d’un handicap aux pieds, il eût donné la possibilité non seulement de marcher mais encore de courir, quand il eut rendu à leur aspect ancien les yeux aveuglés qui était dans de très profondes ténèbres, quand il eut délié la langue des muets pour qu’elle s’exprime et tienne des discours, quand il eut glissé l’audition dans les oreilles des sourds qu’il avait ouvertes, quand il eut purifié ceux qui étaient souillés et couverts de taches, et purifié la souillure des lépreux, et qu’il eut fait tout cela non de ses mains ou par quelque médecine, mais par sa parole et son ordre. (post dona salutis. ) ordo est maluit idest magis uoluit: scilicet christus: mori. in cruce: ne orbis id est mundus perderet uitam: post dona salutis id est posteaquam sanitatis et salutis beneficia contulit: et post tot aegros ereptos id est liberatos pulsis langoribus id est infirmitatibus: cum claudis ac pedum uitio afflictis non modo gradiendi sed etiam currendi daret facultatem: cum caeca lumina quae in altissimis tenebris erant: in pristinum restitueret aspectum: cum mutorum linguas in eloquium sermonemque solueret: cum surdorum patefactis auribus insinuaret auditum: cum pollutos ac respersos maculis repurgaret: mundaretque labes elephanticorum: et haec omnia non manibus aut aliqua medela sed uerbo ac iussione faceret.
(1118) (Cum redderet) évidemment le Christ, autrement dit restaurait avant sa mort, corpora defleta ("les corps pleurés") autrement dit dont on avait déploré le décès, et perfuncta ("et défunts") autrement dit morts, luci ("à la lumière"), évidement dans la lumière de la vie, et concederet ("et leur accordait"), évidemment le Christ, à ces morts qu’il relevait et qui étaient déjà descendus aux séjours infernaux, iterum auras superas ("de connaître à nouveau les brises d’en haut"), autrement dit notre air vital qui est en haut par rapport aux séjours infernaux vers lesquels étaient descendues les âmes que le Christ rappela dans les corps. (Cum redderet scilicet christus id est restitueret ante suam mortem: corpora defleta id est deplorata: et perfuncta scilicet mortua: luci scilicet in lucem hanc uitalem. et concederet scilicet christus illis mortuis quos suscitabat qui iam descenderant ad inferas sedes: iterum auras superas id est aerem hunc uitalem nostrum qui est supernus relatione infernarum sedium ad quas descenderant animae a christo in corpora reuocatae.
(1119) De fait, que les morts, comme tirés du sommeil, furent rappelés à la vie par le Christ, Matthieu le raconte ; ainsi quand il rendit la fille du chef de la synagogue, dont on avait déjà déploré le décès, vivante à son père, et quand (dans le récit de Luc) il accorda le don de la vie au fils de la veuve qui avait été porté hors des portes de la ville avec un nombreux cortège, comme enfin quand il releva Lazare, quatre jours après ses funérailles et sentant déjà, du sépulcre dans lequel il gisait. Nam mortuos uelut e somno solutos fuisse ad uitam reuocatos a christo narrat matthaeus: ut cum filiam archisynagogi iam defletam parenti uiuam reddidit: ut cum (narrante luca) filium uiduae extra portam elatum multa turba comitante uitae munere donauit: ut postremo cum lazarum post quattuor dies iam sepultum et male olentem e sepulchro in quo iacebat erexit?
(1120) Qu’y a-t-il de plus en rapport avec la divinité que de rendre une vie qui a déjà achevé son cours, et, après que les gens ont accompli leur temps de vie, d’avoir abattu la durée sans fin de la mort, de voir la nature obéir à son créateur, alors qu’elle est privée de son droit, bien qu’un si long temps lui ait permis d’affirmer ses lois, de voir la mort vaincue sans le savoir et, alors qu’elle enveloppait ses secrets de grandes ténèbres, de les voir révélés à tous ? Quid deo conuenientius quam decursam uitam resignare: Completisque hominum temporibus tempora abiecisse perpetua? naturam creatori optemperasse: suo iure suis legibus confirmatis tam longo aeuo carentem? mortem uinci nesciam magnisque tenebris sua arcana inuoluentem omnibus fuisse reuelatam?
(1121) (Permittens), évidemment se pati iura ("d’endurer les droits"), évidemment les lois, carnis ("de la chair"), évidemment humaine qui est soumise à des calamités variées et des misères qui la défigurent ; et parce que le Christ a souffert cela, non selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine, il ajoute fusus ("éclos"), évidemment le Christ, et envoyé dans cette vie mortelle ab aluo ("du sein"), autrement dit du ventre, genitricis ("de sa mère"), autrement dit Marie sa mère. (Permittens) scilicet se pati iura scilicet leges: carnis scilicet humanae: quae est subiecta uariis calamitatibus et diformibus miseriis: et quia hoc passus est christus non secundum quod deus est: sed secundum quod homo: ideo subdit: fusus scilicet christus et emissus in hanc uitam mortalem ab aluo id est uentre: genitricis id est matris mariae.
(1122) Car, bien que la Vierge eut conçu Dieu et engendré Dieu, ce ne fut cependant pas Dieu, dans sa condition de Dieu, qui souffrit et mourut, comme nous l’avons dit plus haut. Et, bien que le fils de Dieu se fût soumis aux lois de la chair humaine et eût enduré les limites de notre humanité, que ce soit de notre corps, comme la faim, la soif, la fatigue, ou que ce soit de notre psychologie comme la tristesse, la peur, le chagrin, la douleur, le Christ n’a cependant pas subi tous les droits de notre corps ou de notre âme. Nam licet uirgo deum conceperit: deum peperit: non tamen deus secundum quod deus est aut passus aut mortuus est ut supra diximus. Et quamuis filius dei subdidit se legibus humanae carnis: ac defectus pertulit nostrae humanitatis uel corporeos: ut famem sitim: lassitudinem: uel animales ut tristiciam: timorem: gemitum: dolorem: non tamen christus omnia iura nostri corporis [corposis,sic!] uel animae perpessus est.
(1123) De fait, il y a de multiples maladies de notre chair qu’il n’endura pas comme la fièvre, les coliques, la jaunisse et d’autres infirmités de ce genre, et d’autres difficultés psychologiques auxquelles il ne fut pas soumis, comme l’ignorance, l’erreur, et la chair qui toujours lutte contre l’esprit, ou au contraire l’esprit qui lutte contre la chair. Pour le reste, il a souffert tous les maux dans lesquels on ne trouve ni souillure ni difformité. Nam nec multiplices nostrae carnis aegritudines ut febrim: tormina: ictericum morbum et alia id genus infirmitates tolerauit: nec spiritus defectus subiit: ut insciciam: errorem: semperue rebellantem spiritus carnem: aut e contrario spiritum carni repugnantem. Caetera uero passus est in quibus nulla labes nullaue deformitas inuenitur.
(1124) (Sed) quod. Nous avons déjà expliqué ce que dit le poète. Illud obit ("c’est cela qui est mort"), évidemment l’humanité du Christ qui est morte en croix, qui nascitur de uirgine ("qui est née de la Vierge"), évidemment Marie, foeta ("enfantant"), autrement dit enceinte et grosse. (Sed) quod. id iam exposuimus: quod modo dicit poeta. Illud obit scilicet illa humanitas christi in cruce mortua est: quae nascitur de uirgine scilicet maria: foeta id est grauida et plena.
(1125) Mais ici, comme par un coq dressant sa crête et bondissant, je vais être attaqué par quelque dialecticien à trois sous, qui va s’opposer à moi de la manière que voici : illud obit quod nascitur de uirgine ("ce qui est né du sein de la Vierge, c’est cela qui est mort"), et cela c’est Dieu, donc Dieu est mort. Sed hic quasi cristatus gallus exultans occurret aliquis triobolarium dialecticorum: opponetque in hunc modum: Illud obit quod nascitur de uirgine: et illud est deus: ergo deus obiit.
(1126) Nous lui accordons le point, mais il n’en résulte pas que Dieu est mort en tant qu’il est Dieu. Totum concedimus: sed ex hoc non sequitur quod deus in quantum deus obiit.
(1127) Il existe en effet une règle théologique qu’il ne faut pas ignorer : tout ce qui est dit du fils de Dieu par nature, est dit aussi du fils de l’homme par la grâce, en raison de la communication des idiomes qu’a indiquée avec une précision extrême Jean Damascène, peut-être le plus grand théologie grec. Et, au contraire, tout ce qui est dit du fils de l’homme, peut être dit du fils de Dieu, à l’exception de ce en quoi l’union s’exprime ou la négation est incluse. En effet, nous ne dirons pas que la nature divine a été assumée par la nature humaine ni unie à elle, mais le contraire ; et nous ne dirons pas que le fils de Dieu a eu un commencement temporel, mais, pour dire la vérité catholique, que c’est le fils de l’homme qui a eu un commencement, et qui est né au temps de César Auguste, alors que cela ne peut en aucun cas s’appliquer au fils de Dieu, né avant tous les siècles. Est enim regula illa theologica non ignoranda: omne illud quod dicitur de filio dei per naturam: dici quoque de filio hominis per gratiam propter communicationem idiomatum acutissime notatam a Damasceno graeco theologo sane praestantissimo. Et e contrario quicquid de filio hominis dicitur: dici quoque de filio dei his exceptis in quibus exprimitur unio uel includitur negatio. Nec enim dicemus naturam diuinam ab humana fuisse sibi assumptam unitamue: sed contra: nec filium dei incepisse in tempore sed uere et catholice filium hominis incepisse: et natum fuisse caesaris augusti temporibus cum hoc de filio dei nullo modo dici possit ante omnia saecula nato.
(1128) (Ligno) insons ("innocent"), évidemment le Christ qui n’a pas commis le péché, car on n’a pas trouvé de ruse en sa bouche, suspenditur ligno ("est suspendu au bois"), évidemment de la croix. Et onus ("le fardeau"), autrement dit le poids du bois, autrement dit du péché accompli par le bois de la connaissance du bien et du mal, quand Adam commit le péché, uacuatur ("est vidé"), autrement dit enlevé et réduit à néant. (Ligno) insons scilicet christus qui peccatum non fecit: nec est inuentus dolus in ore eius: suspenditur ligno scilicet crucis. Et onus id est pondus ligni id est peccati patrati per lignum scientiae boni et mali: cum adam peccauit: uacuatur id est remouetur et ad nihilum redigitur.
(1129) En effet, il était cohérent, comme le proclame l’Église, que le diable, qui avait vaincu dans le bois, soit aussi vaincu dans le bois, et qu’ainsi onus ligni ("le fardeau du bois") fût enlevé par le bois de la croix ; on peut aussi comprendre autrement : onus ligni ("le fardeau du bois") est le corps du Christ pesant sur le bois de la croix, et uacuatur ("est vidé"), autrement dit est enlevé pour être mis au tombeau. Fuit enim consentaneum quemadmodum canit ecclesia: ut diabolus qui in ligno uincebat: in ligno quoque uinceretur: et ita onus ligni fuit remotum per lignum crucis. uel aliter: onus ligni id est corpus christi ponderans in ligno crucis: uacuatur id est remouetur ut sepeliatur.
(1130) Sic ("ainsi"), autrement dit de cette manière, uulnus ("la blessure"), évidemment la Passion, en prenant la partie pour le tout ; de fait une partie de la Passion du Seigneur consista en une blessure dans le côté du Christ ; iniqui ("du méchant"), évidemment du peuple juif, autrement dit la blessure que le peuple juif causa au Christ lui-même, fit ("devient"), autrement dit est devenue, medicina dei ("le remède de Dieu"), autrement dit la médecine apportée par Dieu contre le péché commis par Adam, notre premier parent. Sic id est hoc modo: uulnus scilicet passio a parte totum. nam pars passionis dominicae fuit uulnus in latere christi. iniqui scilicet populi iudaici: hoc est illatum uulnus a populo iudaico ipsi christo: fit id est facta est medicina dei id est remedium a deo allatum contra peccatum protoplasti adae.
(1131) Autre interprétation : Sic ("ainsi"), autrement dit de cette manière, uulnus iniqui ("la blessure du méchant"), autrement dit d’Adam injuste et désobéissant, dont la blessure fit tomber dans la mort tout le genre humain, uulnus ("la blessure"), dis-je évidemment, vint et medicina ("le remède"), autrement dit la médecine qui soigna cette blessure dei ("de Dieu"), évidemment par Dieu, évidemment vint aussi. Aut aliter. Sic id est hoc modo uulnus iniqui id est iniusti et inobedientis adae quo uulnere uniuersum genus iacebat mortuum: uulnus dico scilicet uenit: et medicina id est remedium illius uulneris dei scilicet a deo scilicet uenit quoque:
(1132) Ici il y a deux leçons possibles : fit medicina dei et et medicina dei. L’une et l’autre peuvent convenir. Est autem duplex lectio: fit medicina dei: et medicina dei. Vtrunque potest conuenire.
(1133) Nous pouvons sans problème utiliser ici ce mot d’Ovide, bien que nous le prenions dans une autre sens que celui dans lequel il le prenait : "et la lance du fils de Pélée cicatrisa la blessure qu'elle-même avait faite à l'ennemi d'Achille", pour dire qu’en effet la même lance blessa et soigna Télèphe, ainsi un même bois tua l’homme et le releva et lui rendit la vie, une fois mort. Possumus commode hic dicere illud nasonis: quamuis ipse in aliam partem ac nos hic accipiamus: acceperit: Vulnus achilleo quae quondam fecerat hosti uulneris auxilium pelias hasta tulit.OV. rem., 47-48 Vt enim eadem hasta uulnerauit et sanauit telephum: ita hominem lignum interfecit lignum suscitauit et uiuificauit mortuum.
(1134) (Petens), évidemment le Christ, après sa mort sur la croix ; regna pallida ("les royaumes livides"), autrement dit les enfers vers lesquels on descend en devenant livide et en perdant son âme, quand elle abandonne le corps ; resplenduit ("il a resplendi"), autrement dit le Seigneur a montré la splendeur de sa majesté ; umbris ("chez les ombres"), autrement dit pour les âmes et les esprits ; pauidis ("tremblantes"), autrement dit pleines de respect à la vue de leur créateur. Autre interprétation : umbris ("chez les ombres"), au sens propre autrement dit dans l’obscurité et les brumes du Tartare frappées de terreur devant la si grande lumière qu’apportait avec lui le Seigneur ; quem ("celui que"), évidemment le Christ, coruscum ("éclatant"), autrement dit resplendissant et revêtu de splendeur, luce propria ("de sa propre lumière"), non de celle d’autrui, chaos ("le Chaos"), autrement dit la confusion évidemment de l’enfer et de ses brumes, non potuit fuscare ("n’a pu voiler"), autrement dit obscurcir. (Petens) scilicet christus post mortem in cruce: regna pallida id est inferos ad quos qui descendunt pallescunt amissa anima et corpus deserente: resplenduit id est splendorem suae maiestatis ostendit dominus: umbris id est animabus uel animis: pauidis id est reuerentibus in conspectu sui creatoris. uel umbris proprie id est obscuritatibus et caliginibus tartareis pauentibus ad tantam lucem quantam inuehebat dominus: quem scilicet christum: coruscum id est coruscantem splendentemque: luce propria non aliena: chaos id est confusio scilicet inferna et caliginosa: non potuit fuscare id est obscurare.
(1135) De fait, si les ténèbres sont d’une extrême densité, quelque lumière qu’on y apporte, elles ne se dissipent nullement, à moins que cette lumière soit extrême comme celle que le Seigneur amenait aux enfers, et qui lui était propre. nam si tenebrae sunt densissimae quamuis lumen inducas nequaquam remouentur: nisi lux sit maxima: qualem dominus ad inferos inducebat: et propria.
(1136) De fait, le Christ éclairait ceux qui étaient dans les enfers d’une lumière qui brillait d’elle même et non parce qu’on l’avait allumée ou qu’il l’avait prise ailleurs. Nam christus lucebat his qui in inferis erant luce ex se lucente non illuminata: aliundeue sumpta.
(1137) Mais, si on veut comprendre plus profondément et avec plus de pénétration ces vers mêmes d’Arator, nous dirons que, par les ombres, il veut signifier les âmes aveuglées dans les ténèbres et qui sont privées de la lumière du visage divin, comme l’indique Jean en notant "et la lumière luit dans les ténèbres". Si autem placet altius et acutius hos ipsos Aratoris uersus intelligere: dicemus per umbras animas tenebris caecas et lumine uultus diuini carentes significari: sicut loannes notat dicens et lux in tenebris lucet.Jn 1, 5
(1138) En effet, l’esprit des hommes est vraiment ténèbres et recouvert des brumes des ombres, mais le Christ est la vraie lumière, et, quand nous disons cela, il ne s’agit pas de la lumière corporelle, mais de la lumière spirituelle, qui est, dis-je, vraie, autrement dit sans aucun nuage de la fausseté avec laquelle les philosophes la plupart du temps la voilent, quand, par les effets, alors qu’ils sont distants de Dieu par une infinie distance, ils tentent de parvenir à Dieu ; vraie, elle l’est aussi, car elle n’est entourée des circonlocutions de nulle figure de style ; trompés par elles, beaucoup chez les Juifs sont tombés dans le gouffre détestable de l’incroyance, même si, parmi toutes les nations, ils avaient été tenus jadis pour les seuls adorateurs de Dieu ; vraie, elle l’est enfin parce que, produisant sa propre lumière, elle est aussi par essence telle qu’elle est la cause de toutes les autres choses, comme l’affirme Aristote (Métaphysique 2) à propos du feu qui est cause de chaleur pour tout le reste. Vere enim mentes hominum tenebrae sunt: et umbrarum caliginibus obrutae: christus autem est uera lux non loquendo de corporali luce hic agimus sed de spiritali: uera inquam hoc est sine ullo falsitatis nubilo: quo plerunque philosophi caligant: cum per effectus a deo distantes infinitis spaciis ad deum peruenire contendunt: uera quoque id est nullis figurarum inuo[25v]lucris circunuelata: quibus decepti multi iudeorum in detestabile perfidiae barathrum inciderunt: tametsi e cunctis gentibus unici cultores dei olim habiti essent. postremo uera quia ex se illuminans et per essentiam talis ut sit causa omnium aliorum: sicut in.ii.primae philosophiae ait Aristoteles ignem esse caloris causam omnibus aliis.
(1139) De fait, même si les hommes d’une très grande sainteté et les anges possèdent, dit-on, une lumière, ils ne l’ont cependant pas tirée d’eux-mêmes, en tant qu’elle serait lumière jaillissante et illumination, mais comme une lumière qui leur a été donnée et dont ils participent. Nam licet uiri sanctissimi atque angeli lucem habere dicantur: non tamen habuerunt ex se lucentem illuminantemue: sed illuminatam participatamque.
(1140) Mais on me dira : le Christ, dans la mesure où il est une lumière de cette sorte, brillait déjà dans l’enfer puisqu’il existe partout. sed dicet aliquis christus quatenus eiusmodi lux est: etiam lucebat in inferno cum ubique existat.
(1141) Cela est vrai, mais, comme il brillait dans les ténèbres, les ténèbres ne recevaient pas cette lumière, de même que les aveugles ne perçoivent pas la lumière qui brille au-dessus d’eux, tant que leurs yeux ne se sont pas ouverts. Verum est: sed cum in tenebris luceret tenebrae eam non comprehendebant: quemadmodum caeci lucem supra se lucentem non sentiunt donec oculi eorum aperiantur.
(1142) Or, après la mort du Christ, quand s’ouvrirent les yeux de l’esprit, les ténèbres furent illuminées avec le chaos des enfers et l’ombre qui le recouvrait fut dissipée, selon cette parole d’Isaïe : "le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière, pour ceux qui marchaient dans la région de la mort, une lumière s’est levée sur eux". Post christi autem mortem apertis mentium oculis tenebrae illuminatae sunt: et chaos inferorum et caligo obtenta dimota est: secundum illud Esaiae: Populus qui sedebat in tenebris uidit lucem magnam. ambulantibus in regione mortis Iux orta est eis.Mt 4, 16
(1143) (Fugere dolores.) Quand le Christ, dit Arator, descendit aux enfers, l’enfer cessa d’exister, la mort cessa d’exister, et gémissements et douleur cessèrent d’exister. (Fugere dolores.) christo inquit Arator ad inferos descendente desiit esse infernus: desiit esse mors: desiit esse gemitus et dolor.
(1144) L’enfer cessa d’être l’enfer, car l’enfer, c’est d’être privé de la vision du visage divin ; quant à la mort, les gémissements, la douleur et le comble de la misère, tout cela, en présence du Christ qui est paradis, vie, joie et comble du bonheur, a cessé d’exister. Infernus desiit esse infernus: quia carere inspectione diuini uultus infernus est et mors et gemitus et dolor et summa miseria: quae omnia praesente christo qui paradisus est et uita: et gaudium et summa foelicitas: cessauerunt.
(1145) (dolores) évidemment celles des saints patriarches, qu’ils enduraient dans cette prison ténébreuse, fugere ("ont fui"), autrement dit fugerunt. Infernus tunc timet esse ("l’Enfer craint alors d’exister"), évidemment l’enfer en présence du Christ, autrement dit il cesse d’être l’enfer. Et poena cohercens nullum redit in se ("comme il n’enferme plus personne, le supplice se retourne contre lui-même"), autrement dit pour sa propre punition, autrement dit contre les démons eux-mêmes, qui étaient frappés par le châtiment, parce que les saints patriarches sont libérés du châtiment, évidemment la privation de la vision divine, voire, comme semble l’insinuer le poète, par quelque jugement de la clémence divine, le châtiment n’enferma plus personne et le diable, leur tortionnaire, ne tourmenta plus aucun de ceux qui étaient en quelque partie de l’enfer aussi longtemps que le Christ demeura dans l’enfer. (dolores) scilicet sanctorum patrum: quos perferebant in carcere illo tenebroso: fugere id est fugerunt. Infernus tunc timet esse scilicet infernus praesente christo: id est desinit esse infernus. et poena cohercens nullum redit in se id est in ipsam poenam: hoc est in ipsos daemonas: qui poena afficiebantur: quod poena liberarentur sancti patres scilicet carentiae uisionis diuinae: uel dic ut Videtur innuere poeta pia quadam clementiae diuinae aestimatione: poena nullum cohercuit: et tortor diabolus nullum cruciauit eorum qui erant in quacunque parte inferni quamdiu christus fuit in inferno.
(1146) C’est pourquoi il dit tortor ("le tortionnaire"), autrement dit le diable, leur bourreau, languet ("dépérit"), autrement dit n’a rien à faire et tombe dans l’oisiveté ou plutôt tombe malade, ad ocia noua ("face à des loisirs nouveaux"), autrement dit le repos et la cessation des tourments en raison de la présence du Christ. Tartara moesta ("le triste Tartare"), autrement dit les démons qui sont tristes, parce qu’en présence du Christ il ne leur était plus permis de tourmenter quiconque, gemunt ("gémissent"), autrement dit souffrent, quia cuncta uincula ("parce que tous les liens"), autrement dit les chaînes des enfers, quiescunt ("sont au repos") et inoccupées. unde ait tortor id est carnifex diabolus: languet id est uacat ociosus est uel potius aegrescit: ad ocia noua id est ad quietem et cessationem tormentorum ob praesentiam christi: Tartara moesta id est daemones tristes quia presente christo neminem ipsis licebat cruciare: gemunt id est dolent: quia cuncta uincula id est cathenae inferorum quiescunt: et uacant.
(1147) On peut donc aussi penser que le poète parle selon l’intelligence du vulgaire et l’opinion populaire, selon laquelle on a coutume de dire que, pendant ce triduum, les peines de l’enfer ont cessé, parce que le Christ y descendait ; ou peut-être parce qu’il a pensé que le roi de toute clémence, en descendant aux enfers, a accordé un répit de trois jours aux châtiments de tous les coupables en raison de sa présence, même si quelqu’un me dira que le Christ n’est pas allé dans d’autres parties de l’enfer que les lieux où se trouvaient les saints et les élus. Mais qui donc est assez imprudent et assez téméraire pour oser scruter des réalités que Dieu a voulu tenir cachées et inconnues de nous ? Vel ergo loquitur poeta secundum sensum uulgi et opinionem quandam popularem iuxta quam dici solet in illo triduo poenas inferni cessasse christo illuc descendente: uel quia forte ita putauit Regem clementissimum ad inferos descendentem poenas tridui cunctis nocentibus ob suam presentiam condonasse: quanquam dicet aliquis christum non ad alias partes inferni sed tantum ad ea loca ubi sancti illi uiri et electi erant: peruenisse. sed quisnam tam imprudens tamue temerarius existat: qui ea scrutari audeat quae deus coelata esse uoluerit et nobis incognita?
(1148) Sur quoi les hommes, avec leurs misérables forces, s’efforcent-ils d’enquêter ? De fait, ils veulent comprendre son secret, lui dont la sagesse n’a pas de terme, la puissance de mesure ; il veut, lui mortel, approcher l’immortel, lui, soumis au temps, approcher le perpétuel, lui, sujet à la mort, approcher l’incorruptible, autrement dit aller plus près et l’atteindre par l’intelligence comme si l'intelligence, être vivant encore terrestre, tant qu’elle est tenue enfermé dans le corps comme dans une prison, pouvait saisir, dans une vision indépendante et libre, toute chose et le tissu inénarrable des réalités célestes. Quid hominis uiriculae conantur indagare? nempe uolunt comprehendere arcana eius: cuius sapientia: nec habet terminum: nec fortitudo mensuram: uult mortalis immortali: temporarius perpetuo: caducus incorrupto propinquare id est propius accedere et intelligentia subsequi. quasi terrenum adhuc animal quamdiu corpore tanquam custodia septum tenetur: soluto ac libero intuitu cernere omnia ac rerum coelestium inenarrabile textum capere possit.
(1149) Pour ma part, l’audace des théologiens ne m’en étonne que davantage : ils promettent qu’ils vont dire les secrets de la descente en enfer du Seigneur et jusqu’où il est allé, qui il a libéré de ses liens, à qui il a remis ses tourments, ce qu’il a fait là-bas en général et en particulier, alors que le plus subtil des Ecossais dit, si nous nous fions à Francisco de Vitoria, qu’il n’existe pas même de mention explicite dans la doctrine évangélique de la descente du Christ aux enfers, et encore moins sur le mode de descente du Christ. Mais c’est ce qui est écrit dans le symbole, ce qui est vrai et nous croyons que c’est ainsi que cela s’est passé, et c’est la foi que nous professons. Quo magis equidem miror eorum audaciam theologorum: qui pollicentur se dicturos arcana diuini descensus et quo usque peruenerit: quos uinculis soluerit: quibus cruciatus remiserit: quid generatim quidue speciatim illic aegerit: cum dicat subtilissimus scotus si francisco credimus: de ipso christi descensu: nedum de modo descensus in doctrina euangelica minime haberi expressam mentionem. At id in symbolo scriptum est: uerum est: et credimus ita accidisse: et confitemur.
(1150) Mais pourquoi la licence sans frein, qui pousse à des efforts interdits, continue-t-elle à chercher, ignorante de la mesure de sa condition, sans discerner jusqu’où peut-il être permis à l’homme de comprendre ? Que l’esprit humain soit ramené à ses juste limites par la réponse du Christ : comme ses disciples, qui étaient ses intimes et l’aimaient plus que tout, lui demandaient "est-ce maintenant que tu rétabliras le royaume d’Israël ?", il leur répondit "il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés dans son pouvoir absolu". Toujours en effet, le docteur de Vérité a révélé la vérité ainsi : il a voulu que, par son enseignement, nous ne sachions que ce qu’il importe aux hommes de savoir pour obtenir la vie éternelle ; mais les choses qui relèvent de la curiosité et d’un désir profane, il les a tues afin qu’elles restent cachées dans le sein du Père. Sed cur ultra progreditur efrenata in uetitum nitendi licentia suae conditionis modum non agnoscens? et quousque homini liceat intelligere non discernens? Coherceatur mens humana christi responso: qui discipulis illis suis intimis atque amantissimis quaerentibus: nunquid restitues regnum israel? non est inquit uestrum nosse tempora uel momenta quae pater posuit in sua potestate.ac 1, 7 Semper enim doctor ueritatis ita ueritatem aperuit: ut suo magisterio ea sola scire nos uoluerit: quae interfuit hominis scire ad uitam aeternam consequendam. quae uero ad curiosam et profanam cupiditatem pertinerent: reticuerit ut in sinu patris occulta essent.
(1151) A quoi bon alors scrutons-nous ce que nous ne pouvons savoir, puisque Dieu a voulu que ce soit caché, et qui, si nous les savions, ne nous rendraient ni plus heureux ni plus sages ? Car la vraie sagesse c’est la piété et la θεοσέϐεια. Quid ergo scrutamur ea quae nec possumus scire cum ea deus arcana esse uoluerit: nec si sciamus beatiores simus sapientioresue? Vera enim sapientia pietas est et theoseuia.
(1152) Je me souviens, pour ma part, de cette parole de mon précepteur jadis, mon maître Roas, théologien d’exception et philosophe d’élite : je l’ai entendu dire que nous avions la meilleure théologie, avant que deux petits frères de deux ordres différents (c’était ainsi qu’il disait toujours) ne viennent y semer le trouble par leurs circonlocutions ruineuses et leurs disputes sans fins. Voilà du moins ce que disait cet homme pieux et vraiment sage, et il avait bien raison. Repeto equidem memoria dictum illud praeceptoris quondam mei magistri Roae theologi singularis ac philosophi praestantissimi: quem saepissime audiui praedicantem nos optimam habere theologiam: ni eam duo fraterculi diuersi ordinis: ita enim dictitabat: suis dispendiosis anfractibus ac longissimis concertationibus disturbassent. Haec sane uir pius ac uere sapiens iure optimo referebat.
(1153) En effet, en quoi importe-t-il à la théologie que nous allions par une route sacrilège et interdite nous questionner sur ce que Dieu nous a interdit de savoir ? S’il avait jugé la connaissance de cela utile en quelque manière pour nous, qu’est-ce qui l’empêchait de prescrire aux écrivains de la divine Loi de nous les révéler ? Quid enim ad theologicam disciplinam pertinet ire nos per uetitum nefas inquirentes ea quae deus sciri uetuit: quorum scientiam si nobis utilem aliquo modo iudicasset: quod ei obstitit quominus praeciperet scriptoribus diuinae legis ut ea nobis inuulgarent?
(1154) Paul, dans une des lettres aux Corinthiens, écrit qu’il a été emporté au paradis et a entendu des paroles secrètes qu’il n’est pas permis à un homme de dire. Qui a donc bâillonné l’Apôtre, pour qu’il ne révèle pas aux saints les secrets du gouverneur suprême, qu’il fallait garder pour soi ? Et puis quelle raison a poussé les professeurs d’Ecriture sainte à mêler ciel et terre, et mer et ciel, autrement dit à mêler les choses divines aux humaines et les humaines aux divines ? Paulus ad corinthios scribens narrat se raptum in paradisum audisse arcana uerba: quae non licet homini loqui. Quis ergo os apostoli obstruxit ne reticenda summi praesidis secreta sanctis hominibus reuelaret? Deinde quae ratio impulit professores sacrarum literarum miscere terris coelum et mare coelo: hoc est diuina humanis et humana diuinis confundere?
(1155) Attachés en effet à la doctrine d’Aristote et aux enseignements des Péripatéticiens, c’est plus depuis le Lycée que depuis le Portique de Salomon qu’ils interprètent les textes, en remplissant tout de sophismes sans nombre, d’arguties qui n’ont d’autre but que de chatouiller l’intelligence, et de misérables petites questions philosophiques. Addicti enim Aristotelis doctrinae ac dogmatis peripateticorum: magis ex lyceo quam ex porticu salomonis magistri sententias interpretantur: innumerabilibus cauillamentis: argutiis titillantibus ac philosophicis quaestiunculis omnina complentes.
(1156) De fait, si, parmi tout les points que les commentaires sur Pierre Lombard ont soulevés, on veut séparer la simple théologie de ce travail varié d’explication, on pourra tout mettre sur quelques feuillets, alors que toutes les bibliothèques du monde ne sauraient qu’à peine contenir toutes les autres pages qui résonnent des hérésies des Péripatéticiens et d’Aristote. Nam si omnium: quae in petrum longobardum commentationes edidere: simplicem uelis theologiam separare a miscellanea illa expositione: uniuersam colliges paucissimis chartis: cum reliquas paginas haeresin peripateticorum et Aristotelis resonantes uix capiant bibliothecae orbis terrarum.
(1157) C’est de là que vient le fait que, de même qu’un théologien s’attarde dans la dialectique, la physique, les mathématiques et la parénèse, en laissant de côté les hauteurs de la citadelle qu’est la théologie, de même aussi, à l’inverse, un dialecticien verbeux, un grammairien pointilleux, un philosophe curieux voudront s’emparer de cette science sublime et maîtresse des autres que les théologiens ont laissée libre. Vnde fit ut quemadmodum theologus in dialecticis in physicis: in mathemeticis in paraeneticis commoratur arcis theologicae culmine derelicto: ita quoque e di[26r]uerso uel dialecticus uerbosus: uel grammatista superciliosus: uel philosophus curiosus desertum uelit a theologis dominae fastigium occupare.
(1158) Pour ma part, je n’ en ai pas seulement entendu un, je l’ai vu de mes propres yeux, qui, tandis qu’il enseignait à ses élèves l’art de disserter, tentait de leur montrer en même temps la théologie, la physique et toutes les disciplines. J’ai vu au contraire un théologien qui, tout en faisant de la théologie, faisait aussi de la dialectique et autres arts libéraux. Et, de même que j’ai vu des maîtres de ce genre, j’ai vu aussi des élèves éparpillés et dans la confusion, qui apprenaient tout à la fois, et qui mettaient leur nez partout. Mais vraiment, de même que la nourriture simple est celle qui nourrit le mieux et qui est la meilleure pour notre santé, de même un enseignement simple nourrit l’âme, la fortifie extrêmement et s’assimile à toute vitesse. Mais mêlez au rôti des escargots, des coquillages aux grives, ces aliments, doux en soi, se changent en bile et l’humeur ralentie sèmera le trouble dans votre estomac. Iam equidem non solum audiui: sed et ipse uidi quendam: qui cum artem disserendi suos discipulos doceret: theologiam pariter: et physicam: et omneis disciplinas monstrare conabatur. uidi theologum: qui e contrario theologiam simul: et dialecticam: et reliquas arteis ingenuas. Et sicut magistros uidi huius modi: ita quoque discipulos fusaneos miscellaneosque: omnia pariter discentes: seseque insinuantes omnibus. Verum enimuero: ut simplex esca et nutrit plurimum: et saluberrima est: ita quoque doctrina simplex alit animum ualentissime: et quam ocyssime concoquitur. At simul assis miscueris elyxa: simul conchylia turdis: dulcia se in bilem uertent: stomachoque tumultum lenta feret pituita.
(1159) Mais les arts humains sont des serviteurs et ils sont pour ainsi dire les valets de pied de leur maîtresse, la théologie. Qu’il en soit donc ainsi : qu’ils servent et ne soient pas servis, que chacun tienne décemment le rôle qui lui a été donné ! De fait, avec quel front un théologien pourrait-il, après avoir abandonné le trône et le service de sa reine, offrir à des petites servantes tant de pages ? At ancillantur artes humanae tanquam pedisequae dominae theologiae. Sit ita sane: dum ministrent non ministrentur: dum singula quaeque locum teneant sortita decenter. Nam qua fronte potest theologus: deserto reginae throno et ministerio: tot paginas ancillis ministrare?
(1160) Pour ma part, je ne peux que louer la manière de faire de Salamanque, car, ce qui se fait dans les autres institutions scolaires des autres villes, je n’en sais rien ; mais, au moins, le collège de théologie de Salamanque ne compte que des théologiens, alors que les collèges des autres disciplines admettent pour l’examen des candidatures des professeurs de diverses sortes. J’ai dit cela, non pour sortir du propos que je me suis fixé, mais pour exhorter nos concitoyens à faire preuve de prudence dans l’étude, et de piété dans la contemplation des réalités divines. Ego uero salmanticense institutum non possum non laudare: utrum enim id in aliis gymnasiis aliarum urbium obseruari soleat ignoro: sed certe collegium salmanticensium theologorum purum est: cum collegia aliarum disciplinarum ad censorium examen diuersi generis professores admittant. Haec dixi non ut a cursu destinato digrederer: sed ut nostros homines: et ad prudenter discendum: et ad res diuinas pie contemplandum exhortarer.
(1161) (Mors) ibi ("la mort là") en enfer évidemment, quid faceret mors ("que ferait la mort"), autrement dit la privation de la vision divine ; cette privation c’est la mort et l’enfer ou, si l’on veut, le lieu du tartare ; quo ("où"), autrement dit vers l’enfer vers lequel, ibat ("allait"), évidemment le Christ, portitor ("porteur"), autrement dit celui qui porte et apporte la vie. (Mors) ibi scilicet in inferno: quid faceret mors id est carentia inspectionis diuinae: quae carentia est mors et infernus uel locus tartari: quo id est ad quem infernum: ibat scilicet christus: portitor id est portator uitae ac uector.
(1162) De fait, comme le dit l’évangile : "en lui était la vie", et en lui elle est et sera. Nam (ut ait Euange.) in ipso uita erat:Jn 1, 4 et est quoque eritque.
(1163) Mors ("la mort"), puisque, dans certains cas, le mot est pris au sens de punition, dans certains cas au sens de séparation de l’âme et du corps, dans certains cas au sens de séparation de l’âme avec Dieu, on peut rattacher ce que veut dire le poète à ces significations variées. Mors cum aliquando accipiatur pro poena: aliquando pro separatione animae a corpore: quandoque pro separatione animae a deo: ad illas uarias significantias potes sensum poetae accommodare.
(1164) (Deus omnipotens), autrement dit la très sainte Trinité, qui agit de manière principale dans tout ce qui est effectué, conformément à cette règle théologique : tous les prédicats que l’on attribue à Dieu se changent en sa substance, à l’exception de la relation, qui, à raison du sujet dans lequel elle se trouve, se change en substance, afin de ne pas opérer de composition, mais, à raison du terme vers lequel elle tend, demeure à sa place pour opérer une distinction. Bien que, cependant, Augustin dise "nous comprenons Dieu à la mesure de notre capacité comme grand sans quantité et bon sans qualité etc.", et bien qu’il repousse ces paroles loin de Dieu comme absolument triviales, cependant, parce que nous n’en avons pas d’autres pour expliquer les œuvres ineffables de Dieu, sinon de dire que c’est une relation, autrement dit quelque chose qui concerne une personne en particulier (comme envoyer sans être envoyé convient au Père, au contraire être envoyé sans envoyer convient au saint Esprit, mais les deux s’adaptent au Fils, à la fois être envoyé et envoyer, mais s’incarner s’adapte au seul Fils) ; si donc il n’existe pas de noms pour la relation, autrement dit d’ajouts particuliers apportés aux personnes de la Trinité, on peut bien attribuer beaucoup à chaque personne, ces attributs finissent cependant par être communs aux trois personnes. Ainsi, quand nous disons que le Christ a été conçu et est né du saint Esprit, nous ne disons pas que le saint Esprit est le père du Christ (de fait on dit que les cheveux naissent de nous, mais on ne les appelle pas pour autant fils) ; et ceux qui naissent de l’eau et de l’esprit ne sont pas les fils de l’eau (comme le dit le Maître au livre 3) ; donc, même si la naissance du Christ est dite œuvre du saint Esprit, comme on le dit dans l’évangile à propos de Marie, "elle se trouva enceinte sous l’action du saint Esprit", cependant la créature que la vierge a conçue et engendrée, c’est l’unité tout entière de la Trinité qui l’a faite et réalisée. En effet, les œuvres de la Trinité ne sont pas inséparables : tout au contraire, en nommant un on comprend trois, selon la règle que nous avons proposée, et on comprend aussi le fait qu’ainsi également c’est la très bienheureuse Trinité qui a accompli la résurrection du Christ et son admirable ascension et le reste des œuvres célestes. (Deus omnipotens) id est sanctissima trinitas: quae in omnibus effectibus principaliter opatur: secundum regulam illam theologicam: omnia praedicamenta dicta de deo transeunt in substantiam: excepta relatione: quae ratione subiecti in quo est: transit in substantiam ne faciat compositionem: ratione uero termini ad quem est: manet: ut faciat distictionem. Quamuis autem dicat augus. intelligamus deum quantum possumus sine quantitate magnum:sine qualitate bonum:AVG. trin., 5, 2 et caetera: atque ita illas uoces communissimas deo procul abigat tamen quia alias non habemus: quibus dei explicemus inefabilia opera: nisi sit relatio: uel aliquod consequens personam peculiariter (sicut mittere et non mitti patri competit: et e diuerso mitti et non mittere spiritui sancto: At filio utrumque congruit scilicet mitti et mittere: congruit et incarnari soli filio:) nisi ergo sint uel relationis nomina: uel horum peculiares quaedam appendices: licet attribuantur singulae cuique personae multa: in communionem tamen ueniunt trium personarum. Vt cum dicimus christum conceptum et natum de spiritu sancto: non dicimus spiritum sanctum christi patrem: nam et capillus ex nobis dicitur nasci: qui non uocatur noster filius: et qui ex aqua et spiritu nascuntur: non sunt filii aquae (ut ait magister in iii.) quamuis ergo spiritus sancti dicatur opus: christi incarnatio: sicut in euangelio dicitur de maria: inuenta est in utero habens de spiritu sancto:Mt 1, 18 tamen illam creaturam: quam uirgo concepit et peperit: tota unitas fecit et operata est. Nec enim inseperabilia sunt opera trinitatis: quin imo nominato uno tres intelliguntur iuxta eam regulam quam proposuimus: atque ita quoque resurrectionem christi beatissima trinitas peregit: et assumptionem admirabilem: et reliqua opera coelestia.
(1165) Voilà pourquoi Pierre, tel qu’il est représenté en train de parler ici, déclare (deus omnipotens) leuat ("Dieu tout-puissant relève), autrement dit ressuscite des morts, hunc ("celui-ci"), évidemment le Christ, post sacra busta ("après les saints tombeaux"), autrement dit après qu’il est demeuré couché pendant trois jours dans le tombeau et le sépulcre saints, cui ("lui pour qui"), évidemment Dieu, nunquam instat ("jamais ne presse"), autrement dit n’existera jamais, terminus ("un terme"), autrement dit une fin, autrement dit qui est éternel et sans fin. ideo ait Petrus qui a poeta inducitur hic loquens (deus omnipotens) leuat id est suscitat a mortuis: hunc scilicet christum: post sacra busta id est postquam in sacro busto et sepulchro per triduum iacuit: cui scilicet deo nunquam instat id est nunquam futurus est: terminus id est finis id est qui est aeternus et sine fine.
(1166) Instat ("presse") le poète a pris le mot au sens propre, autrement dit "vient après", "sera". Ainsi Salluste "ayant pensé que le mieux à faire était de devancer la nuit qui pressait, afin qu’à la faveur de cet espace il ne puisse se produire quelque événement nouveau" : ici "pressait" veut dire "était toute proche" ou "suivait". Martianus Capella écrit également dans la partie sur la musique "le trépied promet des présages selon un triple cours, à savoir ce qui existe, ce qui presse et ce que le temps a déjà emporté". De ces paroles de Martianus, un parfait érudit conclut que le temps pressant désigne le futur, le temps existant le présent, le temps emporté le passé, et il ajoute : "voilà pourquoi les philosophes modernes ne font que bégayer quand ils disent que le temps pressant est le présent, alors qu’il dit qu’ils devraient désigner ainsi le temps existant". Quand celui-ci dit cela, il n’a pas vu que, alors que juste devant lui le chemin est éclairé, il est en train de critiquer Marcus Tullius en le traitant de barbare, puisque, dans d’innombrables passages, Cicéron entend par le temps qui presse le présent. Ainsi, dans le premier livre du traité de rhétorique sur l’invention : "et ce qui vient d’être fait que la plupart des gens peuvent savoir, et de même ce qui presse dans l’instant présent et qui se réalise instamment, et ce qui suit" ; par "ce qui vient d’être fait", il entend le passé, par "ce qui presse et se réalise" le présent et enfin par "ce qui suit" le futur. De même, au livre 2 de la Rhétorique à Herennius, où il dit : "cela se divise en trois temps : le temps passé, le temps qui presse, le temps qui suit" ; et, peu après, expliquant ce qu’est le temps qui presse, il ajoute : "dans le temps de l’instant, on recherche s’il a été vu quand il agissait etc., dans le futur on regardera si, une fois la chose accomplie, il reste quelque chose qui puisse indiquer qu’un acte répréhensible a été commis ou qui l’a fait". De même, dans le livre 4 des Tusculanes : "on redoute ce qui va venir, les même choses qui nous pressent produisent un état maladif" ; dans ces mots "ce qui va venir" désigne le futur auquel on oppose "les choses qui pressent" autrement dit le présent. Nous n’ajoutons pas plus de témoignages, que ce soit de Cicéron ou d’autres qui sont extrêmement nombreux, car ici nous ne cherchons ni la victoire ni la satisfaction de la victoire. Nous nous contentons d’avertir les curieux pour éviter qu’ils ne soient induits en erreur par des hommes ingénieux et sages, qui, en recourant contre d’autres au reproche d’être des clowns, tombent eux-mêmes dans la clownerie. Instat dixit poeta proprie id est consequitur: futurus est. Vt salustius. optimum factu ratus noctem quae instabat: antecapere: ne quid eo spatio nouaretur:SALL. Catil., 55 instabat: hoc est proxima erat: uel sequebatur. scribit autem Martianus in musica: tripoda trini cursus praesagia polliceri: hoc est extantis instantis et rapti.MART. CAP. 9, 894 Ex quibus Martiani uerbis colligit uir quidam apprime eruditus: instans dici tempus futurum: extans uero praesens: raptum praeteritum. adiicitque: quare barbare balbutiunt recentiores philosophi. qui instans pro praesenti dicunt: cum extans dicit debeat. Haec ille cum dixit: ante pedes lucente uia non uidit a se reprehendi . M. Tullium celebrem romani eloquii authorem: tanquam barbarum: qui innumeris in locis instans accipit pro praesenti. Vt in primo libro rhetorico de inuentione: Et quae inquit nuper gesta sint: quae scire plerique possint: et item quae instent in praesentia: et quae maxime fiant: et quae consequantur:CIC. inv., 1, 26, 39 per ea quae gesta sint praeterita intelligit: et per ea quae instent et fiant: praesentia: postremoque per ea quae consequantur futura. Item in .ii. ad herennium libro de argumento loquens: Id inquit diuiditur in tempora tria: praeteritum: instans: consequens.RHET. Her. 2, 5, 8 Ac mox declarans quid sit instans subdit: In instanti tempore quaeritur: num uisus sit cum faciebatRHET. Her. 2, 5, 8 et caetera. In consequenti spectabitur nunquid re transacta relictum sit quod indicet aut factum esse maleficium: aut a quo factum.RHET. Her. 2, 5, 8 In. .iiii. quoque tuscula.que libro. Quae enim uenientia metuuntur: eadem efficiunt aegritudinem instantia.CIC. Tusc., 4, 6-11 in quibus uerbis uenientia id est futura: et instantia id est praesentia opponuntur. Non adducimus plura testimonia uel Ciceronis uel aliorum quae plurima sunt: quia hic nec uictoriam: nec uictoriae satietatem quaerimus. Tantum admonemus studiosos. ne ducantur in errorem ab ingeniosis et doctis uiris: qui dum prompte momi censura in alios utuntur: in momum incidunt.
(1167) Et, pour ma part, je n’ai aucun désir maintenant de défendre ces péripatéticiens sans éloquence et totalement puérils, qui, en expliquant avec moins d’éloquence que de pointillisme, beaucoup de choses, montrent une telle dégénérescence par rapport à leur maître Aristote, tant par la langue que par l’intelligence, que, dans bien des cas, on les prend en flagrant délit de ne rien comprendre du tout, et dans la plupart des cas de comprendre même de façon contraire à celui qu’ils commentent. Nec ego nunc istos peripateticos elingues atque infantissimos tueri cupio: qui non tam diserte quam acute multa interpretantes adeo a principe illo Aristotele degenerauerunt et lingua et sensu: ut in multis nihil omnino sentire: in plerisque etiam contra eum ipsum quem enarrant: sentire deprehendan[26v]tur.
(1168) Je ne défends donc pas ces incultes et ces philosophes plus barbares que les Goths ; je pense qu’ils font injure à la philosophie parce qu’ils salissent quelque chose de noble par leur discours dégoûtant ; toutefois je supporte mal qu’on les critique de manière injuste. Non ergo incultos istos: et getis barbariores philosophos defendo: a quibus fieri iniuriam puto philosophiae: quod rem nobilem spurco sermone inquinent: sed eos tamen iniuste reprehendi iniquo animo fero.
(1169) Nous trouvons chez des autorités compétentes que l’on emploie instans ("pressant") pour un futur immédiat ou menaçant ; nous en convenons, du moment que tu ne dénies pas et conviens avec nous que, parmi les sens variés d’instans, est extrêmement utilisé chez les auteurs les plus approuvés celui qu’ont souvent dans la bouche ce que tu nommes bègues, en cela très peu bègues, mais corrects et élégants. Inuenimus apud idoneos authores instans pro futuro uel urgente uel imminente: Concedimus sane: dummodo illud non abneges: nobisque concedas: inter uarias instantis significationes: hanc quoque esse usitatissimam apud probatissimos: quam in ore frequenter habent isti balbi in hoc minime balbi: sed tersi et elegantes.
(1170) Mais tu as fait une digression, me dira-t-on ; je l’avoue. Mais nous apportons pour un usage commun et public cette petite digression, qui cependant est restée reliée au chemin que je me suis fixé. Pour ma part, je n’irai jamais loin de la route que j’ai choisie ; en effet nos digressions resteront les plus proches possible de notre route, et jamais je ne m’attarderai sur celles qu’une foule de dictionnaires pourront vous apprendre, mes très agréables auditeurs ou auteurs publiés. Digressus es dicet aliquis: fateor: sed in communem et publicum usum hoc diuerticulum contulimus: quod tamen destinato itineri coniunctum pene fuit. Nec ego unquam a uia proposita longe abibo. cohaerebunt enim quam proxime nostri digressus uiae: nec in iis unquam morabor: quae uos turba lexicon docere possunt O Auditores iucundissimi: inuulgatiue authores.
(1171) De fait, soit je montrerai des pièges cachés dans l’herbe pour éviter que vous ne tombiez dedans la tête la première, soit je vous révèlerai les choses qui sont les moins divulguées et qui vous seront peut-être bien inconnues. Nam uel foueas cespitibus occultatas ostendam ne in eas praecipites ruatis: uel quae minus protrita sunt et uobis fortassis incognita: reuelabo.
(1172) (Radiantem.) Vidimus ("nous avons vu"), dit Pierre, lesum radiantem ("Jésus radieux"), autrement dit glorieux, in corpore ("dans son corps") et conspeximus ("nous avons contemplé"), évidemment nous, les disciples, de nos yeux, reducem ("revenant"), autrement dit de retour, évidemment le jour de sa montée au ciel et de son ascension, propriis astris ("dans ses propres astres"), autrement dit dans le ciel qui lui est propre et lui appartient. (Radiantem.) Vidimus inquit petrus lesum radiantem id est gloriosum in corpore: et conspeximus scilicet nos discipuli nostris oculis: reducem id est redeuntem scilicet in die assumptionis uel ascensionis: propriis astris id est proprio coelo: et suo.
(1173) De fait, bien que tout soit au Christ, il n’en demeure pas moins que le ciel et les astres, dans lesquels l’action créatrice de Dieu apparaît davantage, sont dits ses biens propres et appelés son trône. Nam licet omnia christi sint: tamen coelum et astra in quibus dei opificium magis apparet: propria ipsius dicuntur: et ipsius thronus uocantur.
(1174) Il faut du moins savoir que le nom Iesus peut ici être considéré comme comptant deux syllabes ou trois. De fait si, en scandant, on fait une synalèphe, on fera ainsi : corpori dactyle, esum, et il fera trois syllabes ; mais si nous disons corpore iesum alors i est une consonne et non une voyelle, comme, dans le livre 2, le même Arator qui écrit clementia iesu. Dans le mot Ioannes également, c’est une consonne chez le même auteur au livre 2 dans uenerit his quaesitor ait qui fonte Ioannis, et, peu après, nomine uenturi praecursor in orbe Ioannes. Ne te laisse pas émouvoir par le fait que les Grecs utilisent un iota pour écrire Iesus et Iohannes. De fait, iota, qui chez eux est toujours une voyelle, devient parfois chez nous une consonne, comme dans Iudaeus, qu’ils écrivent avec un iota et cependant dans Juvénal c’est une consonne : arcanam iudaea tremens mendicat in aurem ("la Judée tremblante mendie dans une oreille discrète"). Je pense que cela peut arriver dans des mots qui ne sont pas grecs, mais hébreux ou de quelque autre langue. En effet, s’ils sont grecs, comme iambus, hieronymus, il me semble que l’on ne peut en aucun cas changer iota en consonne. Celui donc qui prononcera iambus en deux syllabes aura une prononciation de paysan et de barbare. Sciendum sane hoc nomen iesus disyllabon hinc poni posse: et trisyllabon. Nam si in scansione fit synaloepha: ita: corpori: dactylus: esum. erit trisyllabon. Si autem dicimus: corpore: iesum: tunc . i.erit consonans non uocalis: ut in secundo idem Arator: clementia iesu:ARATOR act., 2, 228 et in loannes id est quoque consonans est apud Eundem in secundo: Venerit his quaesitor ait: qui fonte loannis:ARATOR act., 2, 572 et paulo post nomine uenturi praecursor in orbe loannes.ARATOR act., 2, 584 Nec te moueat quod graeci per. iota lesus et loannes scribunt. Nam iota: quae apud eos semper uocalis est: apud nos quandoque transit in consonantem ut iudaeus per iota scribitur: et tamen iuuenalis in consonantem mutauit: Arcanam iudaea tremens mendicat in aurem.IVV. 6, 543 Quod ego arbitror posse fieri in dictionibus: quae non sunt graecae: sed uel hebreae uel alterius linguae. si enim graecae sunt: ut iambus: hieronymus: iota in consonantem nullo pacto posse uerti Existimo. Qui ergo iambus proferret disyllabon: rustice proferret et barbare.
(1175) Mais puisque nous tombons sur le nom très saint de notre libérateur, "devant qui (comme dit l’Apôtre) tout genou fléchit au ciel sur terre et aux enfers", il est cohérent de montrer la véritable manière dont cela s’écrit : l’autorité de Filelfo, personnage d’ailleurs d’une extrême culture littéraire, l’a abîmé. Celui-ci en effet dans ses lettres, livre 14, comme il était averti par l’un de ses amis parce qu’il avait à la légère ou peut-être par un lapsus calami commis une erreur en écrivant Ihesus avec un h, répondit qu’il ne l’avait pas fait sans réflexion, mais bien à dessein. Il s'est trompé en cela : s’il était arrivé de se tromper à un bouseux ou à une personne totalement ignorante du grec, je m’en serais moins étonné. Mais, de la part de Filelfo, qui connaît admirablement les deux langues, je ne saurais supporter une telle erreur, si je n’avais fait partout l’expérience des ténèbres de la nature humaine ni n'avais eu connaissance de bien des périls, même chez les plus savants, et d’ailleurs assez souvent en moi-même aussi, car mes propres erreurs me viennent plus souvent à l’esprit que celles des autres. At quoniam incidimus in hoc liberatoris nostri sanctissimum nomen: in quo (ut inquit apostolus) omne genu flectitur coelestium: terrestrium: et infernorum:Ep 2, 10-11 consentaneum est: nos ueram eius scriptionem monstrare: quam philelphi authoritas uiri alioqui literatissimi deprauauit. Is enim in. xiiii. epistolarum libro: cum ab amico moneretur quod temere aut lapsu fortasse festinantis harundinis errasset: scribendo Ihesus per. h. rescripsit non id imprudenter: sed consulto a se factum. Hoc ego erratum: si alicui opico aut rudi omnino graecarum literarum contigisset: errare: minus miratus fuissem. Sed in philelpho utriusque linguae consultissimo uix equidem tale peccatum ferrem: ni tenebras humanae naturae passim experirer: ac multis periculis cognitas haberem: et in multis uiris doctissimis: et in me quoque ipso frequentius: quia multo saepius mihi mea quam aliena in mentem ueniunt.
(1176) Or qui ne voit pas, pour peu qu’il ait quelque savoir de l’écriture grecque, d’où provient cette erreur d’écriture : Ihesus ; c'est en raison de l’aspiration. De fait, puisque la manière de noter chez nous l’aspiration, H, et la voyelle que l’on nomme en grec èta ont la même forme, celui qui, en grec, voit écrit IHS, s’il ne connaît pas l’écriture grecque, croira que le mot est écrit avec aspiration, alors qu’il n’est pas écrit avec aspiration, mais avec un èta, qui, chez nous, devient un e long. Or, il se trouve que le nom Jésus Christ se rencontre, en forme abrégée, écrit chez les Grecs avec seulement six lettres, trois pour IHS et trois seulement pour XPS. Cette habitude se retrouve chez nous : Christus est écrit avec un X, car X est semblable à la lettre grecque khi, et avec un P, parce que le p latin a la forme du rho grec, autrement quel moyen y aurait-il pour que X et P puissent noter et exprimer le mot Christus ? Ou bien comment trouvera-t-on le son p ou x dans le nom du Christ ? C’est évidemment impossible. Alors pourquoi est-il écrit XP même dans les plus anciens manuscrits et les exemplaires d’une vénérable antiquité ? Ou peut-être est-ce alors une erreur des éditeurs qui, dans la suite du temps, est passée chez leurs successeurs, alors même qu’en raison de leur ignorance il pensaient que la voyelle èta, en raison de son tracé identique, était ce qui est chez nous une aspiration, comme ils pensèrent que les lettres grecques chi et rho qui servent à écrire le nom du Christ étaient un x et un p, en raison de leurs tracés qui correspondent et diffèrent extrêmement peu ; ou bien encore, alors que l’intégralité du Nouveau Testament (comme l’atteste Jérôme) est en grec, à l’exception de l’apôtre Matthieu qui d’abord écrivit en Judée son évangile en hébreu, je soupçonne, pour ma part, les chrétiens d’autrefois d’avoir pris l’habitude d’écrire ainsi ces deux mots de manière abrégée, comme le faisaient les écrivains grecs du Nouveau Testament, en sorte que, de même que, quand on les prononçait, ils demeuraient inchangés et ne recevaient nulle autre interprétation, de même il restaient aussi sans changement dans l’écriture. Quis autem non uidet: modo aliquid teneat graecarum literarum: unde error ille scribendi Ihesus per aspirationem emanauerit? Nam cum nostra aspiratio. H. et ea uocalis quae a graecis: ita: dicitur sint eiusdem figurae: qui graece. IHS. scriptum uidet: si ignorat literas graecas: per aspirationem scribi putabit: cum non per aspirationem sed per eta scribatur: quae apud nos mutatur in e. longum. solet autem lesus Christus compendiosa scriptione apud graecos senis literis scribi: ita ut IHS. his tantum tribus: XPS. his etiam tribus scribatur. Hinc mansit consuetudo quoque apud nos: ut Christus per X. scriberetur: quia .XX. similis est chi elemento graeco: et per. P. quia. p. latinum effigiem obtinet rho graeci: alioquin quid habet. X. aut. p. quo possit scribi exprimiue hoc nomen christus? Aut uox ipsius. p. aut .X. in illo nomine Christus qui inuenitur? Certe non. Cur ergo per.X. et .p. scribitur etiam in antiquissimis codicibus: et uenerandae uetustatis exemplaribus? Vel ergo error est librariorum tempore iam ex illo in posteros deriuatus: cum per inscitiam. H. eta uocalem: propter similes lineolas: esse aspirationem nostram crederent: sicut chi et rho graeca elementa: quibus Christus scribitur: putauerunt esse .X. et . p. ob notas Conuenientes minimeque diuersas: uel certe cum nouum testamentum (authore Hieronymo) totum graecum sit: excepto apostolo mattheos: qui primus in iudaea Euangelium Christi hebraicis literis edidit: suspicor ego ueteres christianos consueuisse dictiones illas duas scribere ita compendiosse: quemadmodum a graecis nouae legis scriptoribus formabantur: ut sicut integrae in uoce manebant: nullaque interpretatione mutatae: ita etiam incorruptae in scriptione manerent.
(1177) Et il faut croire que l’explication que voici n’est pas loin de la vérité : c’est non seulement en raison de la forme abrégée en trois lettres que les anciens, qui étaient de bons croyants, écrivirent ainsi les noms sous la forme IHS et XPS, mais encore pour en représenter la force et le mystère de la divine Trinité. Ce point est purement hypothétique, mais voici qui ne fait aucun doute : les manuscrits antiques et parfaitement corrects de Filelfo, pour l’Ancien et le Nouveau Testament, appuient davantage mon idée que la sienne : et si Ludovico Casella avait soumis à Filelfo notre présent raisonnement, il aurait parfaitement reconnu son erreur (conformément au savoir-vivre dont il faisait profession) et ne se serait pas réfugié dans les ronces et les cachettes d’une défense qui ne tenait pas debout. Nec illud uero procul esse censendum est: non solum ob conpendium ternis literis nomen Illud IHS : et item XPS ab antiquis illis religiosisque uiris scriptum fuisse: sed etiam ob uim mysteriumque diuinae trinitatis repraesentandum. Sed hoc coniecturale totum est: illud indubitatum: Codices philelphi illos uetustissimos atque emendatissimos et noui et ueteris testamenti plus mihi quam illi fauere: Quod si ludouicus casella hanc philelpho nostram rationem subiecisset: agnouisset profecto (pro ea quam profitebatur humanitate) errorem suum: nec ad uepres et infirmae defensionis latibula confugisset.
(1178) En effet, ce n’est pas la présence de l’aspiration qui fait que le nom Iesus possède trois syllabes ; alors qu’il pourrait tout aussi bien en avoir trois sans cette aspiration, ce mot iambique admet une aspiration en son milieu pour compter pour trois syllabes. Nec enim aspiratio facit ut hoc nomen lesus trisylabum sit: cum sine ea quoque trium syllabarum esse possit:[27r] alioquin iambus mediam excipit aspirationem ut tribus syllabis constet.
(1179) Même Quintilien n’est pas d’accord avec Filelfo. Il affirme que la logique de l’aspiration avec le temps a souvent été modifiée et que les anciens y recouraient très rarement, même pour les voyelles, et disaient aedus et ircus sans aspiration. Mais les gens de notre époque n’acceptent pas cette idée et font une aspiration en écrivant alors même qu’il ne la font pas quand ils prononcent à voix haute. Nec quintilianus cum philelpho sentit. qui rationem aspirationis temporibus fuisse mutatam saepius: parcissimeque ait ea ueteres usos fuisse: etiam in uocalibus: cum aedos ircosque dicebant. Sed nec nostrae aetatis homines illi subsignant: qui in scribendo: non etiam in pronunciando uocibus aspirant.
(1180) Les Grecs, en effet, n’ont retenu ce procédé que dans les consonnes, les Latins pas même dans toutes les consonnes. Voilà pourquoi l’aspiration vient rendre plus sonore les mots de triumphus, trophaeum, pour leur donner de la puissance et pour ainsi dire un souffle plus ardent et plus fort. Mais le nom de Christus alors que les latins le prononcent de façon douce est renforcé en grec pas le souffle de l’aspiration. Et l’aspiration que l’on y insère ne rend pas la syllabe plus sonore et plus puissante dans le nom Iesus, puisque Priscien dit que l’aspiration vient s’ajouter aux voyelles et les rend moins sonores, mais fait partie des consonnes et les rend plus sonores. Mais assez sur ce point. Graeci enim id tantum in consonantibus: latini ne in consonantibus quidem omnibus id retinuerunt. Itaque aspiratio firmat sonum illorum nominum triumphus trophaeum: ut eorum sit robur et quasi spiritus uiridior uegetiorque. Sed hoc nomen christus: cum exiliter pronuntietur a latinis: flatu aspirationis a graecis roboratur. Nec aspiratio interposita syllabam sonantiorem reddit: ac ualentiorem in illo nomine lesus: cum dicat priscianus aspirationem uocalibus extrinsecus ascribi ut minimum sonet: consonantibus autem intrinsecus ut plurimum. Verum haec hactenus.
(1181) (Sed fugite) voici le sens. Vous, qui que vous soyez, qui entendez les mystères de la loi évangélique, fugite ("fuyez") le péché de la Judée incroyante ; il ne lui a pas suffi de ne pas accueillir le Christ qui était venu pour supprimer ses fautes, mais elle ajouta un nouveau crime à ce crime quand les Juifs crucifièrent le Christ et se chargèrent, eux et leurs enfants, du châtiment d’un tel méfait, en disant "son sang sur nous et sur nos fils". Mais, quelque grands que soient ces péchés, si vous croyez, ils seront tous lavés dans les eaux du baptême et la lustration de la rosée qui purifie. (Sed fugite) sensus est. Vos quicunque auditis mysteria legis Euangelicae. fugite peccatum perfidiae iudaicae: cui non sat fuit non recipere christum: qui uenerat ad culpas eorum abolendas: sed sceleri huic nouum scelus addiderunt: cum christum crucifixerunt: et se et suos filios poenae tanti sceleris subdiderunt dicentes: sanguis eius super nos: et super filios nostros.Mt 27, 25 Verum quanquam haec magna sint peccata: si creditis: cuncta abluentur aquis baptismatis: et purifici roris lustratione.
(1182) Voilà ce qu’a dit Pierre, dit le poète, et l’ordre est : o miseri ("malheureux") fugite piacula ("fuyez l’abomination"), évidemment les péchés, funesta ("funeste") et mortels, gentis ("de la nation"), évidemment la nation juive qui est incroyante, cui ("pour qui"), évidemment cette nation, creuerunt uulnera culpae sacrilegae addita ("se sont accrues les blessures qui s’ajoutent à leur faute sacrilège") ; de fait ils reçurent en eux la blessure de leur châtiment en tuant le Christ, mais cette blessure s’accrut quand elle se propagea et se répandit dans leurs fils aussi ; voilà pourquoi il dit uulnera addita culpae sacrilegae ("les blessures qui s’ajoutent à leur faute sacrilège") et abominable ; de fait, à la faute de l’homicide, ils ajoutèrent les blessures de leurs fils en criant "sur nos fils son sang", autrement dit la faute et le châtiment. Et ainsi culpa n’est pas au génitif mais au datif ; ueniente deo ("quand Dieu vint"), évidemment le Christ pour la nation juive, auertere ("détourner"), syntaxe grecque, autrement dit pour détourner et pour enlever, noxas ueteres ("les vieilles culpabilités"), autrement dit les anciennes fautes. Car comme le dit Jean : "le Christ est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu". haec petrus dixit. ait poeta et ordo est o miseri: fugite piacula scilicet peccata funesta et mortifera: gentis scilicet iudaicae: quae perfida est, Cui scilicet genti: creuerunt uulnera culpae sacrilegae addita: nam uulnus poenae in se acceperunt: Christum occidendo: sed hoc uulnus creuit: cum in filios quoque propagatum fuit et deriuatum: ideo ait: uulnera addita culpae sacrilegae et nefandae. nam culpae homicidii: addiderunt uulnera filiorum: et super filios nostros sanguis eiusMt 27, 25 id est culpa et poena: cum clamarent. Et ita culpae non est secundi casus sed tertii. ueniente deo scilicet Christo genti iudaicae: auertere syntaxis graeca id est ad auertendum et remouendum: noxas ueteres id est culpas antiquas. Nam ut inquit loannes: Christus in propria uenit: et sui eum non receperunt.Jn 1, 11
(1183) Cui : il faut construire ce mot deux fois de la manière suivante : avec genti au sens de "pour qui" Dieu vint, et au sens de "à qui" je dis "vos blessures se sont accrues en se propageant dans vos fils, petits-fils et descendant avant même qu’ils ne naissent". C’est ce qu’il dit immédiatement en précisant ce que je viens de dire. ludaea paricida ("Judée parricide"), autrement dit meurtrière de ses fils, autrement dit : toi qui as tué tes fils et tes descendants avant qu’ils ne naissent. Cui: bis iunge ita: cui genti scilicet ueniente deo: cui dico: creuerunt uulnera propagata etiam in filios et nepotes, et minores: anteaquam nascerentur. Quod statim subiicit declarando superiora. O ludaea paricida id est filicida: hoc est. quae filios, et posteros tuos: anteaquam nascerentur: occidisti.
(1184) De fait, selon le jurisconsulte qui commente la lex pompeia sur le parricide, on ne désigne pas seulement sous le nom de parricide et on ne punit pas seulement du supplice de parricide, celui qui tue son père ou sa mère, mais aussi celui qui tue sa patrie, son fils, son frère ou sa sœur. Nam secundum lurisconsultum ad legem pompeiam de parricidis: non solum is qui patrem aut matrem occiderit: parricida dicitur: et supplicio parricidae punitur: sed etiam is qui patriam: filium: fratrem sororemue occiderit.
(1185) Cur trahis natos tuos ("pourquoi entraînes-tu tes enfants"), évidemment vers le châtiment et la faute de la mort du Christ, alors que, puisqu’ils n’étaient même pas encore nés, ils n’ont ni accusé ni persécuté le Christ ? per uota cruoris ("par les vœux du sang"), autrement dit par des imprécations faites sur son sang, quand, comme le dit Matthieu, vous avez crié "son sang soit sur nous et sur nos enfants". Cur trahis natos tuos scilicet in poenam et culpam mortis Christi: cum Christum nondum ipsi nati nec accusarent: nec persequerentur? per uota cruoris id est per imprecationes sanguinis ipsius: cum ut matthaeus ait: inclamaretis: sanguis eius super nos: et super filios nostros.Mt 27, 25
(1186) Cur ("pourquoi") : répété deux fois, pour mettre en évidence l’indignation, κατὰ ἀναδίπλωσιν (par anadiplose). Cur: bis repetitur: ad emphasin indignationis ostendendam cata anadiplosin.
(1187) paricida ("parricide") initiale brève car le mot vient de par et autrefois on nommait ainsi les homicides. paricida prima breui a pari dicitur. et olim ita homicidae dicebantur.
(1188) (Damnata), évidemment, toi, Judée, à cause de la mort du Christ, c’est en effet fuso sanguine ("en ayant versé le sang"), autrement dit comme tu avais versé, par tes accusations, le sang du Christ sur la croix ; quid ("que"), autrement dit pourquoi, premis ("accables-tu"), autrement dit oppresses-tu ; hos ("ceux-ci"), évidemment tes fils et tes descendants, en les chargeant du châtiment et de la faute de la mort du Christ ; tecum ("avec toi"), évidemment en même temps, et festinas ("te hâtes-tu"), évidemment la Judée, proferre reos ("de proclamer coupables"), autrement dit de prononcer que tes fils sont coupables et méritent un châtiment ; necdum, autrement dit pas encore ; creatos ("créés"), autrement dit nés et engendrés ; quand tu dis "et sur nos enfants soit son sang" ; et lingua ("la langue"), évidemment la vôtre, Judée ou encore Juifs ; homicida ("homicide"), autrement dit coupable d’homicide, soit parce qu’elle a tué le Christ, soit aussi parce qu’elle a condamné ses fils et ses descendants non encore nés à cause de son propre crime ; percussit iter naturae ("a frappé le chemin de la nature"), chose qui semble impossible. (Damnata) scilicet tu iudaea propter mortem christi: id enim est fuso sanguine id est cum efudisses tuis accusationibus sanguinem Christi in cruce : quid id est cur: premis id est opprimis: hos scilicet filios et posteros tuos in poenam et culpam mortis Christi: tecum scilicet simul. et festinas scilicet iudaea: proferre reos id est pronunciare filios tuos reos et poenae obnoxios: necdum id est nondum: creatos id est natos et genitos: cum dicis et super filios nostros sanguis eius. et lingua scilicet uestra o iudaea uel o ludaei: homicida id est rea homicidii: uel quia christum occidit: uel quia filios et minores suos condemnauit nondum natos propter suum scelus: percussit iter naturae: quod uidetur impossibile.
(1189) En effet, alors que les hommes pris individuellement sont mortels et soumis au changement par le renouvellement des générations, mais que tous pris ensemble, en considération de leur espèce même, paraissent immortels, voici quel chemin de la nature la langue des Juifs a frappé et détruit : elle a tué ses propres fils avant même qu’ils ne naissent, et les a soumis au châtiment que leurs pères méritaient à cause de la mort du Christ. Cum enim homines singulatim sint mortales: et uicissim sufficienda prole mutabiles: cunctique ipso genere uideantur immortales: hoc iter naturae percussit et disiecit lingua iudaeorum: quae filios suos anteaquam nascerentur: interfecit: et subiecit ei poenae: quam merebantur patres eorum propter mortem christi.
(1190) De fait, comme le dit Cyprien martyr, "même si la voix des Juifs se tait, leur histoire ultérieure affirme leur châtiment, quand ils vont ça et là dispersés et errants ; chassés de leur soleil et de leurs cieux, ils sont ballotés au gré de l’hospitalité d’autrui". Nam (ut inquit cyprianus martyr) etsi iudaei uoce tacent: exitu poenam confitentur: cum dispersi et palabundi uagantur: soli et coeli sui profugi per hospitia aliena iactantur.Ps. CYPR. idol., 10
(1191) (cui), évidemment la nature et le peuple de la Judée, descendant de ceux qui ont tué le Christ ; ortus ("origine"), autrement dit naissance ; serior ("plus tardive"), autrement dit plus tardive que leur crime ; autrement dit le péché qui les touche, celui évidemment de la mort du Christ ; habet discrimen ("possède ses périls"), autrement dit le danger du châtiment. (cui) scilicet naturae et genti iudaicae deriuatae ab interfectoribus christi: ortus id est natiuitas: serior id est tardior quam facinus: id est peccatum mortis christi scilicet contingens: habet discrimen id est periculum poenae.
(1192) De fait, le péché de la mort du Christ, pour lequel maintenant les Juifs sont punis, a trouvé son origine et est né avant les descendants et la postérité de ces mêmes Juifs qui ont tué le Christ. Et pourtant, ils sont tombés dans le danger de subir le châtiment que leurs ancêtres ont appelé sur eux et sur leurs fils, alors que d’ordinaire c’est l’inverse : évidemment l’auteur d’une faute naît avant la faute elle-même et la faute naît avant son châtiment. Mais ici, dans la mort du Christ, la faute est née avant que naissent et soient nés de nombreux Juifs qui, à cause de cette faute née avant eux, ont été punis. Nam prius ortum et natum est peccatum mortis christi: propter quod nunc iudaei puniuntur: quam nepotes et minores eorum iudaeorum: qui christum occiderunt. Et tamen inciderunt in periculum poenae: quam maiores eorum et sibi et suis filiis imprecati sunt: cum soleat contra accidere: ut scilicet prius nascatur oriaturque author peccati quam peccatum: et prius peccatum quam poena peccati. At hic in morte christi: prius ortum est peccatum quam multi iudaei nascantur et nati sunt: qui propter illud peccatum prius ortum: puniti sunt.
(1193) Et le poète, redisant la même chose ajoute en variation : propago scelerum ("la descendance des crimes"), évidemment la génération de la Judée qui s’étend par ces crimes, perit ("périt"), autrement dit est tuée ; de natale ("à partir de la naissance"), autrement dit depuis sa naissance et son origine, évidemment parce qu’elle a tiré sa naissance et son origine de ceux qui ont tué le Christ, et non parce qu’ils ont eux-mêmes tué le Christ. Et évidemment cette génération issue de ceux qui ont tué le Christ, saucia ("blessée"), évidemment frappé d’un coup et tuée, uoce parentum ("par la voix de ses parents"), autrement dit par les cris "son sang sur nous et sur nos fils", uenit in lucem ("est venue au jour"), autrement dit est née, punita ("punie"), évidemment du châtiment de la mort que ses ancêtres demandèrent non seulement pour eux mais aussi pour leurs fils et leurs descendants qui n’étaient pas encore nés. et idem dicens poeta uarie subdit: et propago scelerum scilicet generatio iudaica per scelera propagata. perit id est interfecta est: de natale id est a sua natiuitate et a suo ortu: quia scilicet natiuitatem et originem traxit ab interfectoribus christi: non quia ipsi christum interfecerunt: quae scilicet generatio deriuata ab interfectoribus christi: saucia scilicet uulnerata et interfecta: uoce parentum id est illis clamoribus: sanguis eius super nos et super filios nostros:Mt 27, 25 uenit in lucem id est nata est: punita scilicet poena mortis: quam mortem sui maiores petiuerunt non solum sibi: sed etiam filiis et posteris suis nondum natis.
(1194) En effet, comme Pilate disait : "je suis innocent du sang de ce juste. A vous de voir ! Tout le peuple répondit : ‘son sang sur nous et sur nos fils’". C’est la raison pour laquelle Isaïe qui prévoyait ce qui allait arriver a ainsi prophétisé : "si vous levez les mains vers moi, je ne vous exaucerai pas ; vos mains en effet sont pleines de sang". Cum enim diceret pilatus: Innocens ego sum a sanguine huius iusti. uos uideritis. respondit uniuersus populus: sanguis eius super nos et super filios nostros.Mt 27, 24-25 Vnde Esaias hoc praeuidens futurum: uaticinatus est. Si leuaueritis manus ad me. non exaudiam. manus enim uestrae sanguine plenae [27v] sunt.Es 1, 15
(1195) Donc comment, Judée, ce Dieu, jadis de toute clémence qui jamais ne t’a oubliée, n’a-t-il pas été conduit à travers une telle durée par tes malheurs à te libérer de ta captivité ? C’est sans doute que ceux qui ont tué le Christ se rendirent coupables par la parole susdite et vous rendirent coupables d’un si grand crime ; avec eux-mêmes, c’est vous qu’ils ont blessés. Ergo quomodo clementissimus quondam deus o iudaea: qui nunquam tui oblitus est: nunc per tanta spatia temporum miseriis tuis non adducitur ut soluat captiuitatem tuam? Certe qui christum occiderunt: et se et uos reos tanti criminis illa uoce supra dicta fecerunt: seque et uos pariter uulnerauerunt.
(1196) Celui qui désirerait lire un exposé évident et abondant de cela, qu’il voie Jérôme et sa lettre à Dardanus, savante et tellement bien écrite, qui, bien qu’elle semble avoir été dictée à son auteur au terme d’une veille agitée, emplit cependant abondamment mes oreilles, tant elle est parfaite dans l’usage de toutes les ressources de la doctrine comme de l’écriture. Quam rem qui uoluerit aperte copioseque enarratam legere: uideat hieronymi epistolam ad Dardanum: doctam et elegantissimam: quae licet authori suo tumultuaria lucubratione dictata uideatur. tamen aures meas abunde impleuit: omnibus et doctrinae et eloquii absoluta numeris.
(1197) D’ailleurs, dans un de mes poèmes, je l’ai résumée et j’ai dit : "quelle région sur toute la terre vous sera donnée sans être emplie de votre peine, de votre gémissement et de vos larmes ? Vous êtes esclaves du levant au couchant ; dites-moi quel château dans le mondre vous appartient ? Quelle ville est soumise à votre domination ? Vous êtes renversés des sièges de vos pères, chassés de votre sol natal, exilés de la région de Jérusalem ; chez tous les peuples vous endurez des maîtres sévères, opprimés par une injuste servitude, vous êtes partout la risée de tous, déshonorés par un joug sans fin, votre royaume a péri, je l’ai vu et l’ai lu. Les mutations du sort emportent et accablent de manière variée tantôt celui-ci tantôt celui-là. Mais vous, la Fortune vous presse, sans vous lâcher, depuis le temps où vous vous êtes souillés du sang de votre roi, et en avez rempli vos mains. Vous payez, répandus sur toute la terre, ce que vous avez commis, vous voilà, foule pitoyable, que nul ne prend en pitié" etc. Quam etiam rem ipse ego carmine quopiam complexus dixi: regio quae denique terris in cunctis dabitur uestro non plena laborem: seruitio: gemitu: lachrymis? seruitis ab ortu solis ad occasum: dic quae castella per orbem sint uobis? aut quas urbes ditione praematis? sedibus auulsi patriis: natalibus aruis Extorres: profugi solymis regionibus: omni in populo dominos saeuos toleratis: iniquo seruitio oppressi ludibria cuncta ferentes: Perpetuoque iugo indecores. pereuntia regna Et uidi et legi. casus mutabilis aeui Nunc hos nunc illos uarie tolluntque praemuntque. Sed uos ex illo fortuna tenaciter urget Tempore: quo regis maculastis sanguine uestri: implestisque manus. luitis commissa per omnes diffusi terras. misera haud miserabilis ulli: turba estisBARBOS. carm., 10 et.c.
(1198) (si soluere.) Pierre arrive à la conclusion de son discours et dit : si vous, mes frères, vous voulez soluere ("détruire") et enlever incrementa mali ("les accroissements du mal"), autrement dit un péché qui est si foecundi ("fecond") et fertile qu’il se propage non seulement sur ses auteurs mêmes mais encore sur leurs fils et descendants, reparate ("réparez") et reconstituez genus ("votre lignée") et votre descendance éteinte et tuée par la parole susdite, undis ("par les eaux"), évidemment du baptême, felicibus ("bienheureuses"). (si soluere.) concludit petrus orationem: si inquit uos fratres: uultis soluere et remouere incrementa mali id est peccati tam foecundi et uberis: ut non solum in authores ipsos: sed etiam in filios et posteros propagetur: reparate et restituite genus: et prolem uestram extinctam et occisam uoce illa supradicta: undis scilicet baptismatis: felicibus.
(1199) De fait, tous les Juifs sont malheureux et éteints par cette parole. Nam omnes iudaei infelices sunt: et extincti uoce illa.
(1200) Donc, pour abolir ce châtiment de malheur et de mort, il n’y a qu’un seul espoir, et un seul remède, uelle renasci ("vouloir renaître") par une palingénésie spirituelle qui est celle du baptême ; post crimina ("après les crimes") et les péchés qui vous ont fait mourir, parce que cette una spes ("espoir unique"), évidemment du baptême, détruit debita supplicii ("les dette du supplice"), autrement dit le châtiment qui vous est dû en raison de la parole susdite et du meurtre du Christ. Ergo ad hanc poenam infelicitatis et mortis abolendam: est unica spes: unicum remedium: uelle renasci palingenesia spirituali et baptismatis: post crimina et peccata: quibus mortui estis. quia haec una spes scilicet baptismatis: soluit debita supplicii scilicet debitam poenam propter uocem illam supra dictam: et occidionem christi.
(1201) uelle ("vouloir") infinitif employé comme nom comme dans "savoir n’est rien". Velle ergo renasci ("donc vouloir renaître"), évidemment la volonté de renaître. Mais on me dira comme Nicodème : "comment un homme peut-il naître alors qu’il est vieux ?". De fait, beaucoup venaient en ce temps-là au baptême, alors qu’ils étaient déjà vieux et fort avancés en âge. Le bienheureux Jean résout ce nœud, quand il montre la différence qui existe entre la palingénésie, autrement dit la régénération spirituelle, et la naissance charnelle, en disant au sujet de ce qui sont régénérés par l’aspersion d’une rosée purificatrice et du baptême : "ceux qui ne sont nés ni du sang, ni de volonté de la chair, ni de volonté d’homme, mais de Dieu". uelle infinitiuus pro nomine ut scire tuum nihil est.PERS. 1, 27 Velle ergo renasci scilicet uoluntas renascendi. et dicet aliquis sicut Nicodemus: quomodo potest homo nasci cum sit senex?Jn 3, 4 Nam multi ad baptisma tunc accedebant et senes iam et grandaeui. Beatus loannes hunc soluit nodum: cum differre ostendit palingenesian id est regenerationem spiritualem a carnali: de regeneratis purifici roris inspersione et baptismatis loquens. Qui non ex sanguinibus: nec ex uoluntate carnis nec ex uoluntate uiri: sed ex deo nati sunt.Jn 1, 13
(1202) De fait, ceux qui sont nés de la chair, sont fils d’un tel ou d’un tel, et frères d’un tel ou d’un tel. Mais ceux qui sont nés de l’Esprit, profitant du don de la foi, soit par leur propre entremise s’ils sont adultes, soit par celle d’un autre s’ils sont tout-petits, obtiennent pour père Dieu et pour frère le Christ, en sorte que, eux qui était les fils du diable, sont maintenant nommés fils de Dieu et frères du Christ, car ils ont été libérés par lui. Admirable bienfait et don que Dieu fait aux hommes ! Puissance unique ! La palingénésie céleste a pour effet que nous somme frères et héritiers par grâce, comme lui est Fils unique par nature, de telle sorte que, désormais, il n’est plus seul. La naissance mortelle engendre des fils d’hommes, la naissance céleste des fils de Dieu. L’une nous rend héritiers de biens qui s’écoulent et qui passent, l’autre de bien célestes et éternels. L’une nous rend semblables aux hommes qui en sont nés ; la génération divine nous rend, par la grâce qui nous secourt, participants de la nature divine. Extérieurement, c’est de l’eau qui nous lave, mais intérieurement c’est l’Esprit saint. Le symbole convient au Fils de Dieu incarné, parce que l’eau que nous pouvons voir correspond à notre chair visible, mais la grâce invisible correspond, elle, parfaitement à une parole qui échappe à notre entendement. Nam qui ex carne gignuntur sunt huius uel illius filii: huius uel illius fratres. At uero qui ex spiritu nascuntur: fidem uel per se si sunt adulti: uel per alium si sunt paruuli: profitentes: parentem deum et fratrem christum nanciscantur: ut qui filii diaboli erant: et filii dei et fratres christi per eum liberati dicantur. o mirabile dei in homines beneficium et donum: o potestas singularis. Efficit coelestis paligenesia ut simus fratres et cohaeredes per gratiam: sicut et ipse filius unigenitus per naturam est: ita ut iam non sit solus. Natiuitas mortalis filios hominum procreat: coelestis autem filios dei. Illa bonorum fluitantium et caducorum. haec coelestium et aeternorum haeredes facit. Illa constituit similes hominibus ex se genitos: at diuina genesis gratia subleuante diuinae naturae consortes. Abluit extrinsecus unda: atque spiritus sanctus intrinsecus. Congruit symbolum filio dei incarnato: quia aqua conspicabilis carni uisibili: gratia inuisibilis uerbo sensus nostros fugienti aptissime respondent.
(1203) (Multiplicat.) Le poète revient au récit en suivant ce que raconte Luc dans le troisième chapitre des Actes : "ceux qui accueillirent sa parole furent baptisés et, ce jour-là, ils s’adjoignirent environ trois mille âmes". Or Arator dit que ce nombre de trois milliers convient à la foi qui est à la fois trine et une. (Multiplicat.) Redit ad historiam poeta: secundum beati lucae narrationem: qui in tertio capite actuum: Qui inquit receperunt sermones eius baptizati sunt: et appositae sunt in die illa animae circiter tria millia.ac 2, 41 Dicit autem Arator hunc numeum trium chiliadon fidei congruere quae trina est et una.
(1204) (Pastor), évidemment Pierre ; multiplicat iam oues ("multiplie dès lors ses brebis"), autrement dit les fidèles et ceux qui sont accueillis dans la bergerie du Christ. Illa dies ("ce jour-là"), évidemment la Pentecôte, diluit ("purifie"), évidemment lave, tria milia uulgi ("trois mille personnes du peuple"), autrement dit trois milliers du peuple croyant ; non minus ("non moins"), autrement dit non moins nombreux ; in flumine agni ("dans le fleuve de l’Agneau"), autrement dit dans le baptême du Christ, qui est nommé Agneau de Dieu par Jean le Baptiste. (Pastor) scilicet. petrus multiplicat iam oues id est fideles et in ouile christi receptos. Illa dies scilicet pentecoste diluit scilicet lauat: tria milia uulgi id est populi credentis tres chiliadas: non minus id est non pauciores: in flumine agni id est in baptismate christi: qui agnus dei a loanne baptista apellatus est.
(1205) Voici ce qu’il convient de savoir : les premiers chrétiens avaient coutume de célébrer, le jour de la Pentecôte, un baptême général en mémoire de cette si grande multitude baptisée par Pierre. Et il ne nous faut pas ignorer que les apôtres avaient coutume de baptiser, non pas au nom de la Trinité, comme l’avait prescrit le Seigneur à la fin de l’évangile de Matthieu, mais au nom du Christ Jésus. C’est pourquoi Arator note ce fait et y fait allusion quand il dit : Pierre in flumine agni diluit ("purifia dans le fleuve de l’Agneau") tria milia uulgi ("trois mille personnes du peuple"). Illud scire conuenit: antiquos christianos in die pentecoste solitos baptismum generalem in memoriam tantae multitudinis a petro baptizatae: celebrare. Nec illud oportet nos ignorare consueuisse apostolos baptizare non in nomine Trinitatis: Sicut in fine Euanglii apud Matthaeum dominus praeceperat: Sed in nomine Christi Iesu. ideo Arator hoc notans et innuens: dixit: in flumine agni diluit petrus tria milia uulgi.
(1206) De fait, sous la mesure et le conseil de l’Esprit saint, la primitive Église observait cette forme, dit-on, pour le baptême, de manière à ce que les Juifs aiment et vénèrent le nom du Christ qu’ils haïssaient et comptaient pour rien. Mais, quand la majesté du nom du Seigneur se fut répandue chez les Juifs et les païens, l’Église revint, sous l’impulsion du même Esprit, à la norme que le Seigneur avait transmise pour qu’elle soit observée. Nam moderatione et consilio spiritus sancti ecclesia illa primigenia tale baptizandi formam obseruasse dicitur: ut ludaei nomen christi amarent et uenerarentur: quod oderant et nihil pendebant. Ast ubi maiestas dominici nominis iudaeis ac gentibus innotuit: redit ecclesia nutu eiusdem spiritus ad eam normam baptizandi: quam dominus obseruandam tradiderat.
(1207) On peut aussi ajouter à la phrase précédente ce que dit le Maître au livre 4 : "on lit, dans les Actes des Apôtres, que les apôtres baptisèrent au nom du Christ. Mais, dans ce nom (comme l’explique Ambroise), on comprend la totalité de la Trinité. On comprend en effet, quand on dit le Christ, à la fois le Père qui lui a donné l’onction, lui-même qui a reçu l’onction, et l’Esprit saint par lequel il a été oint". En effet c’est le Père qui a donné l’onction, et c’est le Fils qui est oint de l’onction même de l’Esprit saint ; ainsi le Père est χρίων (celui qui oint), le Fils est χριστός (celui qui est oint) et l’Esprit saint χρίσις (l’onction). Ou bien alors, disons que dans le fleuve veut dire dans le baptême, de l’Agneau veut dire institué par le Christ qui est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Potes etiam illud huic sententiae addere: quod magister in quarto ait: legitur inquit in actibus apostolorum apostolos baptizasse in nomine christi. sed in hoc nomine (ut exponit Ambrosius) tota trinitas intelligitur. Intelligitur enim cum Christum dicis et pater a quo unctus est. et ipse qui unctus est. et spiritus sanctus per quem unctus est.PET. LOMB. sent., 4, 3, 3 Vnxit, enim pater: unctus est filius ipsa sancti spiritus unctione: ita ut sit pater chrion: filius autem christus: et chrisis ipsa spiritus sanctus. Vel dic in flumine id est baptismate: agni id est instituto a christo: qui est agnus dei: qui tollit peccatum mundi.
(1208) Le baptême, comme le pense le Docteur lombard au livre 4, fut institué par le Christ, soit quand il dit à Nicodème "seul celui qui sera né de nouveau de l’eau et de l’Esprit", soit quand il dit aux apôtres : "allez, enseignez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du saint Esprit", ou alors (ce que le même auteur pense, de manière plus facile) quand il fut baptisé par Jean dans le Jourdain ; évidemment quand le contact de chair du Christ donna aux eaux une force de régénération, en sorte que qui s’y plongerait ensuite en ayant invoqué le nom de la Trinité, dont le mystère se fit alors connaître, serait purifié de ses péchés. Fuit autem baptismus ut putat Doctor longobardus in quarto a christo institutus: uel cum dicit Nicodemo nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto: uel cum dixit apostolis: Ite docete omnes gentes baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti:PET. LOMB. sent., 4, 3, 5 uel (quod etiam commodius idem arbitratur) quando a loanne baptizatus est in iordane:PET. LOMB. sent., 4, 3, 5 cum scilicet contactus mundae carnis christi uim regeneratiuam contulit aquis: ut qui postea immergeretur inuocato nomine trinitatis: cuius mysterium ibi innotuit: a peccatis purgaretur.
(1209) Dans le même passage, le Maître dit aussi que les apôtres ont baptisé au nom de la Trinité, bien que cela ne soit pas dans l’Ecriture. Le Baptiste donna en outre au Seigneur Jésus le titre d’agneau, et ici le poète reprend ce même surnom, parce que, selon l’autorité d’Augustin, cet agneau immaculé apporte trois dons à ceux qui le possèdent : le lait de la simple doctrine, qui nourrit les tout-petits, la laine, autrement dit l’accroissement des vertus, et sa chair à manger. C’est juste aussi de le montrer comme agneau, car il était innocent, immaculé et voué à être sacrifié, ce qui était préfiguré dans l’agneau pascal. Ibidem etiam ait magister apostolos in nomine trinitatis baptizasse: licet hoc non sit scriptum. indidit autem agni titulum baptista domino iesu: et hic [28r] poeta illud idem cognomentum repetiuit: quia authore Augustino tria ministrat hic agnus immaculatus possidentibus se: lac simplicis doctrinae quo paruuli nutriuntur: lanam id est incrementa uirtutum: et esum carnis suae. Recte quoque agnus monstratur. quia erat innocens: immaculatus: immolandus: praefiguratus in agno paschali.
(1210) En effet, bien que d’autres animaux aussi fussent sacrifiés dans l’ancienne loi, comme le bœuf, le veau, la chèvre et ainsi de suite, l’agneau porte cependant le type du Christ par un symbole plus manifeste : parce que jadis était sans tache l’agneau qu’immolèrent les fils d’Israël pour échapper à la servitude de Pharaon, comme aussi fut immolé sur l’autel de la croix Jésus qui était sans tache, car il n’a jamais commis le péché, et par lui nous sommes libérés du joug, le très cruel et mauvais démon. Quanuis enim alia quoque animalia ut bos uitulus capra et huiuscemodi in lege ueteri immolabantur: agnus tamen typum christi gerit symbolo quodam euidentiore: tum quia agnus ille erat sine macula: quo immolato filii israeli seruitutem pharaonis euaserunt: sicut immolato in ara crucis iesu immaculato: qui peccatum non fecit: a iugo liberati sumus durissimo cacodaemonis.
(1211) Ainsi le sacrifice d’un agneau chez les Israélites sans interruption et pour toujours figurait la jouissance pour toujours de notre béatitude et de notre bonheur absolu qui est le Christ. Tumque agni sacrificium apud israelitas perpetuum et iuge: nostrae beatitudinis et foelicitatis absolutae quae christus est: perpetem fructum figurabat.
(1212) (Hic primus) : hic primus usus baptismatis ("ce premier usage du baptême"), évidemment montré dans les trois mille fidèles baptisés, post iussa dei ("après les ordres de Dieu"), évidemment de l’Esprit saint qui est Dieu. (Hic primus): hic primus usus baptismatis scilicet monstratus in tribus millibus fidelium baptizatorum: post iussa dei: scilicet spiritus sancti qui deus est.
(1213) De fait, après que l’Esprit saint eut ordonné aux apôtres, qui avaient déjà été instruits et raffermis par sa puissance, de parler de la loi nouvelle, le premier nombre des croyants fut de trois mille. nam posteaquam spiritus sanctus iussit apostolis iam edoctis et roboratis suo numine uerba facere de lege noua: primus numerus credentium fuit trium millium.
(1214) (primus ergo usus) exoritur ("sort"), autrement dit apparaît, naît dans le nombre de trois mille ; probans ("prouvant"), autrement dit confirmant, iura ("les droits"), autrement dit les décrets de la foi trinitaire dans les trois mille croyants, data ("donnés"), évidemment par les apôtres. Nam trina potestas ("de fait la puissance trinitaire), évidemment du Dieu très haut qui est trine pour ce qui est des personnes, mais un pour ce qui est de la substance ; partita ("partagée"), autrement dit divisée, per numerum aequum ("en un nombre équitable"), autrement dit égal, colligit hanc prolem ("rassembla cette progéniture"), autrement dit la génération de ceux qui sont nés par le baptême, évidemment les trois mille personnes. (primus ergo usus) exoritur id est apparet: nascitur id est in numero trium millium. probans id est confirmans iura id est decreta fidei trinae in tribus millibus credentium: data scilicet ab apostolis. Nam trina potestas scilicet dei summi: qui trinus est in personis: et unus in substantia: partita id est diuisa: per numerum aequum id est aequale: colligit hanc prolem id est generationem per baptisma generatorum scilicet trium millium.
(1215) De fait, si nous divisons les trois subsistances ou hypostases en nombre égal, autrement dit en unités, on obtient trois ; de même, si nous partageons les trois mille en nombres semblables, c’est le chiffre trois que nous obtenons comme résultat. Et, de même que dans chaque personne nous trouvons une perfection complète et totalement absolue, de même aussi dans chaque mille et dans chaque millier. nam si diuidimus tres subsistentias uel hypostaseis in numeros aequales id est unitates: resultant tres: ita quoque si partimur tria millia in numeros pares: trinitatis numerus resultat. Et sicut in una quaque persona inuenitur perfectio completa et absolutissima: ita quoque in uno quoque mille: et in una quaque chiliade.
(1216) Mais pour que cela soit plus facile à comprendre, il me semble qu’il vaut la peine que je dise, en guise d’introduction, quelques mots qui sont indispensables à la connaissance de ce qui va suivre. Vt autem haec facilius intelligantur: operae precium mihi facturus uideor: si quaedam praefatus ante fuero ad cognitionem sequentium omnino necessaria.
(1217) Il faut donc savoir que seule la monade est parfaite, elle se suffit à elle-même, ne sort pas d’elle-même, est en tout simple et isolée dans la simplicité de son individuation, et formant un tout avec elle-même ; ses richesses propres, dont elle est pleine, lui suffisent et elle ne manque de rien. Or puisque le nombre est la multiplication des unités, il est évident que l’unité elle-même, autrement dit la monade, ne peut pas au sens propre recevoir le nom de nombre, sinon ἀκύρως ("de façon abusive"), comme d’ailleurs les grammairiens parlent d’un nombre singulier pour ce qui est dit au singulier, alors qu’il n’existe pas de nombre et pas de multiplication qui soient unité par nature, mais ils proviennent uniquement de la composition. Et aucune multiplication n’est assez proche de l’unité pour ne pas avoir seulement une unité qui lui vient du dehors ; plus elle s’éloigne de l’unité, plus elle grandit en nombre, et plus elle a de dissemblance, de parties et de composition. Est ergo sciendum solam monada perfectam: consumatam esse a se: non egredientem se: omnino simplicem indiuidua simplicitate et solitaria sibi cohaerentem: quae suis diuitiis plena sibi supersit nullius indiga. Cum autem numerus sit multitudo unitatum: manifestum est ipsam unitatem uel monada non dici proprie numerum: nisi acyros: sicut etiam grammatici singularem quae singulariter profertur numerum uocant: cum nullus sit numerus nullaue multitudo una natura sed compositione: nec ulla est tam unitati propinqua multitudo: quae non aduenticiam habeat unitatem: quantoque magis ab ea fit procul: tanto in maiorem incidit numerum plus dissimilitudinis: plus partium: plus compositurae habens.
(1218) Nous pourrions, à la manière des Pythagoriciens, adapter ce discours aux réalités divines, mais, parce que cela ne sert à rien à l’explication des présents vers, nous passons. Possemus haec more pythagorico diuinis accommodare. sed quia hoc nil fuit enarrationi horum uersuum: omittimus.
(1219) Donc l’unité, la monade, est absolument parfaite et simple. A partir d’elle, on dit que le nombre trois est parfait, car il est le premier impair. Or le premier élément de quelque espèce que ce soit est le plus parfait dans cette espèce. Parmi les pairs, on dit également que dix est absolu, car il est d’une certaine manière tout nombre. En effet, c’est par lui que nous comptons par réplication. De fait, dix fois dix font cent, et dix fois cent donnent mille. Il apparaît de cela que, dans les trois mille baptisés, on trouve la perfection du nombre impair, car il y a trois unités, et la perfection du nombre pair, dans le millier ou mille, parce que dix fois cent font mille. De fait, tout nombre, si nous considérons son caractère de multiple, est imparfait, mais si nous considérons son rapport à l’unité, parfait. Donc, ici, l’unité du millier révèle la perfection de l’impair, le composé obtenant, quoi qu’il en soit, la perfection du simple. Est ergo unitas et monas perfectissima simplicissimaque. Ab hac numerus perfectus dicitur ternarius: quia primus impar. Primum autem in unoquoque genere est perfectissimum in illo genere. Atque inter numeros pares denarius quoque absolutus dicitur: quia est omnis quodammodo numerus. ab eo enim numeramus per replicationem. Nam decies decem centum conficiunt: et decies centum mille complent. Vnde apparet in tribus milibus baptizatorum inueniri perfectionem numeri imparis. Sunt enim ibi tres unitates: et paris quoque numeri perfectio in chiliade uel mille inuenitur: quia decies centum mille sunt. Est autem omnis numerus: quatenus multitudo imperfectus: quatenus unus perfectus. Vnitas ergo chiliados: imparis numeri notat perfectionem: composito simplicis perfectionem nihilominus obtinente.
(1220) Donc Arator a vu juste et fait preuve de sagesse en ajoutant (Quod sonat mille) perfectum est (« ce que mille fait résonner est parfait"), dans la mesure où, dans mille ou dans le millier, on retrouve la perfection de l’unité. Quant à quod sonat (" ce que fait résonner"), autrement dit ce que mille ou le millier désigne et révèle, perfectum est ("c'est parfait"). Recte igitur Arator sapienterque subiunxit. (Quod sonat mille) perfectum est: quatenus in mille uel in chiliade repperitur unitatis perfectio. Illud enim quod sonat id est signat et notat mille uel chilias: perfectum est.
(1221) Mais alors, me dira-t-on, comment vas-tu prouver dans le millier la perfection de l’unité, sans tirer ton raisonnement des armoires des Pythagoriciens, mais en le faisant soutenir de l’autorité de la loi divine ? Mais je vais le faire, et avec grand plaisir. En effet, le prophète chante que mille ans sont un jour auprès de Dieu. Donc, on trouve quelque part l’unité dans le millier. Ensuite, parmi les commandements variés de la loi hébraïque, nous lisons que, par les six jours de la genèse que Dieu prit pour tout créer et ordonner, sont désignés les six mille ans du monde, de sorte que les œuvres du premier jour soient la prophétie de ce qui arriverait dans le premier millénaire du monde, les œuvres du second jour dans le second, et ainsi de suite, en suivant pour les deux réalités la même progression. C’est cette idée, qui est celle des théologiens hébraïques (si l’on en croit Pic), que Jérôme rappelle dans l’exposition du psaume dit de Moïse. Firmianus Lactance également, au livre 7 des Institutions divines, ne rapporte pas cette idée mais il la confirme, en disant : "que les philosophes qui comptent les millénaires de siècles depuis le commencement du monde sachent que le sixième millénaire n’est pas encore terminé ; une fois ce nombre accompli, il est inévitable que ce soit la consommation des temps, et que l’état des choses humaines soit changé en un état meilleur. Dieu a achevé le monde et l’œuvre admirable de la nature qui nous entoure, comme c’est écrit dans le trésor secret de l’Ecriture sainte, en l’espace de six jours, et a sanctifié le septième jour dans lequel il s’est reposé de ses œuvres. Donc, puisqu’il a fallu six jours pour achever toutes les œuvres de Dieu, il est inévitable que le monde demeure dans cet état pendant six siècles d’années, autrement dit six mille ans. En effet un grand jour de Dieu embrasse mille ans, comme le dit le prophète quand il déclare : ‘devant tes yeux, Seigneur, mille ans sont comme un seul jour’". At quomodo (dicet quispiam) in chiliade probabis unitatis perfectionem: non illam ex promptuario pythagoricorum allegatam: sed diuinae legis authoritate roboratam? Certe ego uero ac lubens. Canit enim propheta mille annos unum esse diem apud deum. Vnitas ergo quaepiam in chiliade repperitur: Hinc inter decreta ueteris hebraicae disciplinae legimus: per sex dies geneseos: quibus deus cuncta creauit ac disposuit: sex chiliadas annorum mundi sic designari: ut sint opera primi diei uaticinium eorum quae in prima mundi chiliade erant futura. opera item secundi eorum quae In secunda: et sic deinceps eodem semper utrobique successionis ordine seruato. Cuius sententiae cum hebrei theologi (ut author est picus) tum diuus hieronymus meminit in expositione psalmi illius: qui mosi inscribitur. Lactantius quoque firmianus in septimo institutionum diuini. libro: hanc sententiam non recitat sed confirmat. sciant inquit philosophi qui ab exordio mundi seculorum millia enumerant: nondum sextum milesimum annum esse conclusum: quo numero expleto consumationem fieri necesse est: et humanarum rerum statum in melius reformari.LACT. inst., 7, 14 Mundum deus et hoc naturae admirabile opus: sicut arcanis sacrae scripturae continetur: sex dierum spacio consumauit: diemque septimum: quo ab operibus requieuit: sanxit. Ergo quoniam sex diebus cuncta dei opera perfecta sunt: per secula sex annorum id est sex millia manere in hoc statu mundum necesse est. dies enim magnus dei mille annorum circulo terminatur: sicut indicat propheta dicens: Ante oculos tuos domine mille anni tanquam dies unus.Ps 90, 4LACT. inst., 7, 14
(1222) Voilà ce que dit Lactance et il apporte beaucoup d’arguments en faveur de cette idée, par lesquels il montre qu’après le déroulement de six mille ans (chose que de nombreux hébreux croient), par la consommation des temps du monde, il y aura pour ainsi dire un sabbat. Mais cet enseignement de Firmianus ne semble pas du tout concorder avec l’idée des auteurs orthodoxes, puisque personne ne connaît ce jour et puisque, sur le temps qu’il y aura après, il n’y a dans la loi nulle prophétie. De fait, dans une lettre à Damase, Jérôme fait connaître la vision prophétique suivante : "‘des Séraphins se tenaient à l’entour du Seigneur avec six ailes pour l’un et six pour l'autre : deux leur voilaient la face, deux les pieds et avec les deux dernières ils volaient’. Qui peut connaître son commencement lui qui, avant de créer ce monde, était dans l’éternité ? Quand a-t-il créé les trônes, les dominations, les anges et toutes les mystérieuses créatures du ciel ? On lit ensuite ‘deux voilaient les pieds’, non les leurs mais ceux de Dieu. Car son terme qui peut le connaître ? Qu’existera-t-il après la consommation des temps ? Qu’y aura-t-il après le jugement des hommes, quelle vie pourra bien venir après ? Existera-t-il éventuellement, de nouveau, une autre terre, et, après ce passage, d’autres éléments du monde, ou un autre monde et un autre soleil seront-ils créés ? ‘Annoncez-moi ce qui vient avant et en dernier lieu ce qui sera, et je vous dirai que vous êtes des dieux’, comme dit Isaïe, signifiant ainsi que personne ne peut expliquer ce qui était avant le monde et ce qui sera après le monde. Et, avec deux de leurs ailes, ils volaient, car nous connaissons l’espace qui est au milieu, par la lecture de l’Ecriture". C’est pour cette raison que j’ai abrégé sur l’opinion de Lactance, comme je ne fais qu’allusion à bien d’autres choses, pour ne pas trop allonger. Haec lactantius et in hanc sententiam plura: Quibus monstrat post sex mille annorum curricula: quod multi ex hebreis crediderunt: consumatione mundi quasi sabbatum futurum. Sed quoniam hoc firmiani dogma non omnino uidetur congruere sententiae orthodoxorum: cum illam diem nemo nouerit: cumque de ulteriori tempore nullum in lege uaticinum habeatur. Nam uisionem illam propheticam ita declarat hieronymus in quadam ad Damasum epistula: Seraphim stabant in circuitu domini sex alae uni et sex alae alteri: et duabus quidem uelabant faciem eius: et duabus uelabant pedes: et duabus uolabant.HIER. epist., 18, 6 Quis enim potest eius scire principium? qui antequam istum conderet mundum: in rerum fuerit aeternitate? quando thronos: dominationes:[28v] angelos: totumque mysterium coeleste condiderit? sequitur et duabus uelabant pedes: non suos sed dei. extremum quippe eius scire quis potest? quid post consumationem saeculi sit futurum? quid postquam genus hominum fuerit iudicatum quae sequatur uita? an rursum alia sit futura terra: et post transitionem alia rursum elementa: uel alius mundus: solque condendus sit? priora annunciate mihi: et in nouissimo quae futura sunt: et dicam quia dii estis ut ait Esaias: significans neminem posse quid ante mundum fuerit: et quod post mundum futurum sit enarrare. Et duabus uolabant: media enim ex lectione scripturarum cognoscimus.HIER. epist., 18, 7 Haec breuius: sicut alia pleraque ne longior sim allego.
(1223) Donc, puisque savoir les derniers temps et connaître ce jour est sacrilège, nous ne prenons que quelques éléments des paroles de Lactance, les plus utiles pour l’explication des présents vers : le mot saeculum désigne mille ans, c’est en ce sens que le poète semble le prendre ; quand il montre l’unité dans le millier et la perfection qui en découle, il est d’accord avec la prédiction du prophète et c’est conformément à ce sens que nous allons ainsi expliquer les paroles d’Arator. Cum ergo nouissima scire: et diem illum nefas sit: colligimus quaedam ex uerbis lactantii expositioni horum uersuum utilissima: ut saeculum esse mille annorum: in quo sensu hic a poeta uidetur accipi ut ipsius chiliados unitas et perfectio ab eodem ostenditur: cum uaticinio prophetico accommodatur. et ad hunc sensum uerba aratoris ita explicabimus.
(1224) (denique cum) dicimus tempora orbis ("enfin quand nous disons les époques de le terre") évidemment celles du monde ; ainsi, autrement dit par ce nombre parfait qu’est le millier, ponimus ("nous posons") autrement dit nous distinguons, aetates ("les âges") évidemment ceux du monde, saeclis ("en siècles") autrement dit en millénaires en tant que c’est un nombre parfait. (denique cum) dicimus tempora orbis scilicet mundi: sic id est per hunc numerum chiliados perfectum: ponimus id est distinguimus: aetates scilicet mundi: saeclis id est millenariis tanquam numero perfecto.
(1225) De même, en effet, que les œuvres de la genèse furent achevées et séparées en six jours, de même les œuvres du monde sont réparties en six millénaires. De fait, ce qui sera après ces six millénaires, cela n’a été nullement révélé par des prédictions manifestes. De la même façon, si nous cherchons à savoir dans quel âge du monde est venu le libérateur du genre humain que les hébreux nomme messiah, nous répondons, selon le comput des hébreux, que Jésus est apparu dans le quatrième millénaire du monde ; il s’ensuit que se succèdent ce siècle-là, et les millénaires : déjà le cinquième s’en est allé et le sixième, porté par des roues rapides, pousse déjà son attelage à travers le vide vers le milieu de sa course : il conduit à la sénescence du monde et annonce la venue de l’autre vie. Vt enim opera geneseos a deo perfecta sex diebus distincta fuerunt: ita opera mundi per sex chiliadas distinguntur. Nam ultra sex chiliadas quod sit futurum: nequaquam apertis uaticiniis proditum est. Item si quaerimus in qua mundi aetate uenit liberator generis humani qui ab hebreis messias dicitur: respondemus secundum supputationem hebreorum .iiii. mundi millenario iesum apparuisse: hinc illud chiliadesque cadunt: quarum iam quinta recessit: sexta citis uectata rotis per inane iugales ad medium iam cogit iter: mundique senectam ducit et alterius uitae praenunciat ortum.
(1226) Nous pouvons cependant adopter un autre comput, dont Augustin est le garant : d’Adam jusqu'à Noé, puis jusqu'à Abraham, puis jusqu'à David, puis jusqu'à la déportation à Babylone, puis jusqu'à Jean Baptiste, puis jusqu'à la fin du monde. Aliter tamen aetates sex computamus authore augustino ab adam usque ad noe: ad abraam: ad dauid: ad transmigrationem babylonis: ad ioannem baptistam: ad finem mundi.
(1227) En effet les millénaires ne correspondent pas à chacun de ces âges. Et, si nous considérons le comput de Jérôme, ce n’est pas dans le quatrième millénaire, mais dans le sixième, que le Christ a été envoyé. De fait, le docteur de Stridon, en expliquant les paroles du divin Luc "au sixième mois l’ange Gabriel fut envoyé", dit ceci : "comme ce fut au sixième mois que l’ange fut envoyé dans une cité de Galilée, de même c’est au sixième millénaire que le Christ fut envoyé". Mais nous n’avons pas (comme le dit Censorinus dans son ouvrage de Die natali) encore assez finement examiné ce que recouvre la notion de saeculum, puisque certains pensent que le siècle recoupe ce que les Grecs nomment γενεά (génération), évidemment un cycle temporel qui ramène la nature humaine à son origine, alors que d’autres, comme Héraclite, en font un espace de vingt-cinq ans, d’autres de trente, comme Zénon, d’autres encore de la plus longue durée possible d’une vie humaine, durée qui varie selon les auteurs. Ainsi Epigène fixe la durée maximale de la vie à cent douze ans, Bérose à cent six, Hérodote à cent un, comme cela fut le cas pour Arganthonios, roi de Tartesse ; Ephore en allonge la durée en rapportant ce qui se dit chez les Arcadiens, que quelques rois, chez eux, vécurent autour de trois cents ans. A cette durée correspond, en s’y accordant, ce passage d’Hérodien, dans l’Histoire des empereurs de Rome : il dit que les jeux séculaires étaient d’ordinaire célébrés à une distance de trois âges, à supposer cependant que nous donnions cent ans à chaque âge. Pourtant Politien, mon maître autrefois et (comme je l’ai dit dans un de mes poèmes) "ne le cédant aux Anciens que parce qu’il n’est pas de leur nombre", pense que le manuscrit ici est fautif. Horace Flaccus, dans son ode qui a été chantée pour les jeux séculaires, précise que le siècle compte cent dix ans "dix fois onze ans pour que nous revienne le temps des chants et des jeux". Ainsi donc, puisqu’on ne peut trancher dans le vif sur la durée du siècle, en raison de l’opinion divergente des auteurs à ce sujet, on peut soit suivre l’avis de Censorinus qui dit : "nos ancêtres n’étaient pas bien sûrs de la durée du siècle, ils la fixèrent, pour arriver à une certitude, à une mesure qui fait autour de cent ans", ou celui d’Hérodien, qui fixa le siècle à trois cents ans. Et, conformément à l’une ou l’autre des significations données au mot siècle, on pourra relier cela au sens des présents vers, en interprétant autrement que nous ne l’avons fait, bien que le sens que l’on obtient alors ne me plaît pas autant que celui que j’ai donné d’abord. Non enim singulis aetatibus milleni anni respondent. si autem hieronymi supputationem consideramus non quarto sed sexto millenario christus missus est. nam declarans stridonensis doctor uerba illa diui lucae: in mense autem sexto missus est angelus gabriel:Lc 1, 26 sicut inquit sexto mense missus est angelus in ciuitatem galileae: ita sexto millenario missus est christus.GLOSS. ORD. in Luc., proem. 1 Verum quia saeculum (ut ait censorinus de die natali) quid sit adhuc ad subtile examinatum non est: cum alii putent saeculum esse quod graeci dicunt genean: orbem scilicet aetatis dum natura humana ad sementem reuertitur: alii ut heraclitus . v. et. xx. annorum spatium: alii .xxx. ut Zeno. alii uitam longissimam hominis: cuius quoque spatium apud authores euariat: nam Epigines .cxii. annis uitam longissimam constituit: Berosus autem .cvi. Herodotus. c. et .I. ut Arganthonii tartessiorum regis: ephorus longius procedit: qui tradit archadas dicere apud se reges antiquos aliquot: ad .ccc. uixisse annos. Huic spatio respondet et congruit illud herodiani in historia romanorum principum: qui ait ludos saeculares trium spatio aetatum solitos instaurari: ut tamen centenos singulis distribuamus aetatibus: quanquam politianus doctor olim meus: et (ut ego in quodam dixi carmine) antiquis cedens quia non sit in illis:BARBOS. carm., 42, 19 putat codicem non esse emendatum. Horatius flaccus in carmine: quod de saecularibus ludis cantatum est: cx. annis saeculum designauit: Certus inquit unde nos decies per annos orbis ut cantus referatque ludos.HOR. carm. saec., 21-22 quoniam igitur saeculi spatium ad uiuum nequit resecari propter authorum in eo uarietatem: uel cum censorino sentiamus: qui inquit nostri maiores: quod natura saeculum quantum esset exploratum non habebant: ad certum annorum modulum annorum .c. statuere:CENS. 17, 13 uel cum herodiano: qui .ccc. annorum saeculum statuit. et ad utranque significationem saeculi: aliter ac supra interpretati sumus: poteris sensum horum uersuum connectere: quanquam hic sensus non tam placet quam ille superior.
(1228) Donc on expliquera sic (ponimus aetates) ("ainsi nous posons les âges"), autrement dit nous distinguons les âges, non de l’homme mais du monde ; saeclis ("en siècles"), autrement dit en siècles dix fois répétés, d’où provient le millénaire ; ou alors, si c’est en siècles comptant trois cents ans chacun, ponimus aetates ("nous posons les âges"), non du monde, mais des hommes conformément à ce que dit Ephore. expones ergo sic (ponimus aetates) id est distinguimus aetates non hominum sed mundi: saeclis id est saeculis decies replicatis: unde chilias constat: uel saeclis id est per saecula trecentenos annos complectentia: ponimus aetates non mundi sed hominum secundum ephorum.
(1229) (Res perfecta) semel ("une chose parfaite une fois"), évidemment mille, iungitur ter ("est trois fois jointe"), évidemment dans les trois mille personnes baptisées par Pierre. De fait, si l’on prend un millier, puis un autre, puis un troisième, on obtient trois milliers ; et uis ("la force"), autrement dit la puissance, mystica ("mystique"), évidemment car elle contient le mystère de la divine Trinité, numeri ("du nombre"), évidemment trois mille ; facit agmen ("constitue la troupe"), autrement dit rassemble cette multitude de trois mille baptisés. Forma ("la forme"), autrement dit la mesure de ce nombre trois, nouelli gregis ("du nouveau troupeau"), autrement dit de la nouvelle multitude récemment baptisée par Pierre au jour de la Pentecôte ; est pia ("est pieuse"), évidemment religieuse, car elle touche à la foi et à la religion puisqu’elle inclut le mystère de la Trinité. (Res perfecta) semel scilicet mille: iungitur ter: scilicet. in tribus millibus a petro baptizatorum. nam ex una chiliade: et item una: et tertio una tria millia colliguntur: et uis id est uirtus: mystica scilicet mysterium diuinae trinitatis includens: numeri scilicet trium millium: facit agmen id est colligit illam multitudinem trium millium baptizatorum. Forma id est ratio numeri ternaris: nouelli gregis id est nouae multitudinis recens baptizatae a petro in die pentecoste: est pia scilicet religiosa: ad fidem et religionem attinens: cum includat trinitatis mysterium.
(1230) Mais on va me dire : puisque la nature divine n’admet pas le nombre (comme le dit le divin Ambroise au livre 3 du de Spiritu sancto), comment est-il possible de croire et de confesser le mystère de la Trinité en trois personnes ? "Comment en effet l’unité divine peut-elle admettre la pluralité alors que la pluralité est nombre" et composition, puisque Dieu seul, qui ne provient de personne, mais dont tout provient, est l’essence simple par excellence, et la monade ou l’unité en personne ? Tout ce qu’il a, il l’a de lui-même ; sa sagesse se confond avec son être, comme sa volonté, sa bonté, sa justice ; et nous ne pouvons percevoir aucune réalité par laquelle lui-même il serait, si ce n’est ce qu’il est lui-même, l’être. Pour les autres créatures, comme les anges, ils ne sont pas ce qu’il est, autrement dit l’être, mais ils sont par son être à lui. Sed dicet hic aliquis: cum numerum non recipiat diuina natura (ut ait diuus Ambrosius in li .iii. de spiritu sancto) quomodo trinitatis mysterium in tribus personis et credimus et confitemur? Quomodo enim pluralitatem recipit unitas diuinitatis: cum pluralitas numeri sit:AMBR. spir., 3, 13, 93 et compositionis? cum solus deus qui a nullo est: et a quo sunt omnia simplicissima sit essentia et monas siue unitas indiuidua? Quicquid enim habet a se habet: eadem re qua est eadem sapit: eadem uult: eadem bonus: eadem iustus. nec ullam rem percipimus qua ipse sit: praeterquam ipsum quod ipse est: esse. Caetera ut angeli: non illud id est ipsum esse sunt: sed sunt illo.
(1231) Donc un ange n’est pas monade en soi, mais nombr ; autrement il serait Dieu, ou il y aurait plusieurs dieux. Donc l’ange tire une imperfection du fait qu’il est nombre ; c’est par participation à celui-ci que lui échoit l’être ; il n’est pas l’intelligence, mais un être à qui l’intelligence survient. La perfection qu’il possède, nous l’imputons à l’unité qui vient se joindre à lui, unité qu’il tire de son union à Dieu. Igitur angelus non est ipsa monas: sed numerus: alioquin deus esset: aut plures essent dii. Imperfectionem ergo inde angelus habet unde est numerus: cui participatu accidit ut sit: et qui non ipsa est intellectio: sed cui aduenit ut intelligat. Perfectionem uero quam habet: accedenti unitati imputamus: quam inde habet unde deo coniungitur.
(1232) Qu’est-ce donc qui sera un, si l’unité même de la divinité n’est pas une, mais admet le nombre et la multiplicité qui est imperfection ? Voici comment le divin Ambroise tranche ce nœud : "selon notre idée qui nous fait comprendre qu’il n’y a qu’un seul Dieu, une seule divinité et une unité de puissance ; de même en effet que nous disons Dieu et Père, en confessant par son nom la vérité de la déité, sans toutefois nier le Fils, de même encore nous n’excluons pas l’Esprit saint de l’unité de la déité, sans pour autant affirmer l’existence de trois dieux, ce que nous rejetons. Car ce n’est pas leur unité qui provoque la pluralité, mais la division de leur puissance". Quid ergo erit unum: si ipsa unitas diuinitatis non una est: sed numerum admittit et imperfectam multitudinem? hunc nexum ita soluit diuus ambrosius: secundum nostram sententiam quia unus deus: una diuinitas: et unitas intelligitur potestatis. Sicut enim deum dicimus et patrem uerum deitatis nomine confitentes: nec filium denegantes: ita etiam spiritum sanctum a deitatis non excludimus unitate: et tres deos non asserimus sed negamus. quia pluralitatem non unitas facit: sed diuisio potestatis.AMBR. spir., 3, 13, 93
(1233) Comment alors l’unité de la divinité peut-elle admettre la pluralité, et la nature divine admettre le nombre ? La relation (comme le dit le divin Bonaventure), en raison du sujet dans lequel elle s’opère, passe dans la substance sans provoquer de composition, mais, en raison du terme vers lequel elle tend, demeure elle-même, de sorte qu’elle provoque une distinction. Elle passe, dit-il, dans la substance sans provoquer de composition, la substance et la monade conservant leur unité, mais c’est par la relation que deviennent multiples les hypostases de la Trinité. Quomodo enim pluralitatem recipiat unitas diuinitatis? numerumque reci[29r]piat natura diuina? Relatio enim (ut ait diuus bonauentura) ratione subiecti in quo est: transit in substantiam ne faciat compositionem: ratione autem termini ad quem est: manet: ut faciat distinctionem. Transit inquit in substantiam: ne faciat compositionem: substantia unitatem ac monada retinente: relatione uero hypostases multiplicante trinitatis.